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Читать книгу: «Le Piccinino», страница 4

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Cet usage sicilien d'habiter l'étage le plus élevé, pour y jouir de la fraîcheur et du repos, est commun à plusieurs villes d'Italie. Ces appartements réservés, petits et tranquilles, s'appellent quelquefois le Casino, et grâce à leur jardin particulier, forment comme une habitation distincte au-dessus du palais. Celui dont nous parlons reculait sur la façade et sur les côtés, de toute la largeur d'une vaste terrasse, et se trouvait ainsi caché et comme isolé. Sur l'autre face, il formait, au niveau du parterre, un étage unique, puisque la masse de l'édifice inférieur était adossée au rocher. On eut dit, de ce côté, qu'une coulée de laves était venue s'adosser et se figer contre le palais, dont elle aurait envahi toute une face jusqu'au pied du Casino. Mais la construction de cette villa avait été ainsi conçue pour échapper au danger de nouvelles éruptions. A la voir, du côté de l'Etna on l'eut prise pour un léger pavillon planté à la cime d'un rocher. Ce n'est qu'en tournant cette masse de déjections volcaniques qu'on découvrait un palais splendide, composé de trois grands corps superposés, et gravissant la colline à reculons.

En d'autres circonstances, Michel eût été fort curieux de savoir si cette dame, qu'on disait belle et bonne, était, par droit de poésie, bien digne d'habiter une si noble demeure; mais son imagination, absorbée par le travail brûlant avec lequel on l'avait mise aux prises, ne s'occupa guère d'autre chose.

Il se sentait si fatigué lorsqu'il abandonnait un instant son rude pinceau, qu'il était forcé de lutter contre le sommeil pour ne pas prolonger sa sieste au delà d'une demi-heure. Il craignait même tellement de voir ses compagnons se refroidir, qu'il allait en cachette prendre cet instant de repos dans la galerie de peinture, où son père l'enfermait, et où il semblait que personne ne mît jamais les pieds. Deux ou trois fois, il n'eut pas le courage d'aller passer la nuit jusqu'au faubourg de Catane, où sa maison était pourtant une des premières sur le chemin de la villa, et il consentit à ce que son père lui fit donner un lit dans le palais. Lorsqu'il se retrouvait dans la misérable demeure où Mila fleurissait comme une rose sous un châssis, il ne voyait et ne comprenait rien à ce qui se passait dans son intérieur. Il se bornait à embrasser sa sœur, à lui dire qu'il était heureux de la voir, et il n'avait pas le temps de l'examiner et de causer avec elle.

Enfin, la veille de la fête se trouva un dimanche. Il n'y avait plus qu'un dernier coup d'œil et de main à donner aux travaux; la journée du lundi devait suffire, et, d'ailleurs, dans ce pays de dévotion ardente, il ne faut pas songer à l'art le jour du repos.

Michel ne s'intéressait à rien qu'à ses toiles, et son père fut forcé d'insister beaucoup pour qu'il allât prendre l'air. Il se décida enfin à faire un peu de toilette et à parcourir la ville après avoir mené Mila aux offices du soir. Il prit vite connaissance des églises, des places et des édifices principaux. Enfin son père le présenta à quelques-uns de ses amis et de ses parents, qui lui firent bon accueil, et avec lesquels il s'efforça d'être aimable. Mais la différence de ce milieu avec celui qu'il avait fréquenté à Rome le rendit triste malgré lui, et il se retira de bonne heure, aspirant au lendemain; car, en présence de son ouvrage et sous le prestige de la belle résidence, où il travaillait, il oubliait qu'il était peuple pour se souvenir seulement qu'il était artiste.

Enfin arriva ce jour d'espoir et de crainte où Michel devait voir son œuvre applaudie ou raillée par l'élite de la société sicilienne.

VI.
L'ESCALIER

«Eh quoi! pas plus avancés que cela? s'écriait avec désespoir le majordome, en se précipitant au milieu des ouvriers. Mais à quoi songez-vous, grand Dieu? Sept heures vont sonner; à huit, les voitures arriveront, et la moitié de cette salle n'est pas encore tendue!»

Comme cette admonestation ne s'adressait à personne en particulier, personne n'y répondit, et les ouvriers continuèrent à se hâter plus ou moins, chacun dans la mesure de ses forces et de son habileté.

– Place, place aux fleurs! cria l'ordonnateur de cette partie notable de l'établissement du palais. Échelonnez ici cent caisses de camélias, le long des gradins.

– Et comment voulez-vous placer les caisses de fleurs avant que les tapis soient posés? demanda maître Barbagallo avec un profond soupir.

– Et où voulez-vous que je dépose mes caisses et mes vases? reprit le maître jardinier. Pourquoi vos tapissiers n'ont-ils pas fini?

– Ah! voilà! pourquoi n'ont-ils pas fini! dit l'autre avec l'accent d'une indignation profonde.

– Place! place pour mes échelles, cria une autre voix; on veut que tout soit éclairé à huit heures précises, et j'en ai encore pour longtemps à allumer tant de lustres. Place! place, s'il vous plaît!

– Messieurs les peintres, enlevez vos échelles, crièrent à leur tour les tapissiers, nous ne pouvons rien faire tant que vous serez là.

– C'est une confusion, c'est une cohue, c'est une seconde tour de Babel, murmura le majordome en s'essuyant le front. J'ai eu beau faire pour que chaque chose se fît à son heure et en son lieu; j'ai averti chacun plus de cent fois, et voici que vous êtes tous pêle-mêle, vous disputant la place, vous gênant, et n'avançant à rien C'est désolant! c'est révoltant!

– A qui la faute? dit l'homme aux fleurs. Puis-je poser mes guirlandes sur des murailles nues, et mes vases sur des planches brutes?

– Et moi, puis-je grimper aux plafonds, dit l'homme aux bougies, si on soulève mes échelles pour étendre les tapis? Prenez-vous mes ouvriers pour des chauves-souris, et voulez-vous que je fasse casser le cou à trente bons garçons?

– Comment voulez-vous que mes ouvriers tendent leurs tapis, dit à son tour le maître tapissier, si les échelles des peintres décorateurs ne sont pas enlevées?

– Et comment voulez-vous que nos échelles soient emportées si nous sommes encore dessus? cria un des peintres.

– Toute la faute est à vous, messieurs les barbouilleurs, s'écria le majordome exaspéré; ou plutôt c'est votre maître qui est le seul coupable, ajouta-t-il en voyant le jeune homme auquel il s'adressait, rouler des yeux terribles à cette épithète de barbouilleur. C'est ce vieux fou de Pier-Angelo, qui n'est même pas là, je parie, pour vous diriger. Où sera-t-il? Au plus prochain cabaret, je gage!»

Une voix, encore pleine et sonore, qui partait de la coupole, fit entendre le refrain d'une antique chanson, et, en levant les yeux, l'intendant courroucé vit briller la tête-chauve et luisante du peintre! décorateur en chef. Évidemment, le vieillard narguait l'intendant, et, maître du terrain, il voulait mettre complaisamment la dernière main à son ouvrage.

– Pier-Angelo, mon ami, dit l'autre, vous vous moquez de nous! C'est trop fort. Vous vous conduisez comme un vieux enfant gâté que vous êtes; mais nous finirons par nous fâcher. Ce n'est point le moment de rire et de chanter vos vers bachiques.»

Pier-Angelo ne daigna pas répondre; il se contenta de lever l'épaule, tout en parlant avec son fils, placé encore plus haut que lui, et activement occupé à mettre des tons à la robe d'une danseuse d'Herculanum, nageant dans un ciel de toile bleue.

– C'est bien assez de figures, c'est bien assez de teintes et de plis! s'écria encore l'intendant hors de lui. Qui diable ira regarder là haut, s'il manque quelque chose à vos divinités perdues dans la voûte céleste? L'ensemble y est, c'est tout ce qu'il faut. Allons, descendez, vieux sournois, ou je secoue l'échelle où vous perchez.

– Si vous touchez à l'échelle de mon père, dit le jeune Michel d'une voix retentissante, je vous écrase avec ce lustre. Pas de plaisanteries de ce genre, monsieur Barbagallo, ou vous vous en repentirez.

– Laisse-le donc dire, et continue ton ouvrage, dit alors, d'un ton calme, le vieux Pierre. La dispute prend du temps, ne t'amuse pas à de vaines paroles.

– Descendez, mon père, descendez, reprit le jeune homme. Je crains que, dans cette confusion, on ne vous fasse tomber; moi, j'ai fini dans un instant. Descendez, je vous en prie, si vous voulez que je garde ma présence d'esprit.»

Pier-Angelo descendit lentement, non pas qu'il eût perdu, à soixante ans, la force et l'agilité de la jeunesse, mais afin de faire paraître moins long le temps que son fils voulait encore donner à son œuvre.

– Quelle niaiserie, quelle puérilité, disait le majordome, en s'adressant au vieux peintre; pour des toiles volantes qui seront demain roulées dans un grenier et qu'il faudra couvrir d'autres sujets à la première fête, vous vous appliquez comme s'il s'agissait de les envoyer dans un musée! Qui vous en saura gré? Qui y fera la moindre attention?

– Pas vous, on le sait de reste, répondit le jeune peintre, d'un ton méprisant, du haut de son échelle.

– Tais-toi, Michel, et va ton train, lui dit son père. Chacun met son amour-propre où il peut se prendre, ajouta-t-il en regardant l'intendant. Il y en a qui mettent le leur à se faire honneur de toutes nos peines! Allons! les tapissiers peuvent commencer. Donnez-moi un marteau et des clous, vous autres! puisque je vous ai retardés, il est juste que je vous aide.

– Toujours bon camarade! dit un des ouvriers tapissiers, en présentant les outils au vieux peintre. Allons, maître Pier-Angelo, que les arts et les métiers se donnent la main! Il faudrait être fou pour se brouiller avec vous.

– Oui, oui, grommela Barbagallo, qui, contrairement à ses habitudes de réserve et de politesse, était, ce soir-là, d'une humeur massacrante: voilà comme chacun lui fait la cour, à ce vieux entêté, et il se soucie fort peu de faire damner les autres.

– Au lieu de gronder, vous devriez aider à clouer, ou à allumer les lustres, dit Pier-Angelo d'un air moqueur. Mais, bah! vous craindriez de gâter vos culottes de satin et de déchirer vos manchettes!

– Maître Pier-Angelo, vous devenez trop familier, et je vous jure que je vous emploie aujourd'hui pour la dernière fois.

– Plût au ciel! répliqua l'autre avec son flegme accoutumé, en s'accompagnant de vigoureux coups de marteau, frappés en cadence sur les nombreux clous qu'il plantait rapidement; mais, à la prochaine occasion, vous viendrez encore me supplier, me dire que rien ne peut se faire sans moi; et moi, comme à l'ordinaire, je vous pardonnerai vos impertinences.

– Allons! dit l'intendant au jeune Michel, qui descendait lentement de son échelle, c'est donc fini? C'est bien heureux! Vite! vite! aidez aux tapissiers, ou aux fleuristes, ou aux allumeurs. Faites quelque chose pour réparer le temps perdu.

Michel toisa le majordome d'un air hautain. Il avait si bien oublié jusqu'à la pensée de se faire ouvrier, qu'il ne concevait pas que ce subalterne lui ordonnât de prendre part à des travaux en dehors de ses attributions; mais, au moment où il allait lui répondre avec vivacité, il entendit la voix de son père qui l'appelait.

– Allons, Michel, apporte-nous ici des clous, et viens aider à ces bons compagnons, qui n'arriveront pas à temps sans nous.

– Rien de plus juste, répondit le jeune homme. Je ne serai peut être pas très-adroit à ce travail; mais j'ai des bras solides pour tendre. Voyons, que faut-il faire? commandez-moi, vous autres!

– A la bonne heure! dit Magnani, un jeune ouvrier tapissier, plein de feu et de franchise, qui demeurait dans le faubourg, porte à porte, avec la famille Lavoratori. Sois bon camarade comme ton père, que tout le monde aime, et tu seras aimé comme lui. On nous disait que, pour avoir étudié la peinture à Rome, tu faisais un peu le glorieux, et il est certain que tu vas par la ville avec un habit qui ne convient guère à un artisan. Tu as pourtant une jolie figure qui plaît, mais on te reproche d'avoir de l'ambition.

– Où serait le mal? répondit Michel, tout en travaillant avec Magnani. A qui cela est-il défendu?

– J'aime la bonne foi de ta réponse; mais quiconque veut être admiré doit commencer par se faire aimer.

– Suis-je donc haï dans ce pays où j'arrive, où je ne connais encore personne?

– Ce pays est le tien: tu y as vu le jour, ta famille y est connue, ton père estimé; et c'est parce que tu arrives, que tout le monde a les yeux sur toi. On te trouve beau garçon, bien mis et bien tourné. Autant que je puis m'y connaître, tu as du talent, les figures que tu as dessinées et enluminées là-haut ne sont pas des barbouillages vulgaires. Ton père est fier de toi; mais tout cela n'est pas une raison pour que tu sois déjà fier de toi-même. Tu es encore un enfant, tu es plus jeune que moi de plusieurs années; tu n'as guère de barbe au menton, tu n'as pas pu faire encore tes preuves de courage et de vertu… Quand tu auras un peu souffert, sans te plaindre, des maux de la condition, nous te pardonnerons de porter haut la tête et de te balancer sur tes hanches en traversant les rues, le bonnet sur l'oreille. Autrement nous te dirons que tu veux t'en faire accroire, et que si tu n'es pas un artisan, mais un artiste, il faut aller en voiture et ne pas regarder en face les jeunes gens de ta classe; car enfin ton père est un ouvrier comme nous; il a du talent dans sa partie, et il peut être plus difficile de peindre des fleurs, des fruits et des oiseaux sur une corniche, que de suspendre des draperies à une fenêtre et d'assortir des couleurs dans un ameublement. Mais la différence n'est pas si grande qu'on ne soit cousin-germain dans le travail. Je ne me crois pas plus que le menuisier et le maçon; pourquoi te croirais-tu au-dessus de moi?

– Je n'ai pas cette pensée, répondit Michel; Dieu m'en préserve!

– Et alors, pourquoi n'es-tu pas venu à notre bal d'artisans, hier soir? Je sais que ton cousin Vincenzo a voulu t'y mener et que tu as refusé.

– Ami, ne me juge pas mal pour cela; peut-être suis-je d'un caractère triste et sauvage.

– Je n'en crois rien. Ta figure annonce autre chose. Pardonne-moi de te parler sans façon; c'est parce que tu me plais, que je t'adresse ces reproches. Mais, voici notre tapis cloué par ici. Il faut aller ailleurs.

– Mettez-vous donc deux et trois à chaque lustre! criait le maître lampiste à ses ouvriers; vous n'en finirez jamais si vous vous divisez ainsi!

– Eh! moi, je suis tout seul! criait à son tour Visconti, un gros allumeur, bon vivant, qui, ayant déjà un peu de vin dans la cervelle, plaçait toujours la mèche enflammée à deux doigts de la bougie. Michel, frappé de la leçon que Magnani lui avait donnée, dressa un escabeau et se mit en devoir d'aider à Visconti.

– Ah! c'est bien! dit l'ouvrier; maître Michel est un bon garçon, et il sera récompensé. La princesse paie bien, et, de plus, elle veut que tout le monde s'amuse chez elle les jours de fête. Il y aura souper pour nous, de la desserte du souper des seigneurs, et le bon vin ne sera pas épargné. J'ai déjà pris un petit à compte en passant par l'office.

– Aussi vous vous brûlez les doigts! dit Michel en souriant.

– Vous n'aurez peut-être pas la main aussi sûre que vous l'avez maintenant, dans deux ou trois heures d'ici, reprit Visconti: car vous viendrez souper avec nous, n'est-ce pas, jeune homme? Votre père nous chantera ses vieilles chansons, qui font toujours rire. Nous serons plus de cent à table à la fois. Oh! va-t-on se divertir!

– Place, place! cria un grand laquais, galonné sur toutes les coutures; voici la princesse qui vient voir si tout est prêt. Dépêchez-vous, rangez-vous! Ne secouez pas les tapis si fort, vous faites de la poussière. Hé! là-haut, les allumeurs, ne répandez pas de bougie! ôtez vos outils, ouvrez le passage!

– Bon, dit le majordome, vous allez vous taire, j'espère, messieurs les ouvriers! Allons, hâtez-vous; que, si vous êtes en retard, vous ayez au moins l'air de vous dépêcher. Je ne réponds pas des reproches que vous allez recevoir. J'en suis fâché pour vous. Mais c'est votre faute; je ne saurais vous justifier. Ah! maître Pier-Angelo, cette fois-ci, vous n'avez que faire de venir quêter des compliments.

Ces paroles arrivèrent aux oreilles du jeune Michel, et toute sa fierté lui revint au cœur. L'idée que son père pût quêter des compliments et recevoir des affronts lui était insupportable. S'il n'avait pas encore pu voir la princesse, il pouvait se rendre cette justice qu'il n'avait guère cherché à la voir. Il n'était pas de ceux qui courent avidement sur les traces d'un personnage riche et puissant, pour repaître leurs regards d'une banale et servile admiration. Mais, cette fois, il se pencha sur son escabeau, cherchant des yeux cette altière personne qui, au dire de maître Barbagallo, devait humilier d'un geste et d'un mot d'intelligents et généreux travailleurs. Il restait ainsi matériellement au-dessus du niveau de la foule, afin de mieux voir, mais tout prêt à descendre, à s'élancer auprès de son vieux père et à répondre pour lui, si, dans un accès d'humeur bienveillante, l'insouciant vieillard venait à se laisser outrager.

L'immense salle que l'on se hâtait de terminer n'était autre chose qu'une vaste terrasse de jardin recouverte extérieurement de tant de feuillages, de guirlandes et de banderoles, qu'on eût dit d'un berceau gigantesque dans le goût de Watteau. A l'intérieur on avait établi des parquets volants sur le terrain sablé. Trois grandes fontaines de marbre, ornées de personnages mythologiques, loin de gêner cet intérieur improvisé, en faisaient le plus bel ornement. Il y avait, entre leurs masses élégantes, assez de place pour circuler et pour danser. Elles lançaient leurs gerbes d'eau cristalline au milieu de buissons de fleurs, sous la clarté resplendissante des grands lustres qui les semaient d'étincelles. Des gradins, disposés comme dans un amphithéâtre antique et coupés de buissons fleuris, offraient une libre circulation et des siéges nombreux pour les assistants.

La hauteur de la voûte factice était telle que le grand escalier du palais, admirable morceau d'architecture, tout orné de statues antiques et de vases de jaspe du plus beau style, s'y encadrait tout entier. Les degrés de marbre blanc étaient fraîchement recouverts d'un immense tapis de pourpre, et le laquais qui précédait la princesse, en ayant balayé la foule des ouvriers, il y avait là un vide solennel. Un silence instinctif se fit dans l'attente d'une apparition majestueuse.

Les ouvriers, partagés entre un sentiment de curiosité, naïf et respectueux chez les uns, insouciant et railleur chez les autres, regardèrent tous à la fois vers la grande porte fleuronnée qui s'ouvrait à deux battants au haut de l'escalier. Michel sentit battre son cœur, mais c'était de colère autant que d'impatience. «Que sont donc ces nobles et ces riches de la terre, se disait-il, pour qu'ils marchent avec tant d'orgueil sur les autels, sur les tréteaux, que nos mains avilies leur dressent? Une déesse de l'Olympe serait à peine digne de se montrer ainsi, du haut d'un pareil temple, aux vils mortels prosternés à ses pieds. Oh! insolence, mensonge et dérision! La femme qui va se produire ici, devant mes regards, est peut-être un esprit borné, une âme vulgaire; et, pourtant, voilà tous ces hommes forts et hardis qui se découvrent à son approche.»

Michel avait fait très-peu de questions à son père sur les goûts et les facultés de la princesse Agathe; à ce peu de questions, le bon Pier-Angelo n'avait guère répondu, surtout dans les derniers jours, qu'avec distraction, selon sa coutume, lorsqu'on mêlait une idée étrangère à la contention de son esprit absorbé par le travail. Mais Michel était orgueilleux, et la pensée qu'il allait être aux prises avec un être quelconque plus orgueilleux que lui, faisait entrer du dépit et une sorte de haine dans son cœur.

VII.
UN REGARD

Lorsque la princesse de Palmarosa parut au haut de l'escalier, Michel crut voir une fille de quinze ans, tant elle était svelte et souple dans sa taille et dans son attitude; mais, à chaque marche qu'elle descendit, il vit apparaître une année de plus sur son front; et, quand il l'observa de près, il put juger qu'elle en avait trente. Cela ne l'empêchait pas d'être belle; non pas éclatante et superbe, mais pure et suave comme le bouquet de cyclamens blancs qu'elle portait à la main. Elle avait une réputation de grâce et de charme plus que de beauté, car elle n'avait jamais été coquette et ne cherchait point à faire de l'effet. Beaucoup de femmes beaucoup moins belles avaient allumé des passions, parce qu'elles l'avaient voulu. La princesse Agathe n'avait jamais fait parler d'elle, et, s'il y avait eu des émotions dans sa vie, les gens du monde n'en avaient rien su positivement.

Elle était fort charitable, et comme exclusivement occupée de répandre des aumônes; mais cela se faisait sans faste et sans ostentation, et on ne la nommait point la mère des pauvres. La plupart du temps, les gens qu'elle secourait ignoraient la source du bienfait. Elle n'était pas très-assidue à l'église et au sermon, sans cependant fuir les cérémonies religieuses. Elle avait des goûts d'artiste et s'entourait avec discernement des plus belles choses et des plus nobles esprits. Mais elle ne brillait point au centre, et ne se faisait un piédestal ni de ses relations, ni de ses richesses. En tout, il semblait qu'elle aimât à faire comme tout le monde, et que, soit apathie, soit bon goût, soit timidité intérieure, elle eût pris à tâche de ne point se faire remarquer. Il n'était point de femme plus inoffensive. On l'estimait, on l'aimait sans enthousiasme, on l'appréciait sans jalousie. Mais l'appréciait-on à sa juste valeur? C'est ce qu'il eût été difficile de dire. Elle ne passait point pour un grand esprit. Ses plus anciens amis disaient d'elle, comme éloge culminant, que c'était une personne très-sûre et d'une humeur toujours égale.

Tout cela pouvait se juger dès le premier coup d'œil jeté sur elle, et le jeune Michel, en la voyant descendre l'escalier avec une grâce nonchalante, sentit son aversion se dissiper avec sa crainte. Il était impossible de se conserver irrité en présence d'un visage si pur, si calme et si doux. Mais comme, au milieu de sa colère, il s'était préparé à affronter le terrible regard d'une beauté arrogante et splendide, il éprouva comme un soulagement intérieur à voir une femme ordinaire. Déjà il pressentait que, si elle venait pour gronder, elle n'aurait ni l'énergie, ni peut-être l'esprit d'être blessante. Son cœur s'apaisa, et il la regarda avec une tranquillité croissante, comme si le fluide rafraîchissant émané d'une sérénité intérieure se fut communiqué d'elle à lui.

Elle était simplement et richement vêtue d'une robe d'étoffe de soie lourde et mate d'un blanc lacté, sans aucun ornement. Une légère guirlande de diamants ornait ses cheveux d'un noir doux, séparés en bandeaux sur un front lisse et pur. Sans doute elle eût pu avoir de plus riches pierreries, mais sa couronne était une œuvre d'art d'un excellent travail, et ne fatiguait point d'un poids abrutissant sa tête fine et admirablement attachée. Ses épaules, à demi découvertes, avaient perdu l'intéressante maigreur de l'adolescence et ne se noyaient pas encore dans l'embonpoint fastueux de la troisième ou quatrième jeunesse des femmes. Il y avait encore des contours délicats dans ses formes, et dans tous ses mouvements une souplesse abandonnée, qui semblait s'ignorer elle-même et ne poser pour personne.

Elle écarta lentement, du bout de son éventail, le laquais et l'intendant qui s'évertuaient à lui faire faire place, et passa devant eux, enjambant avec facilité et sans empressement maladroit les planches et les tapis roulés qui s'opposaient encore à sa marche; laissant traîner, avec une sorte d'insouciance humble ou opulente, les longs plis de sa belle robe de soie blanche sur la poussière qu'avaient laissée les pieds des manœuvres. Elle effleura, sans éprouver de dégoût ou sans les remarquer, les ouvriers baignés de sueur, qui ne pouvaient se ranger assez vite. Elle passa dans un groupe de jardiniers qui remuaient des caisses énormes, et ne parut pas s'apercevoir ou se soucier du danger d'être écrasée ou blessée. Elle salua ceux qui la saluaient, sans prendre aucun air de commandement ou de protection; et, quand elle fut au milieu de la cohue des hommes, des toiles, des planches et des échelles, elle s'arrêta fort tranquillement, promena ses regards sur ce qui était achevé et sur ce qui ne l'était pas, et dit d'une voix douce et encourageante: – Eh bien, Messieurs, espérez-vous avoir fini à temps? Nous n'avons plus guère qu'une demi-heure.

– Je vous réponds de tout, ma chère princesse, répondit Pier-Angelo en s'approchant d'elle d'un air enjoué; ne voyez-vous pas que je mets la main à tout?

– En ce cas, je suis tranquille, répondit-elle, et je compte aussi sur tout le monde. Il serait fâcheux de laisser imparfait un aussi bel ouvrage. Je suis extrêmement contente. Tout cela est conçu avec goût et exécuté avec soin. Je vous remercie beaucoup de la peine que vous prenez pour bien faire, Messieurs, et cette fête sera à votre gloire.

– Mon fils Michel en aura sa part, j'espère, reprit le vieux peintre en décors; Votre Seigneurie veut-elle me permettre de le lui présenter? Allons, Michel, approche, et baise la main de la princesse, mon enfant: c'est une bonne princesse, tu vois!

Michel ne fit pas un mouvement pour s'approcher. Quoique la manière dont la princesse venait de gronder son père l'eût attendri et gagné, il ne se souciait pas de faire acte de servilité devant elle. Il savait bien que la coutume italienne de baiser la main à une dame est l'hommage d'un ami ou la prosternation d'un inférieur, et, ne pouvant prétendre à l'un, il ne voulait pas descendre à l'autre. Il ôta son bonnet de velours et se tint droit, affectant de regarder la princesse avec aplomb.

Elle fixa alors ses yeux sur lui, et soit, qu'il y eût dans son regard une habitude de bonté et d'effusion qui fit contraste avec la nonchalante bienveillance de ses manières, soit que Michel fut frappé d'une étrange hallucination, il fut remué jusqu'au fond des entrailles par ce regard inattendu. Il lui sembla qu'une flamme insinuante, mais intense et profonde, pénétrait en lui à travers les douces paupières de la grande dame; qu'une ineffable tendresse, partant de cette âme inconnue, venait s'emparer souverainement de tout son être; enfin que la tranquille princesse Agathe lui disait dans un langage plus éloquent que toutes les paroles humaines: «Viens dans mes bras. Viens sur mon cœur.»

Michel étourdi, fasciné, hors de lui, tressaillit, pâlit, s'approcha par un mouvement convulsif et involontaire, prit en tremblant la main de la princesse, et au moment de la porter à ses lèvres, leva encore ses yeux sur les siens, croyant s'être trompé et pouvoir sortir d'un rêve à la fois pénible et délicieux. Mais ces yeux purs et transparents lui exprimaient un amour si absolu et si confiant qu'il perdit la tête, se sentit défaillir et tomba comme terrassé aux pieds de la signora.

Quand il recouvra sa présence d'esprit, la princesse était déjà à quelques pas de lui. Elle s'éloignait suivie de Pier-Angelo, et, quand ils furent isolés au bout de la salle, ils parurent s'entretenir de quelque détail de la fête. Michel était honteux: son émotion se dissipait rapidement, à la pensée qu'il avait donné à tous ses compagnons le spectacle d'une faiblesse et d'une présomption inouïes: mais, comme les bonnes paroles de la princesse les avaient tous électrisés, comme on s'était remis au travail avec une sorte de rage joyeuse, on remuait, on chantait, on frappait autour de lui, et son aventure n'était qu'un incident perdu, ou du moins incompris, dans la foule. Quelques-uns avaient remarqué, en souriant, qu'il saluait plus bas qu'il n'était besoin, et qu'apparemment c'était une manière aristocratique et galante qu'il avait apportée de loin avec son air fier et ses beaux habits. D'autres pensèrent qu'il avait trébuché sur des planches en voulant s'incliner, et que sa maladresse lui avait fait perdre contenance.

Le seul Magnani l'avait observé attentivement et à moitié deviné.

– Michel, lui dit-il au bout de quelques instants, quand un travail commun les eut rapprochés, tu parais fort timide, mais je te crois follement hardi. Il est certain que la princesse t'a trouvé beau garçon et qu'elle t'a regardé d'une certaine manière qui aurait pu signifier tout autre chose de la part d'une autre femme; mais ne sois pas trop présomptueux, mon enfant; cette bonne princesse est une dame vertueuse; on ne lui a jamais connu d'amant, et si elle en voulait prendre un, il n'est pas probable qu'elle commencerait par un petit peintre à la détrempe, lorsque tant d'illustres seigneurs…

– Taisez-vous, Magnani, dit Michel avec impétuosité; vos plaisanteries me blessent, et je ne vous ai point autorisé à me railler de la sorte; je ne le souffrirai pas.

– Allons, pas de colère, reprit le jeune artisan; je n'ai pas l'intention de t'offenser, et quand on a des bras comme les miens, on serait lâche de provoquer un enfant tel que toi. D'ailleurs, je n'ai pas l'âme malveillante, et, je te l'ai dit, si je te parle franchement, c'est parce que je me sens disposé à t'aimer. Je sens en toi un esprit au-dessus du mien qui me plaît et me charme. Mais je sens aussi que ton caractère est faible et ton imagination folle. Si tu as plus d'intelligence et de finesse, j'ai plus de raison et d'expérience. Ne prends pas mes réflexions en mauvaise part. Tu n'as pas encore d'amis parmi nous, et déjà tu compterais plus d'une antipathie prête à éclater, si tu cherchais à voir clair autour de toi. Je pourrai t'être bon à quelque chose, et, si tu écoutes mes avertissements, tu éviteras beaucoup d'ennuis que tu ne prévois point. Voyons, Michel, me dédaignes-tu, et refuses-tu mon amitié?

– Je te la demande, au contraire, répondit Michel, ému et subjugué par l'accent de franchise de Magnani; et, pour m'en montrer digne, je veux me justifier. Je ne sais rien, je ne crois rien, je ne pense rien de la princesse. Je vois, pour la première fois, d'aussi près, une aussi grande dame, et… Mais pourquoi souris-tu?

– Tu t'arrêtes à mon sourire pour ne point achever ta phrase. Je vais la compléter pour toi. Tu trouves qu'une grande dame est quelque chose de divin, et tu en tombes épris comme un fou. Tu aimes la grandeur! J'ai bien compris cela le premier jour où je t'ai vu.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 сентября 2017
Объем:
600 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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