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Читать книгу: «La Daniella, Vol. II», страница 7

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– Mais alors ceci regarde Felipone et non Votre Excellence. Il est inutile qu'elle s'en préoccupe. J'irai seulement reconduire au casino ce pauvre diable de Tartaglia, à qui je rendrai la liberté quand vous serez partis, puisque sa présence autour de vous cause quelque inquiétude.

– Oui, je l'avoue, je ne saurais partager votre confiance. Qu'il vous soit attaché, c'est possible, mais il n'a pas de raisons pour ne pas nous glisser entre les jambes et aller avertir l'ennemi de nous poursuivre. Il aurait même de fort bonnes raisons pour le faire; d'abord la récompense attachée à notre capture, ensuite le plaisir de se venger de la triste figure qu'il fait en ce moment parmi nous.

– Pourtant, le danger auquel il m'exposerait moi-même en vous trahissant, serait une garantie de sa fidélité. Mais je n'insiste pas, car, après tout, il n'est pas de ceux dont on peut répondre sur son propre honneur. Ainsi, je vais le conduire au casino?

– Non pas! Du casino, il pourrait avertir ceux qui nous gardent.

– Il est brouillé avec la police, qu'il a mal servie en me servant trop bien!

– Oh! alors, raison de plus pour lui de rentrer dans ses bonnes grâces, de parlementer, et de mettre l'ennemi sur nos traces, sauf peut-être à se faire promettre votre liberté en même temps que la sienne. Il nous a entendus causer, il sait quelle route nous prenons. Non, croyez-moi, il est bien où il est. Il passera quelques heures dans sa niche; il peut s'y coucher, et il aurait beau crier, personne ne pourrait l'entendre articuler une parole.

– Ne vous y fiez pas, on entend chaque note de votre piano.

– Oui, du casino, mais non pas du terrazzone. Il faut être placé plus haut que l'ouverture supérieure des cheminées; et, comme en ce moment nous désirons faire un bruit qui attire et concentre l'attention des carabiniers de ce côté-ci, pendant que nous quitterons la place, vous allez voir qu'il faut un grand vacarme pour qu'il s'en échappe seulement un peu au dehors. Voyons, il est bientôt minuit, préparons-nous! – Mes amis, cria-t-il à ses gens, voici le moment de plier bagage et de brider les chevaux.

– Oui, oui, s'écria le docteur en arrivant vers nous. Orlando, mon bijou, beaucoup de feu et de fumée dans les cheminées; et vous, mes amours, Antonio, Carlino, Giuseppe, tutti! concert d'instruments, chants, danses et tapage!

En parlant ainsi, le docteur s'empara de deux couvercles de casseroles, dont il se fit des cymbales.

– Tapage! tapage! s'écrièrent les valets en s'armant, qui d'un tonneau défoncé dont il se faisait une grosse caisse, qui d'un sifflet, et qui du reste de la batterie de cuisine. On chantait, on criait, et tout cela en s'agitant pour fermer les porte-manteaux et seller les montures que ce vacarme mettait en danse, surtout le beau cheval noir que j'avais remarqué. En un instant, ce charivari d'adieux à la Befana de Mondragone devint une ivresse. Tous ces Italiens sont adroits, agiles et doués de ces grâces comiques, si rares chez nous, où le grotesque est presque toujours laid. La scène des derniers préparatifs fut un ballet général de toute la force des jambes, accompagné de choeurs de toute la force des poumons.

Felipone riait à se tenir les flancs, tandis que le docteur embrassait la Vincenza plus qu'il n'était besoin pour prendre congé. Le prince chantait la messe en se faisant mettre son paletot et ses grandes bottes par Giuseppe, qui l'habillait en mesure et en sautant d'un pied sur l'autre. Le docteur soufflait dans une tige de roseau en imitant la flûte et en s'arrosant fréquemment le gosier d'un reste de liqueur. La signora, elle-même, comme prise de vertige, frappait le piano d'une mazourque échevelée. Tartaglia, voyant qu'on le laissait là, se lamentait avec de grands gestes qui lui donnaient l'air d'un capucin en chaire; mais sa voix, étouffée par le bruit général, réduisait son éloquence à l'effet d'une pantomime pathétique.

Je n'étais pas bien persuadé de l'utilité de cette bacchanale. Je savais que la fumée des cuisines donnait aux carabiniers l'envie de fuir et de se disperser, plutôt que l'idée de se resserrer autour du château. C'était une imprudence gratuite que de leur apprendre l'existence d'un refuge réputé, jusqu'à ce moment, inaccessible; mais il n'y avait pas moyen de se faire entendre, et je pris mon parti de chanter comme les autres l'heure du départ. J'étais électrisé par cette gaieté, à l'approche d'un combat regardé comme inévitable.

Enfin, le silence se fit. Tout était prêt.

– Maintenant, dit le docteur, pas un mot, et en route.

Je pus m'approcher de Tartaglia et lui dire de compter sur mon prompt retour. Nous descendîmes l'escalier, et le prince, ayant mis son héroïne en selle, fit la revue de sa petite troupe. Il fut convenu qu'on se placerait de suite dans l'ordre de marche, et que chaque cavalier s'y tiendrait et garderait ses distances avec une précision militaire. Le docteur se plaça en tête avec le cuisinier Orlando, qui réclamait ce périlleux honneur par droit d'ancienneté. Giuseppe, valet de chambre du prince, avec Antonio, domestique du docteur, se mirent au second rang. Le prince et la signora marchaient ensuite; puis le petit groom Carlino et le gros marmiton suivaient comme deux pages. Je venais le dernier, portant en croupe Felipone, qui devait nous quitter à la ferme et prendre de là, à ciel ouvert, un chemin plus court pour s'en aller devant en éclaireur. Sa femme eut l'honneur de faire le trajet, jusque chez elle, en croupe derrière le docteur. Nous étions donc dix, en comptant la dame voilée, et en ne comptant pas la Vincenza, qui ne devait pas nous suivre au-delà de la ferme. |

Ne connaissant pas les êtres, je ne compris pas beaucoup le plan que j'entendais adopter. Nous nous engageâmes, sans bruit et au pas, dans la galerie qui était jonchée de litière. C'est un couloir assez large et assez haut pour donner librement passage à deux cavaliers de front. Il est tout entier creusé dans le tuf tendre et compacte, comme les catacombes romaines. Sa pente, qui suit celle du terrain, est si rapide, que, sans la paille, nos chevaux eussent eu de la peine à ne pas glisser; mais leur marche devint plus difficile quand nous rencontrâmes les longues flaques d'eau dont Felipone nous avait parlé. C'était la fin de l'inclinaison du terrain. Felipone sauta dans l'eau, prit sa grosse petite femme dans ses bras, et disparut par une ouverture latérale qui aboutit à la cave de sa maison.

Nous continuâmes à avancer lentement dans le chemin couvert qui se prolonge en dehors du parc, assez loin sous la campagne. Orlando portait une torche en avant. Malgré l'humidité de certaines parties de la galerie, la rareté de l'air rendait la chaleur étouffante; le trajet durait depuis un grand quart d'heure.

Tout à coup nous nous trouvâmes dans l'obscurité. Orlando avait éteint le flambeau; il avait aperçu au loin devant lui un faible rayon de lune, qui fut bientôt visible pour nous tous. On fit halte. On était arrivé à une petite chapelle abandonnée, à demi-cachée sous les atterrissements et qui s'ouvre sur la campagne, dans une prairie située entre Mondragone et les Camaldules.

Cette immense galerie souterraine, récemment découverte et déblayée par Felipone, avait donc pour portique une construction fermée, dépendante de sa régie et dont il avait les clefs, sans que personne soupçonnât encore la brèche qu'il y avait faite à l'intérieur pour communiquer avec le souterrain. Il se trouvait arrivé là avant nous, et tenait le passage ouvert, tandis que Gianino, l'aîné de ses neveux, montait la garde dans la prairie.

Nous mîmes pied à terre, et nous traversâmes la chapelle en tenant nos chevaux par la bride. Le pavé était, là aussi, couvert de litière. Cette sortie s'effectua sans bruit, sous les grands arbres fruitiers qui ombragent le petit édifice.

On se remit en selle dans le plus grand silence. Felipone prit, dans les buissons, un petit cheval pareil à celui que je montais, et qui avait été amené là d'avance, sous apparence de pâture. Il n'avait pour selle qu'une couverture, avec des étriers de corde attachés au surfaix. Le fermier l'enfourcha lestement et passa devant, après nous avoir dit de lui laisser environ dix minutes d'avance sur le chemin. Le docteur connaissait parfaitement la direction à suivre.

XXXIX

Jusque-là, je ne m'étais guère rendu compte de ce que nous faisions. S'échapper un à un, ou deux à deux, sans bruit, en se donnant rendez-vous quelque part pour monter à cheval et fuir ensemble loin de la portée des carabiniers, m'eût semblé plus raisonnable que de sortir en corps de cavalerie; mais, en regardant le site que nous traversions, et en me rappelant celui que nous avions à traverser, je vis que nous agissions pour le mieux.

D'abord, notre évasion à cheval était un fait si invraisemblable, que, même en rencontrant de près notre petite troupe, les surveillants devaient hésiter à reconnaître en nous les captifs de Mondragone. Et puis, le terrain que nous traversions était la continuation la plus favorable du chemin couvert. Ce n'était probablement pas par hasard que la chapelle s'ouvrait au seuil de cette petite gorge étroite et ombragée, dont le fond était envahi par une herbe marécageuse où le pas des chevaux ne soulevait pas de bruit et ne devait pas laisser de traces. Ces circonstances avaient dû être mises à profit, au temps où l'on avait ménagé cette sortie mystérieuse à la forteresse de Mondragone.

A cette époque, tout le trajet que nous avions à faire avant de sortir du territoire de Monte-Porzio était probablement couvert d'arbres. Je me souvins que nous devions passer par Tusculum, dont les sommets sont maintenant entièrement nus, et que là, probablement, nous aurions à traverser, à toute bride et de vive force, un poste de gendarmerie. Je portai la main aux fentes de ma selle et m'assurai qu'elles étaient garnies de pistolets. Je m'arrangeai de manière à m'en servir librement au premier signal.

Felipone, parti en éclaireur, revint nous dire de continuer au pas sur le chemin sablonneux qui laisse les Camaldules à gauche et qui monte en droite ligne sur Tusculum. Il n'avait rencontré ni aperçu personne; le passage était libre, et l'allure lente et calme était préférable à l'irruption brusque au galop, du moins jusqu'à nouvel ordre.

Nous traversâmes donc, sans hâte et sans encombre, la partie découverte du chemin frayé qui s'ouvrait devant nous, et nous gagnâmes, sans être signalés, le taillis à pic de la gorge située sur les derrières du théâtre de Tusculum.

Là, nous étions de nouveau complètement à couvert; le chemin étroit, très-uni, mais rapide, ne nous permettait plus d'aller deux de front. Chacun arma le pistolet ou la carabine dont il était muni et eut l'oeil sur sa droite; à gauche, il n'y avait que le ravin.

Le paysage étroit et tourmenté que nous arrivâmes à dominer était, à la clarté voilée de la lune, d'une tristesse morne. Ce chemin, déjà si mélancolique durant le jour, prend, la nuit, un air de coupe-gorge qui eût pleinement satisfait Brumières.

Ce bois a été le faubourg de Tusculum, et le chemin qui le traverse est, comme je vous l'ai dit ailleurs, une voie antique; circonstance assez grave pour nous, car les pieds de nos chevaux commencèrent à résonner sur les polygones de lave, qui furent jadis le pavé des rues de la ville latine. Nous parvînmes néanmoins au pied de la croix qui marque le sommet de la citadelle tusculane, au milieu d'une solitude absolue. Là, nous nous arrêtâmes pour examiner le revers de la montagne que nous avions à descendre. Sur ce plateau découvert, nous étions abrités par l'ombre épaisse du massif de roches qui supporte la croix.

Je regardai la magnifique vue que j'avais contemplée au soleil couchant, le théâtre antique où, pour la première fois, j'avais rencontré sous un habit de moine, ce docteur qui m'entraînait maintenant dans les périls de sa vie aventureuse, et les silhouettes, argentées par la lune, qui dentelaient l'horizon. C'étaient les sommets et les vallées que le berger Onofrio m'avait nommés, et, pour ne les avoir examinés qu'une fois, je connaissais déjà si bien le relief géographique du pays environnant, que j'eusse pu m'orienter tout seul et m'égarer fort peu.

Nous avions forcément rompu nos rangs pour nous abriter le long du rocher, pendant que Felipone descendait en avant pour faire une nouvelle reconnaissance. Je souffrais de voir cet excellent homme s'exposer tout seul pour les autres, et je demandai à l'accompagner. Le prince s'y opposa.

– Nous ne prenons pas ces précautions pour nous, dit-il à voix basse. Nous avons une femme avec nous; c'est pour elle seule que nous sommes si prudents; c'est pour elle que je consens à exposer Felipone. Si je connaissais les chemins, je prendrais sa place; mais je ne les connais pas, et c'est assez d'un homme en danger.

– Felipone sert la patrie, dit le docteur, puisqu'il favorise l'évasion d'un patriote comme moi. S'il est assassiné, ce sera mourir au champ d'honneur!

Et, après ce mouvement d'égoïste enthousiasme, le beau gros docteur ajouta, avec un cynisme sentimental:

– S'il ne revient pas, je jure de ne pas abandonner sa femme.

– Ne parlons plus, dit le prince. Malgré nous, nos voix s'élèvent.

Silence tous, je vous en prie!

– Il serait désagréable d'être surpris et massacrés, pensai-je, pour d'aussi mauvaises paroles que celles que le docteur vient de dire.

Nous restâmes immobiles. Je me trouvai auprès de la dame voilée, dont le cheval, peu soucieux de l'ordre qui venait d'être donné, chassait avec bruit l'air de ses naseaux. Je pensais aussi, à propos de cette dame, qu'elle ne valait peut-être pas le mal que nous nous donnions et le péril qu'affrontait en cet instant le brave fermier des Cyprès. Pour nouer un intrigue avec un ex-viveur qui n'était ni beau, ni jeune, ni bien portant, il fallait qu'elle fut un peu dans les mêmes conditions, ou qu'elle eût un intérêt de vanité ou de cupidité à s'enfuir avec lui.

Cette mystérieuse amazone me parut une personne nerveuse, impatiente de l'immobilité où il fallait se tenir. Elle tourmentait la bouche de son cheval et l'empêchait de se rasseoir. Deux ou trois fois elle le fit sortir de la ligne d'ombre qui nous protégeait, et cette inquiétude hors de propos m'impatienta moi-même.

Dans l'attente d'un absent en péril, les minutes semblent des heures. Je pouvais me condamner au rôle de statue, mais non empêcher mon coeur de battre et mon oreille de s'alarmer des moindres bruits. La nuit était si calme et l'air si sonore, que nous entendîmes sonner la demie après minuit à l'horloge des Camaldules. La chouette, perchée sur une colonne du théâtre antique, répondait d'un ton aigre à un appel plus éloigné et plus aigre encore. Puis nous entendîmes une voix d'homme qui chantait vers le fond de l'humide vallée noyée dans la brune. Ce n'était pas la chanson du voyageur attardé qui éprouve le besoin de rompre autour de lui l'effrayant silence de la solitude: c'était comme un cantique lentement phrasé par une personne en prières. Aucune émotion dans cette voix mâle et douce dont le calme contrastait avec nos muettes perplexités.

Enfin Felipone reparut.

– Tout va bien, nous dit-il. Marchons.

– Mais ce chanteur de cantiques, lui dit le prince, l'entends-tu?

– Très-bien, et je connais sa voix. C'est un pieux berger qui chante sa prière, comme les coqs, à minuit. Mais écoutez-moi. J'espérais que le brouillard monterait, et nous permettrait de prendre le galop sur la grande route; mais il ne fait que ramper à un pied de terre, et il nous nuit plus qu'il ne nous rend service. Je vous engage donc à ne point passer par Marino, mais à descendre par la traverse à Grotta-Ferrata. De là, nous gagnerons Albano par la rive du lac qui sera à notre gauche. Le chemin sera plus long, quoique plus direct. Il est moins uni, et vous irez moins vite; mais nous serons presque toujours à couvert, et le pays est si sauvage, que, si nous y faisons quelque rencontre, ce sera avec les voleurs, gens bien préférables, pour nous, aux carabiniers.

– Accordé, dit le prince; marchons!

Nous descendîmes Tusculum à vol d'oiseau, à travers un vaste champ en jachère qui s'est couvert de réséda, et dont le parfum violent commençait à donner des étourdissements au prince lorsque nous en sortîmes, en passant dans un ruisseau qui nous remit sur le chemin frayé.

Ces petits chemins encaissés, bordés de haies en pleine liberté de croissance, rappellent assez, au clair de lune, les traînes de mon pays. Au jour, cette pensée ne m'était pas venue, à cause de la différence des plantes fleuries qui en tapissent les talus; mais, la nuit, les mouvements de ces petits sentiers ondulés, souvent traversés d'eaux courantes à fleur de terre, et ombragés de folles branches qui vous fouettent la figure, me rappelèrent ceux où, dans mon enfance, je faisais délicieusement et littéralement l'école buissonnière.

Nous marchions un à un, trottant, galopant ou reprenant le pas, selon les facilités ou les difficultés du terrain. Après Grotta-Ferrata, nous nous engageâmes dans une voie de traverse, au milieu des bois de châtaigniers, assez profondément encaissée entre les hauteurs de Monte-Cavo (Mons Albanus) et celles qui encadrent le lac d'Albano. Dans cette région sauvage, nous ne fîmes d'autres rencontres que celles de couleuvres monstrueuses, qui s'ébattaient sur le sable des sentiers et qui fuyaient à notre approche. Le docteur, dont l'humeur guerroyante s'irritait de n'avoir eu aucune prouesse à faire, descendait de temps en temps de cheval, en dépit des représentations du prince, pour couper en deux, avec son coutelas de voyage, ces reptiles inoffensifs.

Au bout d'une heure de marche environ, il nous fallut, pour aller plus vite, mettre tous pied à terre dans une descente presque à pic. Chacun conduisait et soutenait son cheval par la bouche. Seule, la dame voilée, resta sur le sein, dont le prince prit la bride. J'étais en ce moment derrière eux et pour ainsi dire sur leurs talons, le terrain ne me permettant pas de faire reculer mon poney romain, déjà très-impatienté de ce mauvais chemin.

La dame, penchée sur le pommeau de sa selle, parlait à voix basse avec son illustre amant. La voix de celui-ci étant moins souple et ne pouvant se tenir à ce diapason, j'entendis qu'il s'obstinait à la conduire, et je compris qu'elle insistait pour aller seule. Je compris aussi pourquoi elle désirait le dispenser de cette fatigue. Il n'en avait pas la force; la vigueur de ses bras et de ses jambes n'était pas en rapport avec son dévouement. En outre, il a la vue basse et les allures gauches. Il trébuchait à chaque pas et menaçait d'entraîner, dans sa chute, le cheval auquel il se pendait plutôt qu'il ne le soutenait.

Je n'osais offrir de le remplacer, et pourtant je voyais approcher le moment de la catastrophe. Elle fut heureusement sans gravité; le prince tomba assis sur un talus; le cheval chercha un instant son équilibre, le retrouva par un écart, et, pressé par l'amazone habile qui le dirigeait, arriva au fond du ravin, pour repartir, en bondissant, sur une montée aussi rapide que la descente.

– Non! non! je n'ai aucun mal, me dit le prince, que je m'étais empressé de remettre sur ses pieds. La signora est d'une pétulance! Je vous en prie, mon cher, suivez-la. Ces chemins sont très-difficiles, et elle ne s'en méfie pas assez.

Je rendis la main à Vulcanus, c'est le nom du poney que Felipone m'avait prêté, et, dépassant ceux qui marchaient devant, j'atteignis la dame voilée et lui fis part, sans trop me soucier de lui être agréable ou non, des inquiétudes du prince. Elle ne me répondit pas; mais son cheval, comme s'il eût reconnu ma voix, se mit à me parler par ce demi-hennissement qui expriment la satisfaction chez ces nobles bêtes; et, chose très-bizarre, comme si le langage des animaux m'eût été soudainement révélé, comme si j'eusse compris par une intuition mystérieuse ce que me rappelait celui-là, je le reconnus enfin, et retrouvai tout à coup son nom et le souvenir du service qu'il m'avait rendu. Aussi lui répondis-je gaiement, sans hésiter et sans me soucier d'être très-ridicule:

– Tiens, c'est toi, brave Otello?

– Oui, c'est Otello, répondit la dame voilée: n'aviez-vous donc pas reconnu celle qui le monte?

– Miss Medora! m'écriai-je stupéfait.

– Approchez-vous davantage, dit-elle, et causons pendant que nous le pouvons. Les autres sont loin derrière nous. Ne me faites pas de sermons, c'est inutile. Je suis déjà assez mécontente de ma situation. Sachez, en deux mots, mon histoire, comme je sais la vôtre. Je vous ai aimé, vous êtes le seul homme que j'aie aimé. Vous m'avez haïe; par dépit, j'ai voulu aimer mon cousin Richard. Cela m'a été impossible. Il s'en est aperçu, il s'est piqué, il s'est éloigné. Nous avons quitté Florence au bout de quelques jours, et nous avons reçu, à Rome, la visite du prince, alors caché à Frascati, ce qui ne l'empêchait pas de venir me voir avec beaucoup de hardiesse. Cette hardiesse, cette situation aventureuse où il se trouvait, ont augmenté l'intérêt et l'amitié que j'avais pour lui, car il y a deux ou trois ans que je le connais et qu'il me fait la cour quand nous nous rencontrons. Je voulais, je veux me marier, et surtout me marier sans amour, uniquement pour avoir une position sociale et m'étourdir dans le monde. Je n'étais plus heureuse avec ma tante. Elle est folle; elle était devenue jalouse de la très-mince amitié filiale que j'accorde à son mari. Je n'ai pu supporter l'ombre d'un soupçon. J'ai quitté sa maison au premier mot d'aigreur. Le prince était, de nouveau, passionnément épris de moi. Il est moins riche que je ne le suis; mais il a un nom magnifique, de l'esprit, de l'usage et du coeur. Je ne dépends que de moi-même; mais, par égard pour lord et lady B***, je leur en écrivis. Ma tante vint me voir, me supplia de retourner chez elle et d'abandonner ce projet de mariage. Elle trouvait le prince trop vieux et trop laid; elle parlait même d'user, pour m'en détourner, d'une autorité qu'elle n'a pas. C'est ce qui acheva de me décider. Le soir même de cette explication, qui avait été assez vive, je fis dire secrètement au prince que j'allais le rejoindre à Frascati. J'espérais vous y voir. Je ne savais rien de vos aventures, je ne les ai apprises que par le prince, qui les tenait de Felipone. J'aurais pu les apprendre de Tartaglia, si je ne m'étais tenue assez bien cachée à Frascati pour me soustraire à la vue de ce bavard. Je sus, au bout de quelques jours, que lord B*** agissait en vain. Vous deviez, par l'ordre du cardinal ***, rester prisonnier à Mondragone ainsi que son frère. C'est une leçon qu'il voulait donner à ce dernier, pour le dégoûter de revenir à Rome, et dont vous receviez le contre-coup. Quand je reconnus l'impossibilité de communiquer avec vous et de vous porter secours, même au moral, puisque vous étiez toujours engoué de cette petite Daniella, je me confirmai dans la résolution d'épouser le prince et de fuir avec lui. Afin que lady Harriet et son mari ne vinssent pas à compromettre cette fuite en me cherchant, je leur ai écrit, ce matin, que nous partions pour le Piémont, où nous devons nous marier, et j'ai confirmé le prince dans le désir qu'il avait de favoriser votre évasion, en le priant toutefois de ne pas me faire reconnaître de vous. Il ignore et doit ignorer les sentiments que j'ai eus pour vous, et qui, je vous prie de le croire, se sont dissipés comme un accès de fièvre.

Puis, elle ajouta d'une voix claire et d'un ton aisé:

– L'amour est une sotte maladie que les personnes les plus raisonnables sont obligées de subir, ne fût-ce qu'une fois en leur vie. Il est fort heureux pour moi que vous ayez été par hasard, l'objet de mon rêve d'un jour. Vous m'avez empêchée de céder à une fantaisie de mariage d'inclination qui eût certes fait mon malheur, comme il a fait celui de ma pauvre tante Harriet. J'ai donc pour vous une véritable reconnaissance, et nous serons toujours amis, si vous le voulez bien.

Je remerciai Medora de sa franchise. J'étais dans une situation à ne pas me permettre d'observations sur le choix qu'elle avait fait d'un mari si peu enivrant. D'ailleurs, les eût-elles comprises? Il paraît que le titre de prince efface les rides et les années. Je me rappelai aussi, en ce moment, que Medora n'était pas d'une très-illustre naissance; que la soeur de lady Harriet avait fait un mariage, non d'amour, mais d'argent, et que l'ambition de remonter à l'échelon social dont elle était descendue par cette mésalliance de sa mère devait être ce que Medora appelait le côté logique et raisonnable de sa vie.

Il lui était échappé un mot qui ne s'accordait pourtant pas avec sa conclusion: «Je suis assez mécontente de ma situation, ne me faites pas de sermons». Je crus ne devoir pas relever cet aveu, et je la félicitai, au contraire, du succès de son escapade. Je ne voyais pas que cela dût causer ni chagrin sérieux ni dommage sensible à lord B*** ou à sa femme. S'ils eussent été là, je crois que je les aurais félicités eux-mêmes d'être dégagés de la responsabilité que leur imposait la tutelle d'une personne aussi tranchée et aussi extrême en ses résolutions que la belle Medora.

Nous causâmes donc, tranquillement d'abord, de ses projets. Elle voulait s'établir sur la côte de Gênes, et m'invitait à aller la voir; mais elle ajouta tout à coup assez brutalement:

– A condition pourtant que vous serez débarrassé de mademoiselle Daniella.

– En ce cas, répondis-je avec la même netteté, recevez aujourd'hui mes adieux définitifs; car je compte épouser mademoiselle Daniella aussitôt que je pourrai l'emmener hors de ce pays, où j'aurais, fussé-je libre, quelque mortification de paraître céder aux menaces de monsieur son frère.

– En vérité, s'écria Medora, vous en êtes là? Vous tombez dans ce piège grossier de croire qu'elle est menacée par son frère, qui l'a laissée voyager avec nous sans jamais lui donner signe de vie?

– Je sais maintenant qu'elle n'a voyagé avec vous que pour échapper aux continuelles persécutions de ce frère qui voulait naturellement l'exploiter, et qui l'eût suivie, si sa double profession d'espion et de bandit ne le tenait attaché au sol romain.

– Très-bien! Ainsi, vous connaissez ces détails dont je n'osais vous parler, et vous allez avoir pour beau-frère un mouchard, voleur de grands chemins par-dessus le marché?

– C'est un désagrément prévu, et je passe outre.

Elle garda un instant le silence et reprit:

– Je me demande lequel de nous deux fait une folie: celle qui épouse sans amour un homme comme il faut, ou celui qui veut épouser une femme qu'il aime, en dépit de sa honteuse situation.

– Vous croyez, répondis-je, que la raison est de votre côté comme je crois qu'elle est du mien; et, tous deux, nous sommes très-contents de nous-mêmes. C'est ainsi que se résument tous les antagonismes de l'opinion, et, comme c'est le résultat inévitable de toutes les discussions possibles, on devrait se les épargner comme inutiles, à moins qu'on ne les considère comme un moyen sûr de se confirmer et de se fortifier dans ses propres tendances.

– C'est bien dit, mais ce n'est pas toujours certain. Il y a des convictions entières qui ébranlent les demi-convictions, et je vous avoue qu'en vous voyant si absolu dans la logique de votre théorie, je me demande si je suis dans le vrai chemin de la mienne. Tenez, l'amour est une puissance maudite, puisque celui qui se fait son apôtre est toujours plus fort dans son délire que l'apôtre de la raison ne l'est dans sa quiétude.

– Voici le prince qui nous rejoint, et c'est à lui de vous convaincre de la puissance de l'amour, puisqu'il vous aime et vous implore.

– Attendez! un mot encore! J'espère que vous ne pensez pas que je ne sois plus parfaitement libre de rompre avec lui?

– Pardon! je ne vous comprends pas.

– Je veux dire que je ne suis pas plus sa maîtresse que je ne suis encore sa femme, et que c'est tout au plus si je lui ai permis, jusqu'à présent, de me baiser la main. Si vous aviez d'autres idées, elles m'outrageraient bien gratuitement.

– Qu'est-ce que cela me fait? pensai-je pendant que le prince passait entre nous pour me remercier et pour faire à Medora de timides reproches. J'entendis qu'elle lui répondait sèchement et je me hâtai d'aller reprendre mon rang dans la caravane.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
350 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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