Mais, Messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes? Est-il bien assuré que je sois médecin?
Oui, par ma figue!
Tout de bon?
Sans doute.
Diable emporte si je le savois!
Comment! vous êtes le plus habile médecin du monde.
Ah! ah!
Un médecin qui a guari je ne sais combien de maladies.
Tudieu!
Une femme étoit tenue pour morte il y avoit six heures; elle étoit prête à ensevelir, lorsqu'avec une goutte de quelque chose vous la fîtes revenir et marcher d'abord par la chambre.
Peste!
Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, de quoi il eut la tête, les jambes et les bras cassés; et vous, avec je ne sai quel onguent, vous fîtes qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds et s'en fut jouer à la fossette.15
Diantre!
Enfin, Monsieur, vous aurez contentement avec nous, et vous gagnerez ce que vous voudrez en vous laissant conduire où nous prétendons vous mener.
Je gagnerai ce que je voudrai?
Oui.
Ah! Je suis médecin, sans contredit. Je l'avois oublié, mais je m'en ressouviens. De quoi est-il question? où faut-il se transporter?
Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une fille qui a perdu la parole.
Ma foi, je ne l'ai pas trouvée.
Il aime à rire. Allons, Monsieur.
Sans une robe de médecin?
Nous en prendrons une.
présentant sa bouteille à Valère. Tenez cela, vous: voilà où je mets mes juleps.
(Puis, se tournant vers Lucas en crachant.) Vous, marchez là-dessus, par ordonnance du médecin.
Palsanguenne! velà un médecin qui me plaît. Je pense qu'il réussira, car il est bouffon.
Oui, Monsieur, je crois que vous serez satisfait, et nous vous avons amené le plus grand médecin du monde.
Oh! morguenne! il faut tirer l'échelle après ceti-là, et tous les autres ne sont pas daignes de li déchausser ses souillez.
C'est un homme qui a fait des cures merveilleuses.
Qui a gari des gens qui estiant morts.
Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit, et parfois il a des moments où son esprit s'échappe et ne paroît pas ce qu'il est.
Oui, il aime à bouffonner, et l'an diroit par fois, ne v's en déplaise, qu'il a quelque petit coup de hache à la tête.
Mais, dans le fond, il est toute science, et bien souvent il dit des choses tout à fait relevées.
Quand il s'y boute, il parle tout fin drait comme s'il lisoit dans un livre.
Sa réputation s'est déjà répandue ici, et tout le monde vient à lui.
Je meurs d'envie de le voir, faites-le moi vite venir.
Je le vais quérir.
Par ma fi! Monsieu, ceti-ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je pense que ce sera queussi queumi; et la meilleure médeçaine que l'an pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon mari pour qui allé eût de l'amiquié.
Ouais! nourrice, ma mie, vous vous mêlez de bien des choses!
Taisez-vous, notre ménagère Jacquelaine: ce n'est pas à vous à bouter là votre nez.
Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n'y feront rian que de l'iau claire, que votre fille a besoin d'autre chose que de ribarbe et desené, et qu'un mari est une emplâtre qui garit tous les maux des filles.
Est-elle en état maintenant qu'on s'en voulût charger, avec l'infirmité qu'elle a? Et lorsque j'ai été dans le dessein de la marier, ne s'est-elle pas opposée à mes volontés?
Je le crois bian! vous li vouilliez bailler eun homme qu'allé n'aime point. Que ne preniais-vous ce monsieu Liandre, qui li touchoit au cœur? Allé auroit été fort obéissante; et je m'en vas gager qu'il la prendroit, li, comme allé est, si vous la li vouillais donner.
Ce Léandre n'est pas ce qu'il lui faut: il n'a pas du bien comme l'autre.
Il a un oncle qui est si riche, dont il est hériquié.
Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n'est rien tel que ce qu'on tient, et l'on court grand risque de s'abuser lorsque l'on compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les oreilles ouvertes aux vœux et aux prières de messieurs les héritiers, et l'on a le temps d'avoir les dents longues lorsqu'on attend, pour vivre, le trépas de quelqu'un.
Enfin, j'ai toujours ouï dire qu'en mariage, comme ailleurs, contentement passe richesse. Les pères et les mères ant cette maudite couteume de demander toujours: «Qu'a-t-il?» et: «Qu'a-t-elle?» Et le compère Piarre a marié sa fille Simonnette au gros Thomas pour un quarquié de vaigne qu'il avoit davantage que le jeune Robin, où allé avoit bouté son amiquié; et velà que la pauvre creiature en est devenue jaune comme eun coing, et n'a point profité tout depuis ce temps-là. C'est un bel exemple pour vous, Monsieu. On n'a que son plaisir en ce monde; et j'aimerois mieux bailler à ma fille un bon mari qui li fût agriable que toutes les rentes de la Biausse.
Peste, Madame la nourrice! comme vous dégoisez! Taisez-vous, je vous prie; vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre lait.
Morgue! tais-toi, t'es eune impartinante. Monsieu n'a que faire de tes discours, et il sait ce qu'il a à faire. Mêle-toi de donner à téter à ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa fille, et il est bon et sage pour voir ce qu'il li faut.
Tout doux! oh! tout doux!
Monsieu, je veux un peu la mortifier et li apprendre le respect qu'allé vous doit.
Oui; mais ces gestes ne sont pas nécessaires.
Monsieur, préparez-vous, voici notre médecin qui entre.
Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi, et nous avons grand besoin de vous.
Hippocrate dit… que nous nous couvrions tous deux.
Hippocrate dit cela?
Oui.
Dans quel chapitre, s'il vous plaît?
Dans son chapitre des chapeaux.16
Puisqu'Hippocrate le dit, il le faut faire.
Monsieur le médecin, ayant appris les merveilleuses choses…
À qui parlez-vous, de grâce?
À vous.
Je ne suis pas médecin.
Vous n'êtes pas médecin?
Non vraiment.
Tout de bon?
Tout de bon. Ah! ah! ah!
Vous êtes médecin maintenant: je n'ai jamais eu d'autres licences.
Quel diable d'homme m'avez-vous là amené?
Je vous ai bien dit que c'étoit un médecin goguenard.
Oui. Mais je l'envoirois promener avec ses goguenarderies.
Ne prenez pas garde à ça, Monsieu, ce n'est que pour rire.
Cette raillerie ne me plaît pas.
Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise.
Monsieur, je suis votre serviteur.
Je suis fâché…
Cela n'est rien.
Des coups de bâton…
Il n'y a pas de mal.
Que j'ai eu l'honneur de vous donner.
Ne parlons plus de cela. Monsieur, j'ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.
Je suis ravi, Monsieur, que votre fille ait besoin de moi; et je souhaiterois de tout mon cœur que vous en eussiez besoin aussi, vous et toute votre famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous servir.
Je vous suis obligé de ces sentiments.
Je vous assure que c'est du meilleur de mon âme que je vous parle.
C'est trop d'honneur que vous me faites.
Comment s'appelle votre fille?
Lucinde.
Lucinde! Ah! beau nom à médicamenter! Lucinde!
Je m'en vais voir un peu ce qu'elle fait.
Qui est cette grande femme-là?
C'est la nourrice d'un petit enfant que j'ai.
Peste! le joli meuble que voilà! Ah! nourrice, charmante nourrice, ma médecine est la très humble esclave de votre nourricerie, et je voudrois bien être le petit poupon fortuné qui tétât le lait (il lui porte la main sur le sein) de vos bonnes grâces. Tous mes remèdes, toute ma science, toute ma capacité est à votre service, et…
Avec votre parmission, Monsieu le médecin, laissez là ma femme, je vous prie.
Quoi! est-elle votre femme?
Oui.
Ah! vraiment, je ne savois pas cela, et je m'en réjouis pour l'amour de l'on et de l'antre.
en le tirant.
Tout doucement, s'il vous plaît.
Je vous assure que je suis ravi que vous soyez unis ensemble. Je la félicite d'avoir (il fait encore semblant d'embrasser Lucas, et, passant dessous ses bras, se jette au col de sa femme) un mari comme vous; et je vous félicite, vous, d'avoir une femme si belle, si sage, et si bien faite comme elle est.
Eh! testigué! point tant de compliment, je vous supplie.
Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous d'un si bel assemblage?
Avec moi, tant qu'il vous plaira; mais avec ma femme, trêve de sarimonie.
Je prends part également au bonheur de tous deux, et (il continue le mime jeu), si je vous embrasse pour vous en témoigner ma joie, je l'embrasse de même pour lui en témoigner aussi.
Ah! vartigué, Monsieu le médecin, que de lantiponages!
Monsieur, voici tout à l'heure ma fille qu'on va vous amener.
Je l'attends, Monsieur, avec toute la médecine.
Où est-elle?
Là dedans.
Fort bien.
Mais, comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaye un peu le lait de votre nourrice et que je visite son sein.
Nanin, nanin, je n'avons que faire de ça.
C'est l'office du médecin de voir les tétons des nourrices.
Il gnia office qui quienne, je sis votte sarviteur.
As-tu bien la hardiesse de t'opposer au médecin? Hors de là!
Je me moque de ça.
Je te donnerai la fièvre.
Ote-toi de là aussi. Est-ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi-même, s'il me fait queuque chose qui ne soit pas à faire?
Je ne veux pas qu'il te tâte, moi.
Fi, le vilain, qui est jaloux de sa femme!
Voici ma fille.