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Читать книгу: «Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse», страница 3

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DU PRINCE ROYAL

Ce 9 septembre 1736.

Monsieur, c'est une épreuve bien difficile pour un écolier en philosophie, que de recevoir des louanges d'un homme de votre mérite. L'amour-propre et la présomption, ces cruels tyrans de l'âme qui l'empoisonnent en la flattant, se croient autorisés par un philosophe, et recevant des armes de vos mains, voudraient usurper sur ma raison un empire que je leur ai toujours disputé. Heureux si, en les convaincant et en mettant la philosophie en pratique, je puis répondre un jour à l'idée, peut-être trop avantageuse, que vous avez de moi!

Vous faites, monsieur, dans votre lettre, le portrait d'un prince accompli, auquel je ne me reconnais point. C'est une leçon habillée de la façon la plus ingénieuse et la plus obligeante; c'est enfin un tour artificieux pour faire parvenir la timide vérité jusqu'aux oreilles d'un prince. Je me proposerai ce portrait pour modèle, et je ferai tous mes efforts pour me rendre le digne disciple d'un maître qui sait si divinement enseigner.

Je me sens déjà infiniment redevable à vos ouvrages; c'est une source où l'on peut puiser les sentiments et les connaissances dignes des plus grands hommes. Ma vanité ne va pas jusqu'à m'arroger ce titre; et ce sera vous, monsieur, à qui j'en aurai l'obligation, si j'y parviens;

 
Et d'un peu de vertu, si l'Europe me loue,
Je vous le dois, seigneur, il faut que je l'avoue.
 

Je ne puis m'empêcher d'admirer ce généreux caractère, cet amour du genre humain qui devrait vous mériter les suffrages de tous les peuples: j'ose même avancer qu'ils vous doivent autant et plus que les Grecs à Solon et à Lycurgue, ces sages législateurs dont les lois firent fleurir leur patrie, et furent le fondement d'une grandeur à laquelle la Grèce n'aurait jamais aspiré ni osé prétendre sans eux. Les auteurs sont les législateurs du genre humain; leurs écrits se répandent dans toutes les parties du monde; et étant connus de tout l'univers, ils manifestent des idées dont les autres sont empreints. Ainsi vos ouvrages publient vos sentiments. Le charme de votre éloquence est leur moindre beauté; tout ce que la force des pensées et le feu de l'expression peuvent produire d'achevé quand ils sont réunis, s'y trouve. Ces véritables beautés charment vos lecteurs; elles les touchent: ainsi tout un monde respire bientôt cet amour du genre humain que votre heureuse impulsion a fait germer en lui. Vous formez de bons citoyens, des amis fidèles, et des sujets qui, abhorrant également la rébellion et la tyrannie, ne sont zélés que pour le bien public. Enfin, c'est à vous que l'on doit toutes les vertus qui font la sûreté et le charme de la vie. Que ne vous doit-on pas?

Si l'Europe entière ne reconnaît pas cette vérité, elle n'en est pas moins vraie. Enfin, si toute la nature humaine n'a pas pour vous la reconnaissance que vous méritez, soyez du moins certain de la mienne. Regardez désormais mes actions comme le fruit de vos leçons. Je les ai enfin reçues, mon cœur en a été ému, et je me suis fait une loi inviolable de les suivre toute ma vie.

Je vois, monsieur, avec admiration, que vos connaissances ne se bornent pas aux seules sciences: vous avez approfondi les replis les plus cachés du cœur humain, et c'est là que vous avez puisé le conseil salutaire que vous me donnez en m'avertissant de me défier de moi-même. Je voudrais pouvoir me le répéter sans cesse, et vous en remercie infiniment, monsieur.

C'est un déplorable effet de la fragilité humaine que les hommes ne se ressemblent pas à eux-mêmes tous les jours: souvent leurs résolutions se détruisent avec la même promptitude qu'ils les ont prises. Les Espagnols disent très judicieusement: Cet homme a été brave un tel jour. Ne pourrait-on pas dire de même des grands hommes, qu'ils ne le sont pas toujours, ni en tout?

Si je désire quelque chose avec ardeur, c'est d'avoir des gens savants et habiles autour de moi. Je ne crois pas que ce soient des soins perdus que ceux qu'on emploie à les attirer: c'est un hommage qui est dû à leur mérite, et c'est un aveu du besoin que l'on a d'être éclairé par leurs lumières.

Je ne puis revenir de mon étonnement, quand je pense qu'une nation cultivée par les beaux-arts, secondée par le génie et par l'émulation d'une autre nation voisine; quand je pense, dis-je, que cette même nation, si polie et si éclairée, ne connaît point le trésor qu'elle renferme dans son sein. Quoi! ce même Voltaire, à qui nos mains érigent des autels et des statues, est négligé dans sa patrie, et vit en solitaire dans le fond de la Champagne! C'est un paradoxe, c'est une énigme, c'est un effet bizarre du caprice des hommes. Non, monsieur, les querelles des savants ne me dégoûteront jamais du savoir; je saurai toujours distinguer ceux qui avilissent les sciences, des sciences mêmes. Leurs disputes viennent ordinairement ou d'une ambition démesurée et d'une avidité insatiable de s'acquérir un nom, ou de l'envie qu'un mérite médiocre porte à l'éclat brillant d'un mérite supérieur qui l'offusque.

…Je respecte trop les liens de l'amitié pour vouloir vous arracher des bras d'Émilie: il faudrait avoir le cœur dur et insensible pour exiger de vous un pareil sacrifice; il faudrait n'avoir jamais connu la douceur d'être auprès des personnes que l'on aime, pour ne pas sentir la peine que vous causerait une telle séparation. Je n'exigerai de vous que de rendre mes hommages à ce prodige d'esprit et de connaissances. Que de pareilles femmes sont rares!

Soyez persuadé, monsieur, que je connais tout le prix de votre estime, mais que je me souviens en même temps d'une leçon que me donne La Henriade (ch. iii):

C'est un poids bien pesant qu'un nom trop tôt fameux

Peu de personnes le soutiennent, tous sont accablés sous le faix.

Il n'est point de bonheur que je ne vous souhaite, et aucun dont vous ne soyez digne. Cirey sera désormais mon Delphes, et vos lettres, que je vous prie de me continuer, mes oracles. Je suis, monsieur, avec une estime singulière, votre très affectionné ami.

Fédéric.

DE M. DE VOLTAIRE

Novembre, 1736.

Monseigneur, j'ai versé des larmes de joie en lisant la lettre du 9 septembre, dont Votre Altesse Royale a bien voulu m'honorer: j'y reconnais un prince qui, certainement, sera l'amour du genre humain. Je suis étonné de toute manière; vous parlez comme Trajan, vous écrivez comme Pline et vous parlez français comme nos meilleurs écrivains. Quelle différence entre les hommes! Louis XIV était un grand roi, je respecte sa mémoire; mais il ne parlait pas aussi humainement que vous, monseigneur, et ne s'exprimait pas de même. J'ai vu de ses lettres: il ne savait pas l'orthographe de sa langue. Berlin sera sous vos auspices l'Athènes de l'Allemagne et pourra l'être de l'Europe. Je suis ici dans une ville où deux simples particuliers, M. Boerhaave d'un côté, et M. S'Gravesande de l'autre, attirent quatre ou cinq cents étrangers: un prince tel que vous en attirera bien davantage; et je vous avoue que je me tiendrais bien malheureux, si je mourais avant d'avoir vu l'exemple des princes et la merveille de d'Allemagne.

Je ne veux point vous flatter, monseigneur, ce serait un crime; ce serait jeter un souffle empoisonné sur une fleur; j'en suis incapable: c'est mon cœur pénétré qui parle à Votre Altesse Royale…

…Si je ne m'intéressais pas au bonheur des hommes, je serais fâché de vous voir destiné à être roi. Je vous voudrais particulier; je voudrais que mon âme pût approcher en liberté de la vôtre; mais il faut que mon goût cède au bien public.

Souffrez, monseigneur, qu'en vous je respecte encore plus l'homme que le prince; souffrez que, de toutes vos grandeurs, celle de votre âme ait mes premiers hommages; souffrez que je vous dise encore combien vous me donnez d'admiration et d'espérance.

Je suis, etc.

DE M. DE VOLTAIRE

Mars 1737.

Je ne comptais pas assurément sortir de Cirey il y a un mois. Madame du Châtelet, dont l'âme est faite sur le modèle de la vôtre et qui a sûrement avec vous une harmonie préétablie, devait me retenir dans sa Cour que je préfère, sans hésiter, à celle de tous les rois de la terre, et comme ami, et comme philosophe, et comme homme libre: car

Fuge suspicari
Cujus octavum trepidavit œtas
Claudere lustrum
(Hor. L. II, od. IV.)

Un orage m'a arraché de cette retraite heureuse: la calomnie m'a été chercher jusque dans Cirey. Je ne suis persécuté que depuis que j'ai fait La Henriade. Croiriez-vous qu'on m'a reproché plus d'une fois d'avoir peint la Saint-Barthélemy avec des couleurs trop odieuses? On m'a appelé athée, parce que je dis que les hommes ne sont point nés pour se détruire. Enfin, la tempête a redoublé, et je suis parti par les conseils de mes meilleurs amis. J'avais esquissé les principes assez faciles de la Philosophie de Newton: madame du Châtelet avait sa part à l'ouvrage: Minerve dictait, et j'écrivais. Je suis venu à Leyde travailler à rendre l'ouvrage moins indigne d'elle et de vous; je suis venu à Amsterdam le faire imprimer et faire dessiner les planches. Cela durera tout l'hiver. Voilà mon histoire et mon occupation: les bontés de Votre Altesse Royale exigeaient cet aveu.

J'étais d'abord en Hollande sous un autre nom pour éviter les visites, les nouvelles connaissances et la perte du temps; mais les gazettes ayant débité des bruits injurieux semés par mes ennemis, j'ai pris sur-le-champ la résolution de les confondre, en les démentant et en me faisant connaître…

…Dans les lettres que je reçois de Votre Altesse Royale, parmi bien des traits de prince et de philosophe, je remarque celui où vous dites: Cæsar est supra grammaticam. Cela est très vrai: il sied très bien à un prince de n'être pas puriste; mais il ne sied pas d'écrire et d'orthographier comme une femme. Un prince doit en tout avoir reçu la meilleure éducation: et de ce que Louis XIV ne savait rien, de ce qu'il ne savait pas même la langue de sa patrie, je conclus qu'il fut mal élevé. Il était né avec un esprit juste et sage; mais on ne lui apprit qu'à danser et à jouer de la guitare, il ne lut jamais: et s'il avait lu, s'il avait su l'histoire, vous auriez moins de Français à Berlin. Votre royaume ne se serait pas enrichi, en 1686, des dépouilles du sien. Il aurait moins écouté le jésuite Letellier; il aurait, etc., etc.. etc.

Ou votre éducation a été digne de votre génie, monseigneur, ou vous avez tout suppléé. Il n'y a aucun prince à présent sur la terre qui pense comme vous. Je suis fâché que vous n'ayez point de rivaux. Je serai toute ma vie, etc., etc.

DE M. DE VOLTAIRE

Mars 1737.

Deliciæ humani generis, ce titre vous est plus cher que celui de monseigneur, d'altesse royale et de majesté, et ne vous est pas moins dû.

Je dois d'abord rendre compte à Votre Altesse Royale de mes démarches; car enfin je me suis fait votre sujet. Nous avons, nous autres catholiques, une espèce de sacrement que nous appelons la Confirmation; nous y choisissons un saint pour être notre patron dans le ciel, notre espèce de dieu tutélaire: je voudrais bien savoir pourquoi il me serait permis de me choisir un petit dieu plutôt qu'un roi? Vous êtes fait pour être mon roi, bien plus assurément que saint François d'Assise ou saint Dominique ne sont faits pour être mes saints. C'est donc à mon roi que j'écris; et je vous apprends, rex amate, que je suis revenu dans votre petite province de Cirey, où habitent la philosophie, les grâces, la liberté, l'étude. Il n'y manque que le portrait Votre Majesté. Vous ne nous le donnez point; vous ne voulez point que nous ayons des images pour les adorer, comme dit la sainte Écriture.

J'ai vu enfin le Socrate dont Votre Altesse Royale m'a daigné faire présent: ce présent me fait relire tout ce que Platon dit de Socrate. Je suis toujours de mon premier avis:

La Grèce, je l'avoue, eut un brillant destin; Mais Frédéric est né: tout change; je me flatte Qu'Athènes quelque jour doit céder à Berlin; Et déjà Frédéric est plus grand que Socrate, aussi dégagé des superstitions populaires, aussi modeste qu'il était vain. Vous n'allez point dans une église de luthériens vous faire déclarer le plus sage de tous les hommes: vous vous bornez à faire tout ce qu'il faut pour l'être. Vous n'allez point de maison en maison, comme Socrate, dire au maître qu'il est un sot, au précepteur qu'il est un âne, au petit garçon qu'il est un ignorant: vous vous contentez de penser tout cela de la plupart des animaux qu'on appelle hommes, et vous songez encore, malgré cela, à les rendre heureux.

J'apprends que Votre Altesse Royale vient de rendre justice à M. Wolf. Vous immortalisez votre nom: vous le rendez cher à tous les siècles en protégeant le philosophe éclairé contre le théologien absurde et intrigant. Continuez, grand prince, grand homme; abattez le monstre de la superstition et du fanatisme, ce véritable ennemi de la divinité et de la raison. Soyez le roi des philosophes: les autres princes ne sont que les rois des hommes.

Je remercie tous les jours le ciel de ce que vous existez. Louis XIV, dont j'aurai l'honneur d'envoyer un jour à Votre Altesse Royale l'histoire manuscrite, a passé les dernières années de sa vie dans de misérables disputes au sujet d'une bulle ridicule pour laquelle il s'intéressait sans savoir pourquoi, et il est mort tiraillé par des prêtres qui s'anathématisaient les uns les autres avec le zèle le plus insensé et le plus furieux. Voilà à quoi les princes sont exposés: l'ignorance, mère de la superstition, les rend victimes de faux dévots. La science que vous possédez vous met hors de leurs atteintes.

J'ai lu avec une grande attention la Métaphysique de M. Wolf. Grand prince, me permettez-vous de dire ce que j'en pense? Je crois que c'est vous qui avez daigné la traduire: J'ai vu des petites corrections de votre main. Émilie vient de la lire avec moi:

 
C'est de votre Athènes nouvelle
Que ce trésor nous est venu;
Mais Versailles n'en a rien su,
Ce trésor n'est pas fait pour elle.
 

Cette Émilie, digne de Frédéric, joint ici son admiration et ses respects pour le seul prince qu'elle trouve digne de l'être; mais elle en est d'autant plus fâchée de n'avoir point le portrait de Votre Altesse Royale. Il y a enfin quelque chose de prêt selon vos ordres. J'envoie celle-ci au maître de la poste de Trèves en droiture, sans passer par Paris: de là elle ira à Vesel. Daignez ordonner si vous voulez que je me serve de cette voie.

Je suis, avec un profond respect, etc.

DU PRINCE ROYAL

De Remusberg, le 7 avril 1737.

Mon empire sera bien petit, monsieur, s'il n'est composé que de sujets de votre mérite. Faut-il des rois pour gouverner des philosophes? des ignorants pour conduire des gens instruits? en un mot des hommes pleins de leurs passions pour contenir les vices de ceux qui les suppriment, non par la crainte des châtiments, non par la puérile appréhension de l'enfer et des démons, mais par amour de la vertu?

La raison est votre guide; elle est votre souveraine; et Henri le Grand, le saint qui vous protège. Une autre assistance vous serait superflue. Cependant si je me voyais, relativement au poste que j'occupe, en état de vous faire ressentir les effets des sentiments que j'ai pour vous, vous trouveriez en moi un saint qui ne se ferait jamais invoquer en vain: je commence par vous en donner un petit échantillon. Il me paraît que vous souhaitez d'avoir mon portrait, vous le voulez, je l'ai commandé sur l'heure.

Pour vous montrer à quel point les arts sont en honneur chez nous, apprenez, monsieur, qu'il n'est aucune science que nous ne tâchions d'ennoblir. Un de mes gentilshommes, nommé Knobelsdorf, qui ne borne pas ses talents à savoir manier le pinceau, a tiré ce portrait. Il sait qu'il travaille pour vous et que vous êtes connaisseur: c'est un aiguillon qui suffit pour l'animer à se surpasser. Un de mes intimes amis, le baron de Kaiserling ou Césarion, vous rendra mon effigie. Il sera à Cirey vers la fin du mois prochain. Vous jugerez, en le voyant, s'il ne mérite pas l'estime de tout honnête homme. Je vous prie, monsieur, de vous confier à lui. Il est chargé de vous presser vivement au sujet de la Pucelle, de la Philosophie de Newton, de l'Histoire de Louis XIV, et de tout ce qu'il pourra vous extorquer.

Comment répondre à vos vers, à moins d'être né poète? Je ne suis pas assez aveuglé sur moi-même pour imaginer que j'aie le talent de la versification. Écrire dans une langue étrangère, y composer des vers, et qui pis est, se voir désavoué d'Apollon, c'en est trop.

 
Je rime pour rimer: mais est-ce être poète,
Que de savoir marquer le repos dans un vers:
Et se sentant pressé d'une ardeur indiscrète,
Aller psalmodier sur des sujets divers?
Mais lorsque je te vois t'élever dans les airs,
Et d'un vol assuré prendre l'essor rapide,
Je crois, dans ce moment, que Voltaire me guide:
Mais non; Icare tombe et périt dans les mers.
 

En vérité, nous autres poètes nous promettons beaucoup et tenons peu. Dans le moment même que je fais amende honorable de tous les mauvais vers que je vous ai adressés, je tombe dans la même faute. Que Berlin devienne Athènes, j'en accepte l'augure; pourvu qu'elle soit capable d'attirer M. de Voltaire, elle ne pourra manquer de devenir une des villes les plus célèbres de l'Europe.

Je me rends, monsieur, à vos raisons. Vous justifiez vos vers à merveille. Les Romains ont eu des bottes de foin en guise d'étendards. Vous m'éclairez, vous m'instruisez; vous savez me faire tirer profit de mon ignorance même.

DE M. DE VOLTAIRE

1737.

…Je ne crois pas qu'il y ait de démonstration, proprement dite, de l'existence de cet Être indépendant de la matière. Je me souviens que je ne laissais pas, en Angleterre, d'embarrasser un peu le fameux docteur Clarke, quand je lui disais: on ne peut appeler démonstration, un enchaînement d'idées qui laisse toujours des difficultés. Dire que le carré construit sur le grand côté d'un triangle est égal au carré des deux côtés, c'est une démonstration qui, toute compliquée qu'elle est, ne laisse aucune difficulté. Mais l'existence d'un Être créateur laisse encore des difficultés insurmontables à l'esprit humain. Donc cette vérité ne peut être mise au rang des démonstrations proprement dites. Je la crois, cette vérité; mais je la crois comme ce qui est le plus vraisemblable; c'est une lumière qui me frappe à travers mille ténèbres.

Il y aurait sur cela bien des choses à dire; mais ce serait porter de l'or au Pérou que de fatiguer Votre Altesse Royale de réflexions philosophiques.

Toute la métaphysique, à mon gré, contient deux choses: la première, tout ce que les hommes de bon sens savent; la seconde, ce qu'ils ne sauront jamais.

Nous savons, par exemple, ce que c'est qu'une idée simple, une idée composée: nous ne saurons jamais ce que c'est que cet être qui a des idées. Nous mesurons les corps: nous ne saurons jamais ce que c'est que la matière. Nous ne pouvons juger de tout cela que par la voie de l'analogie: c'est un bâton que la nature a donné à nous autres aveugles, avec lequel nous ne laissons pas d'aller et aussi de tomber.

Cette analogie m'apprend que les bêtes étant faites comme moi, ayant du sentiment comme moi, des idées comme moi, pourraient bien être ce que je suis. Quand je veux aller au delà, je trouve un abîme; et je m'arrête sur le bord du précipice.

Tout ce que je sais, c'est que, soit que la matière soit éternelle (ce qui est bien incompréhensible), soit qu'elle ait été créée dans le temps (ce qui est sujet à de grands embarras), soit que notre âme périsse avec nous, soit qu'elle jouisse de l'immortalité, on ne peut dans ces incertitudes prendre un parti plus sage, plus digne de vous, que celui que vous prenez de donner à votre âme, périssable ou non, toutes les vertus, tous les plaisirs, et toutes les instructions dont elle est capable, de vivre en prince, en homme et en sage, d'être heureux et de rendre les autres heureux.

Je vous regarde comme un présent que le ciel a fait à la terre. J'admire qu'à votre âge le goût des plaisirs ne vous ait point emporté; et je vous félicite infiniment que la philosophie vous laisse le goût des plaisirs. Nous ne sommes point nés uniquement pour lire Platon et Leibnitz, pour mesurer des courbes, et pour arranger des faits dans notre tête: nous sommes nés avec un cœur qu'il faut remplir, avec des passions qu'il faut satisfaire, sans en être maîtrisés.

Que je suis charmé de votre morale, monseigneur! que mon cœur se sent né pour être le sujet du vôtre! J'éprouve trop de satisfaction de penser en tout comme vous.

Votre Altesse Royale me fait l'honneur de me dire, dans sa dernière lettre, qu'elle regarde le feu czar comme le plus grand homme du dernier siècle; et cette estime que vous avez pour lui ne vous aveugle pas sur ses cruautés. Il a été un grand prince, un législateur, un fondateur; mais si la politique lui doit tant, quels reproches l'humanité n'a-t-elle pas à lui faire? On admire en lui le roi; mais on ne peut aimer l'homme. Continuez, monseigneur, et vous serez admiré et aimé du monde entier.

Un des plus grands biens que vous ferez aux hommes, ce sera de fouler aux pieds la superstition et le fanatisme; de ne pas permettre qu'un homme en robe persécute d'autres hommes qui ne pensent pas comme lui. Il est très certain que les philosophes ne troubleront jamais les États. Pourquoi donc troubler les philosophes? Qu'importait à la Hollande que Bayle eût raison? Pourquoi faut-il que Jurieu, ce ministre fanatique, ait eu le crédit de faire arracher à Bayle sa petite fortune? Les philosophes ne demandent que la tranquillité; ils ne veulent que vivre en paix sous le gouvernement établi, et il n'y a pas un théologien qui ne voulût être le maître de l'État. Est-il possible que des hommes qui n'ont d'autre science que le don de parler sans s'entendre et sans être entendus, aient dominé et dominent encore presque partout?

Les pays du nord ont cet avantage sur le midi de l'Europe, que ces tyrans des âmes y ont moins de puissance qu'ailleurs. Aussi les princes du Nord sont-ils, pour la plupart, moins superstitieux et moins méchants qu'ailleurs. Tel prince italien se servira du poison et ira à confesse. L'Allemagne protestante n'a ni de pareils sots, ni de pareils monstres; et, en général, je n'aurais pas de peine à prouver que les rois les moins superstitieux ont toujours été les meilleurs princes.

Vous voyez, digne héritier de l'esprit de Marc-Aurèle, avec quelle liberté j'ose vous parler. Vous êtes presque le seul sur la terre qui méritiez qu'on vous parle ainsi.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
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180 стр. 1 иллюстрация
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