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Читать книгу: «Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse», страница 2

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D'Alembert, Condorcet, Diderot, Frédéric, Catherine, Turgot, Franklin, Gœthe, ont bien vengé Voltaire de la myopie du panégyriste Laharpe, myopie caractéristique et qui donne la juste mesure de la pauvreté de cœur et d'intelligence de ce faiseur de phrases.

Quoi qu'il ait écrit et quoi qu'il ait fait, on doit dire à l'honneur et à la décharge de Frédéric: Il admira Voltaire et il l'aima autant qu'il pouvait aimer.

Le roi survécut huit ans à son ami et mourut en 1786, à l'âge de 74 ans.

La correspondance de Voltaire avec la plupart des membres de la famille royale de Prusse est assez considérable. Assurément, au point de vue du cœur, tous les membres de cette famille valaient beaucoup mieux que leur illustre chef. Ici, plus de traces d'amour-propre d'auteur, plus de paroles sentant le despote ayant mauvaise opinion de l'espèce humaine. On ne voit que des preuves d'une affection sincère, d'une véritable admiration, et souvent d'une reconnaissance très réelle. La margrave de Bareith et le prince royal qui succéda à son oncle le grand Frédéric, méritent d'être particulièrement distingués.

Par son dévouement à son frère, par la part qu'elle prit à ses malheurs, par ses communications plus fréquentes et plus importantes avec Voltaire, par la manière gracieuse avec laquelle elle s'efforça de réparer l'indigne conduite de Frédéric à Francfort, la margrave de Bareith occupe naturellement la première place dans ce recueil. Cette princesse avait vécu près de Voltaire pendant son séjour en Prusse. Elle avait de l'instruction et un esprit, sans préjugés. On voit de ses lettres qui commencent ainsi: «Sœur Guillemette à frère Voltaire, salut, car je me compte parmi les heureux habitants de votre abbaye» (allusion à la société des soupers intimes de Frédéric).

Mais c'est pendant la guerre de Sept Ans, lorsque Frédéric, attaque à la fois par l'Autriche, la France et la Russie, faillit succomber sous tant d'ennemis, que les lettres de la margrave empruntent à la gravite des circonstances et à l'état violent de son âme désespérée un intérêt extrême. Voltaire songea à opérer un rapprochement entre la cour de Berlin et celle de Versailles. Il en écrivit à cette princesse et au maréchal de Richelieu qui commandait une de nos armées en Allemagne. C'était quelques mois avant Rosbach. Le roi de Prusse semblait perdu et Voltaire, qui ne désirait point la ruine de son ancien disciple, ne songea qu'à le consoler et à essayer de le tirer de ce mauvais pas. Cette négociation n'aboutit pas, quoiqu'elle fût opportune et dans l'intérêt de la France. Mais Frédéric avait blessé l'amour-propre de Mme de Pompadour et l'abbé de Bernis, sa créature, était ministre des affaires étrangères.

Le 19 août 1757, la margrave répondait à Voltaire:

«On ne connaît ses amis que dans le malheur; la lettre que vous m'avez écrite fait bien de l'honneur à votre façon de penser. Je ne saurais vous témoigner combien je suis sensible à votre procédé. Le roi l'est autant que moi… Je suis dans un état affreux et je ne survivrai pas à la destruction de ma maison et de ma famille. C'est l'unique consolation qui me reste. Vous aurez de beaux sujets de tragédies… Je ne puis vous en dire davantage, mon âme est si troublée que je ne sais ce que je fais. Quoi qu'il puisse arriver, soyez persuadé que je suis plus que jamais votre amie, Wilhelmine.»

Vingt-huit jours après, le 12 septembre, la malheureuse princesse continue ainsi: «Votre lettre m'a sensiblement touchée, celle que vous m'avez adressée pour le roi a fait le même effet sur lui. Je m'étais flattée que vos réflexions feraient quelque impression sur son esprit. Vous verrez le contraire par le billet ci-joint. Il ne me reste qu'à suivre sa destinée, si elle est malheureuse; je ne me suis jamais piquée d'être philosophe, j'ai fait mes efforts pour le devenir. Le peu de progrès que j'ai fait m'a appris à mépriser les grandeurs et les richesses, mais je n'ai rien trouvé dans la philosophie qui puisse guérir les plaies du cœur que le moyen de s'affranchir de ses maux en cessant de vivre. L'état où je suis est pire que la mort… Plût au ciel que je fusse chargée seule de tous les maux que je viens de vous décrire! je les souffrirais avec fermeté! Pardonnez-moi ce détail. Vous m'engagez, par la part que vous prenez à ce qui me regarde, à vous ouvrir mon cœur. Hélas! l'espoir en est presque banni. Que vous êtes heureux dans votre ermitage, je vous, y souhaite tout le bonheur imaginable. Si la fortune nous favorise encore, comptez sur toute ma reconnaissance, je n'oublierai jamais toutes les marques d'attachement que vous m'avez données; ma sensibilité vous en est garant. Je ne suis jamais amie à demi et je le serai toujours véritablement de frère Voltaire. Bien des compliments à Mme Denis. Continuez, je vous prie, d'écrire au roi. Wilhelmine.»

Après la bataille de Rosbach, 6 novembre 1757, les affaires du roi de Prusse, quoique toujours en fâcheux état, prirent une meilleure tournure; mais la santé de la margrave avait reçu des atteintes trop profondes pour qu'elle pût se remettre. Cette princesse mourut le 14 octobre 1758.

Frédéric écrivait à Voltaire le 6 novembre de cette année: «Il vous a été facile de juger de ma douleur par la perte que j'ai faite… Si cela eût dépendu de moi, je me serais volontiers dévoué à la mort pour prolonger les jours de celle qui ne voit plus la lumière. N'en perdez jamais la mémoire et rassemblez, je vous prie, toutes vos forces pour élever un monument en son honneur. Vous n'avez qu'à lui rendre justice, et, sans vous écarter de la vérité, vous trouverez la matière la plus ample et la plus belle. Je vous souhaite plus de repos et de bonheur que je n'en ai.»

Le poète satisfit aux désirs du roi comme aux besoins de son cœur et loua la grandeur d'âme et l'intelligence élevée de la princesse dans une ode qui courut l'Europe.

Le prince de Prusse, depuis Frédéric-Guillaume II, s'adresse ainsi à Voltaire le 12 novembre 1770: «Je vous admire, monsieur, depuis que je vous lis… J'ai vu avec un extrême plaisir que la même plume, qui travaille depuis si longtemps à frapper la superstition et à ramener la tolérance, s'occupe aussi à renverser le funeste principe du Système de la Nature… Souffrez, monsieur, que je vous demande pour ma seule instruction, si en avançant en âge vous ne trouvez rien à changer à vos idées sur la nature de l'âme… Je n'aime pas à me perdre dans des raisonnements métaphysiques, mais je voudrais ne pas mourir tout entier et qu'un génie tel que le vôtre ne fût pas anéanti. Je regrette souvent, monsieur, en vous lisant, de n'avoir pas été en âge de profiter des charmes de votre conversation dans le temps que vous étiez ici. Je n'ignore pas combien le feu prince de Prusse, mon frère, vous estimait; je vous prie de croire que j'ai hérité de ses sentiments. J'embrasserai avec plaisir l'occasion de vous en donner des preuves et de vous convaincre, monsieur, combien je suis votre très affectionné ami.»

Le 28 du même mois, Voltaire répond: «Il est vrai qu'on ne sait pas trop bien ce que c'est qu'une âme, on n'en a jamais vu. Tout ce que nous savons, c'est que le maître éternel de la nature nous a donné la faculté de penser et de connaître la vertu. Il n'est pas démontré que cette faculté vive après notre mort, mais le contraire n'est pas démontré non plus. Il se peut sans doute que Dieu ait accordé la pensée à une monade, qu'il fera penser après nous: rien n'est contradictoire dans cette idée. Au milieu de tous les doutes, le plus sage est de ne jamais rien faire contre sa conscience. Avec ce secret, on jouit de la vie et l'on ne craint rien à la mort.

«Il est bien extravagant de définir Dieu, les anges, les esprits, et de savoir précisément pourquoi Dieu a formé le monde, quand on ne sait pas pourquoi on remue son bras à sa volonté. Nous ne savons rien des premiers principes.

»Le système des athées m'a toujours paru extravagant. Spinosa lui-même admettait une intelligence universelle. Il ne s'agit plus que de savoir si cette intelligence a de la justice. Or il me paraît impertinent d'admettre un Dieu injuste. Tout le reste me semble caché dans la nuit. Ce qui est sûr, c'est que l'homme de bien n'a rien à craindre.»

Le prince répond, 10 mars 1771: «Pour avoir l'esprit en repos sur l'avenir, il ne faut qu'être homme de bien. Je le serai toujours: j'en ferai toute ma vie honneur à vos sages exhortations et j'attendrai patiemment que la toile se lève pour voir dans l'éternité. Vous êtes assez heureux, monsieur, pour que je ne puisse vous être bon à rien. S'il se présentait néanmoins quelque occasion de vous faire plaisir, disposez, je vous prie, de votre très affectionné ami.»

À l'exposition universelle de 1867, on fit figurer à Paris le moulage en plâtre du monument élevé à Berlin en l'honneur du grand Frédéric. Je ne veux point ici apprécier cette œuvre au point de vue artistique. Mais je remarquais alors et je crois bon de faire remarquer que sur les bas-reliefs, illustrant les quatre faces du piédestal de cette statue équestre, l'un d'eux représentait Frédéric entouré des savants et des membres de l'Académie dont il était le fondateur. On y voit les figures de Maupertuis, d'Argens, etc., mais on y cherche en vain celle de Voltaire, qui fut cependant le plus illustre membre de cette académie, laquelle a entendu de la bouche du roi philosophe l'éloge du patriarche de Ferney.

Pourquoi cette éclatante omission? pourquoi Voltaire brille-t-il par son absence dans cette réunion?

Est-il besoin de le constater encore une fois c'est que Voltaire libre-penseur, avocat du genre humain, promoteur et précurseur de 89, ne peut être amnistié par des partisans du droit divin, tels que Guillaume et Bismarck.

Il est bon de le faire remarquer, car cela est tout à l'honneur de Voltaire.

Ces répugnances ne se voient pas seulement en Allemagne. À la mort du dernier marquis de Villette, fils de Belle et Bonne, la pupille de Voltaire, les héritiers légitimes, après avoir tout partagé, cherchèrent un moyen honnête de se débarrasser de l'urne d'argent contenant le cœur de Voltaire et sur laquelle le mari de Belle et Bonne avait inscrit ce vers:

Son esprit est partout, mais son cœur est ici!

Jusque-là ce vase avait été précieusement conservé à Villette, avec quelques autres reliques par le fils de la pupille de Voltaire.

On conçoit l'embarras des héritiers Villette, tous bons catholiques et bon légitimistes. Ils imaginèrent d'offrir l'urne, peu édifiante, à l'Académie française. C'était assez bien trouvé, car l'Académie possède une bibliothèque, un musée qui contient même la statue de Voltaire, exécutée en 1770 par Pigalle, grâce à une souscription publique. Cette statue historique avait été donnée à l'Académie française par la nièce de Voltaire, Mme Denis, et naturellement l'Académie s'empressa de l'accepter avec reconnaissance et enthousiasme.

À ce moment le monde était plein de la gloire de Voltaire et tout aux regrets causés par la perte de ce grand homme, comme le prouva en 91 la translation des cendres et l'apothéose de Voltaire au Panthéon.

Autres temps, autres mœurs.

L'Académie de nos jours, où prédominait l'influence de MM. Guizot, Dupanloup, de Broglie, etc., ne se soucia nullement d'accepter le don des héritiers Villette.

Elle tourna comme elle put la difficulté et l'urne consacrée par la piété filiale se trouve aujourd'hui déposée à la Bibliothèque nationale. C'est matériellement tout ce qui nous reste de Voltaire, car on sait que la tombe du Panthéon a été violée en 1816 et que de bons catholiques ont jeté aux gémonies les restes du philosophe. Ainsi a été repoussé de mains en mains, cette urne qui renferme le cœur de Voltaire, lequel pendant 84 ans palpita avec la plus grande énergie pour la cause de la Justice et de la Vérité.

Dame! avouer Voltaire, accepter l'ennemi implacable de la superstition et du fanatisme, le don Quichotte de l'humanité, cela ne peut être le fait de tout le monde, pas plus en France qu'en Prusse.

Cette espèce d'ostracisme posthume de Voltaire est un supplice bien doux, quand on se rappelle que Socrate a bu la ciguë, que Jésus a été crucifié, qu'Arnauld de Brescia, Galilée, Campanella, Jean Huss, Giordano Bruno ont été brûlés, torturés ou pendus.

Je ne puis nommer tous les martyrs de la Vérité et de la Justice. J'ajouterai seulement que Descartes, pour pouvoir penser et écrire librement, a été obligé de s'exiler en Hollande et en Suède.

Il faut donc reconnaître que Guillaume et Bismarck n'ont pas été plus sots, plus ridicules et plus odieux que Louis XIV avec ses dragonnades, et que toutes ces pitoyables violences n'empêchent pas le monde de tourner.

e. de pompery.

CORRESPONDANCE

DE VOLTAIRE

AVEC

LE ROI DE PRUSSE

DU PRINCE ROYAL

À Berlin, 8 auguste 1736.

Monsieur, quoique je n'aie pas la satisfaction de vous connaître personnellement, vous ne m'en êtes pas moins connu par vos ouvrages. Ce sont des trésors d'esprit, si l'on peut s'exprimer ainsi, et des pièces travaillées avec tant de goût, de délicatesse et d'art, que les beautés en paraissent nouvelles chaque fois qu'on les relit. Je crois y avoir reconnu le caractère de leur ingénieux auteur, qui fait honneur à notre siècle et à l'esprit humain. Les grands hommes modernes vous auront un jour l'obligation, et à vous uniquement, en cas que la dispute à qui d'eux ou des anciens la préférence est due, vienne à renaître, que vous ferez pencher la balance de leur côté.

Vous ajoutez à la qualité d'excellent poète une infinité d'autres connaissances qui, à la vérité, ont quelque affinité avec la poésie, mais qui ne lui ont été appropriées que par votre plume. Jamais poète ne cadença des pensées métaphysiques: l'honneur vous en était réservé le premier. C'est ce goût que vous marquez dans vos écrits pour la philosophie, qui m'engage à vous envoyer la traduction que j'ai fait faire de l'accusation et de la justification du sieur Wolf, le plus célèbre philosophe de nos jours, qui, pour avoir porté la lumière dans les endroits les plus ténébreux de la métaphysique, et pour avoir traité ces difficiles matières d'une manière aussi relevée que précise, et nette, est cruellement accusé d'irréligion et d'athéisme. Tel est le destin des grands hommes; leur génie supérieur les expose toujours aux traits envenimés de la calomnie et de l'envie.

Je suis à présent à faire traduire le Traité de Dieu, de l'âme et du monde, émané de la plume du même auteur. Je vous l'enverrai, monsieur, dès qu'il sera achevé, et je suis sûr que la force de l'évidence vous frappera dans toutes ses propositions, qui se suivent géométriquement, et connectent les unes avec les autres comme les anneaux d'une chaîne.

La douceur et le support que vous marquez pour tous ceux qui se vouent aux arts et aux sciences, me font espérer que vous ne m'exclurez pas du nombre de ceux que vous trouvez dignes de vos instructions. Je nomme ainsi votre commerce de lettres, qui ne peut être que profitable à tout être pensant. J'ose même avancer, sans déroger au mérite d'autrui, que dans l'univers entier il n'y aurait pas d'exception à faire de ceux dont vous ne pourriez être le maître. Sans vous prodiguer un encens indigne de vous être offert, je peux vous dire que je trouve des beautés sans nombre dans vos ouvrages. Votre Henriade me charme, et triomphe heureusement de la critique peu judicieuse que l'on en a faite. La tragédie de César nous fait voir des caractères soutenus; les sentiments y sont tous magnifiques et grands; et l'on sent que Brutus est ou Romain ou Anglais. Alzire ajoute aux grâces de la nouveauté cet heureux contraste des mœurs des sauvages et des Européens. Vous faites voir, par le caractère de Gusman, qu'un christianisme mal entendu, et guidé par le faux zèle, rend plus barbare et plus cruel que le paganisme même.

Corneille, le grand Corneille, lui qui s'attirait l'admiration de tout son siècle, s'il ressuscitait de nos jours, verrait avec étonnement, et peut-être avec envie, que la tragique déesse vous prodigue avec profusion les faveurs dont elle était avare envers lui. À quoi n'a-t-on pas lieu de s'attendre de l'auteur de tant de chefs-d'œuvre! Quelles nouvelles merveilles ne vont pas sortir de la plume qui jadis traça si spirituellement et si élégamment le Temple du Goût!

C'est ce qui me fait désirer si ardemment d'avoir tous vos ouvrages. Je vous prie, monsieur, de me les envoyer et de me les communiquer sans réserve. Si parmi les manuscrits il y en a quelqu'un que, par une circonspection nécessaire, vous trouviez à propos de cacher aux yeux du public, je vous promets de le conserver dans le sein du secret, et de me contenter d'y applaudir dans mon particulier. Je sais malheureusement que la foi des princes est un objet peu respectable de nos jours, mais j'espère néanmoins que vous ne vous laisserez pas préoccuper par des préjugés généraux, et que vous ferez une exception à la règle en ma faveur.

Je me croirai plus riche en possédant vos ouvrages, que je ne le serai par la possession de tous les biens passagers et méprisables de la fortune, qu'un même hasard fait acquérir et perdre. L'on peut se rendre propres les premiers, s'entend vos ouvrages, moyennant le secours de la mémoire, et ils nous durent autant qu'elle. Connaissant le peu d'étendue de la mienne, je balance longtemps avant de me déterminer sur le choix des choses que je juge dignes d'y placer.

Si la poésie était encore sur le pied où elle fut autrefois, savoir, que les poètes ne savaient que fredonner des idylles ennuyeuses, des églogues faites sur un même moule, des stances insipides, ou que tout au plus ils savaient monter leur lyre sur le ton de l'élégie, j'y renoncerais à jamais; mais vous ennoblissez cet art, vous nous montrez des chemins nouveaux et des routes inconnues aux *** et aux Rousseau.

Vos poésies ont des qualités qui les rendent respectables et dignes de l'admiration et de l'étude des honnêtes gens. Elles sont un cours de morale où l'on apprend à penser et à agir. La vertu y est peinte des plus belles couleurs. L'idée de la véritable gloire y est déterminée; et vous insinuez le goût des sciences d'une manière si fine et si délicate, que quiconque a lu vos ouvrages respire l'ambition de suivre vos traces. Combien de fois ne me suis-je pas dit: Malheureux! laisse là un fardeau dont le poids surpasse tes forces: l'on ne peut imiter Voltaire, à moins que d'être Voltaire même.

C'est dans ces moments que j'ai senti que les avantages de la naissance, et cette fumée de grandeur dont la vanité nous berce, ne servent qu'à peu de chose, ou pour mieux dire à rien. Ce sont des distinctions étrangères à nous-mêmes, et qui ne décorent que la figure. De combien les talents de l'esprit ne leur sont-ils pas préférables! Que ne doit-on pas aux gens que la nature a distingués parce qu'elle les a fait naître! Elle se plaît à former des sujets qu'elle doue de toute la capacité nécessaire pour faire des progrès dans les arts et dans les sciences; et c'est aux princes à récompenser leurs veilles. Eh! que la gloire ne se sert-elle de moi pour couronner vos succès! Je ne craindrais autre chose, sinon que ce pays, peu fertile en lauriers, n'en fournît pas autant que vos ouvrages en méritent.

Si mon destin ne me favorise pas jusqu'au point de pouvoir vous posséder, du moins puis-je espérer de voir un jour celui que depuis si longtemps j'admire de si loin, et de vous assurer de vive voix que je suis avec toute l'estime et la considération due à ceux qui, suivant pour guide le flambeau de la vérité, consacrent leurs travaux au public, monsieur, votre affectionné ami, Fédéric, P. R. de Prusse1.

DE M. DE VOLTAIRE

À Paris, le 26 auguste 1736.

Monseigneur, il faudrait être insensible pour n'être pas infiniment touché de la lettre dont Votre Altesse Royale a daigné m'honorer. Mon amour-propre en a été trop flatté, mais l'amour du genre humain que j'ai toujours eu dans le cœur, et qui, j'ose dire, fait mon caractère, m'a donné un plaisir mille fois plus pur, quand j'ai vu qu'il y a dans le monde un prince qui pense en homme, un prince philosophe qui rendra les hommes heureux.

Souffrez que je vous dise qu'il n'y a point d'homme sur la terre qui ne doive des actions de grâces au soin que vous prenez de cultiver par la saine philosophie une âme née pour commander. Croyez qu'il n'y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous par s'instruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. Il n'y a point de prince qui, en pensant ainsi, ne puisse ramener l'âge d'or dans ses États. Pourquoi si peu de rois recherchent-ils cet avantage? Vous le sentez, monseigneur, c'est que presque tous, songent plus à la royauté qu'à l'humanité: vous faites précisément le contraire. Soyez sûr que si un jour le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n'altèrent point un si divin caractère, vous serez adoré de vos peuples et chéri du monde entier. Les philosophes dignes de ce nom voleront dans vos États; et, comme les artisans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est plus favorisé, les hommes qui pensent viendront entourer votre trône.

L'illustre reine Christine quitta son royaume pour aller chercher les arts; régnez, monseigneur, et que les arts viennent vous chercher.

Puissiez-vous n'être jamais dégoûté des sciences par les querelles des savants! Vous voyez, monseigneur, par les choses que vous daignez me mander, qu'ils sont hommes, pour la plupart, comme les courtisans mêmes. Ils sont quelquefois aussi avides, aussi intrigants, aussi faux, aussi cruels; et toute la différence qui est entre les pestes de cour et les pestes de l'école, c'est que ces derniers sont plus ridicules.

Il est bien triste pour l'humanité que ceux qui se disent les déclarateurs des commandements célestes, les interprètes de la Divinité, en un mot les théologiens soient quelquefois les plus dangereux de tous; qu'il s'en trouve d'aussi pernicieux dans la société qu'obscurs dans leurs idées et que leur âme soit gonflée de fiel et d'orgueil à proportion qu'elle est vide de vérités. Ils voudraient troubler la terre par un sophisme, et intéresser tous les rois à venger, par le fer et par le feu, l'honneur d'un argument in ferio ou in barbara.

Tout être pensant qui n'est pas de leur avis est un athée; et tout roi qui ne les favorise pas sera damné. Vous savez, monseigneur, que le mieux qu'on puisse faire, c'est d'abandonner à eux-mêmes ces prétendus précepteurs et ces ennemis réels du genre humain. Leurs paroles, quand elles sont négligées, se perdent en l'air comme du vent; mais si le poids de l'autorité s'en mêle, ce vent acquiert une force qui renverse quelquefois le trône.

Je vois, monseigneur, avec la joie d'un cœur rempli d'amour pour le bien public, la distance immense que vous mettez entre les hommes qui cherchent en paix la vérité, et ceux qui veulent faire la guerre pour des mots qu'ils n'entendent pas. Je vois que les Newton, les Leibnitz, les Bayle, les Locke, ces âmes si élevées, si éclairées et si douces, sont ceux qui nourrissent votre esprit, et que vous rejetez les autres aliments prétendus, que vous trouveriez empoisonnés ou sans substance.

Je ne saurais trop remercier Votre Altesse Royale de la bonté qu'elle a eue de m'envoyer le petit livre concernant M. Wolf. Je regarde ses idées métaphysiques comme des choses qui font honneur à l'esprit humain. Ce sont des éclairs au milieu d'une nuit profonde; c'est tout ce qu'on peut espérer, je crois, de la métaphysique. Il n'y a pas d'apparence que les premiers principes des choses soient jamais bien connus. Les souris qui habitent quelques petits trous d'un bâtiment immense, ne savent ni si ce bâtiment est éternel, ni quel en est l'architecte, ni pourquoi cet architecte a bâti. Elles tâchent de conserver leur vie, de peupler leurs trous, et de fuir les animaux destructeurs qui les poursuivent. Nous sommes les souris; et le divin Architecte qui a bâti cet univers n'a pas encore, que je sache, dit son secret à aucun de nous. Si quelqu'un peut prétendre à deviner juste, c'est M. Wolf. On peut le combattre, mais il faut l'estimer: sa philosophie est bien loin d'être pernicieuse; y a-t-il rien de plus beau et de plus vrai que de dire, comme il fait, que les hommes doivent être justes, quand même ils auraient le malheur d'être athées?

La protection qu'il semble que vous donnez, monseigneur, à ce savant homme, est une preuve de la justesse de votre esprit et de l'humanité de vos sentiments.

Vous avez la bonté, monseigneur, de me promettre de m'envoyer le Traité de Dieu, de l'âme et du monde. Quel présent, monseigneur, et quel commerce! L'héritier d'une monarchie daigne, du sein de son palais, envoyer des instructions à un solitaire! Daignez me faire ce présent, monseigneur; mon amour pour le vrai est la seule chose qui m'en rende digne. La plupart des princes craignent d'entendre la vérité, et ce sera vous qui l'enseignerez.

À l'égard des vers dont vous me parlez, vous pensez sur cet art aussi sensément que sur tout le reste. Les vers qui n'apprennent pas aux hommes des vérités neuves et touchantes ne méritent guère d'être lus: vous sentez qu'il n'y aurait rien de plus méprisable que de passer sa vie à renfermer dans les rimes des lieux communs usés. S'il y a quelque chose de plus vil, c'est de n'être que poète satirique et de n'écrire que pour décrier les autres. Ces poètes sont au Parnasse ce que sont dans les écoles ces docteurs qui ne savent que des mots, et qui cabalent contre ceux qui écrivent des choses.

Si La Henriade a pu ne pas déplaire à Votre Altesse Royale, j'en dois rendre grâce à cet amour du vrai, à cette horreur que mon poème inspire pour les factieux, pour les persécuteurs, pour les superstitieux, pour les tyrans et pour les rebelles. C'est l'ouvrage d'un honnête homme; il devait trouver grâce devant un prince philosophe.

Vous m'ordonnez de vous envoyer mes ouvrages: je vous obéirai, monseigneur; vous serez mon juge, et vous me tiendrez, lieu du public. Je vous soumettrai ce que j'ai hasardé en philosophie; vos lumières seront ma récompense: c'est un prix que peu de souverains peuvent donner. Je suis sûr de votre secret, votre vertu doit égaler vos connaissances.

Je regarderais comme un bonheur bien précieux celui de venir faire ma cour à Votre Altesse Royale. On va à Rome pour voir des églises, des tableaux, des ruines et des bas-reliefs. Un prince tel que vous mérite bien mieux un voyage; c'est une rareté plus merveilleuse. Mais l'amitié, qui me retient dans la retraite où je suis ne me permet pas d'en sortir. Vous pensez, sans doute, comme Julien, ce grand homme si calomnié, qui disait que les amis doivent toujours être préférés aux rois.

Dans quelque coin du monde que j'achève ma vie, soyez sûr, monseigneur, que je ferai continuellement des vœux pour vous, c'est-à-dire pour le bonheur de tout un peuple. Mon cœur sera au rang de vos sujets: votre gloire me sera toujours chère. Je souhaiterai que vous ressembliez toujours à vous-même, et que les autres rois vous ressemblent. Je suis avec un profond respect, de Votre Altesse Royale, le très humble, etc.

1.Le roi de Prusse a toujours signé Fédéric qui est plus doux à prononcer que Frédéric.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
180 стр. 1 иллюстрация
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Правообладатель:
Public Domain

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