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Читать книгу: «Quentin Durward», страница 5

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Cependant ils entrèrent dans une avenue étroite ombragée par de beaux ormes, au bout de laquelle une grande porte les conduisit dans la cour d'une auberge plus vaste qu'une auberge n'est ordinairement, et destinée au logement des nobles et des courtisans qui avaient quelque affaire au château voisin, où il était rare que Louis XI accordât un appartement à qui que ce fût de sa cour, excepté en cas de nécessité absolue. Un écusson portant les fleurs de lis ornait la principale porte d'un grand bâtiment irrégulier: mais, ni dans la cour, ni dans la maison, on ne remarquait cet air actif, empressé, par lequel les garçons et domestiques d'un semblable établissement annonçaient alors le nombre de leurs hôtes et la multitude de leurs occupations: il semblait que le caractère sombre et insociable du château royal situé dans le voisinage avait communiqué une partie du sérieux glacial et mélancolique qui y régnait, à une maison destinée à être le temple de la gaieté, du plaisir et de la bonne chère.

Maître Pierre, sans appeler personne et sans même approcher de la principale entrée, leva le loquet d'une petite porte, et précéda son compagnon dans une grande salle. La flamme d'un fagot brillait dans la cheminée, près de laquelle tout était disposé pour un déjeuner solide.

– Mon compère n'a rien oublié, dit le Français à Durward: vous devez avoir froid, voilà un bon feu; vous devez avoir faim, et vous allez avoir à déjeuner.

Maître Pierre siffla: l'aubergiste entra, et répondit à son bonjour par un salut respectueux; mais il ne montra nullement cette humeur babillarde, attribut caractéristique des maîtres d'auberge français de tous les siècles.

– Quelqu'un devait venir ordonner un déjeuner, dit maître Pierre; l'a-t-il fait?

L'aubergiste ne répondit que par une profonde inclination de tête; et tout en apportant les divers mets qui devaient composer le déjeuner et en les plaçant sur la table, il ne dit pas un seul mot pour en faire valoir le mérite. Le repas cependant était digne de tous les éloges que les aubergistes français sont dans l'usage de donner aux fruits de leur savoir-faire, comme les lecteurs pourront en juger dans le chapitre suivant.

CHAPITRE IV.
Le Déjeuner

«Juste ciel: quels coups de dents! – Que de pain!»

Voyages d'Yorick.

Nous avons laissé notre jeune étranger en France, dans une situation plus agréable qu'aucune de celles dans lesquelles il s'était trouvé depuis son arrivée sur le territoire des anciens Gaulois. Le déjeuner, comme nous l'avons donné à entendre en finissant le dernier chapitre, était admirable. Il y avait un pâté de Périgord, sur lequel un gastronome aurait voulu vivre et mourir, comme les mangeurs de lotus d'Homère, oubliant parens, patrie, et toutes les obligations sociales. Sa croûte magnifique s'élevait comme les remparts d'une grande capitale, emblème des richesses qu'ils sont chargés de protéger. Il y avait encore un ragoût exquis avec cette petite pointe d'ail que les Gascons aiment, et que les Écossais ne haïssent point; de plus, un jambon délicat qui avait naguère fait partie d'un noble sanglier de la forêt voisine de Montrichard. Le pain était aussi blanc que délicieux, et avait la forme de petites boules (d'où les Français ont tiré le nom de boulanger): la croûte en était si appétissante qu'avec de l'eau seule elle aurait pu passer pour une friandise. Mais il y avait autre chose que de l'eau pour l'assaisonner; car on voyait sur la table un de ces flacons de cuir qu'on appelait bottrines, et qui contenait environ deux pintes du meilleur vin de Beaune.

Tant de bonnes choses auraient, comme on dit, donné de l'appétit à un mort. Quel effet devaient-elles donc produire sur un jeune homme d'environ vingt ans, qui depuis deux jours (car il faut dire la vérité) n'avait presque vécu que des fruits à demi mûrs que le hasard lui avait fait trouver, et d'une ration assez modique de pain d'orge! il se jeta d'abord sur le ragoût, et le plat fut bientôt vide. Il attaqua ensuite le superbe pâté, y fit une entaille qui pénétra jusqu'à ses fondemens, et revint à la charge plus d'une fois, en l'arrosant de temps en temps d'un verre de vin, au grand étonnement de l'hôte, et au grand amusement de maître Pierre.

Celui-ci surtout, probablement parce qu'il se trouvait avoir fait une meilleure action qu'il ne l'avait cru, semblait enchanté de l'appétit du jeune Écossais; quand enfin il remarqua que son activité commençait à se ralentir, il chercha à lui faire faire de nouveaux efforts, en ordonnant que l'on apportât des fruits confits, des darioles, et toutes les autres friandises, qu'il put imaginer pour prolonger le repas. Tandis qu'il l'occupait ainsi, son visage exprimait une sorte de bonne humeur qui allait jusqu'à la bienveillance, et toute différente de sa physionomie ordinaire, qui était froide, sévère et caustique. Les gens âgés prennent toujours quelque plaisir à voir les jouissances et les exercices de la jeunesse, lorsque leur esprit, dans sa situation naturelle, n'est troublé ni par un sentiment secret d'envie, ni par une folle émulation.

De son côté, Quentin Durward, tout en employant son temps d'une manière si agréable, ne put s'empêcher de découvrir que les traits de l'homme qui le régalait si bien, et qu'il avait d'abord trouvés si repoussans, gagnaient beaucoup quand celui qui les considérait était sous l'influence de quelques verres de vin de Beaune; et ce fut avec un ton de cordialité qu'il reprocha à maître Pierre de rire de son appétit et de ne rien manger lui-même.

– Je fais, pénitence, répondit maître Pierre, et je ne puis prendre avant midi que quelques confitures et un verre d'eau; puis, se tournant vers l'hôte, il ajoutât. – Dites à la dame de là-haut de m'en apporter.

– Eh bien! continua maître Pierre quand l'aubergiste fut parti, vous ai-je tenu parole relativement au déjeuner que je vous avais promis?

– C'est le meilleur que j'aie fait; répondit l'Écossais, depuis que j'ai quitté Glen-Houlakin.

– Glen quoi? s'écria maître Pierre; avez-vous envie d'évoquer le diable en prononçant de pareils mots?

– Glen-Houlakin, mon bon monsieur, c'est-à-dire la vallée des moucherons. C'est le nom de notre ancien domaine. Vous avez acquis le droit d'en rire, si cela vous plaît.

– Je n'ai pas la moindre intention de vous offenser, mon jeune ami; mais je voulais vous dire que si le repas que vous venez de faire est de votre goût, les archers de la garde écossaise en font un aussi bon, et peut-être meilleur, tous les jours.

– Je n'en suis pas surpris. S'ils sont enfermés toute la nuit dans les nids d'hirondelles, ils doivent avoir le matin un terrible appétit.

– Et ils ont abondamment de quoi le satisfaire; ils n'ont pas besoin, comme les Bourguignons, d'aller le dos nu, afin de pouvoir se remplir le ventre. Ils sont vêtus comme des comtes, et font ripaille comme des abbés.

– J'en suis bien aise pour eux.

– Et pourquoi ne pas prendre du service parmi eux, jeune homme? Je suis sûr que votre oncle pourrait vous faire entrer dans la compagnie, dès qu'il y aura une place vacante; et, je vous le dirai tout bas, j'ai moi-même quelque crédit, et je puis vous être utile: je présume que vous savez monter à cheval aussi-bien que tirer de l'arc?

– Tous ceux qui ont porté le nom de Durward sont aussi bons écuyers que qui que ce soit qui ait jamais appuyé son soulier ferré sur l'étrier, et je ne sais trop pourquoi je n'accepterais pas votre offre obligeante. La vie et l'habit sont deux choses indispensables; mais cependant, voyez-vous, les hommes comme moi pensent à l'honneur, à l'avancement, à de hauts faits d'armes. Votre roi Louis, – que Dieu le protège, car il est ami et allié de l'écosse; – mais il reste toujours dans ce château, ou ne fait qu'aller d'une ville fortifiée à une autre. Il gagne des cités et des provinces par des ambassades politiques, et non à la pointe de l'épée. Or, quant à moi, je suis de l'avis des Douglas, qui ont toujours tenu la campagne parce qu'ils aiment mieux entendre le chant de l'alouette que le cri de la souris.

– Jeune homme, ne jugez pas témérairement des actions des souverains. Louis cherche à épargner le sang de ses sujets, mais il n'est pas avare du sien. Il a fait ses preuves de courage à Montlhéri.

– Oui, mais il y a de cela une douzaine d'années ou davantage. Or, j'aimerais à suivre un maître qui voudrait conserver son honneur aussi brillant que son écusson, et qui serait toujours le premier au milieu de la mêlée.

– Pourquoi donc n'êtes-vous pas resté à Bruxelles avec le duc de Bourgogne? Il vous mettrait à même d'avoir les os brisés tous les jours; et de peur que l'occasion ne vous en manquât, il se chargerait de vous les rompre lui-même, surtout s'il apprenait que vous avez battu un de ses forestiers.

– C'est la vérité. Ma mauvaise étoile m'a fermé cette porte.

– Mais il ne manque pas de chefs qui braveraient le diable, et sous lesquels un jeune étourdi peut trouver du service? Que pensez-vous, par exemple, de Guillaume de la Marck?

– Quoi! l'homme à la longue barbe, le sanglier des Ardennes! Moi, je servirais un chef de pillards et d'assassins; un brigand qui tuerait un paysan pour s'emparer de sa casaque; qui massacre les prêtres et les pèlerins comme si c'étaient des chevaliers et des hommes d'armes! ce serait imprimer une tâche ineffaçable sur l'écusson de mon père.

– Eh bien! mon jeune cerveau brûlé, si le sanglier vous paraît trop scrupuleux, pourquoi ne pas suivre le jeune duc de Gueldre?

– Je suivrais plutôt le diable! Que je vous dise un mot à l'oreille. C'est un fardeau trop pesant pour la terre. L'enfer s'ouvre déjà pour lui. On dit qu'il tient son père en prison, et qu'il a même osé le frapper. Pouvez-vous le croire?

Maître Pierre parut un peu décontenancé en voyant l'horreur naïve avec laquelle le jeune Écossais parlait de l'ingratitude d'un fils, et il lui répondit:

– Vous ignorez, jeune homme, combien les liens du sang sont faibles pour les hommes d'un rang élevé. Quittant alors le ton sentimental qu'il avait pris d'abord, il ajouta avec une sorte de gaieté; – D'ailleurs, si le duc a battu son père, je vous réponds que ce père l'avait battu plus d'une fois: ainsi ce n'est qu'un solde de compte.

– Je suis surpris de vous entendre parler ainsi, dit le jeune Écossais en rougissant d'indignation. Une tête grise comme la vôtre devrait savoir mieux choisir ses sujets de plaisanterie. Si le vieux, duc a battu son fils dans son enfance, il ne l'a point battu assez. Il aurait mieux valu qu'il le fît périr sous les verges, que de le laisser vivre pour faire rougir toute la chrétienté du baptême d'un tel monstre!

– À ce compte, et de la manière dont vous épluchez le caractère des princes et des chefs, je crois que ce que vous avez de mieux à faire, c'est de devenir capitaine vous-même; car où un homme si sage en trouvera-t-il un qui soit digne de lui commander?

– Vous riez, à mes dépens, maître Pierre, et vous avez peut-être raison. Mais vous ne m'avez pas nommé un chef plein de vaillance, qui a de bonnes troupes à ses ordres, et sous lequel on pourrait prendre du service assez honorablement.

– Je ne devine pas qui vous voulez dire.

– Eh! celui qui est comme le tombeau de Mahomet (maudit soit le prophète!) suspendu entre deux pierres d'aimant; celui qu'on ne peut appeler ni Français ni Bourguignon, mais qui sait maintenir la balance entre eux, et se faire craindre et servir par les deux princes, quelque puissans qu'ils soient.

– Je ne devine pas encore qui vous voulez dire, répéta maître Pierre d'un air pensif.

– Et qui serait-ce, sinon le noble Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol et grand connétable de France? Il se maintient à la tête de sa petite armée, levant la tête aussi haut que le roi Louis et le duc Charles, et se balançant entre eux, comme l'enfant placé au milieu d'une planche dont deux de ses compagnons font monter et descendre successivement chacun des deux bouts.

– Et l'enfant dont vous parlez est celui des trois qui peut faire la chute la plus dangereuse. Mais écoutez-moi, mon jeune ami, vous à qui le pillage paraît un tel crime: savez-vous bien que votre politique comte de Saint-Pol est celui qui a le premier donné l'exemple d'incendier les campagnes pendant la guerre; et qu'avant les honteuses dévastations qu'il a commises, les deux partis ménageaient les villages et les villes ouvertes qui ne faisaient pas résistance?

– Sur ma foi, si la chose est ainsi, je commencerai à croire que pas un de ces grands hommes ne vaut mieux que l'autre, et que faire un choix parmi eux, c'est comme si l'on choisissait un arbre pour y être pendu. Mais ce comte de Saint-Pol, ce connétable, a trouvé moyen de se mettre en possession de la ville qui porte le nom de mon saint patron, de Saint-Quentin. (Ici le jeune Écossais fît un signe de croix.) Et il me semble que si j'étais là, mon bon patron veillerait un peu sur moi; car il est moins occupé que certains saints qui ont un bien plus grand nombre de personnes de leur nom: et cependant il faut qu'il ait oublié le pauvre Quentin Durward, son fils spirituel, puisqu'il le laisse un jour sans nourriture, et que le lendemain il l'abandonne à la protection de saint Julien et à l'hospitalité d'un étranger achetée, par un bain pris dans la fameuse rivière du Cher, ou dans quelqu'une de celles qui vont s'y jeter.

– Ne blasphème pas les saints, mon jeune ami, dit maître Pierre. Saint Julien est le fidèle patron des voyageurs, et il est possible que le bienheureux saint Quentin ait fait beaucoup plus et beaucoup mieux que tu ne te l'imagines.

Comme il parlait encore, la porte s'ouvrit, et une jeune fille paraissant avoir quinze ans apporta un plateau couvert d'une belle serviette de damas, sur lequel était un compotier rempli de ces prunes sèches pour lesquelles la ville de Tours a été renommée dans tous les temps. Il s'y trouvait aussi une coupe richement ciselée, espèce d'ouvrages que les orfèvres de cette ville exécutaient autrefois avec un art qui les distinguait de ceux des autres villes de France, et même de la capitale. La forme en était si élégante, que Durward ne songea pas à examiner si elle était d'argent, ou seulement d'étain, comme le gobelet placé devant lui sur la table, et qui était si brillant qu'on aurait pu le croire d'un métal plus précieux.

Mais la vue de la jeune personne qui tenait le plateau attira l'attention de Durward, beaucoup plus que les objets qui y étaient placés.

Il eut bientôt découvert qu'une profusion de longues tresses de beaux cheveux noirs, qu'elle portait de même que les jeunes écossaises, sans autre ornement qu'une guirlande de feuilles de lierre, formaient un voile naturel autour de son visage, dont les traits réguliers, les yeux noirs et l'air pensif auraient pu rappeler la mélancolique Melpomène; mais il y avait sur ses joues une nuance de carmin, et un sourire sur ses lèvres et dans son regard, qui portaient à croire que la gaieté n'était pas étrangère à une physionomie si séduisante, quoique ce ne fût pas son expression la plus habituelle. Quentin crut même pouvoir distinguer que des circonstances affligeantes étaient la cause qui prêtait à la figure d'une si jeune et si jolie personne l'apparence d'une gravité qui n'accompagne pas ordinairement la beauté dans sa première jeunesse; et comme l'imagination d'un jeune homme est prompte à tirer des conclusions des données les plus légères, il lui plus d'inférer de ce qui va suivre, que la destinée de cette charmante inconnue était enveloppée de mystère et de silence.

– Que veut dire ceci, Jacqueline? dit maître Pierre dès qu'elle entra. N'avais-je pas demandé que dame Perrette m'apportât ce dont j'avais besoin? Pâques-Dieu! est-elle ou se croit-elle trop grande dame pour me servir?

– Ma mère est mal à l'aise, répondit Jacqueline à la hâte et du ton le plus humble; elle ne se porte pas bien, et garde la chambre.

– Elle la garde seule, j'espère! s'écria maître Pierre avec une sorte d'emphase; je suis un vieux routier, et ce n'est pas à moi qu'on en fait accroire par une maladie prétendue.

À ces paroles Jacqueline pâlit, et chancela même; car il faut avouer que le ton et le regard de maître Pierre, toujours durs, caustiques et désagréables, devenaient sinistres et alarmans quand ils exprimaient la colère ou le soupçon.

La galanterie de notre jeune montagnard prit l'éveil sur-le-champ, et il s'approcha de Jacqueline pour la soulager du fardeau qu'elle portait, et qu'elle lui remit d'un air pensif, en jetant sur le bourgeois en courroux un regard timide et inquiet. Il eût été contre nature de résister à l'expression de ces yeux tendres qui semblaient implorer la compassion; et maître Pierre lui dit, non plus d'un air de mécontentement, mais avec autant de douceur que sa physionomie pouvait en exprimer: – Je ne te blâme pas, Jacqueline; car tu es trop jeune pour être déjà ce qu'il est dur de penser que tu dois être un jour… fausse et perfide comme, tout le reste de ton sexe frivole. Personne n'est parvenu à l'âge d'homme sans avoir été à portée de vous connaître toutes, et voici un cavalier Écossais qui te dira la même chose.

Jacqueline jeta les yeux un instant sur le jeune étranger, comme pour obéir à maître Pierre; mais ce regard, quelque rapide qu'il fût, parut à Durward un appel touchant à sa générosité. Avec l'empressement d'un jeune homme, et le respect romanesque pour le beau sexe que lui avait inspiré son éducation, il répondit à l'instant qu'il jetterait le gant du combat à tout antagoniste de son rang et de son âge qui oserait dire que des traits semblables à ceux qu'il voyait pouvaient ne pas être animés par l'âme la plus pure.

Les joues de la jeune fille se couvrirent d'une pâleur mortelle, et elle jeta un regard craintif sur maître Pierre, à qui la bravade du jeune Écossais parut n'inspirer qu'un sourire de mépris plutôt que d'approbation. Quentin, dont la seconde pensée corrigeait ordinairement la première, rougit d'avoir prononcé quelques mots qui pouvaient passer pour une fanfaronnade devant un vieillard pacifique par état; et se condamnant à une sorte de réparation aussi juste que proportionnée à sa faute, il résolut de supporter patiemment le ridicule qu'il avait mérité. Il présenta à maître Pierre le plateau dont il s'était chargé, en rougissant et avec un air d'embarras qu'il cherchait vainement à cacher.

– Vous êtes un jeune fou, lui dit maître Pierre; et vous ne connaissez pas mieux les femmes que les princes, dont Dieu, ajouta-t-il en faisant le signe de la croix dévotement, tient les cœurs dans sa main droite.

– Et qui tient donc les cœurs des femmes? demanda Quentin, déterminé à ne pas s'en laisser imposer par l'air de supériorité de cet homme extraordinaire, dont les manières hautaines et insouciantes exerçaient sur lui une influence dont il était un peu humilié.

– Je crois qu'il faut faire cette question à quelque autre, répondit maître Pierre avec beaucoup de sang-froid.

Cette nouvelle rebuffade ne déconcerta pourtant pas entièrement Quentin Durward. – À coup sûr, pensa-t-il, ce n'est pas pour la misérable obligation d'un déjeuner, quelque substantiel et excellent qu'il fût, que j'aurais tant de déférence envers ce bourgeois de Tours! On s'attache les chiens et les faucons en les nourrissant; c'est par les liens de l'amitié et des services qu'on peut enchaîner le cœur de l'homme. Mais ce bourgeois est vraiment extraordinaire; et cette apparition enchanteresse – qui va déjà disparaître, – un être si parfait, ne peut appartenir à si bas lieu, il ne peut même dépendre de ce riche marchand, quoique celui-ci semble exercer à son égard une sorte d'autorité comme il le fait sans doute sur tout ce que le hasard jette dans son petit cercle. Il est étonnant quelles idées d'importance ces Flamands et ces Français attachent à la richesse, infiniment plus qu'elle n'en mérite; car je suppose que ce vieux marchand s'imagine devoir à son argent, la considération que j'accorde à son âge. Moi, gentilhomme Écossais d'une ancienne race, d'une naissance distinguée, et lui un marchand de Tours!

Telles étaient les idées qui se succédaient rapidement dans l'esprit du jeune Durward, tandis que maître Pierre disait à Jacqueline, en souriant, et en passant la main sur ses longs cheveux: – Ce jeune homme me servira, Jacqueline; tu peux te retirer. Je dirai à ta négligente mère qu'elle a tort de t'exposer aux yeux sans nécessité.

– C'était seulement pour vous servir, répondit la jeune fille: j'espère que vous ne serez pas mécontent de votre parente, puisque…

– Pâques-Dieu! s'écria maître Pierre en l'interrompant d'un ton vif, mais sans dureté, avez-vous envie de discuter avec moi, ou restez-vous ici pour regarder ce jeune homme? Retirez-vous. Il est noble; il suffira pour me servir.

Jacqueline sortit; et Durward était si occupé de sa disparition subite, qu'elle rompit le fil de ses réflexions; et il obéit machinalement quand maître Pierre, se jetant nonchalamment sur son grand fauteuil, lui dit du ton d'un homme habitué à commander: – Placez ce plateau près de moi.

Le marchand, fronçant les sourcils, les fit retomber sur ses yeux pleins de vivacité, de manière qu'à peine étaient-ils visibles, quoiqu'ils lançassent quelquefois un rayon rapide et brillant comme ceux du soleil qui se couche derrière un sombre nuage, à travers lequel il brille par intervalles.

– N'est-ce pas une charmante créature? dit maître Pierre en levant la tête et fixant un regard ferme sur Quentin en lui faisant cette question; une fille fort aimable pour une servante d'auberge? Elle figurerait bien à la table d'un honnête bourgeois, mais cela a reçu une mauvaise éducation; cela a une origine basse.

Il arrive quelquefois qu'un mot jeté au hasard démolit un splendide château qu'on vient de construire dans les airs; et, en pareille occasion, l'architecte ne sait pas beaucoup de gré à celui qui a laissé tomber le mot fatal, alors même qu'il a parlé sans intention de nuire. Quentin se sentit déconcerté, et il était disposé à se mettre en courroux, sans trop savoir pourquoi, contre ce vieillard pour l'avoir informé que cette créature enchanteresse n'était ni plus ni moins que ce que ses occupations annonçaient, – une servante d'auberge, une servante d'un ordre supérieur, à la vérité (une nièce peut-être ou une parente de l'aubergiste), mais une servante enfin, obligée de se conformer à l'humeur de tous les hôtes, et particulièrement à celle de ce maître Pierre, qui paraissait être assez fantasque et assez riche pour vouloir que ses caprices devinssent autant de lois.

Une pensée se présentait encore à son esprit: c'était qu'il devait faire comprendre au vieillard la différence qui existait entre leurs conditions, et lui faire sentir que quelque riche qu'il pût être, sa richesse ne pouvait le faire marcher l'égal d'un Durward de Glen-Houlakin. Cependant, quand il levait les yeux sur maître Pierre, dans l'intention de lui dire quelques mots à ce sujet, il trouvait dans sa physionomie, malgré ses yeux baissés, ses traits amaigris, et ses vêtemens communs, quelque chose qui l'empêchait de faire valoir cette supériorité qu'il croyait avoir sur le marchand. Au contraire, plus il le regardait, plus il le considérait avec attention, et plus il sentait redoubler sa curiosité de savoir qui était cet homme et quel était son rang; il se le représentait alors comme un des premiers magistrats, ou tout au moins un syndic de Tours; en un mot, pour un homme habitué, de manière ou d'autre, à exiger et à obtenir le respect.

Cependant maître Pierre semblait se livrer de nouveau à une rêverie dont il ne sortit que pour faire dévotement le signe de la croix, après quoi il mangea quelques prunes et un biscuit. Il fit signe ensuite à Quentin de lui donner la coupe dont nous avons déjà parlé; mais comme celui-ci la lui présentait, il ajouta avant de la prendre: – Vous m'avez dit que vous êtes noble, je crois?

– Sans doute, je le suis, répondit l'Écossais, si quinze générations suffisent pour cela. Je vous l'ai déjà dit; mais ne vous gênez pas, maître Pierre: on m'a toujours appris que le devoir du plus jeune est de servir le plus âgé.

– C'est une excellente, maxime, répondit le marchand en recevant la coupe que Quentin lui présentait, et en y versant de l'eau d'une aiguière qui semblait de même métal, sans paraître avoir, au sujet des convenances sociales, le moindre de ces scrupules que Quentin peut-être s'était attendu à voir naître en lui.

– Au diable soient l'aisance et la familiarité de ce bourgeois! pensa le jeune homme. Il se fait servir par un noble Écossais avec aussi peu de cérémonie que j'en montrerais moi-même envers un paysan de Glen-Isla.

Cependant maître Pierre, ayant vidé sa coupe, dit à son compagnon:

– D'après le goût que vous avez montré pour le vin de Beaune, je m'imagine que vous n'êtes pas tenté de me faire raison avec la liqueur que je viens de boire. Mais j'ai sur moi un élixir qui peut changer en vin délicieux l'eau qui sort du rocher.

Tout en parlant ainsi, il prit dans son sein une grande bourse de peau de loutre de mer, et fit tomber une pluie de petites pièces d'argent, jusqu'à ce qu'il en eût empli à moitié la coupe, qui n'était pas des plus larges.

– Vous devez plus de reconnaissance à votre patron saint Quentin, et à saint Julien, que vous ne semblez le penser, jeune homme, dit alors maître Pierre, et je vous conseille de faire quelques aumônes en leur nom. Restez dans cette hôtellerie jusqu'à ce que vous voyiez votre parent le Balafré, qui sera relevé de garde ce soir. J'aurai soin de le faire informer qu'il peut vous trouver ici, car j'ai affaire au château.

Quentin Durward ouvrait la bouche pour s'excuser d'accepter le présent que lui offrait la libéralité de son nouvel ami; mais maître Pierre, fronçant ses gros sourcils, se redressant, et prenant un air plus imposant qu'il ne l'avait encore fait, lui dit d'un ton d'autorité: – Point de réplique, jeune homme, et faites ce qui vous est ordonné.

À ces mots, il sortit de l'appartement, et fit signe à Quentin qu'il ne devait pas le suivre.

Le jeune Écossais resta stupéfait, ne sachant que penser de tout ce qui venait de lui arriver. Son premier mouvement, le plus naturel, sinon le plus noble, fut de jeter un coup d'œil sur la coupe, qui était plus qu'à demi pleine de pièces d'argent dont peut-être il n'avait jamais eu le quart à sa disposition pendant tout le cours de sa vie. Mais sa dignité, comme gentilhomme, lui permettait-elle d'accepter l'argent de ce riche plébéien? C'était une question délicate; car, quoiqu'il vînt de faire un excellent déjeuner, il n'était pas en fonds, soit pour retourner à Dijon, dans le cas où il voudrait entrer au service du duc de Bourgogne, au risque de s'exposer à son courroux, soit pour se rendre à Saint-Quentin, s'il donnait la préférence au connétable de Saint-Pol, car il était déterminé à offrir ses services à l'un de ces deux seigneurs, sinon au roi de France. La résolution à laquelle il s'arrêta fut peut-être la plus sage qu'il pût prendre dans la circonstance; c'était de se laisser guider par les conseils de son oncle. En attendant, il mit l'argent dans son sac de velours, et appela l'hôte pour lui dire d'emporter la coupe d'argent, et pour lui faire en même temps quelques questions sur ce marchand si libéral, et qui savait si bien prendre un ton d'autorité.

Le maître de la maison arriva à l'instant; et, s'il ne fut pas très-communicatif, au moins fut-il moins silencieux qu'il ne l'avait été jusqu'alors. Il refusa positivement de reprendre la coupe d'argent. Il n'en avait aucun droit, lui dit-il: elle appartenait à maître Pierre, qui en avait fait présent à celui à qui il venait de donner à déjeuner. Il avait à la vérité quatre hanaps28 d'argent qui lui avaient été laissés par sa grand'mère, d'heureuse mémoire, mais qui ne ressemblaient pas plus à ce beau vase ciselé qu'un navet ressemble à une pêche. – C'était une de ces fameuses coupes de Tours, travaillées par Martin Dominique, artiste qui pouvait défier tout Paris.

– Et qui est ce maître Pierre qui fait de si beaux présens aux étrangers? lui demanda Quentin en l'interrompant.

– Qui est maître Pierre? répéta l'hôte en laissant échapper ces paroles de sa bouche aussi lentement que si elles eussent été distillées.

– Sans doute, dit Durward d'un ton vif et impérieux. Quel est ce maître Pierre qui se donne les airs d'être si libéral? et qui est cette espèce de boucher qu'il a envoyé en avant pour ordonner le déjeuner?

– Ma foi, monsieur, quant à ce qu'est maître Pierre, vous auriez dû lui faire cette question à lui-même; et pour celui qui est venu donner ordre de préparer le déjeuner, Dieu nous préserve de faire connaissance de plus près avec lui.

– Il y a quelque mystère dans tout cela! Ce maître Pierre m'a dit qu'il est marchand.

– S'il vous l'a dit, c'est que c'est la vérité.

– Et quel genre de commerce fait-il?

– Oh! un très-beau commerce. Entre autres choses, il a été établi ici des manufactures de soieries qui peuvent le disputer à ces riches étoffes que les Vénitiens apportent de l'Inde et du Cathay. Vous avez vu de grandes plantations de mûriers en venant ici: elles ont été faites par ordre de maître Pierre, pour nourrir les vers à soie.

– Et cette jeune personne qui a apporté ce plateau, qui est-elle, mon cher ami?

– Ma locataire, ainsi qu'une tutrice plus âgée, qui est quelque tante ou quelque cousine, à ce que je pense.

– Et êtes-vous dans l'usage d'employer vos locataires à servir vos hôtes? J'ai remarqué que maître Pierre ne voulait rien recevoir ni de votre main ni de celle de votre garçon.

– Les gens riches ont leurs fantaisies, parce qu'ils peuvent les payer. Ce n'est pas la première fois que maître Pierre a trouvé le moyen de se faire servir par des nobles.

Le jeune Écossais se trouva un peu offensé de cette observation; mais, déguisant son humeur, il demanda à son hôte s'il pouvait avoir un appartement chez lui pour la journée, et peut-être pour plus long-temps.

– Sans contredit, et pour tout le temps que vous le désirerez.

– Et comme je vais loger sous le même toit que ces deux dames, pourrait-il m'être permis de leur présenter mes respects?

28.Espèce de coupe. Ce vieux mot français est employé par l'auteur. – (Note de l'éditeur.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
720 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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