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Читать книгу: «La comédie de la mort», страница 4

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Rocaille

 
Connaissez-vous dans le parc de Versailles,
Une Naïade, oeil vert et sein gonflé;
La belle habite un château de rocaille
D’ordre toscan et tout vermiculé.
Sur les coraux et sur les madrépores,
Toute l’année elle dort dans les joncs;
Dans le bassin, les grenouilles sonores,
Chantent en choeur et font mille plongeons.
La fête vient; la coquette Naïade
S’éveille en hâte et rajuste ses noeuds,
Se peigne et met ses habits de parade
Et des roseaux plus frais dans ses cheveux.
Elle descend l’escalier, et sa queue
En flots d’argent sur les marches la suit,
La raide étoffe à trame blanche et bleue,
A chaque pas derrière elle bruit.
 

Pastel

 
J’aime à vous voir en vos cadres ovales,
Portraits jaunis des belles du vieux temps,
Tenant en main des roses un peu pâles,
Comme il convient à des fleurs de cent ans.
Le vent d’hiver en vous touchant la joue
A fait mourir vos oeillets et vos lis,
Vous n’avez plus que des mouches de boue
Et sur les quais vous gisez tout salis.
Il est passé le doux règne des belles;
La Parabère avec la Pompadour
Ne trouveraient que des sujets rebelles,
Et sous leur tombe est enterré l’amour.
Vous, cependant, vieux portraits qu’on oublie,
Vous respirez vos bouquets sans parfums,
Et souriez avec mélancolie
Au souvenir de vos galants défunts.
 

Vatteau

 
Devers Paris, un soir, dans la campagne,
J’allais suivant l’ornière d’un chemin,
Seul avec moi, n’ayant d’autre compagne
Que ma douleur qui me donnait la main.
L’aspect des champs était sévère et morne,
En harmonie avec l’aspect des cieux,
Rien n’était vert sur la plaine sans borne,
Hormis un parc planté d’arbres très-vieux.
Je regardai bien longtemps par la grille,
C’était un parc dans le goût de Vatteau;
Ormes fluets, ifs noirs, verte charmille,
Sentiers peignés et tirés au cordeau.
Je m’en allai, l’âme triste et ravie,
En regardant j’avais compris cela,
Que j’étais près du rêve de ma vie,
Que mon bonheur était enfermé là.
 

Le triomphe de Plutarque

 
A Louis Boulanger.
Il faisait nuit dans moi, nuit sans lune, nuit sombre;
Je marchais en aveugle et tâtant le chemin,
Les deux bras en avant, le long des murs, dans l’ombre.
Mon conducteur céleste avait quitté ma main,
J’avais beau me tourner vers l’étoile polaire,
Un nuage éteignait ses prunelles d’or fin.
La bella, la diva, celle qui m’a su plaire,
La noble dame à qui j’ai donné mon amour,
Hélas! m’avait ôté son appui tutélaire.
Béatrix, dans les cieux, avait fui sans retour,
Et moi, resté tout seul au seuil du purgatoire,
Je ne pouvais voler aux lieux d’où vient le jour.
A coup sûr tu n’auras aucune peine à croire
Quel deuil j’avais au coeur et quel chagrin amer
D’être ainsi confiné dans la demeure noire.
Sur ma tête pesait la coupole de fer,
Et je sentais partout, comme une mer glacée,
Autour de mon essor prendre et se durcir l’air.
Mes efforts étaient vains, et ma triste pensée,
Comme fait dans sa cage un captif impuissant,
Fouettait le mur d’airain de son aile brisée.
Je montai l’escalier d’un pas lourd et pesant,
Et quand s’ouvrit la porte, un torrent de lumière
M’inonda de splendeur, tel qu’un flot jaillissant.
Sur mon oeil ébloui palpitait ma paupière
Comme une aile d’oiseau quand il va pour voler;
On m’eût pris, à me voir, pour un homme de pierre.
Je demeurai longtemps sans pouvoir te parler,
Plongeant mes yeux ravis au fond de ta peinture
Qu’un rayon de soleil faisait étinceler.
Comme sur un balcon, une riche tenture
Pendait du haut du ciel, un beau ton d’outremer
Plus vif que nul saphir dans l’écrin de nature.
Quelques nuages chauds, sous les frissons de l’air,
Se crêpaient mollement et faisaient une frange,
Aussi blonde que l’or au manteau de l’éther.
Sur le sable éclatant, plus jaune que l’orange,
Les grands pins balançant leur large parasol
Avec l’ombre agitaient leur silhouette étrange.
Une grêle de fleurs jonchait partout le sol,
Et l’on eût dit, au bout de leurs tiges pliantes,
Des papillons peureux suspendus dans leur vol.
Sous leurs robes d’azur aux lignes ondoyantes,
Le ciel et l’horizon dans un baiser charmant,
Fondaient avec amour leurs lèvres souriantes.
Le printemps parfumé, beau comme un jeune amant,
Avec ses bras de lis environnant la terre,
Aux avances des fleurs répondait doucement.
Afin de célébrer le solennel mystère,
La nature avait mis son plus riche manteau.
Les éléments joyeux faisaient trève à leur guerre.
O miracle de l’art! ô puissance du beau!
Je sentais dans mon coeur se redresser mon âme
Comme au troisième jour le Christ dans son tombeau.
L’ombre se dissipait. La belle et noble dame,
Tendant ses blanches mains du fond des cieux ouverts,
M’engageait à monter par l’escalier de flamme.
Les bouvreuils réjouis sifflaient leurs plus beaux airs,
Tout riait, tout chantait, tout palpitait des ailes,
Et les échos charmés disaient des fins de vers.
Beau cygne italien, roi des amours fidèles,
Poëte aux rimes d’or, dont le chant triste et doux
Semble un roucoulement de blanches tourterelles.
Figure à l’air pensif, et toujours à genoux;
Les mains jointes devant ton idole muette,
Te voilà donc vivante et revenue à nous!
Je te reconnais bien; oui, c’est bien toi, poëte,
Le camail écarlate encadre ton front pur
Et marque austèrement l’ovale de ta tête.
Tes yeux semblent chercher dans le fluide azur,
Les yeux clairs et luisants de ta maîtresse blonde,
Pour en faire un soleil qui rende l’autre obscur.
Car tu n’as qu’une idée et qu’un amour au monde;
Tout l’univers pour toi pivote sur un nom
Et le reste n’est rien que boue et fange immonde.
Sous le laurier mystique et le divin rayon,
Tu t’avances traîné par l’éclatant quadrige,
Entre la rêverie et l’inspiration.
Un choeur harmonieux autour de toi voltige,
C’est la chaste Uranie avec son globe bleu,
Penchant son front rêveur comme un lis sur sa tige,
Euterpe, Polymnie, un sein nu, l’oeil en feu,
C’est Clio belle et simple en son manteau sévère;
Tout le sacré troupeau qui te suit comme un dieu.
Les Grâces, dénouant leur ceinture légère,
Dansent derrière toi, sur le char triomphal;
A l’égal d’un César le monde te révère.
A ta suite l’on voit l’orgueilleux cardinal,
Comme un pavot qui brille à travers l’or des gerbes,
D’écarlate et d’hermine inonder son cheval.
Rien n’y manque… Seigneurs blasonnés et superbes,
Prêtres, marchands, soldats, professeurs, écoliers,
Les vieillards tout chenus, et les pages imberbes;
De beaux jeunes garçons et de blonds écuyers,
Soufflent allègrement aux bouches des trompettes
Et suspendent leurs bras aux crins blancs des coursiers.
Sur le devant du char les filles les mieux faites,
Les plus charmantes fleurs du jardin de beauté,
Font de leurs doigts de lis pleuvoir les violettes.
Tu viens du Capitole où César est monté;
Cependant tu n’as pas, ô bon François Pétrarque,
Mis pour ceinture au monde un fleuve ensanglanté.
Tu n’as pas, de tes dents, pour y laisser ta marque,
Comme un enfant mauvais, mordu ta ville au sein.
Tu n’as jamais flatté, ni peuple ni monarque.
Jamais on ne te vit, en guise de tocsin,
Sur l’Italie en feu faire hurler tes rimes,
Ton rôle fut toujours pacifique et serein.
Loin des cités, l’auberge et l’atelier des crimes,
Tu regardes, couché sous les grands lauriers verts,
Des Alpes tout là bas bleuir les hautes cimes.
Et penchant tes doux yeux sur la source aux flots clairs
Où flotte un blanc reflet de la robe de Laure;
Avec les rossignols tu gazouilles des vers.
Car toujours, dans ton coeur, vibre un écho sonore,
Et toujours sur ta bouche on entend palpiter
Quelque nid de sonnets éclos ou près d’éclore.
Rêveur harmonieux, tu fais bien de chanter,
C’est là le seul devoir que Dieu donne aux poëtes,
Et le monde à genoux les devrait écouter.
Lorsqu’Amphion chantait, du creux de leurs retraites,
Les tigres tachetés et les grands lions roux
Sortaient en balançant leurs monstrueuses têtes.
Les dragons s’en venaient d’un air timide et doux,
De leur langue d’azur lécher ses pieds d’ivoire,
Et les vents suspendaient leur vol et leur courroux.
Faire sortir les ours de leur caverne noire;
En agneaux caressants transformer les lions,
O poëtes! voilà la véritable gloire;
Et non pas de pousser à des rébellions
Tous ces mauvais instincts, bêtes fauves de l’âme,
Que l’on déchaîne au jour des révolutions.
Sur l’autel idéal, entretenez la flamme,
Guidez le peuple au bien par le chemin du beau,
Par l’admiration et l’amour de la femme;
Comme un vase d’albâtre où l’on cache un flambeau,
Mettez l’idée au fond de la forme sculptée
Et d’une lampe ardente éclairez le tombeau;
Que votre douce voix, de Dieu même écoutée,
Au milieu du combat jetant des mots de paix,
Fasse tomber les flots de la foule irritée.
Que votre poésie, aux vers calmes et frais,
Soit pour les coeurs souffrants, comme ces cours d’eau vive
Où vont boire les cerfs, dans l’ombre des forêts.
Faites de la musique avec la voix plaintive
De la création et de l’humanité,
De l’homme dans la ville et du flot sur la rive.
Puis, comme un beau symbole, un grand peintre vanté
Vous représentera dans une immense toile,
Sur un char triomphal par un peuple escorté.
Et vous aurez au front la couronne et l’étoile!
 

Melancholia

 
J’aime les vieux tableaux de l’école allemande;
Les vierges sur fond d’or aux doux yeux en amande,
Pâles comme le lis, blondes comme le miel,
Les genoux sur la terre, et le regard au ciel,
Sainte Agnès, sainte Ursule et sainte Catherine,
Croisant leurs blanches mains sur leur blanche poitrine,
Les chérubins joufflus au plumage d’azur,
Nageant dans l’outremer sur un filet d’eau pur;
Les grands anges tenant la couronne et la palme;
Tout ce peuple mystique au front grave, à l’oeil calme,
Qui prie incessamment dans les Missels ouverts,
Et rayonne au milieu des lointains bleus et verts.
Oui, le dessin est sec et la couleur mauvaise,
Et ce n’est pas ainsi que peint Paul Véronèse:
Oui, le Sanzio pourrait plus gracieusement
Arrondir cette forme et ce linéament;
Mais il ne mettrait pas dans un si chaste ovale
Tant de simplicité pieuse et virginale;
Mais il ne prendrait pas, pour peindre ces beaux yeux,
Plus d’amour dans son coeur et plus d’azur aux cieux;
Mais il ne ferait pas sur ces tempes en ondes
Couler plus doucement l’or de ses tresses blondes.
Ses madones n’ont pas, empreint sur leur beauté,
Ce cachet de candeur et de sérénité.
Leur bouche rit souvent d’un sourire profane,
Et parfois sous la vierge on sent la courtisane,
On sent que Raphaël, lorsqu’il les dessina,
Avait, passé la nuit, chez la Fornarina.
Ces Allemands ont seuls fait de l’art catholique,
Ils ont parfaitement compris la Basilique;
Rien de grossier en eux, rien de matériel;
Leurs tableaux sont vraiment les purs miroirs du ciel.
Seuls ils ont le secret de ces divins sourires
Si frais, épanouis aux lèvres des martyres;
Seuls ils ont su trouver pour peupler les arceaux,
Pour les faire reluire aux mailles des vitraux,
Les vrais types chrétiens. Dépouillant le vieil homme,
Seuls ils ont abjuré les idoles de Rome.
Auprès d’Albert Durer Raphaël est païen:
C’est la beauté du corps, c’est l’art italien,
Cet enfant de l’art grec, sensuel et plastique,
Qui met entre les bras de la Vénus antique,
Au lieu de Cupidon, le divin Bambino;
Aucun d’eux n’est chrétien, ni Domenichino,
Ni le Caro Dolci, ni Corrége, ni Guide,
L’antiquité profane est le fil qui les guide;
Apollon sert de type à l’ange saint Michel;
Le Jupiter tonnant devient Père Éternel;
La tunique latine est taillée en étole,
Et l’on fait une église avec le Capitole.
J’en excepte pourtant Cimabué, Giotto,
Et les maîtres Pisans du vieux Campo Santo.
Ceux-là ne peignaient pas en beaux pourpoints de soie,
Entre des cardinaux et des filles de joie;
Dans des villa de marbre, aux chansons des castrats,
Ceux-là n’épousaient point des nièces de prélats.
C’étaient des ouvriers qui faisaient leur ouvrage,
Du matin jusqu’au soir, avec force et courage;
C’étaient des gens pieux et pleins d’austérité,
Sachant bien qu’ici-bas tout n’est que vanité;
Leur atelier à tous était le cimetière,
Ils peignaient, près des morts passant leur vie entière.
Puis, quand leurs doigts raidis laissaient choir les pinceaux,
On leur dressait un lit sous les sombres arceaux.
Ils dormaient là, couchés auprès de leur peinture,
Les mains jointes, tout droits, dans la même posture
De contemplation extatique où sont peints,
Sur les fresques du mur, leurs anges et leurs saints.
Ceux-là ne faisaient pas de l’art une débauche,
Et leur oeuvre toujours, quoique barbare et gauche,
Même à nos yeux savants reluit d’une beauté
Toute jeune de charme et de naïveté.
Sur tous ces fronts pâlis, sous cet air de souffrance
Brille ineffablement quelque haute espérance;
L’on voit que tout ce peuple agenouillé n’attend
Pour revoler aux cieux que le suprême instant.
Dans ces tableaux, partout l’âme glorifiée
Foule d’un pied vainqueur la chair mortifiée;
L’ombre remplit le bas, le haut rayonne seul,
Et chaque draperie a l’aspect d’un linceul.
C’est que la vie alors de croyance était pleine,
C’est qu’on sentait passer dans l’air du soir l’haleine
De quelque ange attardé s’en retournant au ciel;
C’est que le sang du Christ teignait vraiment l’autel;
C’est qu’on était au temps de saint François d’Assise,
Et que sur chaque roche une cellule assise
Cachait un fou sublime, insensé de la Croix;
Le désert se peuplait de lueurs et de voix;
Dans toute obscurité rayonnait un mystère,
On aimait, et le ciel descendait sur la terre.
Gothique Albert Durer, oh! que profondément
Tu comprenais cela dans ton coeur d’Allemand!
Que de virginité, que d’onction divine
Dans ces pâles yeux bleus, où le ciel se devine!
Comme on sent que la chair n’est qu’un voile à l’esprit!
Comme sur tous ces fronts quelque chose est écrit,
Que nos peintres sans foi ne sauraient pas y mettre,
Et qui se lit partout dans ton oeuvre, ô grand maître!
C’est que tu n’avais pas, lui faisant double part,
D’autre amour dans le coeur que celui de ton art;
C’est que l’on ne dit pas, voyant aux galeries
L’ovale gracieux de tes belles Maries,
O mon chaste poëte! ô mon peintre chrétien!
Comme de Raphaël et comme de Titien,
Voici la Fornarine, ou bien la Muranèse.
Tout terrestre désir devant elle s’apaise,
Car tu ne t’en vas point, tout rempli de ton Dieu,
Emprunter ta madone à quelque mauvais lieu.
Tu ne t’accoudes pas sur les nappes rougies,
Tu ne fais pas soûler dans de sales orgies,
L’art, cet enfant du ciel sur le monde jeté
Pour que l’on crût encore à la sainte beauté.
Tu n’avais ni chevaux, ni meute, ni maîtresse;
Mais, le coeur inondé d’une austère tristesse,
Tu vivais pauvrement à l’ombre de la Croix,
En Allemand naïf, en honnête bourgeois,
Tapi comme un grillon dans l’âtre domestique;
Et ton talent caché, comme une fleur mystique,
Sous les regards de Dieu, qui seul le connaissait,
Répandait ses parfums et s’épanouissait.
Il me semble te voir au coin de ta fenêtre
Étroite, à vitraux peints, dans ton fauteuil d’ancêtre.
L’ogive encadre un fond bleuissant d’outremer,
Comme dans tes tableaux; ô vieil Albert Durer!
Nuremberg sur le ciel dresse ses mille flèches,
Et découpe ses toits aux silhouettes sèches,
Toi, le coude au genou, le menton dans la main,
Tu rêves tristement au pauvre sort humain:
Que pour durer si peu la vie est bien amère,
Que la science est vaine et que l’art est chimère,
Que le Christ, à l’éponge, a laissé bien du fiel,
Et que tout n’est pas fleurs dans le chemin du ciel;
Et l’âme d’amertume et de dégoût remplie,
Tu t’es peint, ô Durer! dans ta mélancolie,
Et ton génie en pleurs te prenant en pitié,
Dans sa création t’a personnifié.
Je ne sais rien qui soit plus admirable au monde,
Plus plein de rêverie et de douleur profonde
Que ce grand ange assis, l’aile ployée au dos,
Dans l’immobilité du plus complet repos.
Son vêtement drapé d’une façon austère,
Jusqu’au bout de son pied s’allonge avec mystère;
Son front est couronné d’ache et de nénuphar;
Le sang n’anime pas son visage blafard;
Pas un muscle ne bouge: on dirait que la vie
Dont on vit en ce monde à ce corps est ravie,
Et pourtant l’on voit bien que ce n’est pas un mort.
Comme un serpent blessé son noir sourcil se tord,
Son regard dans son oeil brille comme une lampe,
Et convulsivement sa main presse sa tempe.
Sans ordre autour de lui mille objets sont épars,
Ce sont des attributs de sciences et d’arts;
La règle et le marteau, le cercle emblématique,
Le sablier, la cloche et la table mystique,
Un mobilier de Faust, plein de choses sans nom;
Cependant c’est un ange et non pas un démon.
Ce gros trousseau de clefs qui pend à sa ceinture,
Lui sert à crocheter les secrets de nature.
Il a touché le fond de tout savoir humain;
Mais comme il a toujours, au bout de tout chemin,
Trouvé les mêmes yeux qui flamboyaient dans l’ombre,
Qu’il a monté l’échelle aux échelons sans nombre,
Il est triste; et son chien, de le suivre lassé,
Dort à côté de lui, tout vieux et tout cassé.
Dans le fond du tableau, sur l’horizon sans borne,
Le vieux père Océan lève sa face morne,
Et dans le bleu cristal de son profond miroir,
Réfléchit les rayons d’un grand soleil tout noir.
Une chauve-souris, qui d’un donjon s’envole,
Porte écrit dans son aile ouverte en banderolle:
MÉLANCOLIE. Au bas, sur une meule assis,
Est un enfant dont l’oeil, voilé sous de longs cils,
Laisse le spectateur dans le doute s’il veille,
Ou si, bercé d’un rêve, en lui-même il sommeille.
Voilà comme Durer, le grand maître allemand,
Philosophiquement et symboliquement,
Nous a représenté, dans ce dessin étrange,
Le rêve de son coeur sous une forme d’ange.
Notre mélancolie, à nous, n’est pas ainsi;
Et nos peintres la font autrement. La voici:
—C’est une jeune fille et frêle et maladive,
Penchant ses beaux yeux bleus au bord de quelque rive,
Comme un wergeis-mein-nicht que le vent a courbé;
Sa coiffure est défaite, et son peigne est tombé,
Ses blonds cheveux épars coulent sur son épaule,
Et se mêlent dans l’onde aux verts cheveux du saule;
Les larmes de ses yeux vont grossir le ruisseau,
Et troublent, en tombant, sa figure dans l’eau.
La brise à plis légers fait voler son écharpe,
Et vibrer en passant les cordes de sa harpe;
Un album, un roman près d’elle sont ouverts:
Car la mode la suit jusque dans ses déserts.
Notre Mélancolie est petite-maîtresse,
Elle prend des grands airs, elle fait la princesse;
Elle met des gants blancs et des chapeaux d’Herbault;
Elle est née, et ne voit que des gens comme il faut;
Son groom ne pèse pas plus de soixante livres;
C’est une Philaminte, elle lit tous les livres,
Cause fort bien musique, et peinture pas mal;
Elle suit l’Opéra, ne manque pas un bal;
Poitrinaire tout juste assez pour être artiste,
Elle a toujours en main un mouchoir de batiste.
On ne la verra pas enterrer tristement
Dans quelque Sierra son teint pâle et charmant,
Ses grâces de malade et ses petites mines;
Ni sous les noirs arceaux d’un couvent en ruines,
Promener loin du bruit ses méditations:
Il faut à ses douleurs la rampe et les lampions,
Il faut que les journaux en puissent rendre compte;
Chaque pleur de ses yeux se cristallise en conte;
Avec chaque soupir elle souffle un roman;
Elle meurt; mais ce n’est que littérairement.
Un frais cottage anglais, voilà sa Thébaïde;
Et si son front de nacre est coupé d’une ride,
Ce n’est pas, croyez-moi, qu’elle songe à la mort:
Pour craindre quelque chose elle est trop esprit fort.
Mais c’est que de Paris une robe attendue
Arrive chiffonnée et de taches perdue.
Ah! quelle différence, et que près de ces vieux
Nous paraissons mesquins! Le sang de nos aïeux,
Comme un vin qui s’aigrit s’est tourné dans nos veines;
Rien ne vit plus en nous, nos amours et nos haines
Sont de pâles vieillards sans force et sans vigueur,
Chez qui la tête semble avoir pompé le coeur.
La passion est morte avec la foi; la terre
Accomplit dans le ciel sa ronde solitaire,
Et se suspend encore aux lèvres du soleil;
Mais le soleil vieillit, son baiser moins vermeil
Glisse sans les chauffer sur nos fronts, et ses flammes,
Comme sur les glaciers, s’éteignent sur nos âmes.
D’en-bas, le mont Gemmi vous paraît tout en feu,
Il fume, il étincelle, il est rouge, il est bleu.
Montez, vous trouverez la neige froide et blanche,
Et l’hiver grelottant qui pousse l’avalanche.
Nous sommes le Gemmi, le reflet du passé
Brille encor sur nos fronts. Ce reflet effacé,
Il ne restera plus qu’une neige incolore;
Demain, sur le Gemmi, se lèvera l’aurore,
Les glaciers de nouveau se mettront à fumer,
Et l’incendie éteint pourra se rallumer;
Mais, hélas! il n’est pas pour nous d’aube nouvelle,
Et la nuit qui nous vient est la nuit éternelle.
De nos cieux dépeuplés il ne descendra pas
Un ange aux ailes d’or pour nous prendre en ses bras,
Et le siècle futur s’asseyant sur la pierre
De notre siècle, à nous, et la voyant entière,
Joyeux, ne dira pas: il est ressuscité;
Et dans sa gloire au ciel, comme Christ remonté.
 
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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