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Читать книгу: «Historical Characters», страница 39

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Qu’on ne s’étonne pas, au reste, de trouver ce rapprochement vers l’Angleterre dans un pays où les traits distinctifs de la constitution, soit dans l’union fédérale, soit dans les Etats séparés, sont empreints d’une si forte ressemblance avec les grands linéaments de la constitution anglaise. Sur quoi repose aujourd’hui la liberté individuelle en Amérique? Sur les mêmes fondements que la liberté anglaise. Sur l’habeas corpus et sur le jugement par jurés. Assistez aux séances du Congrès, à celle des législatures particulières; suivez les discussions qui préparent les lois nationales: où prend-on ses citations, ses analogies, ses exemples? Dans les lois anglaises, dans les coutumes de la Grande-Bretagne, dans les règlements du Parlement. Entrez dans les cours de justice: quelles autorités invoque-t-on? Les statuts, les jugements, les décisions des cours anglaises. Certes, si de tels hommes n’ont pas une tendance vers la Grande-Bretagne, il faut renoncer à connaître l’influence des lois sur les hommes et nier les modifications qu’ils reçoivent de tout ce qui les entoure. Inutilement, les noms de république et de monarchie semblent placer entre les deux gouvernements des distinctions qu’il n’est pas permis de confondre: il est clair pour tout homme qui va au fond des idées, que dans la constitution représentative de l’Angleterre il y a de la république, comme il y a de la monarchie dans le pouvoir exécutif des Américains. Cela a été vrai surtout aussi longtemps qu’a duré la présidence du général Washington; car la force d’opinion attachée à sa personne dans toute l’Amérique représente facilement l’espèce de pouvoir magique que les publicistes attribuent aux monarchies.

La partie de la nation américaine chez qui l’on devrait rencontrer le moins de préjugés, les hommes qui réunissent l’aisance et l’instruction, ceux qui ont été les moteurs de la révolution, et qui, en soufflant dans l’âme du peuple la haine contre les Anglais, auraient dû, il semble, s’en pénétrer pour toujours; ceux-là mêmes sont insensiblement ramenés vers l’Angleterre par différents motifs. Plusieurs ont étés élevés en Europe; et, à cette époque, l’Europe des Américains n’était que l’Angleterre. Ils n’ont guère d’idées comparatives de grandeur, de puissance, d’élévation, que celles qui leur sont fournies par les objets tirés de l’Angleterre; et, surpris eux-mêmes de la hardiesse du pas qu’ils ont fait en se séparant, ils sont ramenés à une sorte de respect pour elle par tous leurs mouvements involontaires. Ils ne peuvent pas se dissimuler que, sans la France, ils n’auraient pas réussi à secouer le joug de l’Angleterre; mais, malheureusement, ils pensent que les services des nations ne sont que des calculs, et non de l’attachement; ils disent même que l’ancien gouvernement de France, alors qu’il fit des sacrifices en leur faveur, agit bien plus pour leur indépendance que pour leur liberté; qu’après les avoir aidés à se séparer de l’Angleterre, il travailla sourdement à les tenir désunis entre eux, pour qu’ils se trouvassent émancipés sans avoir ni sagesse pour se conduire, ni force pour se protéger.

Ainsi les inclinations, ou, si l’on veut, les habitudes, ramènent sans cesse les Américains vers l’Angleterre; l’intérêt, bien plus encore; car la grande affaire, dans un pays nouveau, est incontestablement d’accroître sa fortune. La preuve d’une telle disposition générale s’y manifeste de toutes parts: on la trouve avec évidence dans la manière dont on y traite tout le reste. Les pratiques religieuses elles-mêmes s’en ressentent extrêmement. A cet égard, voici ce que j’ai vu; la liaison avec mon sujet ne tardera pas à se faire sentir.

On sait que la religion a conservé en Angleterre un puissant empire sur les esprits; que la philosophie même la plus indépendante n’a osé s’y déprendre entièrement des idées religieuses; que depuis Luther toutes les sectes y ont pénétré, que toutes s’y sont maintenues, que plusieurs y ont pris naissance. On sait la part qu’elles ont eue dans les grandes mutations politiques; enfin, que toutes se sont transplantées en Amérique, et que quelques-uns des Etats leur doivent leur origine.

On pourrait croire d’abord, qu’après leur transmigration ces sectes sont ce qu’elles étaient auparavant, et en conclure qu’elles pourraient aussi agiter l’Amérique. Quelle n’est pas la surprise du voyageur lorsqu’il les voit co-exister toutes dans ce calme parfait qui semble à jamais inaltérable; lorsqu’en une même maison le père, la mère, les enfants, suivent chacun paisiblement et sans opposition celui des cultes que chacun préfère. J’ai été plus d’une fois témoin de ce spectacle, auquel rien de ce que j’avais vu en Europe n’avait pu me préparer. Dans les jours consacrés à la religion, tous les individus d’une même famille sortaient ensemble, allaient chacun auprès du ministre de son culte, et rentraient ensuite pour s’occuper des mêmes intérêts domestiques. Cette diversité d’opinions n’en apportait aucune dans leurs sentiments et dans leurs autres habitudes: point de disputes, pas même de questions, à cet égard. La religion y semblait être un secret individuel que personne ne se croyait le droit d’interroger ni de pénétrer. Aussi, lorsque de quelque contrée de l’Europe il arrive en Amérique un sectaire ambitieux, jaloux de faire triompher sa doctrine en échauffant les esprits, loin de trouver, comme, partout ailleurs, des hommes disposés à s’engager sous sa bannière, à peine même est-il aperçu de ses voisins, son enthousiasme n’attire ni n’émeut, il n’inspire ni haine ni curiosité; chacun enfin reste avec sa religion et continue ses affaires.140

Un telle impassibilité, que ne peut ébranler le fougueux prosélytisme, et qu’il ne s’agit point ici de juger, mais d’expliquer, a indubitablement pour cause immédiate la liberté et surtout l’égalité des cultes. En Amérique, aucun n’est proscrit, aucun n’est ordonné, dès lors point d’agitations religieuses. Mais cette égalité parfaite a elle-même un principe: c’est que la religion, quoiqu’elle y soit partout un sentiment vrai, y est surtout un sentiment d’habitude: toutes les ardeurs du moment s’y portent vers les moyens d’accroître promptement son bien-être; et voilà en résultat la grande cause du calme parfait des Américains pour tout ce qui n’est pas, dans cet ordre d’idées, ou moyen ou obstacle.

Remarquons, de plus, que les Américains des villes, naguère colons et dès lors accoutumés à se regarder là comme étrangers, ont dû naturellement tourner leur activité vers les spéculations commerciales, et subordonner à ces spéculations les travaux mêmes de l’agriculture, par laquelle cependant elles doivent s’alimenter. Or, une telle préférence, qui suppose d’abord un désir impatient de faire fortune, ne tarde pas à accroître ce désir: car le commerce, qui étend les rapports de l’homme à l’homme, multiplie nécessairement ses besoins; et l’agriculture, qui le circonscrit dans la famille, nécessairement aussi les réduit.

L’Amérique, dont la population est actuellement de plus de quatre millions d’habitants et augmente très-rapidement, est dans l’enfance des manufactures; quelques forges, quelques verreries, des tanneries, et un assez grand nombre de petites et imparfaites fabriques de casimir, de tricot grossier et de coton dans quelques endroits, servent mieux à attester l’impuissance des efforts faits jusqu’à ce jour, qu’a fournir au pays les articles manufacturés de sa consommation journalière. Il en résulte qu’elle a besoin de recevoir de l’Europe, non-seulement une grande partie de ce qu’elle consomme intérieurement, mais aussi une grande partie de ce qu’elle emploie pour son commerce extérieur. Or, tous ces objets sont fournis à l’Amérique si complètement par l’Angleterre, qu’on a lieu de douter si, dans les temps de la plus sévère prohibition, l’Angleterre jouissait plus exclusivement de ce privilège avec ce qui était alors ses colonies, qu’elle n’en jouit actuellement avec les Etats-Unis indépendants.

Les causes de ce monopole volontaire sont, au reste, faciles à assigner: l’immensité de fabrication qui sort des manufactures anglaises, la division du travail, à la fois principe et conséquence de cette grande fabrication, et particulièrement l’ingénieux emploi des forces mécaniques adaptées aux différents procédés des manufactures, ont donné moyen aux manufacturiers anglais de baisser le prix de tous les articles d’un usage journalier au-dessous de celui auquel les autres nations ont pu le livrer jusqu’à ce jour. De plus, les grands capitaux des négociants anglais leur permettent d’accorder des crédits plus longs qu’aucun négociant d’aucune autre nation ne le pourrait faire: ces crédits sont au moins d’un an, et souvent de plus. Il en résulte que le négociant américain qui tire ses marchandises d’Angleterre, n’emploie presque aucun capital à lui dans le commerce, et le fait presque tout entier sur les capitaux anglais. C’est donc réellement l’Angleterre qui fait le commerce de consommation de l’Amérique.

Sans doute que le négociant Anglais doit, de manière ou d’autre, charger ses comptes de vente de l’intérêt de ses fonds dont il accorde un si long usage; mais, comme les demandes se succèdent et s’augmentent, chaque année, il s’établit une balance de paiements réguliers et de crédits nouveaux qui ne laissent en souffrance qu’un premier déboursé, dont l’intérêt est à répartir sur les factures suivantes en même temps que sur les premières. Cette première dette établit, comme on voit, un lien difficile à rompre des deux côtés entre le correspondant anglais et l’Américain. Le premier craint, s’il arrêtait ses envois, de renverser un débiteur dont la prospérité est la seule garantie de ses avances: l’Américain craint de son côté de quitter un fournisseur avec lequel il y a trop d’anciens comptes à régler. Entre ces intérêts réciproques et cimentés par de longues habitudes, il est à peu près impossible à une nation tierce d’intervenir. Aussi la France est-elle réduite avec l’Amérique a quelques fournitures de denrées particulières à son sol; mais elle n’entre point en concurrence avec l’Angleterre sur la vente des objets manufacturés, qu’elle ne pourrait établir en Amérique ni à si bon compte, ni à si long terme de crédit.

Si l’on voulait objecter qu’il s’est fait pendant notre révolution de nombreuses exportations de marchandises françaises en Amérique, la réponse serait bien facile. De telles exportations n’ont rien de commun avec un commerce régulier; c’est la spéculation précipitée de ceux qui, épouvantés des réquisitions, du maximum et de tous les désastres révolutionnaires, ont préféré une perte quelconque sur leurs marchandises vendues en Amérique, au risque ou plutôt à la certitude d’une perte plus grande s’ils les laissaient en France; c’est l’empressement tumultueux de gens qui déménagent dans un incendie et pour qui tout abri est bon, et non l’importation judicieuse de négociants qui ont fait un calcul et qui le réalisent. Du reste, ses objets se sont mal vendus, et les Américains ont préféré de beaucoup les marchandises anglaises: ce qui fournit un argument de plus pour l’Angleterre dans la balance des intérêts américains.

Ainsi le marchand américain est lié à l’Angleterre, non seulement par la nature de ses transactions, par le besoin du crédit qu’il y obtient, par le poids du crédit qu’il y a obtenu, mais encore par la loi qui lui impose irrésistiblement le goût du consommateur; ces liens sont si réels, et il en résulte des rapports commerciaux si constants entre les deux pays, que l’Amérique n’a d’échange véritable qu’avec l’Angleterre; en sorte que presque toutes les lettres de change que les Américains tirent sur ce continent sont payables à Londres.

Gardons-nous cependant, en considérant ainsi les Américains sous un seul point de vue, de les juger individuellement avec trop de sévérité; comme particuliers, on peut trouver en eux le germe de toutes les qualités sociales; mais comme peuple nouvellement constitué et formé d’éléments divers, leur caractère national n’est pas encore décidé. Ils restent Anglais, sans doute par d’anciennes habitudes, mais peut-être aussi parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’être entièrement Américains. On a observé que leur climat n’était pas fait; leur caractère ne l’est pas davantage.

Que l’on considère ces cités populeuses d’Anglais, d’Allemands, de Hollandais, d’Irlandais, et aussi d’habitants indigènes; ces bourgades lointaines, si distantes les unes des autres; ces vastes contrées incultes, traversées plutôt qu’habitées par des hommes qui ne sont d’aucun pays; quel lien commun concevoir au milieu de toutes ces disparités. C’est un spectacle neuf pour le voyageur qui, partant d’une ville principale où l’état social est perfectionné, traverse successivement tous les degrés de civilisation et d’industrie qui vont toujours en s’affaiblissant, jusqu’à ce qu’il arrive en très-peu de jours à la cabane informe et grossière construite de troncs d’arbres nouvellement abattus. Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique et vivante de l’origine des peuples et des Etats: on part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux éléments les plus simples; à chaque journée on perd de vue quelques-unes de ces inventions que nos besoins, en se multipliant, ont rendues nécessaires; et il semble que l’on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain. Si un tel spectacle attache fortement l’imagination, si l’on se plaît à retrouver dans la succession de l’espace ce qui semble n’appartenir qu’à la succession des temps, il faut se résoudre à ne voir que très-peu de liens sociaux, nul caractère commun, parmi des hommes qui semblent si peu appartenir à la même association.

Dans plusieurs cantons, la mer et les bois en ont fait des pêcheurs ou des bûcherons; or, de tels hommes n’ont point, à proprement parler, de patrie, et leur morale sociale se réduit à bien peu de chose. On a dit depuis longtemps que l’homme est disciple de ce qui l’entoure, et cela est vrai: celui qui n’a autour de lui que des déserts, ne peut donc recevoir des leçons que de ce qu’il fait pour vivre. L’idée du besoin que les hommes ont les uns des autres n’existe pas en lui; et c’est uniquement en décomposant le métier qu’il exerce, qu’on trouve le principe de ses affections et de toute sa moralité.

Le bûcheron américain ne s’intéresse à rien; toute idée sensible est loin de lui: ces branches si élégamment jetées par la nature, un beau feuillage, une couleur vive qui anime une partie de bois, un vert plus fort qui en assombrit un autre, tout cela n’est rien; il n’a de souvenir à placer nulle part: c’est la quantité de coups de hache qu’il faut qu’il donne pour abattre un arbre, qui est son unique idée. Il n’a point planté; il n’en sait point les plaisirs. L’arbre qu’il planterait n’est bon à rien pour lui, car jamais il ne le verra assez fort pour qu’il puisse l’abattre: c’est détruire qui le fait vivre; on détruit partout: aussi tout lieu lui est bon; il ne tient pas au champ où il a placé son travail, parce que son travail n’est que de la fatigue, et qu’aucune idée douce n’y est jointe. Ce qui sort de ses mains ne passe point par toutes les croissances si attachantes pour le cultivateur; il ne suit pas la destinée de ses productions; il ne connaît pas le plaisir des nouveaux essais; et si en s’en allant il n’oublie pas sa hache, il ne laisse pas de regrets là ou il a vécu des années.

Le pêcheur américain reçoit de sa profession une âme à peu près aussi insouciante. Ses affections, son intérêt, sa vie, sont à côté de la société à laquelle on croit qu’il appartient. Ce serait un préjugé de penser qu’il est un membre fort utile; car il ne faut pas comparer ces pêcheurs-là à ceux d’Europe, et croire que c’est comme en Europe le moyen de former des matelots, de faire des hommes de mer adroits et robustes: en Amérique, j’en excepte les habitants de Nantuket qui pêchent la baleine, la pêche est un métier de paresseux. Deux lieues de la côte, quand ils n’ont pas de mauvais temps à craindre, un mille quand le temps est incertain, voilà le courage qu’ils montrent; et la ligne est le seul harpon qu’ils sachent manier: ainsi leur science n’est qu’une bien petite ruse; et leur action, qui consiste à avoir un bras pendant au bord d’un bateau, ressemble bien à de la fainéantise. Ils n’aiment aucun lieu; ils ne connaissent la terre que par une mauvaise maison qu’ils habitent; c’est la mer qui leur donne leur nourriture; aussi quelques morues de plus ou de moins déterminent leur patrie. Si le nombre leur paraît diminuer à tel endroit, ils s’en vont, et cherchent une autre patrie où il y ait quelques morues de plus. Lorsque quelques écrivains politiques ont dit que la pêche était une sorte d’agriculture, ils ont dit une chose qui a l’air brillant, mais qui n’a pas de vérité. Toutes les qualités, toutes les vertus qui sont attachées à l’agriculture, manquent à l’homme qui se livre à la pêche. L’agriculture produit un patriote dans la bonne acception de ce mot; la pêche ne sait faire que des cosmopolites.

Je viens de m’arrêter trop longtemps peut-être à tracer la peinture de ces mœurs; elle peut sembler étrangère à ce mémoire, et pourtant elle en complète l’objet, car j’avais à prouver que ce n’est pas seulement par les raisons d’origine, de langage et d’intérêt que les Américains se retrouvent si souvent Anglais. (Observation qui s’applique plus particulièrement aux habitants des villes.) En portant mes regards sur ces peuplades errantes dans les bois, sur le bord des mers et le long des rivières, mon observation générale se fortifiait à leur égard de cette indolence, de ce défaut de caractère à soi, qui rend cette classe d’Américains plus facile à recevoir et à conserver l’impression d’un caractère étranger. La dernière de ces causes doit sans doute s’affaiblir et même disparaître, lorsque la population toujours croissante aura pu, en fécondant tant de terres désertes, en rapprocher les habitants; quant aux autres causes, elles ont des racines si profondes, qu’il faudrait peut-être un établissement français en Amérique pour lutter contre leur ascendant avec quelque espoir de succès. Une telle vue politique n’est pas sans doute à négliger, mais elle n’appartient pas à l’objet de ce mémoire.

J’ai établi que les Américains sont Anglais et par leurs habitudes et par leurs besoins; je suis loin de vouloir en conclure que par leurs inclinations ils soient restés sujets de la Grande-Bretagne. Tout, il est vrai, les ramène vers l’Angleterre industrieuse, mais tout doit les éloigner de l’Angleterre mère-patrie. Ils peuvent vouloir dépendre de son commerce, dont ils se trouvent bien, sans consentir à dépendre de son autorité, dont ils se sont très-mal trouvés. Ils n’ont pas oublié ce que leur a coûté leur liberté, et ne seront pas assez irréfléchis pour consentir à la perdre et à se laisser entraîner par des ambitions individuelles. Ils n’ont plus, il est vrai, l’enthousiasme qui détruit; mais ils ont le bon sens qui conserve. Ils ne haïssent pas le gouvernement anglais; mais ce sera sans doute à condition qu’il ne voudra pas être le leur. Surtout ils n’ont garde de se haïr entre eux; ensemble ils ont combattu, ensemble ils profitent de la victoire. Partis, factions, haines, tout a disparu:141 en bons calculateurs ils ont trouvé que cela ne produisait rien de bon. Aussi personne ne reproche à son voisin ce qu’il est; chacun cherche à le tourner à son avantage: se sont des voyageurs arrivés à bon port, et qui croient au moins inutile de se demander sans cesse pourquoi l’on s’est embarqué et pourquoi l’on a suivi telle route.

Concluons. Pour parvenir à la preuve complète du fait que j’avais avancé sur les relations des Américains avec la Grande-Bretagne, il a fallu repousser les vraisemblances, écarter les analogies; donc, dans les sciences positives surtout, il importe, sous peine de graves erreurs, de se défendre de ce qui n’est que probable.

Ce fait lui-même bien connu pouvait conduire à de faux résultats; il portait à croire que l’indépendance des colonies était un bien pour les métropoles: mais en remontant à ses véritables causes, la conséquence s’est resserrée. Maintenant on n’est plus en droit d’y voir autre chose, si ce n’est que l’indépendance des Etats-Unis a été utile à l’Angleterre, et qu’elle le serait à tous les Etats du Continent qui, d’une part, offriraient les mêmes avantages à des colonies du même genre, et, de l’autre, seraient secondés par les mêmes fautes de leurs voisins.

Le développement des causes de ce fait a amené beaucoup de conséquences ultérieures.

En parcourant ces causes on a dû conclure successivement:

1°. Que les premières années qui suivent la paix décident du système commercial des Etats; et que s’ils ne savent pas saisir le moment pour la tourner à leur profit, elle se tourne presque inévitablement à leur plus grande perte.

2°. Que les habitudes commerciales sont plus difficiles à rompre qu’on ne pense, et que l’intérêt rapproche en un jour et souvent pour jamais ceux que les passions les plus ardentes avaient armés pendant plusieurs années consécutives:

3°. Que dans le calcul des rapports quelconques qui peuvent exister entre les hommes, l’identité de langage est une donnée des plus concluantes:

4°. Que la liberté et surtout l’égalité des cultes est une des plus fortes garanties de la tranquillité sociale; car là ou les consciences sont respectées, les autres droits ne peuvent manquer de l’être:

5°. Que l’esprit de commerce, qui rend l’homme tolérant par indifférence, tend aussi à le rendre personnel par avidité, et qu’un peuple surtout dont la morale a été ébranlée par de longues agitations, doit, par des institutions sages, être attiré vers l’agriculture; car le commerce tient toujours en effervescence les passions, et toujours l’agriculture les calme.

Enfin, qu’après une révolution qui a tout changé, il faut savoir renoncer à ses haines si l’on ne veut renoncer pour jamais à son bonheur.

140.Dans un temps de factions politiques cela cesserait d’être exact; car alors chaque secte voudrait nécessairement être l’auxiliaire de tel ou tel parti, comme on l’a déjà vu; mais ces factions une fois calmées la religion deviendrait à l’instant dans les Etats-Unis ce qu’elle y est aujourd’hui; ce qui veut dire en résultat, qu’elle n’y a point de fanatisme pour son propre compte, et c’est déjà beaucoup. – (Note du citoyen Talleyrand, au mois de ventôse, an VII.)
141.Cela était littéralement vrai lorsque ce mémoire a été lu à l’institut. Si depuis ce moment des partis s’y sont formés de nouveau, s’il en est un qui travaille à remettre honteusement l’Amérique sous le joug de la Grande-Bretagne, cela confirmerait beaucoup trop ce que j’établis dans le cours de ce mémoire, que les Américains sont encore Anglais; mais tout porte à croire qu’un tel parti ne triomphera pas, que la sagesse du gouvernement français aura déconcerté ses espérances; et je n’aurai pas à rétracter le bien que je dis ici d’un peuple de qui je me plais à reconnaître qu’il n’est Anglais que par des habitudes qui ne touchent point à son indépendance politique, et non par le sentiment qui lui ferait regretter de l’avoir conquise. – (Note du citoyen Talleyrand, au mois de ventôse, an VII.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
782 стр. 4 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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