Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire», страница 12

Шрифт:

En 1688, sous Innocent XI, exécution, au Pont-Saint-Ange, de l'abbé Rivarola, coupable de satires et libelles. En dépit de tous les vinaigres et de tous les réconfortants, le pauvre journaliste, à demi évanoui, n'était plus présentable debout. Il fallut l'emporter sur la civière au milieu de la populace à laquelle les sbires distribuaient des coups de bâton pour s'ouvrir un passage. L'abbé fondait entre les mains de ses consolateurs; il fut ajusté de travers, et le couperet lui entama profondément l'épaule. Le bourreau dut scier le cou avec un grand couteau. Le peuple prit des pierres pour lapider le bourreau et se rua sur l'échafaud. Les sbires essayèrent de protéger l'exécuteur; mais l'un deux, par hasard, frappa de son bâton un soldat de la milice pontificale, qui mit la main à son épée. Le sbire leva sa carabine. Le peuple se rejeta brusquement en arrière. Ce fut une confusion inouïe: tandis que le bargello (préfet de police) se voyait arracher des épaules son manteau de soie et s'enfuyait, le soldat outragé par le bâton de la police courait vers Saint-Pierre chercher ses camarades afin de venger l'insulte; la garnison du Château-Saint-Ange sortait en armes pour protéger la garde d'honneur du bourreau; la foule, saisie de panique, foulait aux pieds les malheureux qu'elle avait renversés. Le tronc décapité de l'abbé saignait toujours sur l'échafaud. Quand l'ordre fut rétabli, le bargello revint prendre son manteau de soie en lambeaux, les pénitents prirent les restes de Rivarola, et les sbires prirent le bourreau; le lendemain on le fouetta publiquement, puis on l'exila.

3 février 1720, premier samedi du carnaval, exécution d'un autre abbé, un élégant criminel, Gaetano Volpini; il marcha à l'échafaud avec le rabat et les manchettes de dentelles, souriant, saluant de la tête et de la voix les belles dames, les abbés aimables et les cavaliers qui se pressaient aux fenêtres. Il avait vingt-deux ans. Son crime était d'avoir écrit à un journal de Vienne quelques indiscrétions sur les mœurs intimes de S. S. Clément XI. Plaignez-vous donc de notre présente loi sur la presse! J'ajoute que le pamphlet de Volpini ne fut jamais publié, mais circula manuscrit dans les salons autrichiens, où le nonce en avait pris connaissance.

Le bourreau de Léon XII, Bugatti, mit à mort, par la massue ou la guillotine, trois cent trente-neuf personnes. Le 27 janvier 1800, un sacrilège, Gennari, fut pendu, écartelé, puis brûlé, sous Pie VII, Chiaramonti, amateur éclairé de l'art antique. Par contre, quelques confréries avaient alors le privilège souverain de requérir, le jour de certaines fêtes, la grâce entière des pires malfaiteurs. Ainsi, en 1824, la confrérie de Saint-Jérôme allait chercher solennellement un assassin, Checco le vacher, aux Carceri-Nuove, le conduisait à la messe, le revêtait du costume des confrères et le menait dans Rome en procession, couronné de lauriers, tout comme Pétrarque et le Tasse! Il n'a manqué à l'heureux vacher que de cheminer, la lyre à la main et le front relevé vers les nuages, le long de la voie sacrée!

On m'objectera peut-être cette vérité triste que, partout ailleurs en Europe, partout en Italie, la justice avait des façons d'agir aussi atroces, aussi lugubres qu'à Rome. Je l'avoue, et en voici la preuve: Le 14 mai 1794, le ministre du roi de Naples invite l'archevêque à célébrer un triduum d'expiation pour le crime commis par Tommaso Amato de Messine. Ce scélérat devait subir tour à tour les supplices qui suivent: être traîné, attaché à la queue d'un cheval, avoir la langue coupée, puis la main, puis la tête; le cadavre sera brûlé, les biens confisqués, le nom déclaré infâme à perpétuité. Or, voici le crime d'Amato: trois jours auparavant, il était entré dans l'église des Carmes, sur la place du Marché – le marché de Masaniello; – pendant la messe il avait jeté en l'air son chapeau, en criant, à plusieurs reprises: Vive Paris! vive la Liberté! Le peuple voulait le mettre en lambeaux: arrestation, instruction, procès, défense, sentence, tout cela s'expédia en six heures. Le roi lui fit grâce de la queue de cheval. M. Silvagni n'ose pas décrire, d'après les récits du temps, la hideuse et obscène boucherie qu'on lui fit endurer. Cela est vrai, l'ancien régime ne valait pas mieux à Naples, à Parme, à Modène, qu'à Rome. Mêmes mœurs publiques, même régime judiciaire, même civilisation, même barbarie. L'Église, engagée, par des nécessités séculaires, dans la mêlée des intérêts temporels, avait dû se conformer aux conditions sociales de la vieille Europe. L'histoire orageuse de la papauté avait voulu que le royaume de Dieu fût de ce monde. Le Saint-Siège demeurait encore, en ce siècle, par ses institutions et son esprit, comme une image immobile du passé. Qui sait si la déchéance politique dont il se plaint si amèrement ne semblera pas un jour aux chrétiens que charment les miséricordes de l'Évangile, un réel bienfait?

On peut, sans fantaisie paradoxale, imaginer l'Église très grande et planant au-dessus des misères inévitables d'une souveraineté effective. Et qui sait même si, dans l'histoire troublée de notre occident, elle n'est pas appelée à demeurer longtemps encore une force politique de premier ordre?

LA VÉRITÉ SUR UNE FAMILLE TRAGIQUE LES CENCI

I

Rocca-Petrella est un nid de vautours féodaux, aujourd'hui une ruine accrochée aux montagnes désolées de l'ancien État pontifical, vers les frontières du royaume de Naples. Ruine vulgaire, d'ailleurs, si un souvenir terrible n'y demeurait attaché. Un matin de septembre 1598, Francesco Cenci, baron de ce manoir, fut trouvé, dans les branches d'un sureau, au fond d'un précipice que dominait la terrasse de sa maison, la tête brisée à coups de marteau. C'était un méchant homme, immensément riche; ses domaines lui rapportaient plus de 500,000 francs de rentes. Le fisc criminel du Saint-Siège l'avait, en une fois, soulagé paternellement, afin de lui éviter l'ennui du bûcher, d'une somme égale à son revenu d'une année, non qu'il fût hérétique, mais ses mœurs déplorables lui avaient valu un très honteux procès et une amende d'un demi-million. Ce grand seigneur logeait de temps en temps dans les cachots du Saint-Père, mais, comme il était très dévoué à saint François, son patron, il couchait aussi volontiers chez les capucins.

Cette mort fit donc grand bruit à la Cour et à la ville: la victime était malfamée et illustre, et le vieux Clément VIII n'était point tendre dans sa justice. Cependant, à Rome même, la rumeur publique fut lente à soupçonner les véritables assassins: tandis qu'aux environs de Rocca-Petrella, on murmurait le mot de parricide, et que la police de Naples mettait déjà à prix la tête des deux sicaires, Olimpio et Marzio, instruments de la famille Cenci, à Rome, la veuve, les fils et la fille de Francesco portaient un deuil apparent, et commandaient, pour la Madone del Pianto, une parure d'étoffes précieuses.

Tout à coup, vers le milieu de janvier 1599, à la suite d'une dénonciation secrète d'un espion, on arrêta Giacomo, l'aîné des enfants, et, quelques semaines plus tard, Béatrice, Bernardo Cenci et Lucrezia, seconde femme du baron. Du château Saint-Ange on les transféra à la prison de Torre-di-Nona, puis à celle de la Corte-Savelli.

Le parricide parut démontré, et la torture ne manqua pas à la démonstration.

On sait quelle fut l'issue du procès: Béatrice et sa belle-mère eurent la tête coupée; Giacomo fut tenaillé, broyé à coups de massue et écartelé; Bernardo fut condamné aux galères. Le sentiment populaire, révolté par l'atrocité du supplice, jugea l'expiation excessive. L'indignité du père assassiné n'était-elle point une cause de pitié en faveur de la famille scélérate? Tous ces beaux domaines, héritage des Cenci, n'avaient-ils point tenté l'avarice du pape? Prospero Farinaccio, l'un des avocats, avait plaidé la légitime défense de Béatrice, écartant ainsi tous les autres meurtriers de l'accusation.

La jeune fille aurait sauvé par un crime son honneur de l'amour infâme de Francesco. Rome s'enorgueillit dès lors d'avoir possédé, en un siècle corrompu, une Virginie ou une Lucrèce digne des anciens jours. On voulut reconnaître son portrait dans la peinture du palais Barberini, faussement attribué au Guide, dont les touristes à l'âme sensible emportent toujours pieusement les médiocres copies. Les relations manuscrites se multiplièrent aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elles ont toutes un fond commun, qui a servi de matière aux narrateurs modernes, et où le portrait de Francesco est poussé terriblement au noir. Certains détails singuliers ou dramatiques, certaines paroles passent fidèlement de l'une à l'autre de ces chroniques.

J'ai sous les yeux le récit inédit du frère Antoine, de Pérouse, daté de 1770. Il est enfoui dans la bibliothèque communale de Todi, en Ombrie. M. le comte Leoni a eu la bonne grâce de la transcrire de sa main, à mon intention. Ici, les vices et les brutalités de Cenci sont éclairés d'une lumière crue. Par excès d'avarice, afin de ne point marier et doter Béatrice, il la séquestre au fond d'un appartement, où elle languit longtemps, «avec une bonne provision de bastonades». Frà Antonio l'accuse sans détour de l'assassinat de ses fils Rocco et Cristoforo, aux funérailles desquels il ne voulut pas payer «pour un baïoque de cierges». Il dit alors qu'il ne serait content que si les siens étaient «per crepar tutti». Plusieurs écrivains du siècle présent ont probablement connu la chronique du moine ombrien. Quand, en effet, la légende eût grandi plus de deux cents ans dans l'imagination de la foule, les poètes et les romanciers la recueillirent: Shelley, Niccolini, Stendhal, Guerrazzi contèrent ou mirent sur le théâtre cette histoire sanglante, altérant les dates, inventant ou supprimant des personnages, éclairant sans hésitation, au gré de leur fantaisie, les points obscurs, dissimulant les parties authentiques du drame véritable. Stendhal imagina l'absolution in articulo mortis que le pontife, entendant le canon du Saint-Ange, aurait envoyée à la malheureuse fille innocente. Le roman de Guerrazzi qui est, en Italie, pour bien des personnes, l'évangile de la vie et de la passion de Béatrice, repose sur une idée presque symbolique: le père et la fille sont comme l'incarnation du bien et du mal; le vieux Cenci une fois tué, le rôle infernal est repris avec aisance par le Saint-Père. L'angélique Béatrice succombe dans cette lutte inégale contre les deux satans. Francesco étale une méchanceté grandiose dont les Césars romains semblaient avoir emporté le secret. Il invite des cardinaux à souper et leur montre les sept caveaux où il se promet d'ensevelir bientôt, joyeusement, l'un après l'autre, ses sept enfants. Il nie Dieu et sa sainte Mère à la face de ces princes de l'Église, oubliant le Saint-Office et les merveilles de ses bourreaux. Il dit à son spadassin: «Si le soleil était une chandelle, je la soufflerais.» De telles paroles, tombant de la bouche d'un baron, même très haut, sont ridicules. Ajoutez que dans ce Méphistophélès, il y a un Faust. La nuit, penché sous sa lampe, il médite sur l'Histoire des Animaux, d'Aristote, il annote le livre antique, et soupire, ainsi qu'eût fait Claude Frollo: «Je veille, mais en vain. Les mystères de la nature ne se laissent point pénétrer. Tourne et tourne mille fois sur toi-même: tu ne retrouveras jamais la porte qui t'a fait entrer dans la vie!»

Il vient toujours une heure où l'esprit de critique, à l'aide de vieux parchemins, met à la raison les légendes séculaires. Au moment même où l'on parlait dans Rome de placer au Capitole le buste de Béatrice Cenci, vierge et martyre, M. Bertolotti publiait un livre fort édifiant (Francesco Cenci e la sua famiglia, Studi Storici. Firenze 1879), composé tout entier d'extraits des archives criminelles, des dépositions des témoins, des correspondances diplomatiques, des actes notariés, en un mot de tous les documents que l'on avait ignorés jusqu'alors. La légende n'était qu'un rêve de poètes. Voici l'histoire vraie: elle n'est point belle, et n'a point la grandeur fatale d'un drame d'Eschyle: mais elle éclaire d'une façon curieuse la vie domestique de la société romaine vers la fin du XVIe siècle, et permet de passer en revue l'équipage qui montait alors la barque de saint Pierre.

II

Francesco Cenci, baron de Rocca-Petrella et autres lieux, naquit en 1549, d'une façon peu canonique, de monsignore Cristoforo Cenci, clerc de la chambre apostolique, chanoine de Saint-Pierre, trésorier général de l'État pontifical, et de Béatrice Arias, femme légitime et adultère d'un époux complaisant. Monseigneur n'était point prêtre, mais seulement pourvu des ordres mineurs. Il reconnut l'enfant, et, au lit de mort, Béatrice étant devenue veuve, il épousa la mère avec la permission du pape. Cet homme d'Eglise avait fait, dans le maniement des fonds sacrés, une fortune énorme, que de bons héritages avaient encore grossie. Sixte-Quint, par un motu proprio qui ne coûta que 25,000 écus (130.000 francs), daigna plus tard passer l'éponge sur les malversations de Cristoforo, en faveur de Francesco, institué héritier unique par le testament du bon chanoine: celui-ci laissait à la mère un douaire et une maison, avec l'espérance, disait-il, «qu'elle vivrait honnêtement et chastement». Béatrice s'empressa de marier son fils, âgé de quatorze ans, et d'épouser elle-même un troisième mari, l'avocat Evangelista Recchia, ancien intendant du clerc apostolique. Dans le cours de ce second veuvage, elle n'avait eu qu'un seul petit procès, intenté par le précepteur de Francesco, un abbé, à qui elle avait volé deux soutanes.

A onze ans, Francesco eut sa première affaire avec la justice. Un certain Quintilio di Vitrella se plaignit d'avoir été bâtonné jusqu'au sang par le fils de monseigneur et par son abbé: jeu d'enfant que Cristoforo paya sans marchander. A douze ans, le jeune homme fut émancipé. A la fin de 1563, il épousait Ersilia di Santa-Croce, une orpheline qui lui donna douze enfants. On l'accusa d'avoir empoisonné sa femme, après vingt et un ans de mariage, mais rien ne prouve le crime: il est certain seulement que l'union ne fut pas heureuse. Par un testament, en date de 1567, Francesco enlevait à Ersilia la tutelle des enfants à naître et le droit d'habiter avec eux.

En 1566, il se brouillait avec ses cousins Cenci, et ceux-ci durent s'engager juridiquement à ne point lui dresser d'embûches pendant quatre ans. Mais Francesco, qui n'avait rien promis, deux mois plus tard, aidé de ses spadassins, attaqua à coups d'épée, la nuit, dans la rue, Cesare Cenci déguisé en paysan, et le blessa. Il fut condamné à garder, comme prison, la maison de sa mère. L'année d'après, il cassait la tête à son muletier Lodovico d'Assisi: celui-ci se plaignit, et le baron dut payer cher pour ne point séjourner longtemps dans les cachots du pape. En 1572, son valet Pompeo oublie de fermer la porte qui mène à l'appartement des femmes; Francesco l'assomme à coups de poing et de bâton.

Cette fois, il fut banni pour six mois de l'État pontifical, sous peine, s'il rentrait, de 10,000 écus d'amende. Mais il fut gracié très vite par l'intercession du cardinal Caraffa.

En 1577, sa servante Maria Milanesi tarde à lui porter une clef qu'il demande: il la roue une première fois à coups de manche à balai; le soir, nouvelle bastonnade, accompagnée de coups de talon de bottes: «Le sang me sortit par la bouche, et il me laissa à terre toute défigurée, et ne voulut pas qu'on cherchât un médecin.» Vers le même temps, il fut enfermé au Saint-Ange pour blasphème.

En 1586, étant veuf, il renouvela son testament. Cette pièce est fort importante. Plusieurs dispositions montrent que Francesco était dévot et s'inquiétait de son âme; qu'il était charitable d'une façon posthume, et n'oubliait ni les hôpitaux, ni la dot des filles pauvres, qu'il songeait à l'avenir de ses filles, Béatrice et Lavinia, à qui il assure, en argent et en usufruits, une fortune convenable; mais l'article principal vise Giacomo, son fils aîné, qu'il déshérite, ne lui laissant que sa légitime et 100 écus d'or. Les quatre autres fils, Cristoforo, Rocco, Bernardo et Paolo, sont institués héritiers universels.

Cenci prolongea son veuvage neuf années. Il eut alors ses plus beaux procès. Il rompait les côtes à Maria Pelli, sa servante et sa maîtresse, et disait: «Qu'importe! N'ai-je pas de l'argent pour payer?» Néanmoins, il retenait à la malheureuse ses malles, son lit, ses nippes, et quarante-trois écus. Il donnait du poing dans l'œil à son intendant Stefano Bellono et lui arrachait la moustache; puis, aidé de sa servante, il mettait le pauvre diable en chemise, et l'emmenait en carrosse jusqu'à sa maison de Ripetta, où il l'enfermait jusqu'à la guérison des blessures. Quand le siège pontifical était vacant, il s'entourait, selon l'usage, de la noblesse romaine, de bravi armés, montait en voiture avec la bande, et faisait dans les rues, à coups d'arquebuse, la police de ses ouvriers. Ses laquais, ses palefreniers, les artisans qu'il employait, parurent enfin comme plaignants ou comme témoins dans l'affaire qui coûta une si grosse amende à ce gentilhomme du temps de Henri III, et fut le cadeau de noces qu'il offrit à sa seconde femme, Lucrezia. Cenci nia effrontément et dit au juge instructeur: «Je vous en prie, élargissez-moi, que je puisse parler au pape, afin qu'on accommode tout ceci, à l'aide de trois ou quatre cardinaux.» Il fut élargi, en effet, mais tondu de fort près, et peu disposé à payer les dettes que ses trois fils avaient gaiement contractées au cours de la triste enquête. Nouveau procès que Francesco perdit contre ses enfants. En 1596, il était encore une fois sous les verrous; mais les archives criminelles de Rome ont ici une lacune, et la dernière aventure du baron est un mystère.

Bon sang ne peut mentir. Toute la race des Cenci fut digne de ce père. Giacomo, l'aîné, semble un parfait mauvais sujet. Il s'était marié contre la volonté de Francesco. Les trente écus par mois que celui-ci donnait à ses fils ne lui suffisant plus, il volait des deux mains et, comme Panurge, avait plus de soixante-trois manières de gagner de l'argent. En 1587, il fut contraint de reconnaître, dans un acte authentique, par devant notaire, un larcin de trois cent quatre-vingt-onze écus, dont quinze étaient destinés à la pension de ses sœurs dans un couvent, vingt-deux empruntés à un prêtre, onze dus à un cordonnier, trente étaient le produit d'étoffes dérobées à la garde-robe paternelle, quatre-vingts escroqués aux vassaux du baron.

En 1594, trente créanciers, dont trois juifs, se font attribuer 16,000 écus sur les biens de Cenci, pour les dettes de ses trois aînés. A cette époque, Francesco intenta un procès à son fils pour préméditation de parricide. Un page de Giacomo, trouvé en possession d'une arquebuse, avait déclaré que cette arme était destinée au crime. Mais il parut que l'arquebuse n'avait pas de roue et que le page était un voleur d'un caractère rancunier, qui supportait mal les coups de bâton que son maître distribuait, sans compter, à ses gens et à ceux de ses amis. Giacomo, avant de monter à l'échafaud, confessa un faux de 13,000 écus fabriqués par lui au détriment de son père.

Cristoforo, le second des Cenci, goûta la prison en 1595, on ne sait à la suite de quel délit; la même année, il s'était racheté d'une plainte pour injures et menaces, intentée contre lui par un juif. Il courait les rues, de nuit, avec son spadassin Lucantonio: le maître fut une fois blessé à la cuisse, le valet, au bras. En 1597, il paie de nouveau les frais d'une agression nocturne. L'année d'après, il fut assassiné par Paolo Bruno Corso, amant jaloux dont il courtisait la maîtresse, Flaminia, femme d'un pêcheur d'esturgeons. La déposition du bravo Octavio Pali est pittoresque. «La nuit était noire. Le seigneur Cristoforo me dit d'aller à la petite place de l'île Saint-Barthélemy, dans une ruelle, et de faire bonne garde. Je m'assis sur un escalier et m'endormis. (Evidemment Octavio a trahi.) Je fus éveillé par un bruit de pas précipités et de voix violentes; je me levai et vis deux hommes l'épée nue, tout furieux; l'un portait une lanterne et était jeune, l'autre avait une longue barbe. Ils m'attaquèrent, et je me défendis avec l'épée. Je courus à la Pescaria où je trouvai mon maître qui gémissait étendu par terre. Je l'aidai à se relever et, il fit quatre pas et dit qu'il n'en pouvait plus. Il se coucha entre deux pierres. J'allai à la maison appeler le seigneur Bernardo, son frère, qui fit lever le seigneur Giacomo. Nous prîmes une chaise, Cesari et moi et allâmes vers le seigneur Cristoforo qui s'était traîné à la distance de huit ou dix pas. Le seigneur Giacomo dit qu'il ne fallait pas le relever et m'envoya appeler les sbires à Monte-Giordano, où je fus arrêté.»

Rocco Cenci avait des fantaisies d'empereur romain. La nuit, il sortait en chemise de la maison, avec ses valets armés d'épées et lapidait les maisons du voisinage; il poursuivait, l'épée nue, et blessait les passants; il fut, pour ce divertissement, condamné à 5,000 écus d'amende et à un exil de trois ans. Il rentra à Rome secrètement, força les portes de l'appartement paternel et fit main-basse sur l'argent, les étoffes de soie, un habit de prêtre, relique du secrétaire apostolique, son grand-père, quatre coussins, un bassin d'argent, quatre chemises du baron, onze mouchoirs, des serviettes et des tapisseries. Il avait pour complice, dans cette expédition, son cher ami et cousin, monsignor Guerra ou Guerro, dont le chapeau de feutre et l'épée furent retrouvés sur les lieux; Béatrice, dans sa déposition, dit: «Monsignor Mario Guerra a dû l'aider à emporter tout cela, je suis même sûre qu'il est l'inventeur de l'entreprise.» Nous retrouverons plus loin ce prélat à la main leste. Quant à Rocco, sa carrière fut courte: un certain Amilcare, bâtard du comte de Pitigliano, qu'un soir, en compagnie de monseigneur déguisé, il avait forcé à courir devant la pointe de son épée, le provoqua en duel dans un carrefour: Rocco reçut l'épée dans l'œil droit; il tomba à terre, dit son valet Ulisse di Marco, «et ne parla jamais plus».

Bernardo et Paolo, les deux plus jeunes Cenci, entraient à peine dans l'adolescence, au moment du crime de Rocca Petrella: ils eurent connaissance du projet des assassins et n'y firent aucune objection. Les deux filles aînées, Lavinia et Antonina, n'ont laissé aucun souvenir mauvais. Le mari de Lavinia, trésorier général de Cenci, fut poursuivi pour empoisonnement. Antonina épousa le baron Savelli, veuf d'un premier mariage et père de plusieurs petites filles. «C'est une bonne pâte, écrivait d'elle sa belle-sœur Sofonisba, tranquille et de bonne humeur.» Pendant l'intermède conjugal de Savelli, l'excellente et adroite Antonina envoyait aux petites des cadeaux, par exemple, des poupées pour 40 baïoques.

Béatrice n'était point «une bonne pâte»; orgueilleuse, irascible, tenace, elle supportait impatiemment le joug brutal de son père. Le séjour de Rocca-Petrella acheva la perte de cette âme dangereuse. La pâle odalisque du palais Barberini, la bianca creatura di bianco vestita, prépara froidement la ruine tragique de toute sa maison.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
221 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают