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Читать книгу: «La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire», страница 11

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V

Les papes qui jugeaient utile d'acheter des esclaves pour le service de leurs galères ne pouvaient trouver mauvais l'esclavage privé; le droit des particuliers à posséder des êtres humains au même titre qu'un bœuf de labour leur paraissait sacré. Ils n'y mettaient obstacle que dans le cas où l'esclave fugitif pouvait gagner, comme un lieu d'asile, le Capitole, et témoigner devant les conservateurs, par preuves sûres, de sa conversion et de son baptême. Une supplique du XVIe siècle, de Jean-Baptiste, originaire de Bône, esclave qui s'est enfui de Gênes à Rome, nous fait connaître un malheureux qui, dépourvu de certificat de baptême, n'a que le choix entre deux extrémités: être rendu à son maître ou mourir de faim. Il écrit au pape pour lui exposer sa détresse et lui demander l'aumône. Celui-ci fait passer le placet au Gouverneur de Rome et non aux conservateurs du Capitole; il le livre ainsi à la police criminelle qui le rendra à son tour à son maître gênois.

Le 24 mai 1608, l'archevêque d'Otrante, Marcello Acquaviva, réclame, par son agent Polidoro Baldassino, aux magistrats pontificaux, un jeune esclave donné à Monseigneur par les Vénitiens et baptisé depuis deux ans. Il s'est échappé, dans un voyage où il accompagnait son maître et s'est sauvé jusqu'à Rome où il est en prison, par ordre de l'illustrissime Gouverneur. Le 26 mai, la police du Saint-Siège interroge dans les Carceri Salvelli Teodoro, que l'on qualifie de néophyte, c'est-à-dire de chrétien, et à qui l'on défère le serment. Voici sa déposition:

«Je suis prisonnier ici depuis trois jours. Quand j'étais très petit, en Grèce, on m'a livré comme esclave aux Turcs, la Grèce étant forcée de payer un tribut de ses enfants au Grand-Turc. J'étais du nombre: on m'a fait Turc et musulman. Comme j'allais sur les galères de mes maîtres, nous avons rencontré les galères des Vénitiens qui nous ont pris; ils ont taillé en pièces tous les Turcs, et parce que j'ai dit que j'étais Grec de naissance, ils m'ont laissé la vie; quand nous sommes passés près des Abruzzes avec les vaisseaux vénitiens, on m'a donné comme esclave à Mgr l'archevêque d'Otrante, avec qui je suis resté six ans; à la dernière Pâque, il y a deux ans que je me suis fait chrétien. Comme j'ai entendu dire à la maison que l'archevêque voulait me vendre, je me suis enfui et je suis venu à Rome où l'on ne fait pas de ces choses; Monseigneur l'a su, il m'a fait arrêter et enfermer ici dans la prison Savelli.» Le magistrat lui demande si vraiment Monseigneur avait l'intention de le vendre: «Tous les serviteurs m'ont assuré que Monseigneur voulait me donner à un de ses neveux en me vendant, et pour cela je me suis enfui.» Au procès-verbal de l'interrogatoire sont jointes les pièces relatives à l'état civil du jeune Grec et l'acte de son baptême, signé par l'archevêque lui-même, contre-signé et scellé par le juge royal et les officiers de l'Université d'Otrante. Et cependant Rome le rendit au prélat, à qui il était permis d'en user à son gré, la violence exceptée, «parce qu'il était chrétien».

En 1609, Vincenzo David, Turc, pris à l'âge de six ans par les chrétiens, en Hongrie, puis vendu cent ducats à Naples, au duc della Castelluccia, a reçu le baptême, en échange duquel son maître lui promettait la liberté. La liberté n'est pas venue, mais le duc a voulu revendre l'enfant, qui s'est sauvé jusqu'à Rome. On l'y emprisonna, sur la requête de Castelluccia, et on le vendit, quoique chrétien, comme le jeune Grec d'Otrante. En 1668, un conseiller royal de Naples court après son esclave Ali, toujours jusqu'à Rome. «Il supplie, écrit-il dans son mémoire, la souveraine bonté de Votre Sainteté, d'ordonner qu'il soit emprisonné ad correctionem, et puis remis à son service.» En 1670, le docteur Antonio Bolino, Napolitain, a recours à la même bonté souveraine; celui-ci a perdu deux esclaves qu'il avait achetés depuis sept ans et qui l'ont quitté «pour s'en retourner à leurs maisons en Turquie, mais l'état mauvais de la mer les ayant arrêtés, ils ont été forcés de se réfugier dans l'état ecclésiastique». Les pauvres gens eussent été plus avisés s'ils s'étaient confiés à une mer furieuse, sur une planche; fugitifs chez le pape, ils étaient perdus sans espérance. En effet, Sanctissimus annuit, le Très-Saint a consenti, est-il écrit en marge du document. Ils furent donc rendus au docteur.

Je termine ce long martyrologe par les aventures de trois esclaves, Jean Baptiste, Salvatore Giacinto et Antonio Maria, trois esclaves baptisés, d'après le témoignage même de leurs maîtres, des Gênois, qui semblent leur avoir servi de parrains, et leur ont donné leurs propres noms, Orero, Savignone et Grimaldi. Le trio «après de longues années d'une âpre et très sévère servitude», est parvenu jusqu'à Rome, mais avant d'avoir touché à l'asile du Capitole, il a été arrêté par le Gouverneur qui a décidé, avec l'approbation du pape, de le renvoyer à Gênes. Les suppliants font observer que leur châtiment sera effroyable «pour détourner par l'exemple les autres esclaves de la fuite»; peut-être même seront-ils mis à mort. Ils sont chrétiens, et offrent à leurs maîtres le prix de leur rançon, conformément aux lois pontificales. Ils furent néanmoins livrés par l'Église, à la condition «qu'on ne les maltraiterait pas et qu'on ne les vendrait pas aux galères, sous peine de deux cents écus d'amende». Quelque temps après, le pape reçut un mémoire signé de Grimaldi, maître d'Antonio Maria. Grimaldi se plaignait de l'insolence des esclaves qui, confiants dans la condition imposée par le Saint-Siège, ont d'abord refusé de travailler et n'ont cessé de préparer une nouvelle évasion. Il a fallu mettre Giacinto en prison, aux Carbonari «où l'on enferme un grand nombre de personnes pauvres». Mais le frère du captif, Jean Baptiste, l'excitant du dehors à la fuite, sans que son maître Nicolo Orero consentît à punir le provocateur, deux patrons sur trois se querellèrent, se battirent, et Orero fut tué. Savignone, le meurtrier, est en prison, accusé d'homicide, quoique innocent, assure Grimaldi. Celui-ci qui, outre Antonio Maria, a sept esclaves dans sa maison, craignant que l'esprit de révolte ne soufflât sur ce bétail humain, a donc pris la résolution d'envoyer au marché de Cadix le turbulent Antonio. Mais le rusé compère, sachant que son maître ne pouvait, grâce à la défense du pape, le vendre aux galères, a si bien joué son rôle d'esclave indocile et paresseux, que personne n'a consenti à l'acheter. Notre Gênois s'est donc vu forcer de recevoir, de nouveau, à Gênes, l'incommode personnage, dont l'impertinence, encore excitée par celle de Jean Baptiste, n'a plus connu de bornes. On l'a donc jeté dans les prisons publiques. Mais il faut en finir et l'honnête Grimaldi ne voit, à cet insupportable désordre, qu'un seul remède: que le pape lève la défense et l'autorise à vendre, sur place, aux galères gênoises, Antonio Maria. La peur, dit-il, fera rentrer l'esclave dans l'obéissance. S'il persiste, eh bien! les galères le rendront sage, et avec lui tous ces misérables qui n'ont d'autre pensée que de retourner dans leur pays, de renier la foi catholique et de revenir à leur ancien paganisme. Que Sa Sainteté considère que «refuser cette grâce», serait d'un grand préjudice aujourd'hui et dans l'avenir «à un grand nombre d'esclaves»; beaucoup de familles gênoises, nobles ou bourgeoises, se servent communément des esclaves «et à Gênes, dans cette nation d'une si solide piété, l'esclavage est le bienfait qui conduit, par tous les moyens profitables, à la foi catholique». Le pape daignera considérer la difficulté que ces pieux Gênois éprouvent à retenir leurs esclaves, à qui la fuite par mer est si facile; que si le Saint-Siège, à l'ombre duquel ils parviennent trop souvent à se sauver, ne les rend qu'à cette dure condition de ne point les revendre aux galères, les Gênois auront tout avantage à les vendre – à bénéfice – le jour même où ils les auront achetés et sans attendre qu'ils acceptent le saint baptême «au grand préjudice de leurs âmes».

 
Et l'intérêt du ciel est tout ce qui me touche!
 

Le pape ne répondit point au mémoire de Grimaldi, qui s'empressa de lui en adresser un second. Alexandre VII manda alors le Gouverneur de Rome pour conférer de cette affaire. Le 9 octobre 1663, le Saint-Père et son conseiller résolurent de charger d'une enquête l'archevêque de Gênes. Celui-ci donna son avis le 2 novembre. C'était un archevêque esclavagiste; selon lui, Grimaldi n'a jamais maltraité son esclave, mais, con maniere soavi, avec des procédés d'une douceur suave, l'a seulement sollicité de bien servir. Antonio, fort de la certitude où il était de n'être point châtié rudement, «a toujours vécu avec licence et insolence». Suit l'incident du voyage à Cadix, tout à l'honneur du patron. «Les choses étant ainsi, continue le bon évêque, et la douceur (dolcezza) du digne Giuseppe m'étant bien connue, je jugerais convenable que Sa Sainteté permît bénignement au susdit maître de revendre son esclave aux galères ou à des particuliers, mais, quant à ceux-ci, sous la condition de ne le revendre point à leur tour aux galères»; le tout, après un délai raisonnable, qui permettra à Antonio Maria de réfléchir et de se résoudre «à servir en paix et avec amour son présent maître qui, en ce moment, le tient enfermé dans les prisons publiques de cette ville.» La cause était entendue. On ne sait ce que décida Alexandre VII. Mais trois pauvres esclaves, qui avaient cependant le droit d'invoquer leur baptême et le sang du Sauveur versé pour leur salut, durent lui paraître bien légers dans les balances de sa justice.

VI

Mais les Romains de Rome, ceux qui n'étaient ni Juifs ni Turcs, goûtaient-ils, dès cette vie, les joies de la Jérusalem céleste? Un livre curieux nous fait pénétrer dans le détail de l'ancien régime ecclésiastique des deux derniers siècles. (La Corte e la Società Romana, par David Silvagni, Rome, 1883.) L'œuvre de M. Silvagni n'est point un pamphlet; c'est une histoire vraie, écrite en grande partie d'après les mémoires de l'abbé Benedetti – un abbé laïque et marié, dont l'espèce a disparu – qui a raconté les événements grands ou petits de la Ville Éternelle, dont il fut le témoin, parfois l'acteur, pendant trois quarts de siècle, entre Clément XIII et Grégoire XVI. Ajoutez tous les documents singuliers que, depuis douze ans, les archivistes italiens découvrent dans les archives publiques ou privées de Rome. Cette description de la cour et de la société romaine est réellement tracée d'après les sources les plus sûres. Bien des chapitres n'y peuvent intéresser que ceux qui connaissent bien Rome, et surtout ceux qui l'ont encore vue sous Pie IX. D'autres, tels que celui qui concerne Cagliostro, dont l'abbé Benedetti suivait les séances de magie et de prophétie, sont pour les amateurs de raretés paradoxales; quelques-uns, renfermant la peinture de mœurs fastueuses, de cavalcades grandioses à travers Rome, de fêtes pontificales ou carnavalesques, divertiront les artistes. J'ai trouvé de quoi satisfaire ces diverses classes de lecteurs dans les pièces historiques relatives à la justice, ou plutôt aux justices, c'est-à-dire aux supplices des criminels (le Giustizie) auxquels le Saint-Père ouvrait d'une main, parfois un peu dure, les portes du ciel. On comprendra que le bon larron lui-même eût passé à Rome un assez mauvais quart d'heure.

Allons à la place Navone, dont M. Silvagni nous donne une peinture animée et piquante comme une gravure de Callot. Il y a vingt ans, c'était encore l'un des endroits les plus pittoresques de la ville, marché de légumes, de fruits, d'antiquailles, de vieux livres, qui grouillait et piaillait autour de la fontaine de l'éléphant porte-obélisque. Mais il y a cent ans! Chaque mercredi, on y vendait les denrées, le vin à un sou le demi-litre, la viande de choix à quatre sous la livre. Le peuple fourmillait autour des étalages, jurant que le pape le faisait mourir de faim. Çà et là, sur les têtes de la foule s'élevaient les tréteaux des charlatans, des chanteurs de complaintes, des arracheurs de dents, des magiciens, des marchands de reliques et d'amulettes. Celui-ci glorifiait saint-Dominique de Cuculla, guérisseur de morsures de vipères ou de chiens enragés. Celui-là chantait pour saint Nicolas de Bari, médecin infaillible en toutes les maladies; un autre vendait les Agnus Dei de saint Jacques de Compostelle, préservatif sûr contre la peste; un autre, le mage de Sabine, distribuait des numéros excellents pour la loterie de Rome ou celle de Gênes. A un bout de la place, un jésuite, le crucifix à la main, se démenait comme un beau diable, invitant le peuple à la pénitence. A l'autre bout, sur une estrade, on voyait, ce jour-là, trois hommes assis, liés à leur banc, avec un écriteau pendu au cou, portant leurs noms, prénoms et la nature de leurs délits. C'était la Berlina, l'exposition publique, dont le cardinal Antonelli régalait encore, en 1856, les Romains sur la place du Peuple. L'un des misérables était coupe-bourse, l'autre falsificateur de balances. Quand la populace était rassasiée de ce prélude de spectacle judiciaire, la trompette sonnait: la foule courait alors à l'échafaud, le supplice du chevalet allait commencer. Les trois patients étaient garrottés par les sbires dans la posture convenable; puis le valet du bourreau levait son nerf de bœuf et cinglait vigoureusement les échines. Les patients hurlaient, se tordaient tout sanglants; le peuple applaudissait. L'un d'eux, le plus jeune, pâle et chétif, devait recevoir cinquante coups, le maximum qui était réservé aux voleurs, presque toujours mortel. Le fouet allait donc son train, à la grande joie des spectateurs, quand tout à coup le bourreau, maître Casella, l'homme le plus redouté de Rome, cria d'une voix de stentor: Arrête! Et la trompette sonna. Or, à l'extrémité de la place Navone, un grand cortège venait d'apparaître, chevauchant dans la direction de Saint-Pierre. C'était l'ambassadeur de la sérénissime République de Venise, Alvise Tiepolo, qui allait au conclave complimenter les cardinaux de la part du doge Mocenigo. Coureurs, estafiers, piquet de chevau-légers, garde-portières en magnifiques livrées, massiers portant le bâton revêtu de velours cramoisi et surmonté du lion d'or de Saint-Marc; c'était une belle escorte autour du noble carrosse doré que traînaient quatre chevaux, et où le secrétaire, ou plutôt l'espion de l'ambassadeur, toujours présent aux entrevues diplomatiques, se tenait aux côtés de l'Excellence. Par derrière venaient neuf carrosses ornés de tous les insignes officiels, en soie jaune brochée d'or ou en soie noire, et une longue file de voitures remplies de gentilshommes vénitiens ou romains et de prélats; enfin, pour fermer le cortège, une autre escouade de cavalerie. Cependant le voleur, levant la tête, avait aperçu le pompeux défilé, et, d'une voix mourante, il criait grâce! Le peuple, charmé de l'incident, criait grâce! à son tour. L'ambassadeur, se tournant vers l'échafaud, fit un signe au bourreau, qui s'inclina respectueusement. La grâce était faite en effet. Le patient fut détaché, et, sans demander son reste, s'échappa à travers la foule qui criait: Vive saint Marc! Ces grâces étaient, d'ailleurs, assez fréquentes. Les cardinaux rencontrant un condamné à mort pouvaient le délivrer. Un jour, Cencio Storto, mercier de la place Sciarra, se balançait déjà au bout de la corde; le bourreau allait lui sauter sur les épaules, quand un cardinal vint à passer, qui donna l'ordre de couper la corde. Cencio fut sauvé, mais il garda le cou légèrement tordu (Storto) et un nom de guerre en souvenir de cette dangereuse aventure.

VII

Jusqu'en 1870, quand un criminel devait subir la peine capitale, on placardait dans Rome, au coin des places publiques ou à la porte des églises, l'avis suivant: «Indulgence plénière à tous les fidèles qui, confessés et communiés, visiteront le très saint-sacrement exposé dans l'église des Agonisants pour les condamnés à mort». La première fois que M. Silvagni vit le lugubre écriteau, en 1840, il s'agissait d'un certain Luigi Scapino, âgé de vingt-sept ans, coupable de vol sacrilège. Il avait dérobé un ciboire. Le nom et le crime du malheureux étaient indiqués généralement à la suite de l'avis d'indulgence. On invitait ainsi les fidèles à prier pour l'âme de celui qui allait mourir.

Qu'à Rome le sacrilège fût un crime capital, personne ne s'en étonnera. Les Édits généraux (Bandi generali) qui formaient la législation criminelle au dix-huitième siècle, et qui, renouvelés en 1815, durèrent jusqu'en 1833, sous Grégoire XVI, sont bien plus extraordinaires. J'en traduis quelques extraits. Le secrétaire d'État de Benoit XIV punit ainsi le blasphème «du très saint nom de Dieu, ou de son Fils unique, notre Rédempteur, ou de sa très-sainte Mère toujours vierge, ou de quelque saint ou sainte»: pour le premier délit, trois tours de corde en public. (On attachait le patient à la corde par dessous les aisselles; on l'élevait à une certaine hauteur à l'aide d'une poulie, puis on laissait tout d'un coup se dérouler la corde, de façon que l'homme, tombant très vite, ne touchât pas le sol, mais fût horriblement détraqué par la secousse). Le second blasphème valait le fouet en public, et le troisième cinq ans de galères.

Violation de la clôture des couvents de femmes: peine de mort. Si le crime a été commis de nuit, peine de mort pour les complices de tous les degrés; peine de mort pour quiconque, entré de jour, s'est caché de façon à se trouver de nuit dans le monastère; peine de mort toujours, même, dit l'édit, si rien de fâcheux n'est arrivé aux religieuses.

Baiser donné en public à une dame honnête: Galères à perpétuité, ou même, s'il plaît à Son Eminence, peine de mort et confiscation des biens, quand même le coupable ne sera pas arrivé effectivement au baiser, mais seulement au geste ou à la tentative d'embrassement.

Libelles injurieux ou diffamatoires. C'est la loi pontificale sur la presse. Celle-ci n'existait à Rome que sous forme de pamphlets qui couraient de mains en mains, ou de petits libelles, imprimés ou manuscrits, que l'on affichait furtivement en certains endroits bien connus, par exemple à la statue de Pasquin. L'édit punit de mort, de confiscation, d'infamie perpétuelle, ou tout au moins des galères, au choix de Son Eminence, quiconque aura écrit, affiché, distribué quelqu'un de ces pamphlets ou pasquinades, quand bien même «il n'y fût dit que la vérité ».

Outrages et injures sur les portes ou les murailles des maisons. Quiconque mettra ou fera mettre des peintures outrageantes, des cornes ou autres choses offensantes aux portes ou aux murs d'une maison, même habitée par une courtisane publique, sera puni des galères à perpétuité, ou même de mort, au choix de Son Eminence.

En 1828, le cardinal Giustiniani remania par l'édit suivant les pénalités encourues par les blasphémateurs: Pour le premier blasphème, vingt-cinq écus d'or; pour le second, cinquante; pour le troisième, cent; en outre, le coupable sera flétri comme infâme. Si c'est un homme du peuple et pauvre, la première fois il sera lié à la porte d'une église; la seconde, fouetté; la troisième, il aura la langue percée et sera mis aux galères.

Eh bien, cette abominable loi n'est rien en comparaison de ce dernier article: «Les dénonciateurs gagneront, outre dix années d'indulgences, le tiers de l'amende.» Jusqu'en 1870, j'ai lu bien des fois, affichés aux portes de Saint-Pierre ou de Saint-Jean-de-Latran, les noms des blasphémateurs. Mais Pie IX était doux et ne leur perçait plus la langue.

VIII

Voici quelques cas particuliers assez intéressants pour l'étude des mœurs monacales. En 1693, une sœur de Saint-Dominique fut assassinée de nuit par une converse, qui blessa en outre deux autres nonnes accourues au secours de la première. La coupable fut étranglée par ordre du pape; mais, avant de mourir, elle déclara qu'elle avait commis le crime à l'instigation d'une très noble religieuse, une Aldobrandini, nièce de Clément VIII. Celle-ci fut mise à mort en secret.

Un jeune Ferrarais, amoureux d'une sœur, se fit porter au couvent enfermé dans un coffre. La nonne avait la clef. Elle ouvrit: l'amoureux était mort étouffé. Grand embarras! Il fallut avertir l'abbesse, qui en référa au cardinal vicaire. La nonne fut emmurée, c'est-à-dire scellée toute vive dans une muraille du couvent. Elle avait dix-huit ans.

En 1648, grande bataille, au monastère féminin de San-Silvestro, pour une raison futile. Les bonnes religieuses tirèrent le couteau. L'une d'elles, blessée à mort, fut jetée dans un puits. Une autre mourut quelques jours plus tard. Le pape envoya au couvent le bourreau, qui mit à mort les coupables.

En 1649, un lettré romain, Camillo Zaccagni, qui avait en vain prié le gouverneur de Rome de faire sortir de prison un sien neveu, eut l'imprudence de dire, dans une boutique de barbier, «que ces prélats étaient inhumains, plus durs que des Turcs, et qu'il saurait bien s'en venger quand le siège apostolique serait vacant». Zaccagni, dénoncé, se vit appliqué la loi Julia, une très vieille loi à laquelle il n'avait pas pensé: on lui coupa la tête au pont Saint-Ange, en plein hiver, le 4 janvier.

Le dix-septième siècle romain eut ses empoisonneuses, tout comme le nôtre. Des dames patriciennes formèrent une société secrète pour se débarrasser de leurs maris par l'acqua tofana. On n'osa pas couper la tête à la duchesse de Ceri; mais on pendit cinq femmes du peuple qui avaient distillé l'eau empoisonnée. La Girolama Spana avoua avoir tué trente-deux personnes. Quand ce fut le tour de la cinquième, le prince de Palestrine qui, en sa qualité de confrère de saint Jean le Décapité, remplissait près de l'infortunée la mission de consolateur, dit au bourreau de faire vite. Le bourreau répondit insolemment au prince d'officier à sa place, et s'en alla. Il fut, par ordre du gouverneur de Rome, mené à travers la ville, fouetté et enfermé aux galères. Mais la cinquième empoisonneuse n'en fut pas moins pendue.

Parmi les papiers de l'abbé Benedetti se trouvent des cahiers consacrés aux plus célèbres «justices» accomplies à Rome depuis l'horrible procès des Cenci sous Clément VIII. C'est une belle collection, très propre à émouvoir les âmes sensibles. En 1636, un neveu de cardinal, Giacinto Centini, avait, avec plusieurs complices, envoûté, à l'aide d'une figurine de cire, un compétiteur probable de son oncle au pontificat. Le 22 avril, ce neveu trop dévoué, dut confesser son crime, à Saint-Pierre, devant vingt mille spectateurs, en compagnie de Frà Cherubino et de Frà Bernardino, ses complices. Celui-ci, en pleine basilique, nia le fait, et se répandit en injures si violentes, qu'il fallut lui enfoncer un bâillon dans la bouche. Les autres complices étaient condamnés aux galères, et, parmi eux, un augustin. La cérémonie religieuse terminée, on mena les trois associés à travers la ville, longuement, jusqu'à la place de Campo di Fiore, où était dressé le couperet, véritable guillotine – car à Rome on connaissait l'horrible machine – et deux potences entourées de bois et de matières combustibles. Centini fut d'abord décapité. Les deux capucins étaient dans un état pitoyable, à demi-morts de terreur. On les attacha chacun à son gibet, et on mit le feu par dessous, comme on avait fait pour Savonarole. C'est ainsi qu'ils expièrent leur figure de cire percée d'une épingle.

Mais une «justice» extraordinaire fut celle du 9 juin 1666, sous Alexandre VII. Le bourreau, ce jour-là, faisait coup double. Il devait pendre Paolo Camillo Nicoli, convaincu d'assassinat sur son beau-père, et décapiter Tomasini, un médecin, professeur public, qui, cinq ans auparavant, avait poignardé méchamment un confrère, le docteur Egidio da Montefiore. Nicoli «mit à se confesser une heure et demie d'horloge», donna les signes du plus touchant repentir, essaya de toucher le cœur de son compagnon de misère, et mourut avec douceur. Mais Tomasini n'entendait pas se laisser égorger comme un mouton. Quand ses consolateurs de la confrérie des pénitents, le marquis Corsini et le prince de Palestrine lui annoncèrent que l'heure fatale était venue, il poussa de grands cris et déclara qu'il voulait être damné. Prières, exhortations, litanies, chapelet, rien n'y fit. On lui offrit d'appeler un religieux en qui il eût confiance, il refusa. On crut qu'il était hérétique; il affirma qu'il croyait à tous les articles de foi. Mais il ne voulait point se confesser. Le soir était venu. Les consolateurs, pour l'attendrir, se mirent la corde au cou et lui baisèrent les pieds. Tomasini se mit la tête au mur, leur tournant le dos, très indécemment. On essaya des menaces et de la violence. On lui appliqua à la main la flamme d'une chandelle, pour qu'il eût le sentiment du feu de l'enfer. Il assura qu'il irait volontiers en enfer, où il trouverait grande compagnie. On fit venir le père Orazio, homme plein d'onction, qui prêcha, supplia, tempêta, et perdit son latin. On changea les consolateurs; les nouveaux venus, «tout frais», renforcés de capucins, n'obtinrent rien. On avertit le gouverneur de Rome, qui avertit le pape, afin que le supplice fût ajourné. Après les capucins, ce fut le tour des carmes déchaussés. Même succès. Il faisait jour. On emmena de force Tomasini à la messe. Il refusa de s'agenouiller et s'assit sur un banc. Le prêtre se tourna vers lui, tenant l'hostie dans ses mains, avec un discours qui fit pleurer à verse (dirottamente) toute l'assistance; il mit sa main sur ses yeux pour ne point voir. On revint aux menaces; il dit que si on le conduisait à l'échafaud, il en conterait de belles sur les cardinaux et les prélats. «C'est bon, ma mort ne les fera pas rire.» Un notaire, qui était présent, courut au gouverneur, afin de le prévenir de cette inquiétante éventualité. Cependant, Monsieur de Rome et tout son monde apportaient des nouvelles au procureur pontifical. Il s'agissait, par ordre supérieur, de pendre Tomasini, qui ferait évidemment quelque difficulté pour s'ajuster sous le couteau de la manaia, de le voiturer jusqu'au lieu du supplice, car, sans doute, il refuserait d'aller à pied, enfin, de le bâillonner proprement, pour qu'il ne bavardât pas, chemin faisant, sur les Eminences. Le bourreau devait, en cas de suprême résistance, au pied du gibet, étrangler Tomasini, puis le pendre.

Tomasini, informé du nouveau programme, répond encore qu'il veut être damné, à la grande horreur de toutes les personnes présentes. Entrée du bourreau qui, pour l'effrayer, lui met la corde au cou, le bâillon dans la bouche et lui coupe les cheveux. Nouvelle messe. Exorcismes. Il avait assurément le diable dans le corps: on cherche avec soin si quelque sortilège ou maléfice n'était pas dans une couture de ses vêtements. Dernière tentative du prince de Palestrine, toujours inutile. On se met en route vers la potence. La foule frémissait d'une religieuse indignation. Déjà le bourreau posait la main sur Tomasini; celui-ci poussa un grand soupir, ôta son bâillon, disant qu'il ne convenait pas à un homme tel que lui d'être bâillonné. Les confrères de la pénitence, persuadés que Dieu avait enfin touché son cœur, s'empressèrent autour de lui, pleurant d'allégresse, et l'emmenèrent à l'église. Là, Tomasini abjura ses erreurs et demanda: 1o qu'on le reconduisît en prison afin qu'il pût se confesser et communier; 2o qu'on fit de ses cheveux coupés une perruque ou qu'on en trouvât une de la même teinte, pour qu'il mourût avec cette coiffure; 3o qu'on rétablît l'échafaud afin que la sentence première fût exécutée par le couperet. A ces conditions, il consentait à finir en bon chrétien.

Un bon moment fut encore perdu à discuter entre sbires et pénitents sur l'ultimatum du condamné. On le prêcha pour qu'il renonçât à la perruque et se résignât à la potence. Mais Tomasini revint sur ses concessions: rien n'était fait; il voulait décidément aller en enfer. Les pénitents expédièrent donc une ambassade au gouverneur, pour qu'il accordât tout au spirituel professeur. Il s'agissait, disaient-ils, du salut d'une âme que Jésus-Christ a rachetée de son sang. Le gouverneur consentit au couperet et à la perruque. Tomasini, ayant épuisé toutes ses ressources d'imagination, se décida à mourir canoniquement. Il se confessa et demanda à tous pardon du scandale qu'il avait causé. On lui mit une perruque de la couleur convenable, un col et des manchettes blanches, et un bel habit. Il se fit raser; il sortit alors de la prison, récitant les psaumes de la Pénitence, suivi d'une foule immense. Sur l'échafaud, il ôta tranquillement son manteau, remonta sa robe dans la ceinture, embrassa le P. Orazio, mit de bonne grâce sa tête sur le billot. Le bourreau fit son office. On porta en procession le corps du supplicié à Sainte-Ursule.

J'en demande bien pardon aux lecteurs. Mais il faut finir ces récits par quelques scènes abominables. L'histoire a parfois l'aspect repoussant d'un amphithéâtre d'anatomie. On est libre de n'y point entrer, comme de ne point lire ce chapitre jusqu'au bout:

3 juillet 1703. – Mattia Troiano, valet de chambre d'un prélat du palais apostolique, coupable d'assassinat sur son maître, monte sur l'échafaud. Il ne pouvait plus se tenir sur ses jambes. Le bourreau lui ôta le chapeau et la perruque et lui banda les yeux. Il s'agenouilla. Le maître de justice lui donna sur la tête un coup terrible de massue, qui le jeta à gauche du billot, puis lui enfonça le couteau dans la gorge et ouvrit, en descendant, jusqu'à la poitrine, puis lui enleva la tête et le cœur, puis les entrailles et les graisses qu'il entassa à côté de l'échafaud; les autres morceaux furent accrochés à des perches tout autour. Le soir, on porta cette boucherie à Saint-Jean le Décapité au milieu de la foule qui gagnait, en l'accompagnant, les indulgences. On remarqua que Troiano, en sortant de prison, était blanc comme cire, en route, rouge comme du feu, puis violacé, puis noir, «effets de la mort qu'il redoutait», écrit le bon chroniqueur. Les prélats avaient loué les fenêtres propices à des prix fous, et y avaient placé leurs valets de chambre. La tête demeura dans une cage de fer, attachée à la porte Angelica, et les sœurs du criminel furent bannies de Rome jusqu'à la troisième génération.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
221 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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