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Читать книгу: «Romans et contes», страница 24

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VII
LE KIEF TOURNE AU CAUCHEMAR

Pendant mon extase, Daucus-Carota était rentré.

Assis comme un tailleur ou comme un pacha sur ses racines proprement tortillées, il attachait sur moi des yeux flamboyants; son bec claquait d’une façon si sardonique, un tel air de triomphe railleur éclatait dans toute sa petite personne contrefaite, que je frissonnai malgré moi.

Devinant ma frayeur, il redoublait de contorsions et de grimaces, et se rapprochait en sautillant comme un faucheux blessé ou comme un cul-de-jatte dans sa gamelle.

Alors je sentis un souffle froid à mon oreille, et une voix dont l’accent m’était bien connu, quoique je ne pusse définir à qui elle appartenait, me dit:

«Ce misérable Daucus-Carota, qui a vendu ses jambes pour boire, t’a escamoté la tête, et mis à la place, non pas une tête d’âne comme Puck à Bottom, mais une tête d’éléphant!»

Singulièrement intrigué, j’allai droit à la glace, et je vis que l’avertissement n’était pas faux.

On m’aurait pris pour une idole indoue ou javanaise: mon front s’était haussé, mon nez, allongé en trompe, se recourbait sur ma poitrine, mes oreilles balayaient mes épaules, et, pour surcroît de désagrément, j’étais couleur d’indigo, comme Shiva, le dieu bleu.

Exaspéré de fureur, je me mis à poursuivre Daucus-Carota, qui sautait et glapissait, et donnait tous les signes d’une terreur extrême; je parvins à l’attraper, et je le cognai si violemment sur le bord de la table, qu’il finit par me rendre ma tête, qu’il avait enveloppée dans son mouchoir.

Content de cette victoire, j’allai reprendre ma place sur le canapé; mais la même petite voix inconnue me dit:

«Prends garde à toi, tu es entouré d’ennemis; les puissances invisibles cherchent à t’attirer et à te retenir. Tu es prisonnier ici: essaye de sortir, et tu verras.»

Un voile se déchira dans mon esprit, et il devint clair pour moi que les membres du club n’étaient autres que des cabalistes et des magiciens qui voulaient m’entraîner à ma perte.

VIII
TREAD-MILL

Je me levai avec beaucoup de peine et me dirigeai vers la porte du salon, que je n’atteignis qu’au bout d’un temps considérable, une puissance inconnue me forçant de reculer d’un pas sur trois. A mon calcul, je mis dix ans à faire ce trajet.

Daucus-Carota me suivait en ricanant et marmottait d’un air de fausse commisération:

«S’il marche de ce train-là, quand il arrivera, il sera vieux.»

J’étais cependant parvenu à gagner la pièce voisine dont les dimensions me parurent changées et méconnaissables. Elle s’allongeait, s’allongeait… indéfiniment. La lumière, qui scintillait à son extrémité, semblait aussi éloignée qu’une étoile fixe.

Le découragement me prit, et j’allais m’arrêter, lorsque la petite voix me dit, en m’effleurant presque de ses lèvres:

«Courage! elle t’attend à onze heures.»

Faisant un appel désespéré aux forces de mon âme, je réussis, par une énorme projection de volonté, à soulever mes pieds qui s’agrafaient au sol et qu’il me fallait déraciner comme des troncs d’arbres. Le monstre aux jambes de mandragore m’escortait en parodiant mes efforts et en chantant sur un ton de traînante psalmodie:

«Le marbre gagne! le marbre gagne!»

En effet, je sentais mes extrémités se pétrifier, et le marbre m’envelopper jusqu’aux hanches comme la Daphné des Tuileries; j’étais statue jusqu’à mi-corps, ainsi que ces princes enchantés des Mille et une Nuits. Mes talons durcis résonnaient formidablement sur le plancher: j’aurais pu jouer le Commandeur dans Don Juan.

Cependant j’étais arrivé sur le palier de l’escalier que j’essayai de descendre; il était à demi éclairé et prenait à travers mon rêve des proportions cyclopéennes et gigantesques. Ses deux bouts noyés d’ombre me semblaient plonger dans le ciel et dans l’enfer, deux gouffres; en levant la tête, j’apercevais indistinctement, dans une perspective prodigieuse, des superpositions de paliers innombrables, des rampes à gravir comme pour arriver au sommet de la tour de Lylacq; en la baissant, je pressentais des abîmes de degrés, des tourbillons de spirales, des éblouissements de circonvolutions.

«Cet escalier doit percer la terre de part en part, me dis-je en continuant ma marche machinale. Je parviendrai au bas le lendemain du jugement dernier.»

Les figures des tableaux me regardaient d’un air de pitié, quelques-unes s’agitaient avec des contorsions pénibles, comme des muets qui voudraient donner un avis important dans une occasion suprême. On eût dit qu’elles voulaient m’avertir d’un piége à éviter, mais une force inerte et morne m’entraînait; les marches étaient molles et s’enfonçaient sous moi, ainsi que les échelles mystérieuses dans les épreuves de franc-maçonnerie. Les pierres gluantes et flasques s’affaissaient comme des ventres de crapauds; de nouveaux paliers, de nouveaux degrés, se présentaient sans cesse à mes pas résignés, ceux que j’avais franchis se replaçaient d’eux-mêmes devant moi.

Ce manége dura mille ans, à mon compte.

Enfin j’arrivai au vestibule, où m’attendait une autre persécution non moins terrible.

La chimère tenant une bougie dans ses pattes, que j’avais remarquée en entrant, me barrait le passage avec des intentions évidemment hostiles; ses yeux verdâtres petillaient d’ironie, sa bouche sournoise riait méchamment; elle s’avançait vers moi presque à plat ventre, traînant dans la poussière son caparaçon de bronze, mais ce n’était pas par soumission; des frémissements féroces agitaient sa croupe de lionne, et Daucus-Carota l’excitait comme on fait d’un chien qu’on veut faire battre:

«Mords-le! mords-le! de la viande de marbre pour une bouche d’airain, c’est un fier régal.»

Sans me laisser effrayer par cette horrible bête, je passai outre. Une bouffée d’air froid vint me frapper la figure, et le ciel nocturne nettoyé de nuages m’apparut tout à coup. Un semis d’étoiles poudrait d’or les veines de ce grand bloc de lapis-lazuli.

J’étais dans la cour.

Pour vous rendre l’effet que me produisit cette sombre architecture, il me faudrait la pointe dont Piranèse rayait le vernis noir de ses cuivres merveilleux: la cour avait pris les proportions du Champ-de-Mars, et s’était en quelques heures bordée d’édifices géants qui découpaient sur l’horizon une dentelure d’aiguilles, de coupoles, de tours, de pignons, de pyramides, dignes de Rome et de Babylone.

Ma surprise était extrême, je n’avais jamais soupçonné l’île Saint-Louis de contenir tant de magnificences monumentales, qui d’ailleurs eussent couvert vingt fois sa superficie réelle, et je ne songeais pas sans appréhension au pouvoir des magiciens qui avaient pu, dans une soirée, élever de semblables constructions.

«Tu es le jouet de vaines illusions; cette cour est très-petite, murmura la voix; elle a vingt-sept pas de long sur vingt-cinq de large.

– Oui, oui, grommela l’avorton bifurqué, des pas de bottes de sept lieues. Jamais tu n’arriveras à onze heures; voilà quinze cents ans que tu es parti. Une moitié de tes cheveux est déjà grise… Retourne là-haut, c’est le plus sage.»

Comme je n’obéissais pas, l’odieux monstre m’entortilla dans les réseaux de ses jambes, et, s’aidant de ses mains comme de crampons, me remorqua malgré ma résistance, me fit remonter l’escalier où j’avais éprouvé tant d’angoisses, et me réinstalla, à mon grand désespoir, dans le salon d’où je m’étais si péniblement échappé.

Alors le vertige s’empara complétement de moi; je devins fou, délirant.

Daucus-Carota faisait des cabrioles jusqu’au plafond en me disant:

«Imbécile, je t’ai rendu ta tête, mais, auparavant, j’avais enlevé la cervelle avec une cuiller.»

J’éprouvai une affreuse tristesse, car, en portant la main à mon crâne, je le trouvai ouvert, et je perdis connaissance.

IX
NE CROYEZ PAS AUX CHRONOMÈTRES

En revenant à moi, je vis la chambre pleine de gens vêtus de noir, qui s’abordaient d’un air triste et se serraient la main avec un cordialité mélancolique, comme des personnes affligées d’une douleur commune.

Ils disaient:

«Le Temps est mort; désormais il n’y aura plus ni années, ni mois, ni heures; le Temps est mort, et nous allons à son convoi.

– Il est vrai qu’il était bien vieux, mais je ne m’attendais pas à cet événement; il se portait à merveille pour son âge, ajouta une des personnes en deuil que je reconnus pour un peintre de mes amis.

– L’éternité était usée, il faut bien faire une fin, reprit un autre.

– Grand Dieu! m’écriai-je frappé d’une idée subite, s’il n’y a plus de temps, quand pourra-t-il être onze heures?..

– Jamais… cria d’une voix tonnante Daucus-Carota, en me jetant son nez à la figure, et en se montrant à moi sous son véritable aspect… Jamais… il sera toujours neuf heures un quart… L’aiguille restera sur la minute où le temps a cessé d’être, et tu auras pour supplice de venir regarder l’aiguille immobile, et de retourner t’asseoir pour recommencer encore, et cela jusqu’à ce que tu marches sur l’os de tes talons.»

Une force supérieure m’entraînait, et j’exécutai quatre ou cinq cents fois le voyage, interrogeant le cadran avec une inquiétude horrible.

Daucus-Carota s’était assis à califourchon sur la pendule et me faisait d’épouvantables grimaces.

L’aiguille ne bougeait pas.

«Misérable! tu as arrêté le balancier, m’écriai-je ivre de rage.

– Non pas, il va et vient comme à l’ordinaire…; mais les soleils tomberont en poussière avant que cette flèche d’acier ait avancé d’un millionième de millimètre.

– Allons, je vois qu’il faut conjurer les mauvais esprits, la chose tourne au spleen, dit le voyant, faisons un peu de musique. La harpe de David sera remplacée cette fois par un piano d’Erard.»

Et, se plaçant sur le tabouret, il joua des mélodies d’un mouvement vif et d’un caractère gai…

Cela paraissait beaucoup contrarier l’homme-mandragore, qui s’amoindrissait, s’aplatissait, se décolorait et poussait des gémissements inarticulés; enfin il perdit toute apparence humaine, et roula sur le parquet sous la forme d’un salsifis à deux pivots.

Le charme était rompu.

«Alleluia! le Temps est ressuscité, crièrent des voix enfantines et joyeuses; va voir la pendule maintenant!»

L’aiguille marquait onze heures.

«Monsieur, votre voiture est en bas,» me dit le domestique.

Le rêve était fini.

Les hachichins s’en allèrent chacun de leur côté, comme les officiers après le convoi de Malbrouck.

Moi, je descendis d’un pas léger cet escalier qui m’avait causé tant de tortures, et quelques instants après j’étais dans ma chambre en pleine réalité; les dernières vapeurs soulevées par le hachich avaient disparu.

Ma raison était revenue, ou du moins ce que j’appelle ainsi, faute d’autre terme.

Ma lucidité aurait été jusqu’à rendre compte d’une pantomime ou d’un vaudeville, ou à faire des vers rimants de trois lettres.

FIN
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
22 октября 2017
Объем:
400 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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