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Читать книгу: «Le paravent de soie et d'or», страница 4

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BAMBOU-NOIR, à part.

Me voilà pris à mon propre piège; mais pas encore vaincu.

(Il s'approche du paravent et dit tout bas à Perle-Fine:)

Si je meurs, pensez quelquefois à moi.

– Je vous suivrai au tombeau, répond la jeune fille.

– Au revoir, ou adieu.

(Perle-Fine quitte sa cachette, pour ne pas être surprise par son oncle, et se retire tristement.)

ROUILLE-DES-BOIS, revenant.

Vous serez admirablement sur le banc d'honneur pour dormir.

BAMBOU-NOIR

J'y serai fort bien.

ROUILLE-DES-BOIS, à part.

Il a l'air parfaitement tranquille, (il monte sur une chaise pour éteindre la lanterne qu'il ne peut pas atteindre.)

BAMBOU-NOIR

Laissez, laissez, je me charge de tout éteindre. J'aime à dormir clans l'obscurité.

ROUILLE-DES-BOIS Bien! bien! (Il va mettre le verrou à la petite porte et la ferme à clé.) Il fait décidément un froid terrible.

BAMBOU-NOIR, qui s'évente.

Vraiment! Hâtez-vous de gagner votre lit, vous pourriez prendre mal.

ROUILLE-DES-BOIS, à part.

Il s'évente! (Haut). Bon sommeil, Seigneur.

BAMBOU-NOIR

Ayez de beaux rêves.

ROUILLE-DES-BOIS. (Il sort, puis passe sa tête par l'entrebâillement de la porte.)

N'oubliez pas d'éteindre les lanternes.

BAMBOU-NOIR

Soyez tranquille.

– Eh bien! me voici dans une belle situation! s'écria Bambou-Noir resté seul. Je suis déjà transi jusqu'aux moelles! Maudit vieillard! (Regardant autour de lui.) Pas un tapis dans lequel on puisse s'envelopper! (Il remue les cendres du réchaud.) Glacées! brou! j'ai l'onglée, mes pieds sont comme paralysés. Si je triomphe pourtant, quel bonheur! Est-ce que cette pensée ne suffira pas à me réchauffer? (il frissonne.) Non … Essayons de dormir. En me reployant sur moi-même, je conserverai peut-être le peu de chaleur qui me reste. (Il se couche sur le banc devant la fenêtre.) Hélas! pourquoi la vertu de ma tunique est-elle illusoire? (il se tait et tâche de dormir. – On entend alors, à travers les serrure, sous les portes, de tous côtés, des sifflements, des miaulements, des hurlements extraordinaires, produits par le vent.) (Se relevant.) Qu'est-ce que cela?..

Une légion de diables semblent se combattre. Ils miaulent, ils beuglent. (Use lève.) Le roi des tempêtes tient ici sa cour… (Il prend le paravent et essaye de s'abriter.) Non, c'est par là… (Il le change déplace.) Par ici plutôt. (Il change encore.) C'est de tous les côtés. (Il s'enveloppe du paravent.) Voyons de Cette façon! (En sortant brusquement.) Non, cela forme un tirage capable de m'enlever! (il claque des dents.) Aïe! j'ai failli me casser une dent! Je n'y tiens plus! il me semble que mon sang se fige … une somnolence … un engourdissement… (Il s'assied.) C'est mortel, à ce que l'on dit, de se laisser gagner par le sommeil dans un cas pareil, mais… comment résister?.. Alors je suis mort.

(A ce moment Perle-Fine, descendue de sa chambre, frappe à la porte.)

– Cher Bambou-Noir! cria-t-elle. Vivez-vous encore?

– Ah! Perle-Fine! Je vis encore un peu! bien peu!

– Hélas! l'inquiétude m'a chassée de mon lit, des ruisseaux de larmes gèlent sur mes joues.

– Ma piété filiale est tout ce qui reste de chaud en moi, dit le jeune homme.

– Je suis cause de vos souffrances!

– Non, non, tu m'as sauvé au contraire; j'allais m'endormir, mais l'énergie me revient. Va, va, rentre chez toi, ne reste pas dans ce couloir glacial. A tout à l'heure! Tu seras ma femme, je le jure.

– Le ciel vous exauce! dit-elle en s'éloignant.

(Bambou-Noir se met à parcourir la salle en courant, sautant sur les meubles et faisant toutes sortes de gambades.)

– Les sages nous enseignent que le mouvement se transforme en chaleur; nous allons voir si cela est vrai.

(Il empoigne un chien de faïence et le met sous son bras, en continuant à courir.)

Ah! je sens déjà par tout le corps un picotement insupportable, comme si des milliers de fourmis me dévoraient. C'est bon signe, la vie revient.

(En prenant le second chien de faïence sous son bras:)

– Si j'avais dormi, j'étais perdu, j'aurais eu tout au moins plusieurs fragments de moi-même complètement gelés.

(Tenant toujours les chiens de faïence, il se glisse sous la table et l'enlève sur son dos.)

– Mon sang commence à circuler. Ah! Rouille-des-Bois! ah! vieux misérable, tu voulais me faire périr? Ah! tu fais souffrir de privations la nièce confiée à tes soins, tu gardes sa fortune et refuses de la marier selon les rites, pour ne pas payer la noce! Eh bien, tu la paieras tout à l'heure, rusé renard. Victime de ta cupidité, tu es tombé dans mon piège, et quand tu t'apercevras que tu es dupé, nous serons hors de la ville, Perle-Fine et moi.

(Le jour éclaire la fenêtre; il s'arrête un instant.)

– Je n'ai plus froid du tout, j'ai même chaud. Les sages ont bien parlé. Encore un tour et je serai en nage.

– Ah! tu croyais me trouver gelé ce matin, sec et dur, comme ton cœur d'avare! Ah! tu voulais réduire à néant l'invention merveilleuse de la tunique! Tu l'endosseras, tu l'endosseras, vieux ladre! et tu verras comme elle chauffe et nourrit son homme.

(On entend des pas.)

Victoire! Victoire! le vaincu approche!

(Bambou-Noir repose la table, replace les chiens, se couche et feint de dormir.)

(Rouille-des-Bois met la clé dans la serrure, entr'ouvre la porte, et passe la tête.)

– Si le jeune seigneur a voulu me tromper, je dois être, à l'heure qu'il est, bien vengé.

(Bambou-Noir fait entendre un ronflement.)

– Il est vivant! s'écria l'avare en entrant tout à fait. Mais c'est qu'il dort là comme dans le lit le plus douillet… Est-ce possible! sa main est chaude! Son front est moite!.. Il a dit vrai! Ah! ces bonzes d'Europe… quels sorciers! J'aurai en ma possession un trésor sans pareil! Plus un tsin à dépenser, plus un! Je garderai mon or, tout mon or! Je l'entasserai; personne ne l'aura! On ne peut douter, son front est mouillé de sueur! Voyons encore, je ne me trompe pas.

(Et il promène encore une fois sa main sur le front de Bambou-Noir.)

– Aïe! Qu'est-ce que c'est? Suis-je dans une caverne? Il me passe des serpents sur la figure, cria le jeune homme en feignant de s'éveiller.

– C'était ma main, jeune phénix, je tâtais…

– Une main glacée! De quel droit la promenez-vous sur ma figure? (il éternue.) Vous m'avez donné un rhume de cerveau. Qui êtes-vous d'abord? (Feignant de revenir à lui.) Ah! pardon, vénérable seigneur, ce brusque réveil! J'étais si loin d'ici: je rêvais que je cueillais des mandarines dans un bosquet d'orangers.

– Des mandarines!.. Vous n'avez pas oublié notre marché d'hier au soir?

– Quoi donc?

– Oh! Oh! n'allez pas vous dédire! La tunique merveilleuse est à moi, contre ce sac d'or.

– Ai-je promis cela?.. Ne dois-je pas aussi me charger d'une femme?..

– Ma charmante nièce, parfaitement; elle est prévenue et va venir.

(Il va ouvrir la petite porte.)

– Seigneur, je crois que j'étais ivre, hier, quand je vous ai fait toutes ces folles promesses.

– Ivre! Ivre! Ah! ah! n'essayez pas de m'échapper. J'ai des témoins, j'en ai: tous mes hôtes ont entendu les paroles échangées. (On entend de la musique, puis le marteau retentit.) Tenez, les voici qui viennent chercher les mariés, ils témoigneront. Les prodigues, ajouta-t-il tout bas, ils ont amené un orchestre!

(La petite porte s'ouvre et Perle-Fine paraît la tête couverte d'un voile rouge, tandis que par le fond entrent Cerf-Volant, Le Tigre, Le Prunier, Dragon-de-Neige.)

– Sauvé! J'ai réussi, dit tout bas Bambou-Noir à Perle-Fine.

– Ce sont des larmes de joie qui maintenant troublent mes yeux.

– Chut! fit Bambou-Noir.

– Oui, oui, seigneurs, il veut reprendre sa parole, criait l'avare.

– Ho! ho! voilà qui est impossible, dit Dragon-de-Neige.

– Vous êtes témoins, n'est-ce pas?

– La nièce est à lui, la tunique est à vous, affirma le Tigre.

– Contre la somme convenue, ajouta Le Prunier.

– Voici l'argent, dit Rouille-des-Bois, en posant un sac sur la table.

– Et la restitution par testament.

– Voici le testament, dit Rouille-des-Bois, tirant un papier de sa ceinture.

– Allons, je le vois, il faut s'exécuter, soupira Bambou-Noir en déboutonnant lentement la tunique.

– Je t'ai apporté un manteau fourré, dit à voix basse Dragon-de-Neige. Comment es-tu parvenu à le convaincre?

– Je vous conterai cela, dit Bambou-Noir. La cérémonie de mon mariage commence, ajouta-t-il en entendant la mélodie que jouaient les musiciens.

ROUILLE-DES-BOIS, amenant solennellement Perle-Fine à Bambou-Noir.

Seigneur, voici votre fiancée, (A Perle-Fine.) Ma nièce, ce jeune seigneur désire vous prendre pour femme. Vous devez le suivre, c'était la volonté de vos parents, c'est aussi la mienne.

PERLE-FINE, après avoir salué Rouille-des-Bois.

Mon oncle très vénéré, vos désirs sont des lois pour moi. Je vous remercie de m'avoir élevée en me comblant de soins. Je vous remercie de fixer aujourd'hui mon avenir. Je souhaite que vous viviez des centaines et des milliers d'années. En vous quittant, je ne puis retenir mes larmes.

ROUILLE-DES-BOIS

Allons, cela suffit!

BAMBOU-NOIR

Oncle vénérable, votre neveu très soumis vous souhaite toutes les prospérités.

ROUILLE-DES-BOIS

Allez, et soyez heureux.

(Bambou-Noir ôte sa tunique qu'il pose sur le dos d'un fauteuil; il met le manteau.)

DRAGON-DE-NEIGE

Hâtez-vous, jeunes époux, les chevaux rongent leur frein; ils sont impatients de vous emporter vers le séjour du bonheur.

PERLE-FINE, à Cerf-Volant ahuri.

Adieu, Cerf-Volant!

CERF-VOLANT, pleurant.

Hi! hi!

(Les amis de Rouille-des-Bois forment une haie vers la porte. – Bambou Noir tenant Perle-Fine par la main passe au milieu d'eux.)

DRAGON-DE-NEIGE, aux fiancés.

Que la fortune soit votre amie!

LE TIGRE

Le bonheur votre compagnon!

LE PRUNIER

Puissiez-vous n'avoir que des fils!

(Les fiancés, après un dernier signe d'adieu, sortent rapidement.)

Peu de temps après cette aventure, Cerf-Volant, plus maigre et plus effaré que jamais, vint trouver Bambou-Noir dans sa maison. Il le regarda longtemps avec terreur avant d'oser lui adresser la parole.

– Eh bien! tu ne sembles pas très bien portant, mon pauvre Cerf-Volant, dit le jeune homme en riant; aurais-tu eu quelque indigestion depuis que je ne t'ai vu?

– Oh! non, dit Cerf-Volant, les bras au ciel.

– Veux-tu manger quelque chose?

– Oh! oui.

– Mais que venais-tu me dire?

Le maigre garçon prit une figure lamentable et trembla de tous ses membres; à la fin, il balbutia:

– Mort!

– Qui est mort?

– Maître!

– Comment est-il mort?

– De faim!

– Eh! grands poussahs! s'écria Bambou-Noir, pouvait-on s'imaginer, vraiment, qu'il s'entêterait à ne pas manger?

Tout chagrin, il se rendit sur l'heure à la maison de l'oncle de sa femme, et, en sa qualité d'héritier, se fit ouvrir les caves. Comme il le prévoyait, elles étaient encombrées de sacs d'or et d'argent.

Rouille-des-Bois eut des funérailles somptueuses, qui auraient tiré des larmes à ses yeux défunts, s'il lui avait été donné d'en connaître le prix. Bambou-Noir avait tenu à se conduire en parent affectueux et en héritier reconnaissant. Mais ses larmes essuyées, il retourna à son bonheur, maintenant complété par la fortune.

Cerf-Volant entra au service des jeunes époux; il engraissa tellement qu'au bout d'une année, ses yeux obliques, jadis si grands, n'apparaissaient plus dans son visage que comme deux traits de pinceau.

LE RAMIER BLANC

COMÉDIE CHINOISE
PERSONNAGES
PÉ-MIN-TCHON, jeune lettré
SIAO-MAN, jeune orpheline
FAN-SOU, sa suivante

La scène se passe en Chine, dans la capitale de la province de Chen-Si.

Le théâtre représente un paysage au bord d'un lac. Adroite au premier plan, l'angle d'une maison. Un perron de quelques marches précède la porte; il est flanqué à chaque coin d'un monstre de porcelaine. A droite encore, mais un peu plus haut, un banc rustique sous un pêcher en fleurs. A gauche, au fond, la balustrade d'une terrasse et d'un escalier, descendant d'une pagode. Au fond, un lac entre des saules et des roseaux. Arbres printaniers, fleurs, clair de lune.

SCÈNE PREMIÈRE
SIAO-MAN

SIAO-MAN (elle porte une lanterne allumée et sort avec précaution du pavillon de droite).

Hélas! c'est mal ce que je fais là! Sortir ainsi, la nuit, au lieu de dormir paisiblement, la joue sur l'oreiller de soie. Pourtant, la nuit est arrivée à mi-chemin dans le ciel, et tous les rêves commencés sont à la moitié de leur cours. Mais la nuit est longue et fiévreuse pour celle qu'une pensée tyrannique tient éveillée.

(Elle pose sa lanterne sur la dernière marche du perron et s'avance.)

Je tremble comme un voleur! Serais-je coupable vraiment d'être venue respirer la douceur de cette nuit de printemps?.. Non, mais… suis-je bienvenue pour cela seulement?.. Pourquoi donc, au lieu de réveiller ma suivante Fan-Sou pour la prier de m'accompagner dans cette promenade, me suis-je glissée silencieusement le long des rampes, en retenant les perles sonores qui bruissent à ma ceinture! Pourquoi, depuis plusieurs nuits, le sommeil s'éloigne-t-il de moi? Et pourquoi, pendant ces longues veilles, ai-je secrètement brodé sur un sachet odorant des sarcelles de soie qui voguent côte à côte sur un lac en fil d'argent?.. Je n'ose m'avouer à moi-même que j'ai brodé ce sachet pour un jeune voyageur qui loge depuis quelque temps dans la pagode voisine et auquel, malgré moi, je pense sans cesse comme à un fiancé. Hélas! il va sans doute repartir bientôt, pour toujours, et il n'est aucun moyen de le retenir. Qui sait? S'il trouvait sur le seuil de sa porte ce sachet de soie violette, s'il voyait les oiseaux symboliques, s'il lisait les quatre vers que j'ai brodés sur l'étoffe, il penserait que quelqu'un s'intéresse à lui dans ce pays et, peut-être, il retarderait son départ de quelques jours.

(Elle remonte vers la pagode.)

Sa lampe jette une lueur pâle à travers le papier transparent des fenêtres. Il veille: l'amour de l'étude emplit son esprit et il dédaigne de dormir.

SCÈNE II
SIAO-MAN, FAN-SOU

FAN-SOU, dans la coulisse.

Maîtresse! maîtresse! où es-tu? Maîtresse! réponds-moi!

(Elle entre avec une lanterne à la main et cherche tout autour de la scène.)

SIAO-MAN, à part.

Ciel! Fan-Sou.

(Elle cache le sachet dans sa manche et redescend la scène.)

FAN-SOU, lui mettant la lanterne sous le nez.

A-Mi-To-Fo! la voilà! Je n'en puis croire mes yeux! le feu est-il à la maison? es-tu prise de folie? es-tu malade? (Elle fait le tour de Siao-Man.) Mais lion, elle semble se porter à merveille. (Elle lui tâte le pouls.) La main est fraîche, le pouls régulier, la tête ne brûle pas. (Elle dépose la lanterne à terre et croise les bras.) Ah! c'est donc ainsi qu'on se cache de moi? C'est ainsi qu'on se glisse hors de sa chambre en faisant si peu crier le plancher, que l'oreille exercée de Fan-Sou croit n'avoir entendu que le vent qui souffle sur les fleurs! Voilà comment une jeune fille, respectueuse des convenances, sort sournoisement de sa maison.

SIAO-MAN

Écoute-moi, Fan-Sou…

FAN-SOU

Oui, oui, si ta vénérable tante, qui depuis trois ans est partie pour recueillir l'héritage de son époux, revenait subitement et te disait: «Petite scélérate, que fais-tu à une pareille heure sur la place publique?» Tu lui répondrais: «Écoute-moi, ma tante…»

SIAO-MAN

Mais, Fan-Sou, vois donc la fête que donne le printemps, vois la douce lumière que la lune répand sur l'or neuf des longues feuilles de saules, regarde les mille diamants qui scintillent sur le lac! Comment dormir par une semblable nuit? Ne respires-tu pas le tiède vent d'est qui effeuille les fleurs de pêchers et se parfume en frôlant nos vêtements de soie? Vois donc cette goutte de rosée, suspendue à la pointe dune herbe: elle a volé un rayon à la lune et se croit une petite étoile. Écoule la voix tendre et sonore du rossignol.

(La fenêtre de la pagode s'est ouverte, on entend le prélude d'une flûte.)

FAN-SOU, ironique.

Le rossignol?

PÉ-MIN-TCHON (il chante dans la coulisse.)

 
J'ai vu les plus beaux pays,
J'ai vu les dieux d'or et d'azur,
Les palais, les champs de riz,
La tour qui luit dans le ciel pur.
 

FAN-SOU

Ma chère maîtresse, si tu tiens absolument à jouir de cette nuit de printemps, éloignons-nous un peu d'ici; il n'est pas convenable que des femmes se promènent ainsi sous la fenêtre d'un jeune homme.

SIAO-MAN

Que dis-tu, Fan-Sou? N'est-ce pas un pieux lao-tseu qui chante un hymne saint à Fo?

FAN-SOU

Ha! ha! Tu prends cette chanson pour un hymne à Fo? Mais tu ignores donc qu'un jeune lettré se rendant à Pékin pour les grands concours, habite depuis quelque temps dans ce pavillon?

SIAO-MAN

Qu'importe! Laisse-moi écouter encore: rien n'est charmant comme le son d'une flûte dans la nuit.

FAN-SOU

Est-ce la flûte seulement qui te plaît?

PÉ-MIN-TCHON, dans la coulisse.

 
J'ai ri, j'ai bu sous la lune,
Bercé par les flots des étangs,
Et j'ai fêté la fortune
Avec des amis de tous rangs.
Mais mon cœur reste solitaire
A quoi bon chercher le bonheur?
Sans fiancée, il n'en est pas sur terre!
 

FAN-SOU

Maîtresse, maîtresse! partons d'ici. Bien que nous ne pensions pas à lui, ce jeune homme, s'il nous voyait, pourrait croire que nous l'avons remarqué.

SIAO-MAN

Comment pourrait-il avoir une pareille pensée? Mais, puisque tu le veux, retirons-nous.

FAN-SOU

Je passe la première, cache-toi dans l'ombre que je projette en marchant.

(Siao-Man reste un peu en arrière et jette le sachet sur l'escalier de la pagode.)

SIAO-MAN

Ah! Poussahs! Faites qu'il le ramasse et que ce soit un talisman qui le retienne ici.

(Elles s'éloignent.)

SCÈNE III
PÉ-MIN-TCHON

PÉ-MIN-TCHON (il sort du pavillon et s'accoude à la balustrade de la terrasse.)

Il m'a semblé entendre un chuchotement de jeunes voix… Je me suis avancé avec précaution, et, cependant, j'ai fait fuir les farouches promeneuses qui, sans doute, venaient jouir secrètement de la splendeur de cette nuit. Je me suis trompé peut-être, et c'est dans ma rêverie que de jeunes voix gazouillaient (il aperçoit le sachet.) En ce moment, c'est encore une illusion qui trompe mes yeux, car je crois voir une large fleur éclose sur cette marche de marbre.

(Il s'avance vers l'escalier, puis s'arrête.)

Pourquoi descendre? A quoi bon me convaincre que c'est seulement l'ombre d'un oranger voisin? Cependant, elle me semble briller toute pleine de rosée. C'est la lune, sans doute, qui se mire dans les paillettes de marbre.

(Il descend rapidement et ramasse le sachet.)

Ah! (il respire.) C'est bien une fleur par le parfum.

(Il s'avance de quelques pas et cherche un rayon de lune.)

Je suis inconnu dans cette ville, nul visiteur ne monte l'escalier de ma chambre, comment ce précieux sachet a-t-il été perdu sur cette marche?.. Ne voudrais-je pas croire que quelqu'un l'a jeté là?.. (il l'examine.) Un paysage est brodé sur l'étoffe. Voyons: je n'ai pas rêvé que les sarcelles sont l'emblème de l'amour conjugal? et voici bien deux sarcelles qui voguent côte à côte. Ah! quatre vers tracés en fil d'or sur la soie. Je puis les lire à la clarté de la lune, (il lit.)

 
De son nid, une tourterelle
Vit un ramier blanc qui volait,
Et rêva de lui nouer l'aile
Avec un ruban violet.
 

Cette fois, le doute n'est plus permis; c'est bien à moi que sont adressés ces vers et c'est une femme qui les a composés. Tâchons de les bien comprendre et d'en découvrir le sens caché. Elle se compare à une tourterelle qui voit passer un ramier blanc. Cela veut dire qu'elle n'ignore pas mon nom qui signifie le ramier blanc et qu'elle désire être ma compagne. Elle fait aussi allusion à ma situation dans cette ville où je ne fais que passer. C'est bien cela; elle voudrait m'empêcher de continuer mon chemin, et pour me retenir elle me donne ce sachet taillé dans un ruban violet.

Ce parfum me semble contenir tout l'arôme du printemps en fleur! Qu'il faut peu de chose pour troubler le cœur de l'homme! Me voici tout ému pour un bout de soie odorant.

SCÈNE IV
LE MÊME, SIAO-MAN

SIAO-MAN

Fan-Sou m'a perdue de vue, et je suis revenue malgré moi de ce côté. S'il en était temps encore, je voudrais reprendre ce gage, jeté si imprudemment sur le seuil d'un inconnu.

(Elle aperçoit Pé-Min-Tchon.)

Ah!

(Elle cache son visage derrière un éventail.)

PÉ-MIN-TCHON, à part.

C'est elle, peut-être. Comment le savoir? Je tremble de l'offenser.

SIAO-MAN, à part.

La peur et la honte rendent mes pieds lourds comme du plomb; je n'ai pas la force de m'enfuir.

PÉ-MIN-TCHON (il s'avance et salue en élevant les poings fermés à la hauteur de son front.)

Noble jeune fille! c'est en tremblant que je t'adresse la parole. Mais je me trouve dans une situation difficile: Bien que je sois innocent, je pourrais être accusé comme voleur (Siao-Man se recule avec effroi). J'ai trouvé un objet précieux et je cherche, pour le lui rendre, celui à qui il appartient. N'as-tu rien perdu sur cette place (Siao-Man fait signe que non.) En es-tu bien sûre? Aucun collier n'a glissé de ton cou? Nulle perle ne s'est détachée des épingles qui ornent tes cheveux?

(Siao-Man fait signe que non.)

PÉ-MIN-TCHON, plus bas.

Mais ton cœur n'a-t-il pas perdu quelque chose de sa tranquillité? As-tu toujours la gaîté des jeunes tourterelles qui n'ont pas encore construit leur nid? (Siao-Man se recule vivement.) Ne me fuis pas, jeune fille, je t'en conjure; écoute encore un instant. Je puis me comparer à un ramier dont les ailes sont entravées par un réseau de soie. Est-ce toi, dis, qui as tendu le doux piège où s'est prise ma liberté?

(Siao-Man, toute tremblante, secoue la tête.)

Je dois me taire alors; j'ai trop parlé déjà! J'ai peut-être dévoilé le secret de celle qui pense à moi. Je ne sais pourquoi, j'aurais voulu que tu fusses celle-là!

(On entend venir Fan-Sou. – Siao-Man effrayée fait signe à Pé-Min-Tchon de s'éloigner. Il rentre précipitamment dans la pagode; pas assez vite pour que Fan-Sou ne l'ait pas aperçu.)

SCÈNE V
FAN-SOU, SIAO-MAN

FAN-SOU, regardant la porte de la pagode.

Ah! (regardant Siao-Man qui s'embarrasse.) Ah! (Elle fait un salut.) Très bien! (Tout à coup elle se met à crier.) Au Secours! au secours! Qu'on amène un médecin: ma maîtresse est devenue folle! La voilà qui parle avec un homme! sur la place publique! la nuit!

SIAO-MAN, arrêtant Fan-Sou.

Tu te trompes; je n'ai pas parlé à ce jeune homme, c'est lui qui m'a adressé la parole.

FAN-SOU

Vraiment! Voici une nuance fort subtile. Il ne te manquerait plus que de lui avoir parlé la première. Et peut-on savoir ce que te disait ce bel étudiant, que tu prenais pour un oiseau?

SIAO-MAN

Crois-tu que c'était le voyageur qui habite ce pavillon?

FAN-SOU

Tu le sais probablement mieux que moi.

SIAO-MAN

Il m'a demandé si je n'avais pas perdu quelque chose.

FAN-SOU

Ah! Et tu lui as répondu que non?

SIAO-MAN

Je lui ai fait signe que non.

FAN-SOU

Eh bien, tu t'es trompée: tu as perdu quelque chose.

SIAO-MAN

Non, je t'assure.

FAN-SOU, croisant les bras et prenant une mine sévère.

Oui! tu as perdu plus qu'un trésor, plus que tous les trésors du monde: tu as perdu la pudeur qui est pour les jeunes filles comme le socle d'or du dieu Fo. Comment! Toi, si soucieuse des rites, que tu refuses de toucher aux mets qui ne sont pas servis selon l'ancien usage, et qui ne consentirais pour rien au inonde à t'asseoir sur une natte mal étendue, tu oublies le respect de toi même au point de courir les rues au milieu de la nuit et de prêter l'oreille à la voix d'un jeune homme! J'en suis pétrifiée de stupeur! Tu ne te souviens donc plus que celle qui offense les rites prescrits, qui se laisse voir ou entendre de son fiancé avant le soir des noces, ou fait aucune démarche contraire aux convenances, ne peut plus être prise que pour épouse de second rang? Tu as l'air maintenant d'un oiseau souillé de boue, d'une fleur écrasée par le pied lourd d'un passant, et tu as perdu ton prix comme une étoffe tachée d'huile.

(Siao Man se cache le visage dans ses mains).

FAN-SOU, adoucie.

Tu pleures? (Elle s'approche d'elle.) Tu ne vois donc pas que je plaisante? Je voulais te faire peur, pour le punir de t'être ainsi cachée de moi. Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu aimais ce jeune homme? Si tu l'aimes, il faut l'épouser, voilà tout. S'il n'a pas vu ton visage, puisqu'il ne sait pas qui tu es, rien n'est perdu encore.

SIAO-MAN, recueillant ses larmes du bout de ses longs ongles.

L'épouser! Mais, ma chère Fan-Sou, comment pourrais-je me marier? Tu sais bien que je n'ai pas d'autre parent que ma tante, qui, depuis trois ans n'a pas donné de ses nouvelles et qui, peut-être, est morte. Qui donc pourrait faire, selon les rites, des propositions de mariage, à ce jeune homme? Qui pourra l'empêcher de quitter ce pays pour toujours?

FAN-SOU

En effet, je ne vois pas trop ce qui pourrait le retenir. La suivante Fan-Sou ne peut guère se présenter chez ce noble voyageur pour lui faire des propositions de mariage. Ah! l'absence de ta tante nous met dans un cruel embarras.

SIAO-MAN, abattue.

Tu vois bien, je dois renoncer à tout. Il ne me reste plus qu'à me retirer pour toujours dans une pagode.

FAN-SOU

A-Mi-To-Fo! attends un peu; ne te résigne pas si promptement, à moins que tu ne veuilles te retirer dans la pagode voisine.

SIAO-MAN

Ne te moques pas, méchante! Je suis bien malheureuse?.. Ah! si j'avais seulement un frère! (Elle demeure rêveuse.)

FAN-SOU, qui a réfléchi de son côté.

Peut-être y a-t-il un moyen de tout arranger.

SIAO-MAN

Ah! Fan-Sou! chère compagne, trouve-le, ce moyen.

FAN-SOU

Qui sait? Je l'ai peut-être trouvé déjà!

SIAO-MAN

Vrai? oh! dis-le, dis, vite.

FAN-SOU

Non: mon stratagème doit rester secret jusqu'à la fin.

SIAO-MAN

Mauvaise! (Regardant vers la pagode.) Tu espères au moins que je l'épouserai.

FAN-SOU

Tu l'épouseras, ou je perdrai mon surnom de Fine-Mouche.

SIAO-MAN

Ma jolie Fan-Sou!..

FAN-SOU

Allons! allons! du calme; ce jeune homme t'a donc à ce point tourné la tête?

SIAO-MAN

Ah! oui!.. Écoute, Fan-Sou, moi aussi j'ai une idée.

FAN-SOU, lui mettant la main sur la bouche.

Ne la dis pas: mets-la en œuvre de ton côté; si je la connaissais, elle pourrait contrarier la mienne.

SIAO-MAN

C'est bien, je me tais.

FAN-SOU

Viens! viens! rentrons. Nous sommes vraiment folles de nous promener à une pareille heure.

SIAO-MAN

Rentrer? déjà!

(Elle regarde la pagode.)

FAN-SOU, sur les marches du perron.

Mettez-donc dix-sept ans à enseigner à une jeune fille les règles de bienséance, de modestie, de retenue, prescrites à son sexe, pour que, en une seconde, elle oublie tout!

SIAO-MAN

Ne gronde pas, me voilà, mais tu me jures que je l'épouserai.

FAN-SOU

Fais-moi couper la langue si j'ai menti. (Elles sortent.) (Le jour vient. – Un oiseau chante dans les arbres. – La cloche de la pagode commence à tinter.)

SCÈNE VI
PÉ-MIN-TCHON

PÉ-MIN-TCHON, descend lentement du pavillon. – Il lit.

«… Un jour l'empereur Fou-Si se promenait sur les rives du fleuve Jaune; tout à coup il vit sortir de l'eau un dragon, portant entre ses ailes une tablette de Jade. L'empereur prit la tablette sur laquelle étaient gravés des signes mystérieux; à l'aide de ces signes il forma les huit Koua, symboles des éléments. Des huit Koua est née l'écriture, (il s'assied sur le banc et tire de sa manche le sachet brodé par Siao-Man.) Il me semble que je me souviens mal du troisième vers.

… Et rêva de lui nouer l'aile…

C'est vrai: Je remplaçais le caractère qui signifie: rêver par celui qui signifie: désirer. C'est cela, je ne le regarderai plus. (Il regarde la maison de Siao-Man.) Je crois que c'est là qu'habite la jeune fille à qui j'ai parlé cette nuit. Je veux m'en assurer; c'est pourquoi je suis venu m'asseoir sur ce banc. Personne ne peut sortir ou entrer sans être vu de moi. Je vais feindre d'étudier, cela me donnera l'air indifférent. Oh! chère étude, toi qui étais hier la préférée, tu rends encore une fois service à celui qui te dédaigne aujourd'hui. N'a-t-on pas fait glisser le châssis d'une fenêtre? Non. (Il regarde son livre.) Étudier! Il me semble que les feuillets de ce livre sont en soie violette et qu'à chaque ligne est tracé un nom que je ne puis distinguer. Cette fois, la porte a grincé; quelqu'un sort de la maison.

SCÈNE VII
PÉ-MIN-TCHON, FAN-SOU

PÉ-MIN-TCHON, à part.

C'est une suivante sans doute; sous quel prétexte l'aborder? (Il s'avance vers Fan-Sou et la salue cérémonieusement.) Jeune femme, reçois mes saluts.

FAN-SOU, à part

C'est notre jeune écolier; pourquoi donc me salue-t-il? (Haut.) Seigneur, je ne suis pas digne de vos hommages.

PÉ-MIN-TCHON

Comment se porte ta noble maîtresse?

FAN-SOU, à part.

Tiens! tiens! il a remarqué la maison… Attends un peu, je vais te dérouter (Haut.) Pas trop mal, pour son âge.

PÉ-MIN-TCHON, à part.

Que dit-elle? (Haut.) La jeunesse est délicate: peut être est-ce la croissance qui la fatigue.

FAN-SOU

En effet, l'excroissance qu'elle a sur l'œil a beaucoup grossi.

PÉ-MIN-TCHON, à part, effrayé.

Comment!.. (Haut.) Et… a-t-elle bien passé la nuit?

FAN-SOU

Non, assez mal: sa jambe de bois la gênait. Elle m'a priée de la lui ôter; puis, une heure après, il a fallu la lui remettre.

PÉ-MIN-TCHON

Quelle horreur!

FAN-SOU

Que voulez-vous! les vieilles gens sont exigeants! Je rentre lui annoncer votre visite.

PÉ-MIN-TCHON

Non! non! jamais!

FAN-SOU

Vous n'êtes donc pas l'ami de ma maîtresse?

PÉ-MIN-TCHON

Je ne la connais nullement.

FAN-SOU

Pourquoi donc m'avez-vous abordée, alors?

PÉ-MIN-TCHON, hésitant.

C'était … pour te demander ton avis … sur une question philosophique.

FAN-SOU, éclatant de rire.

Est-il possible! Le bouton de cristal brillant sur votre calotte m'indique que votre talent est en fleur, et vous venez me demander conseil à moi, qui ne suis qu'une pauvre suivante.

PÉ-MIN-TCHON

Les gens simples ouvrent quelque fois des idées nouvelles.

FAN-SOU, riant.

Eh bien! Voyons la question.

PÉ MIN-TCHON, à part.

Je ne sais vraiment que lui dire.

FAN-SOU, à part.

Voilà mon futur maître bien embarrassé.

PÉ-MIN-TCHON, à part.

Ah! (Haut.) Voici la question: Pourquoi la tradition, lorsqu'elle parle du Yn et du Yang…

FAN-SOU

Pardon! qu'est-ce que c'est que le Yn et le Yang?

PÉ-MIN-TCHON

Comment! tu ignores? C'est juste: j'oubliais ta condition. Le Yn et le Yang, ce sont les deux grands principes masculin et féminin de la nature.

FAN-SOU

Ah! Très bien, merci. Ensuite.

PÉ-MIN-TCHON

Pourquoi la tradition assimile-t-elle toujours le Yang, c'est-à-dire l'homme, à ce qui est beau, noble d salutaire, et le Yn, c'est-à-dire la femme, à tout ce qui est laid, vil et nuisible?

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
13 октября 2017
Объем:
180 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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