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Читать книгу: «Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires», страница 22

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XVII
UN COUP DE TRAFALGAR

Je ne sais à combien de milles nous étions des Canaries, quand un matin, nous commençâmes à danser de façon inquiétante. J'ouvris le hublot de ma chambre et observai la mer. La brise s'était levée. Le ciel, qui s'assombrissait de plus en plus à l'horizon, passait rapidement du gris plombé à la nuance terne de l'étain.

Par instants, de petites langues de feu couraient entre les nuages; des vagues marbrées d'écume blanche se poursuivaient sans relâche et l'eau prenait une teinte sinistre.

C'était le gros temps qui s'annonçait.

Bientôt, le vent se mit à chanter, puis à ronfler comme un orgue géant, chassant devant lui des fumées d'embruns. Les lames s'élevaient de plus en plus, et venaient s'abattre en claquant contre la coque du Sea-Gull.

Je refermai le hublot par lequel venait de pénétrer un paquet de mer.

– Ça beaucoup mauvais, missié Colombo, me dit Zanzibar, qui se tenait derrière moi… ti vas voir tout à l'heure.

Sur le pont, on entendait des pas précipités et la voix du capitaine Ross qui hurlait comme un fou:

– Up stairs, topmen! haul down topsails… lash up! Make haste!

La goélette courait au plus près en faisant des sauts de carpe, et, trop chargée de toile dans les hauts, gîtait sur bâbord, avec une bande terrible.

Zanzibar et moi étions obligés, pour conserver notre équilibre, de nous cramponner à l'épontille de notre cabine.

Le bon nègre, qui naviguait depuis longtemps, et avait déjà essuyé pas mal de coups de Trafalgar, riait comme un enfant, et ne cessait de répéter:

– Ti vas voir, missié Colombo… ça joli fox-trott tout à l'heure…

J'étais loin de partager la confiance du brave garçon, car je me demandais avec angoisse si le Sea-Gull résisterait à la tempête… C'était, en somme, un bateau de plaisance, et bien qu'il parût robuste, il était à craindre que la bourrasque ne l'endommageât sérieusement… Il ne me manquerait plus que ça: faire naufrage en plein Atlantique, et couler par le fond avec mon Régent.

Et la prophétie d'une vieille tireuse de cartes de Russel Street que j'avais consultée quelques années auparavant me revenait à l'esprit. Cette bonne femme, qui s'appelait miss Mowlouse, m'avait en effet prédit que j'étais menacé de périr par immersion et que, par conséquent, je devais redouter les «voyages sur l'eau».

Si tout de même elle avait dit vrai?..

Cependant, une chose me rassurait: ne m'avait-elle pas dit aussi que je finirais mes jours dans l'opulence… Laquelle de ces deux prédictions était la vraie? Je ne crois guère aux prophéties des tireuses de cartes, mais le vieux fonds de superstition qui sommeille au cœur de tout homme se réveillait en moi au moment du danger. On a beau jouer à l'esprit fort, il y a des moments dans la vie où l'on est, malgré soi, hanté par ces influences singulières que M. Lloyd George, lecteur passionné du grand Will, et mystique comme tous les Gallois, désigne dans ses mémoires (encore un qui écrit ses mémoires!) sous le vocable assez abscons d'«advertisement».

Zanzibar, lui, qui n'était pas du pays de Galles, et n'avait jamais lu Shakespeare, ne s'embarrassait pas de semblables futilités.

Il riait, imitait le bruit du vent, celui des vagues heurtant la coque du Sea-Gull, et se livrait à des contorsions grotesques chaque fois qu'une secousse menaçait de lui faire perdre l'équilibre.

Il y eut soudain une violente rafale suivie bientôt d'un claquement sinistre. Le vent, comme je l'appris, quelques instants plus tard, venait de déchirer un hunier que l'on n'avait pas eu le temps de carguer, et la voile en lambeaux battait maintenant dans l'espace, comme un énorme pavillon «fouettant» au bout de sa drisse. Je ne sais rien de plus impressionnant que le crépitement d'une voile humide qui, n'étant plus retenue par ses écoutes, se tourmente en tous sens pour se débarrasser de sa vergue.

– Du monde au cargue-point des basses voiles! commandait le capitaine Ross d'une voix aiguë, qui se confondait parfois avec le sifflement des cordages.

Le Sea-Gull gémissait dans toute son armature, et la voile déchirée continuait de battre avec un bruit d'ailes formidable. Ce qui devait arriver, arriva. Le mât, sous la pression de la toile, se rompit et tomba sur bâbord avec un fracas terrifiant.

– Oh! ça mauvais! cria Zanzibar qui ne riait plus.

Le Sea-Gull s'était incliné de telle façon que sa lisse effleurait l'eau. Il demeura dans cette position critique l'espace de trente secondes environ, puis se redressa sous un coup de barre et, lentement, vira de bord.

Maître Ross mettait le yacht debout au vent, afin de pouvoir prendre des ris dans la voilure, manœuvre qui s'exécuta rapidement, mais la brise fraîchissait de plus en plus, et on fut bientôt forcé de «capeyer».

Les matelots qui, je dois le reconnaître, avaient fait preuve d'une habileté merveilleuse, pendant tout le temps que dura cette manœuvre, essayèrent ensuite de ramener sur le pont le mât qui pendait, retenu par ses haubans, en dehors du Sea-Gull et dont la partie supérieure, toujours garnie de ses vergues, faisait fortement gîter le bateau. Le capitaine Ross fit couper les haubans et les étais, et l'on parvint, aux prix de difficultés inouïes, à ramener le maudit mât sur le pont.

Poussé par la curiosité, je m'étais hissé jusqu'au panneau avant. Une vive agitation régnait parmi les matelots, qui après avoir tenté une réparation de fortune, finirent par y renoncer. Sur un petit bateau, on peut à la rigueur remplacer un mât par un espars, mais sur un bâtiment d'un tonnage un peu élevé, cela est impossible.

Tout ce que l'on pouvait faire, c'était de résister à la bourrasque, «d'étaler le coup», comme on dit, mais ensuite, il serait impossible de continuer le voyage. Il faudrait rallier quelque port, afin de se procurer un nouveau mât, ce qui demanderait au moins une huitaine, et peut-être davantage.

Maître Ross était furieux, il s'en prenait à tous les hommes de l'équipage, comme s'ils eussent été solidairement responsables de l'accident, mais j'entendis son second qui disait, d'un ton maussade: «On a cargué trop tard».

La vérité, c'est que ce jour-là maître Ross, qui était légèrement pris de boisson (cela lui arrivait cinq jours sur sept), avait totalement manqué de présence d'esprit, et soit que sa vue fût troublée, soit qu'il pensât à autre chose, n'avait pas vu venir le grain… Quand il avait commandé «d'arriser», il n'était plus temps.

Heureusement qu'il avait eu la précaution de faire, quelques heures auparavant, rouler les hautes voiles, car sans cela nous n'aurions pas pu éviter la catastrophe.

Pour le moment, nous fuyions vent arrière, et refaisions, par conséquent, la route que nous avions déjà parcourue après avoir quitté les Canaries. Quand la tempête se fut calmée, j'allai rejoindre M. et Mme Pickmann, qui devaient être dans les transes. Je les trouvai, en effet, très émus, et aussi très malades. Ils étaient étendus sur le tapis de leur salle à manger, en proie à de terribles nausées. Tous deux étaient encore en costume de nuit: le mari en pyjama, la femme en chemise, et c'est à peine s'ils relevèrent la tête, lorsque j'entrai.

– Ah! c'est vous, mon bon Colombo, bégaya Mme Pickmann… Que s'est-il passé? grand Dieu!..

– Nous avons eu une avarie, répondis-je…

– Grave? demanda Pickmann.

– Oui… notre mât de misaine s'est rompu.

– Alors?

– Alors!! Je ne sais ce que va faire le capitaine.

– Ah! soupira la femme, il n'y a qu'à nous que ces choses-là arrivent… Tout avait si bien marché jusqu'ici…

– Espérons, dis-je, que ça s'arrangera…

Mme Pickmann, qui semblait moins malade que son mari, était parvenue à se mettre debout. Elle était dans un état pitoyable. Ses faux cheveux avaient glissé sur son oreille gauche, et sa chemise, déjà très échancrée, avait glissé de ses épaules, découvrant une opulente poitrine que j'aurais crue moins ferme…

– Voyons, mon petit Colombo, me dit-elle, parlez-nous franchement… que va-t-il arriver? Nous ne sommes pas en danger, au moins? Vous avez l'air inquiet, je suis sûre que vous ne dites pas tout ce que vous savez…

Elle redressa ses faux cheveux, remonta vivement sa chemise, et reprit:

– Ne nous cachez rien… M. Pickmann et moi nous voulons tout savoir.

– Aucun danger ne vous menace, répondis-je.

– Bien sûr?

– Je vous l'affirme.

Pickmann s'était assis sur le divan et se tenait la tête à deux mains… Il souffrait, cela était visible, et n'avait même pas la force de m'interroger… Il me rappelait ce personnage d'opérette qui, terrassé par le mal de mer, répond à un chef de pirates: «Pendez-moi, mais ne me remuez pas.»

La femme, plus énergique, s'inquiétait de la situation. Elle me posait, d'une voix entrecoupée de hoquets, des questions rapides dans lesquelles cette même phrase revenait sans cesse:

– Si nous sommes en danger, dites-le…

Je la rassurai du mieux que je pus, et j'allais me retirer, quand on frappa à la porte.

– Entrez, dit Mme Pickmann sans même prendre la peine de jeter un manteau sur ses épaules.

La porte s'ouvrit doucement et la grosse figure rougeaude du capitaine Ross apparut dans l'entre-bâillement.

– Pardon, dit-il, un peu confus… Je croyais…

Et il allait battre en retraite, quand Mme Pickmann le rappela:

– Voyons, capitaine… parlez… Qu'y a-t-il?

Le vieux loup de mer, sa casquette galonnée à la main, salua gauchement:

– Je voulais dire à M. Pickmann, fit-il, que notre mât de misaine s'est rompu, et que nous ne pouvons continuer notre route…

– Et alors?.. et alors?.. s'écria Pickmann, qui avait subitement retrouvé son énergie.

– Alors, monsieur, nous allons être obligés de regagner les Canaries… et de nous réfugier dans le port de Santa-Cruz afin de réparer l'avarie… Cela demandera une huitaine de jours environ…

– Huit jours! murmura Pickmann…

– Oui, au moins… à condition, toutefois, que nous puissions trouver des charpentiers qui exécutent immédiatement le travail…

– Et si nous n'en trouvons pas?..

– Oh! ce ne sont pas les charpentiers qui manquent à Santa-Cruz… mais ce port est très fréquenté!.. Peut-être y a-t-il dans les cales d'autres bateaux que la tempête a endommagés… Dans ce cas, nous serions obligés d'attendre notre tour…

– C'est bien, dit sèchement Pickmann, en se reprenant la tête entre les mains.

L'effort qu'il venait de faire l'avait anéanti, et il se laissa retomber sur son divan, où il demeura inerte.

Comme personne ne lui adressait plus la parole, le capitaine se retira.

– Tout cela ne vous semble pas louche? me demanda Mme Pickmann.

– Ma foi non, répondis-je… Maître Ross est bien obligé de relâcher dans un port… Comme Santa-Cruz est le port le plus rapproché, c'est celui-là qu'il a choisi… Ne vous tourmentez pas… Reposez-vous, je reviendrai vous voir avant le déjeuner.

J'avais déjà la main sur le bouton de la porte, quand Pickmann lança d'une voix pâteuse:

– Rien… à part ça, Colombo?

– Non… rien…

– Vous n'avez toujours pas vu l'autre passager?

– Vous y tenez, décidément…

– Cherchez bien… car je suis sûr…

Une violente nausée l'empêcha de continuer.

– Ce pauvre homme, dit Mme Pickmann, voyez comme il est malade… Vous ne connaissez pas un remède contre le mal de mer, mon bon Colombo… Je souffre horriblement, moi aussi… c'est affreux… Ce mauvais temps ne va donc pas cesser!

– Couchez-vous, dis-je… dans une heure je vous apporterai du thé… D'ailleurs, nous serons bientôt en eau calme…

– Vous croyez?

– Oui… lorsque nous aurons atteint le port de Santa-Cruz…

– Ah!

Mme Pickmann ne paraissait pas convaincue… Elle eût voulu sans doute m'interroger encore, mais les forces lui manquèrent, et elle se laissa tomber sur le divan, à côté de son mari…

XVIII
OU JE MURIS MON PLAN

J'allai retrouver Zanzibar qui préparait en chantant une horrible mixture destinée à l'équipage.

– Ti sais pas, dit-il… Bateau retourni Canaries… Ça bon, Canaries… plein de bananes… moi m'en coller plein le fisil… Là-bas, chez nous, bananes plus jolies encore, ti verras ça si ti viens avec moi… et pis beaucoup de dattes aussi… et noix de coco… tout plein… tout plein… Ti verras, Colombo, ti verras…

Je n'écoutais point… Trop de pensées, pour l'instant, se heurtaient dans ma tête… Ce qui m'inquiétait surtout, c'était cette escale que nous allions être obligés de faire à Santa-Cruz… Toutes mes combinaisons, tous mes projets s'effondraient soudain… ou étaient pour le moins retardés…

Quelles nouvelles complications allaient surgir encore?

Ah! décidément, je n'étais pas au bout de mes peines…

Jamais je n'ai tant réfléchi que pendant les six heures que le Sea-Gull mit à atteindre Santa-Cruz. Et ces réflexions, comme on le verra bientôt, ne furent pas inutiles. Mon imagination un peu endormie depuis quelque temps s'était brusquement réveillée et avait échafaudé tout un scénario qui eût certainement émerveillé Allan Dickson. Cet homme qui m'avait tant fait souffrir, puisque c'était à cause de lui que j'avais tâté du «Tread Mill», allait sans doute devenir ma Providence…

Mais n'anticipons pas… J'estime que lorsque l'on écrit ses mémoires, on doit classer par ordre tous les événements qu'on y relate, et donner à chacun l'importance et la place qu'il convient. J'ai lu beaucoup de mémoires, dans ma vie: les Confessions du grand Jean-Jacques, les Mémoires du Chevalier de Grammont, ceux de Chateaubriand et de l'inimitable Berlioz, mais tout en admirant ces chefs-d'œuvre, je trouve que leurs auteurs, et M. de Chateaubriand surtout, ont trop insisté sur certains détails, qui eussent certainement gagné à être un peu écourtés… Je ne doute pas que cette appréciation d'un cambrioleur ne fasse sourire certains critiques, mais chacun juge à sa façon… avec son bon sens. Ce que j'apprécie surtout dans les mémoires, c'est la franchise. Or, à part Rousseau qui a tout avoué (même les choses les plus schocking) je suis obligé de reconnaître que les autres mémorialistes se sont un peu trop flattés, et n'ont pas hésité à allonger leur récit, pour nous faire mieux savourer les beautés de leur éloquence, et les brillantes qualités dont les avait doués la nature.

Je n'ai point l'outrecuidance de me comparer à ces maîtres, mais j'ai le mérite de ne rien céler de mes défauts et de ne point me regarder dans un miroir avec trop de complaisance. Je dis ce qui est, un peu brutalement parfois, et ne me fais jamais meilleur que je ne suis; j'ai le malheur d'être un triste individu et j'ai le courage de l'avouer.

Combien consentiraient à en faire autant?.. Qu'on me pardonne encore cette petite digression, mais elle était, je crois, nécessaire, ne serait-ce que pour rappeler à mes lecteurs qu'Edgar Pipe leur livre sa vie tout entière, comme à des juges impartiaux. Puisse l'aveu que je fais de mes fautes me valoir quelque pitié de la part de ceux qui n'ont jamais cessé de suivre la belle ligne droite de l'honnêteté, et que l'amour du travail a préservés des «écarts» dont je me repens aujourd'hui…

Le Sea-Gull, sous son grand foc et sa voile d'artimon, filait en tanguant vers les Canaries. Il avait marché plus vite que nous ne nous y attendions, car avant la nuit il mouillait en rade de Santa-Cruz, en face de Ténériffe.

L'île de Ténériffe réunit, grâce à ses vallées, à son plateau et à ses côtes, tous les genres de température, excepté celle de l'hiver. Beaucoup d'Anglais préfèrent même le séjour de Ténériffe à celui de l'Italie, aussi Santa-Cruz est-elle très fréquentée. J'eus l'occasion de le constater, car le capitaine Ross, dès que nous fûmes stabilisés sur nos ancres, fit armer le canot et m'envoya à terre avec quelques matelots pour chercher des provisions.

La ville me parut agréable.

Ses rues droites, larges, aérées, ont des trottoirs pavés de pierres rondes et inégales que bordent des dalles de lave. On rencontre là nombre d'étrangers: des négociants des différentes parties du monde que distingue leur costume national.

Après avoir fait nos achats, nous nous offrîmes quelques «chiroutes» et plusieurs verres de vin de Madère, puis nous regagnâmes le bord.

Cette petite promenade n'avait pas été inutile. Elle m'avait permis de jeter un coup d'œil sur le port où de nombreux bâtiments, les uns chargés de bananes, les autres de tonneaux de vin, s'apprêtaient à prendre le large. Je vis aussi deux ou trois vapeurs dont l'un, qui portait le pavillon espagnol, allait se mettre en route pour Cadix, ainsi que me l'apprit un marin anglais qui fumait sa pipe à l'ombre d'une véranda, devant un flacon de whisky.

Dès que j'eus rallié le Sea-Gull, et rendu compte de ma mission à Maître Ross, j'allai porter à M. et Mme Pickmann le repas qu'avait préparé Zanzibar. Je les trouvai complètement remis de leur malaise. Ils avaient fait toilette, et semblaient m'attendre avec impatience.

– Ah! mon bon Colombo, s'écria Mme Pickmann dès que j'entrai dans la salle à manger, quelle aventure! Jamais je n'aurais cru que le mal de mer pût rendre si malade… Si cela devait recommencer, j'aimerais mieux débarquer tout de suite.

– Libre à vous, répondis-je… la ville est curieuse à visiter… et si vous voulez, après déjeuner, aller vous dégourdir un peu les jambes…

– Non… répondit sèchement Pickmann… D'ailleurs, je ne me sens pas bien…

Il s'assit avec sa femme devant la table où je venais de déposer un plat de poisson, et demanda soudain:

– Est-ce anglais, Santa-Cruz?

J'eus peine à réprimer un sourire devant tant d'ignorance.

– Non… répondis-je… c'est une possession espagnole…

– Ah! oui… c'est vrai… je ne sais où j'avais la tête… J'espère qu'on ne va pas venir à bord opérer une visite, au moins?

– Ma foi, je n'en sais rien… mais il est plus que probable que, lorsque nous serons amarrés à quai, la douane fera son apparition.

– Quoi! nous n'allons pas demeurer en rade?

– Non… dans quelques heures, nous allons gagner le port… c'est nécessaire… on ne peut pas «réparer» en pleine mer…

– Vous êtes sûr de ce que vous dites, Colombo?

– Oui…

Pickmann lança un coup d'œil à sa femme qui ne broncha pas.

Il y eut un silence, puis il reprit:

– Bah! la douane se contentera d'examiner les bagages… les grosses malles, les caisses. Je ne pense pas qu'elle ouvre les valises et les sacs à main…

– Qui sait? Les douaniers prennent parfois plaisir à ennuyer le monde… Ce sont des êtres maussades qui, furieux de voir les gens voyager et se payer des distractions, quand eux demeurent rivés à leur poste, se vengent en soumettant le touriste à une foule de formalités qu'ils compliquent à plaisir. J'ai connu un douanier anglais, du nom de Nasty, qui n'était jamais si heureux que lorsqu'il avait obligé une dame à déballer toutes ses toilettes, et jusqu'à son linge le plus intime.

– Cependant, nous ne faisons pas de contrebande… Si on nous a laissés partir d'Angleterre, c'est que nous étions en règle avec la douane…

– Avec la douane anglaise, oui… mais ici, n'oubliez pas que nous sommes en Espagne.

– Eh bien, dit Mme Pickmann, pour que ces messieurs du Custom-House n'aient pas le plaisir de chiffonner mes toilettes, je vais les étaler dans cette pièce.

Mme Pickmann exagérait évidemment quand elle parlait de ses toilettes, car sa garde-robe, comme la mienne, n'était pas des mieux «fournies».

Elle possédait en tout et pour tout une cape de drap noir, ornée d'arabesques grenat, un costume tailleur, une jupe foncée et quelques corsages aux tons criards. Quant à son mari, il n'avait que deux pauvres complets, celui qu'il portait tous les jours et un autre de teinte verdâtre, accroché dans une armoire. Et quels complets! grand Dieu!.. Ils eussent tout au plus convenu à Bill Sharper ou à Manzana.

Comme on voyait bien que ces gens-là étaient dans une purée noire avant le coup qui devait les enrichir!.. Tout ce qu'ils possédaient était neuf: malles, habits, linge, bottines… Ils s'étaient renippés vivement, au décrochez-moi ça, pressés qu'ils étaient de quitter Londres.

Il était même assez extraordinaire qu'ils fussent parvenus à fuir, puisque, avant leur embarquement, les journaux avaient déjà parlé d'eux… L'affaire avait fait beaucoup de bruit, beaucoup plus de bruit que celle du Régent, car les journaux français (que j'avais lus avec la plus grande attention) n'avaient pas soufflé mot de la disparition de mon diamant.

A quoi devais-je attribuer ce silence? Etait-ce un piège? Espérait-on ainsi donner confiance au voleur et le pincer plus facilement? Je crois plutôt que l'administration du musée du Louvre, après avoir prévenu la police, avait jugé inutile d'ébruiter un vol qui devait la «gêner» un peu, et qu'en attendant l'arrestation du coupable elle avait remplacé le Régent par un bouchon de carafe quelconque.

Tout en mangeant, Pickmann et sa femme continuaient de bavarder, mais on les sentait inquiets. Je m'efforçai d'ailleurs d'augmenter cette inquiétude. Cela faisait partie du plan que j'avais élaboré… Je dosais mes effets, avec l'habileté d'un Allan Dickson qui s'apprête à confondre un malfaiteur.

– Bah! qu'avez-vous à craindre, fis-je d'un petit air sournois, vos papiers sont en règle, n'est-ce pas?

– Oh!.. certes… très en règle, bégaya M. Pickmann en devenant rouge comme un piment.

– Alors… tout est pour le mieux…

– D'ailleurs, les douaniers ne nous demanderont pas nos papiers…

– Les douaniers… non, mais les gens de police.

– Les gens de police! Ont-ils le droit de pénétrer ici?

– Pourquoi pas?

Pickmann sursauta:

– Mais je ne suis pas un malfaiteur! s'écria-t-il… je…

– Voyons, calmez-vous… y a-t-il là de quoi se monter?.. Vous êtes un honnête homme, vous avez des papiers… Que pouvez-vous craindre?

– Rien… rien, assurément… Mais je me rappelle maintenant que je n'ai pas fait viser nos passeports…

– On ne les examinera pas à la loupe. Il suffira de les présenter, et si on s'apercevait, par hasard, qu'ils n'ont pas été timbrés au départ, vous diriez qu'en Angleterre certains personnages connus sont dispensés de cette formalité… Est-ce que vous croyez que M. Lloyd George lorsqu'il va de Londres à Cannes ou à Paris fait chaque fois viser ses passeports?..

– Je ne suis pas M. Lloyd George.

– Vous pouvez être un homme de qualité quand même… Il y a à Londres beaucoup de Pickmann… Il en existe même un qui, si je ne me trompe, est allié à la famille de Connaught… Ne seriez-vous pas celui-là?

– Non…

Mme Pickmann qui, jusque-là, était demeurée silencieuse, ce qui me surprenait fort, crut devoir ajouter:

– Nous sommes des gens de modeste condition…

Je le voyais bien, parbleu! elle n'avait pas besoin de le dire.

Décidément, ils étaient plus stupides encore que je ne le supposais, et j'avais la partie belle avec eux.

Comme ils s'étaient un peu rassurés, je crus devoir, avant de les quitter, leur donner un premier «coup d'assommoir».

– Ah! à propos, fis-je d'un air distrait, vous me souteniez l'autre jour qu'il y avait à bord de ce bateau un personnage mystérieux… Eh bien! c'est vous qui aviez raison…

– Vous l'avez vu? demanda Pickmann, d'une voix tremblante.

– Oui… Il y a une heure à peine.

– Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tôt?

– Je n'y ai pas songé…

– Comment est-il?

– Grand… entièrement rasé… assez élégant, ma foi… Il me semble avoir déjà vu cette tête-là quelque part… à Londres, probablement…

– C'est lui! lança imprudemment Mme Pickmann.

Je la regardai.

Pour expliquer le trouble qui l'agitait, elle ajouta en me prenant le bras:

– Ecoutez, mon bon Colombo… Puisque vous êtes un ami, nous pouvons tout vous dire… Eh bien!.. cet homme est un de nos parents…

– Ah!

– Oui… un affreux gredin qui nous a joué des tours pendables, et qui veut aujourd'hui s'emparer de notre fortune… Il est capable de tout, même de nous assassiner…

– Ne craignez rien… Je suis là.

– Ne pourriez-vous, demanda Pickmann, le faire expulser du bateau par le capitaine?.. Si Maître Ross arrive à nous en débarrasser, d'une façon ou d'une autre, il y a mille livres pour lui.

– Non… c'est moi qui vous en débarrasserai…

– Oh! mon cher Colombo… que vous êtes gentil!.. Alors, les mille livres seront pour vous… Je vous le promets… Voulez-vous un acompte?

– Non… j'ai confiance en vous.

– Et comment nous en débarrasserez-vous?

– Mais d'une façon bien simple… En lui faisant piquer une tête par-dessus bord.

Mme Pickmann se jeta dans mes bras, et me serrant à m'étouffer:

– A la bonne heure! s'écria-t-elle… au moins vous, vous êtes un homme!

– Oui, approuva Pickmann… et un homme de décision… mais prenez garde… le gaillard est habile… Et que dira le capitaine quand il s'apercevra de la disparition de ce passager?

– Soyez tranquille, je saurai m'y prendre… On croira à un accident… Il paraît que cet homme, qui reste tout le jour enfermé dans sa cabine, se promène, la nuit, sur le pont. Je me dissimulerai derrière le rouf et, au moment où il ne s'y attendra pas, je me précipiterai sur lui, et l'enverrai par-dessus le bastingage.

– C'est cela! c'est cela! fit Pickmann en battant des mains… par-dessus le bastingage… Ah! décidément, Colombo, vous êtes notre providence!.. Et, tenez… ce n'est pas mille livres que je vous donnerai… mais deux mille… oui, deux mille, ma parole d'honneur.

Je pris congé des Pickmann, écœuré. Décidément, ces gens-là étaient d'affreuses canailles, et je n'avais plus à les ménager.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
440 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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