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Читать книгу: «Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799)», страница 16

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Pie VI n'avait plus de défenseurs. Il fut obligé de prendre le chemin de l'exil, et de passer par toutes les stations de la vie douloureuse qui le conduisit à Valence où il mourut. «Ces disgrâces, disait-il avec une touchante résignation au ministre Manfredini, me prouvent que je ne suis pas un indigne vicaire de Jésus-Christ. Elles me rappellent les premières années de l'Église qui furent le commencement de son triomphe.» Aussi bien ces indignes traitements soulevèrent un dégoût général. Ce n'était pas seulement à la majesté du souverain, mais plus encore à la dignité du vieillard qu'on insultait ainsi, et plus d'un parmi nos soldats rougit de cette persécution, qui faisait d'eux comme les complices du bourreau. Il est vrai que d'autres préoccupations allaient leur faire oublier ces scènes regrettables.

IV

La République romaine était fondée: restait à l'organiser et surtout à la maintenir. Ce n'était pas une tâche aisée. Les commissaires du Directoire, Monge, Daunou, Faypoult et Florent s'y employèrent avec beaucoup d'activité. L'ambassadeur de France à Turin, Miot349, qu'ils avaient visité lors de leur passage dans cette ville, ne leur avait pourtant pas caché que, «avec les instruments que nous étions obligés d'employer, avec des généraux et des agents corrompus et avides de richesse, c'était une chimère que de prétendre régénérer une population ignorante et fanatique». Ils l'essayèrent pourtant avec une naïveté qui prouve que au moins deux d'entre eux, Monge et Daunou, étaient des théoriciens plus habitués à manier les idées que les hommes. En effet ils fabriquèrent à l'usage des Romains une bien singulière constitution. Il n'y était pas dit un mot du catholicisme dans cette capitale du catholicisme, mais, par contre, tous les citoyens devaient prêter un serment350 civique et jurer haine à la monarchie. Un Sénat et un Tribunal se partageaient le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif était confié à cinq Directeurs, revêtus du titre pompeux de consuls, ressuscité pour la circonstance. Les cinq consuls furent Angelucci, de Matheis, Panazzi, Reppi et Visconti. Le territoire de la République était partagé en huit départements351, et partout les prêtres réduits à leurs fonctions ecclésiastiques; c'est-à-dire que, du jour au lendemain, dans cette terre classique de la tradition et du respect invétéré des usages, on introduisait toutes les réformes françaises. Il était difficile de procéder avec plus de maladresse, et de tenir si peu de compte des préjugés et des usages!

Rien que les noms antiques eussent reparu, bien que de glorieux souvenirs fussent évoqués, la République n'existait que de nom. Il n'y avait qu'une seule autorité, l'autorité militaire, qu'un seul régime, celui du sabre, qu'une seule réalité, la nécessité de payer. Les Romains s'en aperçurent bientôt. Ils avaient consenti volontiers à la cérémonie expiatoire ordonnée en l'honneur de Duphot (22 février). Le peuple s'était répandu sous la colonnade de Saint-Pierre; il avait contribué à l'érection d'un catafalque sur la place de cette église; il avait écouté et même applaudi l'oraison funèbre du général prononcée par Gagliulfi. C'était une réparation qui s'imposait, et aucune protestation ne s'était élevée, mais la déception fut grande quand on apprit que Berthier, aussitôt après le départ de Pie VI, et sans consulter les conseils de la nouvelle République, avait rendu deux arrêtés portant, le premier l'abolition du droit d'asile dans les églises et dans les juridictions des ambassadeurs, et le second l'expulsion dans les vingt-quatre heures de tous les émigrés, notamment du cardinal Maury et la vente de leurs biens. Les cardinaux effrayés essayèrent de conjurer l'orage qui s'amassait sur leurs têtes en prêchant l'obéissance. S'autorisant d'une encyclique de Pie VI qui avait dit qu'il ne fallait haïr aucun gouvernement, et encouragé par cette autorisation tacite, le cardinal vicaire, della Sommaglia, fit chanter un Te Deum à Saint-Pierre en l'honneur de la nouvelle République, et tous ceux de ses collègues qui étaient à Rome assistèrent à la cérémonie: mais ces concessions ne désarmèrent pas les Français. Les uns après les autres, tous les cardinaux furent brutalement dispersés et même embarqués à Civita-Vecchia. Deux d'entre eux, Altieri et Antici, n'obtinrent de rester à Rome qu'en renonçant formellement à leur dignité et en rentrant dans la vie civile, Bientôt les ecclésiastiques d'origine étrangère furent à leur tour expulsés. On supprima comme inutile la Propagande, dont on dispersa la précieuse bibliothèque. À peine si on respecta ses archives. Les confréries et les congrégations furent supprimées (29 juin 1798), leurs biens mis en vente, et les pillages commencèrent: ils furent scandaleux.

En effet, c'était moins la haine des prêtres que l'amour de l'argent qui semblait animer les nouveaux maîtres de Rome. Ils l'avouent ingénument dans leurs dépêches352 au Directoire: «Quand on pourrait se résigner au rétablissement de la Papauté et aux sacrifices de tous les patriotes romains qui ont si mal mérité d'elle, il faudra examiner encore si l'armée d'Italie pourra remplacer par d'autres ressources celles que lui permettent ici l'acquittement successif de l'imposition militaire, la vente des biens confisqués au profit de la République française et de ceux que la convention avec le Consulat nous a réservés.» Dans cette même dépêche et comme pour bien montrer que l'unique principe de gouvernement semble avoir été l'exploitation à outrance de la nouvelle République, les commissaires ne reculent pas devant cet aveu scandaleux353: «La révolution à Rome n'a pas été assez rendante. L'unique parti à prendre pour en tirer désormais un parti plus convenable, c'est de considérer et de traiter les finances de l'État romain comme finances de l'armée française. Quelque étrange que soit ce langage, nous sommes loin de le reprocher à ceux qui le tiennent puisqu'il ne leur est suggéré que par des besoins auxquels ils touchent le plus près.»

Tout commentaire serait inutile: aussi bien c'est une triste histoire que celle des réquisitions imaginaires, des contributions monstrueuses, des emprunts forcés, des mesures arbitraires qu'enregistrent froidement les documents contemporains. Le vol est en quelque sorte autorisé par l'arrêté du 6 germinal an VI, en vertu duquel l'État romain paiera trente-deux millions en valeurs, plus trois en équipement, trois pour les besoins de l'armée et des objets d'art pour une somme indéterminée. Le Directoire (art. 9) «se réserve en toute propriété tous les biens meubles et créances appartenant au Pape, à sa famille, à la famille Albani, au cardinal Busca, ainsi que les emphythéoses dont ils jouissaient». Il «se réserve (art. 21) l'argenterie superflue des églises, et tous les biens des établissements supprimés ou confisqués». «Il fera connaître (art. 22) sa volonté sur le muséum, les bibliothèques, le cabinet des tableaux et sur le sol du pays de Bénévent.»

Que dire des exactions particulières? Les Chigi à eux seuls durent payer 300,000 écus. Un simple graveur, Volpato, fut imposé à 12,000 écus de contribution payables dans les vingt-quatre heures. On vendit à vil prix, sans parler de ceux qu'on emporta à Paris, les objets d'art appartenant aux cardinaux Albani et Busca. Les musées et les bibliothèques furent livrés en proie à des commissaires aussi ignorants qu'avides. On enleva des palais pontificaux jusqu'aux portes et aux gonds, jusqu'aux ustensiles de cuisine! Rome n'était plus qu'un grand marché, où l'on tenait bureau public de vol et de dévastation. Sous prétexte de l'arrêté pris par Berthier contre les émigrés, ne s'avisa-t-on pas d'inventer de faux émigrés, dont les biens étaient aussitôt mis en vente, et qui ne parvenaient à se racheter qu'en payant de véritables rançons? On se croyait presque revenu à ces temps néfastes où les reîtres et les lansquenets de Bourbon étaient les maîtres de Rome et s'en partageaient les dépouilles354.

Le plus déplorable était que le mauvais exemple partait de haut. Berthier avait été rappelé brusquement et remplacé par Masséna. Or, ce dernier, excellent général, était un déplorable administrateur. Ardent et impétueux, quand le rôle de modérateur eût seul convenu, dissipateur et prodigue, avide de richesses et dépourvu de scrupules dans la façon de les acquérir, il était en outre mal entouré, par des fournisseurs et des agioteurs qui achetaient sa complaisance ou même sa conscience, et se livraient effrontément à de honteux tripotages. Le scandale fut tel que les soldats et les officiers de l'armée française, qui gardaient encore le sentiment de l'honneur, rougirent de ces infamies et envoyèrent une protestation à Masséna355. Ce dernier se crut bravé et répondit par des paroles de rage à cette demande si légitime. Les troupes exaspérées se rassemblèrent au Panthéon (27 février 1799), et rédigèrent une pétition au Directoire pour réclamer le rappel du général. C'était une véritable insurrection, et le bon droit, sinon la légalité, était du côté des insurgés. Le lendemain 28, Masséna fit battre la générale et ordonna à l'armée de quitter Rome. Les soldats refusèrent d'obéir. Aussitôt il se démit de ses fonctions et remit le commandement au général Dallemagne356.

Même désorganisation dans les administrations locales. Les consuls de la nouvelle République non seulement avaient à soutenir les intérêts de leurs concitoyens, mais encore à se débattre contre les prétentions opposées des commissaires du Directoire, du général commandant l'armée d'occupation, et même de l'autorité militaire siégeant à Milan. De là des tiraillements continuels, des démissions ou des destitutions et une série de véritables coups d'État. Angelucci, Reppi, Matheis, Visconti, Panazzi, Pierelli, Calisti, Zaccaleoni, Brissi, Rey, se remplacent à peine installés et méritent, il faut le reconnaître, cette sévère appréciation de l'un de ceux qui avaient contribué à les renverser: «Il est difficile de trouver dans l'histoire un genre de gouvernants plus avilis … La corruption, la vénalité, les passions haineuses et vindicatives animaient toutes les délibérations. Des séances entières se passaient en vives discussions pour faire placer un parent, un ami, un partisan, un homme qui avait payé à deniers comptants le poste qu'il occupait. La chose publique ne les occupait presque jamais. On savait à Rome qu'il y avait des consuls, mais on l'ignorait dans les départements ou on feignait impunément de l'ignorer. Les administrations soit centrales, soit municipales, formaient des corps à part, s'isolaient, gouvernaient suivant les règles de leurs caprices et de leurs intérêts privés et détournaient à leur propre usage jusqu'au produit des contributions publiques357

Les ennemis de la France et de la République profitèrent de cette déplorable situation pour tenter une réaction. Les Transtévérins s'étaient toujours signalés par leurs haines antifrançaises. Dès le mois de mars 1798358 ils s'étaient soulevés, mais avaient été facilement réprimés. Le jour même où Masséna sortit de Rome (mars 1799), ils coururent encore aux armes, mais le sentiment de la discipline n'était pas encore éteint, et les patriotes romains, bien que désillusionnés d'une liberté si coûteuse, la préféraient encore à l'ancien régime. Ils se joignirent à nos soldats qui prirent leur poste de combat, et l'ordre fut bientôt rétabli. Vingt-quatre révoltés furent fusillés et plusieurs cardinaux emprisonnés, parmi eux Doria Pamphili, le secret instigateur de l'émeute.

De Rome, le soulèvement s'étendit aux provinces. En avril 1799, un premier soulèvement avait eu lieu. L'Ombrie s'était soulevée sous la direction d'un certain Bernardini. La garnison française de Cita di Castello avait été massacrée, et celle d'Urbin assiégée; mais les insurgés, qui ne pouvaient plus compter sur les soldats pontificaux qu'on venait de licencier, avaient été battus et dès le mois de mai tout était rentré dans l'ordre. Le mouvement paraissait plus sérieux en mars 1799, surtout dans les départements de Cimino et du Trasimène. À Castel Gandolfo, à Rocca di Papa, à Ascoli, à Imola et dans toute l'Ombrie, les paysans se déclarèrent en faveur de la Papauté, et, ce qui compliquait la situation, c'est que le commandant en chef de l'armée d'Italie réclamait à ce moment même les soldats du corps d'occupation de Rome. Les commissaires du Directoire s'opposèrent à leur départ, car, ainsi qu'ils l'écrivaient359, «on ne pourrait garder que Rome et Ancône, Civita-Vecchia et plusieurs positions importantes seraient vite occupées par les rebelles; les campagnes cesseraient de payer les contributions et la République serait renversée». Nos soldats restèrent donc, et, sans grande peine, dispersèrent les uns après les autres tous les rassemblements armés. Cette nouvelle tentative avait donc avorté.

Dès lors un ordre relatif s'établit. Dallemagne, le successeur de Masséna, fit condamner à mort et fusiller comme voleur un certain Charrier, qui s'était signalé par ses pillages éhontés. D'autres Français, convaincus de vol, furent condamnés à des peines afflictives. La discipline se rétablit et les Romains ne furent plus traités en peuple conquis. Dallemagne, qui avait été un des chefs de la sédition militaire contre Masséna, ne pouvait rester le chef de l'armée de Rome. On lui donna comme successeur d'abord Gouvion Saint-Cyr, puis Championnet. Les fournisseurs furent surveillés avec soin, les agents civils durent se renfermer dans la limite de leurs attributions, en un mot la République Romaine semblait entrer dans la période d'organisation qui seule peut donner de la stabilité à un gouvernement. Mais il était déjà trop tard! La seconde coalition se formait contre la France, et la République Romaine allait être détruite la première par nos ennemis.

CHAPITRE V
LA RÉPUBLIQUE PARTHÉNOPÉENNE

Les Bourbons de Naples. – Lazzaroni et bourgeois. – Essais de coalition contre la France. – Insulte à Mackau. – La Touche-Tréville dans le golfe de Naples. – Déclaration de guerre à la France. – La reine Marie-Caroline et sa haine de la France. – Armistice accordé par Bonaparte à Pignatelli. – Ménagements stratégiques de Bonaparte. – Nouveaux préparatifs de guerre et paix de Campo-Formio. – Assistance prêtée aux Anglais. – Nouvelle déclaration de guerre à la France. – Mack envahit le territoire romain. – Entrée du roi Ferdinand à Rome. – Championnet et les Français reprennent l'offensive. – Marche contre Naples. – Fuite de la famille royale. – Entrée des Français à Naples et proclamation de la République parthénopéenne. – Retraite de Macdonald. – Révolte des Abruzzes et de la Calabre. – Ruffo et les Sanfédistes. – Siège de Naples. – Capitulation de Naples. – Nelson viole la capitulation. – Les massacres et les exécutions juridiques. – Fin de la République parthénopéenne.

De tous les États italiens, le royaume de Naples360 fut celui qui accueillit avec le plus de crainte et de défiance la nouvelle des prodigieux événements dont la France était alors le théâtre, Ferdinand IV de Bourbon régnait depuis 1759. Comme il n'avait que huit ans quand il monta sur le trône, on l'avait confié aux soins d'un conseil de régence. Son gouverneur, San Nicandro, l'avait laissé grandir dans une ignorance presque complète et ne s'était attaché qu'à développer en lui le goût des exercices corporels. Au lieu de le préparer au maniement des affaires, il lui avait appris à jouer à la paume, à chasser ou à pêcher. Aussi le jeune roi était-il parfaitement incapable de gouverner, et de bonne heure il abandonna le pouvoir à sa femme, Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine. Cette princesse au contraire était fort intelligente et très instruite. Fille de Marie-Thérèse, sœur des empereurs Joseph II et Léopold II et de notre Marie-Antoinette, belle, active, énergique, si la destinée l'avait appelée sur un autre trône, elle aurait peut-être joué un grand rôle dans l'histoire. Par malheur elle fut mal conseillée par deux étrangers qui l'entraînèrent, elle et son mari, à de déplorables aventures et les jetèrent sans merci, aux implacables sévérités de l'histoire.

Depuis 1799 vivait à Naples un aventurier irlandais, Acton, qui s'était emparé de l'esprit de la reine, et, par sa faveur, avait obtenu successivement trois ministères, marine, guerre, affaires étrangères. Au lieu de se dévouer à son pays d'adoption, Acton ne travailla jamais que dans les intérêts de sa patrie d'origine, et fut toute sa vie l'instrument servile du cabinet anglais. Or l'ambassadeur d'Angleterre à Naples se nommait William Hamilton. C'était le frère de lait de Georges III. Courtisan assidu, compagnon de chasse du roi, coureur en sa compagnie de galantes aventures, il avait exploité cette amitié en pillant les trésors archéologiques de Pompéï. Accrédité à Naples depuis de longues années, il vivait dans l'intimité de la famille royale, mais sans se priver d'exercer à ses dépens sa verve caustique. Très libre dans ses propos, ne croyant à rien qu'à ses plaisirs, tout à fait revenu des illusions de ce monde et disposé à traiter de bagatelles les vertus domestiques, c'était un épicurien ou plutôt un cynique Anglais, de la pire espèce des railleurs, car la plaisanterie sied mal à ses compatriotes. Il avait montré par un éclatant exemple combien il pratiquait lui-même en matière de morale la plus large des tolérances, car il avait épousé une aventurière anglaise, Emma Harte, une des femmes les plus séduisantes de son temps, mais dont la jeunesse s'était écoulée dans les tripots de Londres. Présentée à la cour, lady Hamilton y fit briller les grâces de son esprit et les merveilleuses ressources de son imagination. Malgré la honte de sa vie passée, elle plut à tout le monde, surtout à Marie-Caroline qui, ressentant pour sa nouvelle amie tous les emportements d'une passion antique, la traita en favorite et se mit complètement à sa merci. Acton et lady Hamilton dominaient donc la reine et, par son intermédiaire, étaient les véritables maîtres du royaume de Naples.

Les Napolitains paraissaient résignés à cette triste domination. Il est vrai que les lazzaroni, qui constituaient la masse du peuple, s'occupaient peu de politique. Dans ce merveilleux pays où l'on n'a pour ainsi dire que la peine de vivre, les lazzaroni goûtaient avec volupté les charmes de la paresse. À peine avaient-ils gagné de quoi satisfaire leurs besoins matériels qu'ils s'étendaient au soleil et dormaient paisiblement. Fanatiques, passionnés, susceptibles d'un élan furieux, d'un crime même, sauf à retomber ensuite dans leur apathique indifférence, ils justifiaient la fameuse théorie de Montesquieu sur l'influence des climats. Ce n'était pas précisément l'intelligence qui leur manquait, mais le souci de leur dignité. Aussi bien, ils n'avaient pas conscience de leur dégradation morale, car on les retenait dans une ignorance systématique.

La bourgeoisie napolitaine, au contraire, était fort éclairée. Quelques-uns des rois qui s'étaient succédé à Naples, au XVIIIe siècle, avaient pris à tâche de relever le niveau de l'instruction chez leurs sujets, et ils y avaient en partie réussi; mais, en même temps que l'instruction, avait grandi le besoin des réformes. Les bourgeois non seulement gémissaient sur l'ignorance des lazzaroni, mais encore commençaient à réclamer des changements politiques et sociaux. La majeure partie des nobles se ralliaient à eux. Les grands seigneurs napolitains et siciliens, en effet, dans leurs voyages à travers l'Europe ou par leurs relations, avaient appris à connaître et à apprécier le salutaire effet des améliorations modernes, et en demandaient l'application dans leur pays. Un parti libéral existait donc à Naples. Il avait pour chef Domenico Cirillo, un des médecins les plus estimés de l'Europe, Gabriel Manthone, Massa, Bassetti, Ettore Caraffa et Schipani, presque tous officiers ou ingénieurs. Le prince de Santa Severina et l'amiral Caracciolo étaient, parmi les nobles, ceux que leurs opinions rattachaient à ce parti. La cour détestait les libéraux, et attisait contre eux les haines mal raisonnées de la populace. On aurait dit qu'elle pressentait en eux de futurs adversaires; mais elle se contentait de les surveiller et ne les persécutait pas.

Sur ces entrefaites éclata la Révolution française. Bourgeois et nobles la saluèrent comme l'aurore des temps nouveaux. La cour, effrayée par la subite explosion de ces sentiments et de ces besoins inassouvis, se prépara tout aussitôt à la lutte. D'ailleurs, le roi n'aimait pas la France par instinct monarchique. Il appartenait à la famille de Bourbon, et, par tradition autant que par tempérament, répudiait toute concession aux idées modernes. Marie-Caroline était la sœur de Marie-Antoinette et le sort de cette infortunée princesse portait à son paroxysme la haine qu'elle avait vouée à notre pays. Quant à Acton et à lady Hamilton, grassement payés par l'Angleterre, qui avait tout intérêt à diminuer notre influence en Italie, ils entretenaient la famille royale dans une excitation furibonde. Du concours de ces haines allait se former contre la France une étroite alliance, et se préparer des événements féconds en péripéties tragiques.

Le roi et la reine de Naples par leur naissance, par leur éducation, par leurs alliances de famille ne pouvaient éprouver pour la Révolution française que des sentiments de répulsion. Alors que leur beau-frère Louis XVI régnait encore en France comme souverain constitutionnel, dès 1791, ils avaient essayé d'organiser en Italie une coalition contre la France. Le roi de Sardaigne ne demandait pas mieux que d'accepter cette proposition, mais le pape Pie VI n'était pas d'humeur à tenter la fortune des armes. Le grand-duc de Toscane refusait de sortir de la neutralité. Gênes trouvait à cette neutralité trop d'avantages pour ne pas décliner toute proposition de guerre contre la France. Venise ne voulait que le repos. L'Autriche enfin désapprouvait la centralisation des forces italiennes. Ferdinand IV et Marie-Caroline furent donc forcés de remettre à des temps meilleurs leurs projets de vengeance, mais ils se préparèrent à des événements qu'ils appelaient de tous leurs vœux, et, dès ce moment, commencèrent leurs armements pour la prochaine guerre.

L'armée napolitaine ne comptait en 1791 que 24,000 hommes d'effectif, moitié mercenaires, moitié Napolitains. Une longue paix et la pauvreté du trésor avaient fait négliger toutes les institutions qui tiennent à la guerre. Arsenaux mal approvisionnés, forteresses en ruines, traditions, souvenirs, mœurs militaires, tout était perdu, tout était à refaire. Acton, ministre tout-puissant, mais étranger par ses origines et par ses affections aux peuples qu'il gouvernait, entreprit la lourde tâche de réorganiser cette armée. Des Suisses et des Dalmates furent enrôlés, et des soldats recrutés partout. Trois étrangers de haute naissance, les princes de Hesse-Philipstadt, de Saxe et de Wurtemberg prirent du service sous les drapeaux napolitains. On se mit à fondre des canons, à fabriquer des voitures, des armes, des munitions, en un mot, on se prépara avec une grande activité à de prochaines hostilités.

Pendant ce temps, la royauté française était entraînée vers l'abîme. Insulté aux Tuileries dans la journée du 20 juin 1792, chassé de son palais le 10 août, Louis XVI se réfugiait au sein de l'Assemblée législative, qui prononçait sa déchéance et l'envoyait au Temple. La cour napolitaine accueillit ces nouvelles avec stupeur et indignation, mais sa colère fut impuissante, car l'armée n'était pas encore en état de prendre la campagne, et d'ailleurs la Convention nationale, qui venait de succéder à l'Assemblée législative, venait, par la conquête de la Savoie et de Nice, de frapper un coup qui retentit profondément dans l'Europe entière. Les mots de patrie et de liberté n'avaient pas été prononcés impunément. Les esprits s'agitaient. À Naples et à Palerme tous les mécontents, et ils étaient nombreux, tournaient du côté de la France leurs vœux et leurs espérances. Se jeter dans les hasards d'une guerre étrangère, alors que la guerre civile menaçait, eût été de la démence. Ferdinand et Marie-Caroline résolurent, pour la seconde fois, d'attendre une occasion, et, pour mieux assurer leurs desseins ultérieurs, ils comprimèrent par la terreur tous ceux de leurs sujets qu'ils soupçonnaient d'applaudir aux réformes révolutionnaires.

Sur ces entrefaites on apprit à Naples le procès, et bientôt l'exécution de Louis XVI. Le roi et la reine furent consternés. Voici un billet que Marie-Caroline adressait à ce propos à son amie l'ambassadrice d'Angleterre (7 février 1793)361: «J'ay été bien touchée de l'intérêt que vous prenez à l'exécrable catastrofe dont ce sont souillé les infâmes français. Je vous envoie le portrait de cet innocent enfant362 qui implore vengeance, secours, ou, s'il est aussi immolé, ces cendres unis à ceux de ces infortunés parens crient avant l'Éternel une éclatante vengeance. Je compte le plus sur votre généreuse nation pour remplir cet objet et pardonez à mon cœur déchiré ses sentimens. Votre attachée amie.» La cour napolitaine semblait donc décidée à entrer en campagne. Toutes les réjouissances du carnaval, publiques ou privées, furent interdites, et le roi, accompagné de toute sa maison civile et militaire, se rendit en grand cérémonial à la cathédrale pour y pleurer et prier sur la royale victime. Un envoyé de la République française, Mackau, ayant demandé une audience, Ferdinand la lui refusa brutalement. Il adressait en même temps aux souverains italiens, et spécialement au roi de Sardaigne et à Venise, une nouvelle proposition de confédération. Tout donc semblait décidé, et la guerre allait être déclarée, mais, par un singulier revirement, et, pour la troisième fois, la cour napolitaine fut encore réduite à l'impuissance.

À la nouvelle du refus d'audience infligé à Mackau, refus qui impliquait la non-reconnaissance de la République française, la Convention avait ordonné à l'amiral Latouche-Tréville de se rendre tout de suite à Naples avec la flotte de Toulon, et d'arracher, de gré ou de force, le consentement du roi. Latouche-Tréville, avant que les anciennes batteries du rivage fussent réparées, et que de nouvelles fussent établies, parut devant Naples avec quatorze vaisseaux de guerre qu'il embossa devant la ville, tout prêt à ouvrir le feu si on ne lui accordait pas satisfaction. Le roi convoqua son conseil, et, bien que les moyens de résistance fussent supérieurs à ceux de l'attaque, le conseil décida qu'on reconnaîtrait la République française, et qu'on accréditerait un ambassadeur à Paris. Aussitôt Latouche-Tréville mit à la voile pour sortir du port, mais, peu de temps après, ayant essuyé une tempête, il reparut dans le golfe et demanda l'autorisation de réparer ses vaisseaux endommagés et de renouveler ses provisions. Ferdinand aurait bien voulu, mais il ne pouvait refuser. Aussitôt un grand nombre de jeunes Napolitains, enthousiastes des nouvelles doctrines, entrèrent en relations avec les officiers de la flotte française, et, comme la République cherchait alors à pousser les peuples vers la liberté, pour les associer à ses dangers, Latouche-Tréville enflamma ces jeunes têtes, et leur conseilla de s'organiser en sociétés secrètes. Les choses allèrent même si loin que, dans un repas, les convives attachèrent à leurs boutonnières un petit bonnet rouge, symbole du jacobinisme. La cour n'ignorait aucune de ces démarches, mais elle ajournait le châtiment pour attendre le départ de ces hôtes importuns. Elle affectait même un grand empressement et fournissait des ouvriers, des matériaux et jusqu'à des vivres.

La flotte française partit enfin: aussitôt commença la réaction. Les partisans de la France furent jetés en prison, et une junte d'État fut instituée pour punir les crimes de lèse-majesté, c'est-à-dire de sentiments favorables à notre pays. Malgré sa haine, la cour napolitaine hésitait pourtant à se prononcer, car elle craignait une nouvelle apparition de la flotte française dans les eaux de Naples. L'Angleterre arriva fort à propos pour la tirer d'embarras, et lui permettre de réaliser ses projets de vengeance. Les escadres anglaises venaient, en effet, d'entrer dans la Méditerranée, et, comme elles étaient bien supérieures aux nôtres, peu à peu elles refoulèrent tous nos vaisseaux sur la côte et délivrèrent la cour napolitaine de la crainte d'une autre intervention française. Aussitôt Ferdinand et Marie-Caroline lèvent le masque. Ils publient un traité secret récemment conclu avec l'Angleterre et envoient douze navires et six mille hommes rejoindre la flotte de l'amiral Hood.

Cette flotte anglo-napolitaine eut bientôt l'occasion de se signaler. Le 24 août 1793, Toulon avec son arsenal, ses vaisseaux et ses imposantes fortifications était livré aux ennemis de la France. Aussitôt, les troupes napolitaines, commandées par le maréchal Fortiguerri et par les généraux de Gambs et Pignatelli, se jetaient dans la place. Ils la défendirent de concert avec les Anglais et les Espagnols. Nous n'avons pas à raconter ici le siège de Toulon. Il nous suffira de rappeler que les Napolitains, jusqu'au dernier jour, résistèrent aux troupes républicaines. Lorsqu'ils furent obligés, avec les autres alliés, d'évacuer précipitamment la ville, ils laissèrent entre nos mains 600 d'entre eux, avec une énorme quantité de munitions et d'approvisionnements. Cette expédition, sur laquelle la cour de Naples avait fondé de grandes espérances, échoua donc misérablement; mais le roi et surtout la reine haïssaient tellement la France que, malgré cet insuccès éclatant, ils persévérèrent dans leur résolution de continuer la guerre. Souverains absolus, ils ne pouvaient que détester un régime qui était la négation de leur propre autorité; catholiques par conviction, ils avaient en quelque sorte horreur d'un gouvernement qui persécutait le catholicisme; princes de la maison de Bourbon, ils redoutaient pour eux-mêmes la destinée de Louis XVI, et, comme ils confondaient volontiers leurs intérêts dynastiques avec les intérêts de la nation, ils croyaient sincèrement accomplir leur devoir, en se prononçant avec énergie contre la France. Leur premier ministre, Acton, créature de l'Angleterre, entretenait cette ardeur et lady Hamilton, la femme de l'ambassadeur anglais, exploitait l'amitié ou plutôt la passion qu'elle avait inspirée à la reine en l'excitant contre la France. La flotte napolitaine continua donc à assister la flotte anglaise dans la Méditerranée, et une division de cavalerie napolitaine fut envoyée dans l'Italie du Nord, où elle combattit, non sans honneur, dans les rangs de l'armée austro-piémontaise.

349.Miot, Mémoires, t. I, p. 203.
350.À propos du serment civique imposé aux Romains, consulter: Abbé Mastrofini. Honnêteté du serment civique imposé par l'article 367 de la Constitution romaine.– Bolgeni. Jugement de Bolgeni, bibliothécaire du collège romain, sur le serment civique prescrit par la République romaine aux professeurs et aux fonctionnaires publics.Métamorphoses du docteur Jean Marchetti changé de pénitencier en pénitent, exposé par Vincent Bolgeni, théologien de la sainte pénitencerie catholique.
351.Ils furent dénommés Cinino, Circeo, Clitumno, Metauro, Musone, Tevere, Trasimène, Trento.
352.Cité par Sciout, p. 177. La lettre des commissaires se trouve aux Archives nationales (A. F. 3,77).
353.Cf. lettre de Florent au Directoire: «Nous sommes enlacés dans des filets qui partent des bureaux de Paris. On y a semé l'or à pleines mains pour consolider le système de rapines et de dilapidations qui fait la base de toutes les entreprises et de toutes les dilapidations de l'armée d'Italie.»
354.Voir lettre des consuls romains aux commissaires du Directoire (6 brumaire an VII): «Comment concevra-t-on l'espoir d'un crédit solide, tant qu'on verra partout un pillage scandaleux, des dilapidations qui effrayeraient même des brigands vulgaires, tant qu'on n'aura pas arraché le maniement des deniers publics et des fournitures à ce tas de déprédateurs qui ne connaissent la République que par les trésors qu'ils volent?»
355.Lettre curieuse de Faypoult au Directoire (Arch. nat. A. F. 3, 77): «Depuis un certain temps il s'est répandu dans tous les corps militaires de l'armée, dans toute l'Italie, des impressions défavorables au citoyen Masséna; elles sont tellement généralisées que le soulèvement de tous les officiers contre son autorité n'a d'étonnant que l'irrégularité, l'illégalité de ce mouvement. Une multitude de guerriers remarquables par leurs longs et continuels services ont dit et répété hautement qu'ils mourront, quand vous l'ordonnerez, pour la patrie, mais qu'ils mourront aussi plutôt que de servir sous Masséna.»
356.L'insurrection de l'armée a été racontée avec détail par le général Koch. Cf. Garden, Histoire générale des traités de paix, t. VI, p. 385-489.
357.Rapport de Daunou et Monge (Archiv. nat. A. F. 3, 78).
358.Voir dans l'ouvrage de Potter (Mémoires de Ricci) une lettre de Ricci (10 mars 1798) et une lettre du prêtre Palmieri (Gênes, 12 mai).
359.Sciout, ouvrage cité, p. 177. —Mémoires du général Thiebaut, t. II.
360.Cuoco. Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli. Milano, an IX. – Pepe. Mémoires. – Lomonaco. Rapport fait au citoyen Carnot, ministre de la guerre, sur les causes secrètes et les principaux événements de la catastrophe napolitaine, sur le caractère du roi, de la reine et du fameux Acton. – Forgues. Vie de Nelson. – Michelet. Histoire du XIXe siècle. – Coletta. Histoire de Naples de 1734 à 1825. Traduction B. et Lefebvre, 1840. – Maresca. Correspondance de la reine Marie-Caroline avec le cardinal Ruffo. 58 lettres de février à octobre 1799 (Archivio storico per la provincie napoletane, 5e année, fasc. 2). – Nelson. Despatches and letters, 1844. – SACCHINELLI. Vie du cardinal Ruffo. – HARRISON'S. Life of Nelson. – PIETRO ULLOA. Marie Caroline d'Autriche. Paris, 1872. – HELFERT. Konigin Carolina von Neapel and Sicilien in Kampf gegen die franzosischen Welterschaft, 1790-1804. Vienne, 1878. – HUFFER. Die Napoletanische Republick des Jahres1799; 1885. – G. FORTUNATO. I Napoletani del 1799. Florence, 1884. – DIOMEDE MARINELLI. Manuscrit sur les évènements de 1799, t. IX. Bibliothèque nationale de Naples. – PALUMBO. Maria Carolina di Napoli. Lettres autographes appartenant au British Museum, 1866. Volumes 1615, 1616, 1618, 1619, 1620, 1621 de la Bib. Eg. – GAGNIÈRE. La reine Marie-Caroline de Naples d'après les documents nouveaux, 1886. – BOGHETTI, Nelson alla corte di Maria-Carolina di Napoli. (Nuova antologia, 16 mai 1886). – GEORGES ANNESLEY, VICOMTE DE VALENTIA. Private journal of the affairs of Sicily. (British-Museum, manuscrit 19426). – GÉNÉRAL THIÉBAUT, Mémoires, T. II.
361.Gagnière. Ouvrage cité.
362.Louis XVII.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
410 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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