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Читать книгу: «Double-Blanc», страница 19

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IV. Quatre mois sont passés…

Quatre mois sont passés.

Le dernier des Scaër est rentré à Trégunc et Alain est venu bientôt l’y rejoindre.

Ils ont quitté Paris, peu de jours après les scènes nocturnes qui se sont déroulées dans la maison de la rue de la Huchette.

Hervé s’est brusquement décidé à partir après avoir revu la marquise de Mazatlan.

Elle a été longue et dramatique cette dernière entrevue. Elle a même été orageuse, car ils n’étaient pas d’accord et ils ont eu beaucoup de peine à s’y mettre.

La marquise voulait absolument poursuivre sans trêve et sans merci les assassins d’Héva Nesbitt. Elle se déclarait prête à les livrer à la justice, au risque de se trouver compromise dans un procès criminel. Il a fallu que Scaër intercédât auprès d’elle en faveur de Solange. Il s’est adressé à son cœur et elle a fini par céder. Il n’a pas manqué de lui représenter que la police en savait assez pour mettre la main sur ces scélérats et qu’il valait mieux la laisser agir seule. La marquise s’est rendue, après avoir discuté longtemps, mais elle a exigé d’Hervé qu’il attendît six mois avant de s’exiler pour toujours.

Elle trouvait bon qu’il se retirât en Bretagne, mais non pas qu’il passât à l’étranger avant le dénouement du drame qui allait se jouer à Paris, et elle se réservait de rester en scène jusqu’au bout.

Que ferait-elle seule contre l’ennemi commun? quelle part prendrait-elle aux opérations de la guerre, après le départ de son allié, un départ qui ressemblait à une défection? Elle ne s’était pas expliquée sur ses intentions, pas plus que sur les sentiments que lui inspirait Hervé.

Et Hervé ne lui avait pas déclaré les siens.

Les derniers incidents de cette campagne de huit jours l’avaient découragé. Il voulait se reposer et se recueillir. À l’activité qui s’était emparée de lui tout à coup avait succédé une sorte de torpeur morale et physique. C’est un effet assez ordinaire du surmenage et des émotions répétées.

Cependant, il n’en était pas encore à se repentir d’avoir pris parti pour la vengeresse d’Héva Nesbitt. Il restait même prêt à l’appuyer encore, quand viendrait le jour où elle réclamerait son aide.

Il préférait seulement qu’elle agît sans lui, jusqu’au moment où elle aurait besoin d’un défenseur.

Cela pouvait arriver, car Bernage et son complice n’étaient pas abattus; ils savaient qu’elle était leur plus dangereuse adversaire et ils ne reculeraient devant rien pour se débarrasser d’elle.

Ces bandits ne regardaient pas à un crime de plus ou de moins.

Alors, Hervé risquerait tout pour secourir la marquise.

Mais puisqu’il était décidé à temporiser, il ne pouvait mieux faire que de se terrer en Cornouailles pour attendre les événements.

Ses intérêts l’y appelaient: des fermages arriérés à recevoir, des créances douteuses à faire rentrer. M. de Bernage avait acheté les terres et le château et il n’y avait plus à y revenir, puisque promesse vaut vente, mais l’acte n’était pas encore signé et, provisoirement, Hervé de Scaër continuait à exercer ses droits de propriétaire.

Les six mois accordés aux instances de Mme de Mazatlan n’étaient pas de trop pour lui permettre de rassembler toutes ses ressources avant de s’embarquer et il tenait à en profiter.

Le prix de la coupe de bois qu’il avait touché récemment suffirait et au-delà à le défrayer pendant son séjour en Bretagne, et il espérait recouvrer sur place d’autres sommes assez importantes.

Il s’attendait du reste à être contraint de sortir du château, dès que la vente serait consommée, et il ne faisait, pour ainsi dire, qu’y camper, car il s’était établi dans une chambre située sous les toits et très sommairement meublée.

Alain, qui l’avait suivi avec l’obéissance passive qu’un soldat doit à son officier, et qui se préparait à le suivre au bout du monde, Alain ne gardait plus les chèvres.

Son maître l’avait équipé en garde-chasse et l’emmenait avec lui dans ses tournées sur ses domaines.

Alain, du reste, n’était plus le même homme. Lui, si ardent à se venger des misérables qui l’avaient fait veuf, il ne parlait plus d’eux, et depuis son retour au pays, il n’avait pas prononcé une seule fois le nom de Zina.

Il était devenu si taciturne et si sauvage que ses camarades de ferme le croyaient un peu fou. Ils l’appelaient entre eux «l’innocent». C’est le mot dont se servent les Bretons pour désigner ceux dont l’intelligence s’est évaporée et ils les croient visités de Dieu.

Alain les laissait dire et, s’il avait perdu la parole, il n’avait pas perdu la mémoire, car il ne cessait pas de penser aux catastrophes qui avaient ramené son maître en Bretagne.

Scaër ne s’était pas séparé de la marquise sans échanger avec elle une promesse de correspondance réciproque.

La promesse avait été tenue de part et d’autre. Mais les lettres de Mme de Mazatlan, fréquentes d’abord, s’étaient peu à peu faites plus rares.

Elles ne lui avaient d’ailleurs rien annoncé de nouveau depuis son départ. M. de Bernage, écrivait-elle, ne paraissait pas avoir été inquiété par la justice, car il continuait à mener le même train. Sa fille n’était pas encore mariée. M. Ricœur de Montréal n’avait pas quitté Paris et il avait toujours ses grandes entrées chez M. de Bernage.

Mme de Cornuel ne se montrait plus au Bois en voiture découverte avec son élève, mais elle habitait encore l’hôtel du boulevard Malesherbes.

La police cherchait toujours, mais il ne paraissait pas qu’elle eût trouvé ni l’incendiaire, ni les voleurs de cadavres que Scaër n’avait pas omis de signaler à la marquise.

On démolissait la maison de la rue de la Huchette, aux frais de la ville, pour cause de danger public; on avait dragué la Seine en amont du pont de l’Hôtel-Dieu, et les journaux annonçaient qu’on y cherchait la preuve d’un crime mystérieux.

Mme de Mazatlan croyait savoir qu’on prenait des renseignements sur M. Georges Nesbitt, en France, en Amérique et en Chine.

Elle espérait plus que jamais que la lumière se ferait et, pour y aider, elle avait écrit de son côté à New-York et à la Havane.

Elle priait Scaër de prendre patience et elle lui laissait entrevoir qu’elle pourrait bien venir en personne, à Trégunc, lui apporter de bonnes nouvelles.

Ces lettres étaient écrites sur un ton de familiarité affectueuse, et si Hervé avait voulu lire entre les lignes, il aurait facilement deviné que la marquise avait une forte inclination pour lui.

Mais il se raidissait contre cette idée et il persistait à répondre assez froidement. Son caractère s’était assombri, il se fatiguait d’attendre et il lui prenait assez souvent des envies de s’embarquer sans tambours ni trompettes, en secouant la poussière de ses souliers sur ce sol ingrat où il n’avait eu que des revers.

Il n’attendait pour cela que la prise de possession par M. de Bernage des domaines hypothéqués et, à son grand étonnement, les choses restaient en l’état. Les notaires ne bougeaient pas, et M. de Bernage ne donnait pas signe de vie.

Vers le milieu du mois de juin, il reçut de Mme de Mazatlan une lettre énigmatique. Elle lui apprenait qu’elle allait être obligée de s’absenter pour trois semaines et elle lui laissait entendre que ce voyage très prochain avait pour but de mettre fin à des incertitudes qui se prolongeaient beaucoup trop.

Elle attribuait les lenteurs de l’enquête secrètement poursuivie à la situation politique. On était en pleine période plébiscitaire. Il y avait chaque jour des troubles dans la rue. On brisait les kiosques et les sergents de ville chargeaient la foule. Il s’ensuivait que la police, ayant fort à faire pour réprimer ces désordres, ne s’occupait guère de chercher les auteurs d’un crime que la prescription de dix ans allait bientôt couvrir.

La marquise terminait en priant Hervé de ne pas bouger de Trégunc avant le 15 juillet et en lui promettant qu’à cette date, elle le tirerait d’inquiétude.

Cette épître avait achevé de refroidir le zèle d’Hervé. Il s’était promis de ne pas dépasser le terme qu’elle lui fixait et de quitter la France sans remettre les pieds à Paris.

Rien ne le retenait plus en Bretagne. Les rentrées s’étaient faites mieux qu’il ne l’espérait. Il avait devant lui un capital suffisant pour payer son passage et celui d’Alain en Australie, et pour entreprendre là-bas de refaire sa fortune.

Il décida qu’il partirait le 20 juillet pour l’Angleterre où il trouverait un paquebot de la grande ligne australienne, passant par le canal de Suez, ouvert depuis six mois.

L’exécution de ce projet était subordonnée à l’arrivée de la marquise ou des nouvelles qu’elle avait promis de lui donner, mais quand un mois se fut écoulé sans qu’il eût rien reçu, il commença ses préparatifs de départ.

Ils n’étaient pas compliqués, car il portait tout avec lui, comme le philosophe grec, et il n’avait pas à rendre compte de ses actes, pas même à ses créanciers hypothécaires, puisque M. de Bernage se substituait à lui, comme acquéreur de la totalité des biens immeubles.

Cinq jours avant la date qu’il s’était fixée, il était en mesure de se mettre en route. Il comptait traverser la presqu’île bretonne et prendre, à Saint-Malo, le bateau de Jersey et de Southampton.

Il lui en aurait coûté de partir sans revoir les coins de terre dont le souvenir vivait dans son cœur: le dolmen de Trévic où lui était apparue jadis cette fée qui devait plus tard influer sur sa destinée, et aussi le cottage qu’avait habité Héva Nesbitt, et ces ruines du château de Rustéphan qu’il avait tant de fois visitées avec elle.

Il se décida à faire ces trois excursions, le même jour, et il partit de grand matin, à pied, escorté par le fidèle Kernoul.

On était au premier mois de l’été. C’est la belle saison de la Bretagne, car, au printemps, les genêts et les ajoncs se couvrent déjà de fleurs d’or, mais il pleut trop souvent.

Ce jour-là, le ciel était d’azur, le vent qui soufflait du nord tempérait l’ardeur du soleil et la mer, abritée par les rochers de la côte, s’étendait à perte de vue comme une immense nappe bleue.

On la voyait du château et, en moins d’une heure, ils arrivèrent à la pointe où se dressait l’énorme monument druidique, placé là comme une sentinelle avancée.

Hervé, très ému, se taisait. Alain, qui ne parlait pas souvent, lui dit en lui montrant le large:

– Voyez donc, notre maître!… c’est comme le jour où la dame a débarqué, il y a trois ans.

Scaër regarda et vit un petit bateau à vapeur qui manœuvrait à deux ou trois kilomètres de la terre.

– Il n’est pas si grand ni si bien gréé que le yacht qu’elle montait, reprit le gars aux biques.

– Ce n’est pas un bateau de pêche, murmura Scaër.

– Tout de même, notre maître. Il en vient comme ça de Nantes, loués par des gros négociants qui s’amusent à prendre du poisson aux Glenans.

– On dirait que celui-là cherche un mouillage… c’est singulier…

Une pensée venait de traverser l’esprit de Scaër.

Il se disait:

– Si c’était elle?

Sans nouvelles de la marquise de Mazatlan qui, depuis un mois, ne lui écrivait plus, Hervé se demandait si elle avait eu l’idée de lui faire une surprise, en débarquant à l’improviste sur cette côte où il l’avait déjà rencontrée.

Il l’espérait presque. Elle était bien assez riche pour avoir acheté un nouveau yacht et repris la vie sur l’eau qu’elle avait menée avant d’être veuve.

On croit volontiers ce qu’on désire, et, sans se l’avouer à lui-même, Hervé ne désirait rien tant que de la revoir.

– Non, notre maître, dit Alain; le voilà qui met le cap sur les îles. C’est bien ce que je pensais. Et puis, la dame naviguait sous pavillon espagnol et je vois le pavillon tricolore à l’arrière du bateau.

Ce n’était pas une raison concluante, car Mme de Mazatlan, Française par son père, avait bien pu arborer les couleurs de son pays d’origine. Mais la supposition d’un retour par mer était si invraisemblable que Scaër ne s’y arrêta pas longtemps.

Il se contenta de faire le tour du dolmen et, pour se soustraire à l’obsession du souvenir, il reprit le chemin qui aboutissait à la grande route de Pontaven, sans se retourner pour observer les manœuvres du yacht.

Cette route, il l’avait suivie bien souvent avec Héva Nesbitt, qu’il reconduisait chez sa mère, à travers les landes, et il la connaissait mieux que la rue de la Paix.

Elle traverse une contrée sauvage et elle est si peu fréquentée qu’on n’y rencontre guère que de loin en loin un pâtre, assis sur le revers d’un fossé.

On se croirait au temps des Druides. On ne voit que des landes, des pierres et le ciel.

Ce paysage mélancolique n’était pas fait pour distraire de ses sombres pensées le dernier des Scaër. Il s’y laissait aller et il ne regrettait pas d’avoir entrepris, avant de s’expatrier, ce triste pèlerinage aux lieux où il avait aimé pour la première fois.

Il oubliait ses récentes aventures, comme on oublie un mauvais rêve, et il évoquait le souvenir de sa jeunesse.

Chaque bloc de granit lui rappelait un incident de ses promenades à deux. Héva leur avait donné des noms, d’après leurs formes. L’un était: l’autel; un autre: la chaise du diable; un autre: l’éléphant.

Il y en avait un au bord de la route, posé en équilibre sur une roche conique, une pierre branlante, comme on dit, que l’effort d’un seul homme fait osciller. La légende bretonne affirme qu’elle ne bouge pas quand la femme de celui qui essaie de la mettre en mouvement est infidèle. Héva ne manquait jamais d’exiger que le fiancé de son cœur tentât l’épreuve, et c’était des rires joyeux lorsque la pierre se balançait sous la moindre pression de la main d’Hervé.

La maisonnette qu’elle avait habitée avec sa mère était à plus d’une lieue de là, près du hameau de Kergoz, et en interrogeant Alain, Hervé apprit qu’elle était occupée depuis deux mois par une colonie d’artistes qui l’avaient louée pour la saison et qui y menaient joyeuse vie.

Fontainebleau ne suffit plus aux paysagistes parisiens. Beaucoup viennent chercher des sujets d’études au fond de la Bretagne. Ils ont pris possession du bourg de Pontaven; la salle à manger de la principale auberge est tapissée de leurs peintures et ils explorent les bois qui bordent le cours de l’Aven, une petite rivière dont les eaux claires vont se jeter dans la mer, à quelques kilomètres de ce Barbizon armoricain.

Le renseignement fourni par le gars aux biques décida Hervé à modifier son itinéraire. Il ne se souciait pas de tomber au milieu d’une bande de rapins chevelus qui l’auraient empêché de se recueillir en visitant le cottage où la chère morte avait vécu. Il n’y tenait pas d’ailleurs essentiellement, car il n’y était entré que deux ou trois fois pendant que la mère et la fille l’habitaient. Il renonça donc à s’y arrêter, préférant revoir les ruines de Rustéphan où il était venu si souvent avec Héva et où il espérait n’être pas troublé par les gaietés bruyantes de ces messieurs.

Rustéphan est un château bâti au quinzième siècle et ruiné pendant les guerres de religion. Il n’est pas au bord de la route et les touristes ont quelque peine à le découvrir au milieu des arbres d’un immense verger attenant à une ferme. Il faut, pour y arriver, ouvrir des barrières et franchir des échaliers.

C’était une des promenades favorites de la jeune Américaine qui se plaisait à escalader les obstacles et même à grimper, par un chemin périlleux, jusqu’au faîte de la seule tour qui soit restée debout et que couronne une plate-forme d’où l’on a une vue magnifique sur les landes et sur la mer.

Hervé comptait bien faire encore une fois, ce jour-là, l’ascension du donjon et passer une heure ou deux à méditer, là haut, sur les vicissitudes de la vie.

Il fut un peu surpris de voir, stationnant sur la grande route, un immense break, dont les chevaux avaient été dételés et emmenés. Le cocher était sans doute allé leur donner l’avoine et boire un coup à la ferme, personne n’était resté pour garder la voiture, quoiqu’on y eût laissé des sacs et des couvertures de voyage.

Il n’y avait pas de quoi s’étonner, car en cette saison, ils ne sont pas rares les étrangers qui parcourent à petites journées ce coin si curieux du Finistère, mais dans la disposition d’esprit où se trouvait Hervé, tout incident le préoccupait.

Il s’était inquiété du yacht qui croisait devant la pointe de Trévic; il s’inquiétait maintenant de ce break. Il se demandait ce qu’il faisait là et quels voyageurs il avait amenés.

– Ça ne vient pas de Pontaven, dit Alain. Je connais tous les loueurs du bourg et je ne leur ai jamais vu cette carriole-là. C’est de Lorient ou de Vannes. Des Parisiens qui vont à Quimper et à Penmarc’h par Concarneau.

Scaër était du même avis que le gars aux biques et il pestait contre ces touristes malavisés qui avaient sans doute envahi les ruines, un instant avant qu’il arrivât.

Pour se consoler de ce contretemps, il se dit qu’ils n’y feraient probablement pas un long séjour et qu’il en serait quitte pour attendre sous les chênes d’alentour qu’ils eussent fini d’explorer ces vénérables restes de l’architecture féodale.

Il s’engagea donc dans le chemin à peine tracé qui y conduit et il arriva au champ planté qui les entoure.

De ce côté, le château présente une de ses trois faces qui ont résisté au temps, – la quatrième n’existe plus, – et un grand pan de muraille masque la cour intérieure où l’on entre par une porte ogivale, à droite, près de la grosse tour.

La ferme est à une certaine distance et ses habitants ne se montraient pas. Les touristes non plus. Seulement, on entendait des éclats de voix et des rires.

Bientôt, un bruit tout particulier frappa les oreilles d’Hervé qui s’était rapproché de la muraille, le bruit que fait en sautant le bouchon d’une bouteille de vin de Champagne.

– Je suis tombé sur des gens qui déjeunent là… c’est le comble de la déveine, dit-il entre ses dents.

Et pour savoir définitivement à quoi s’en tenir, il s’avança jusqu’à la porte béante.

Il avait deviné. Deux messieurs et une dame, assis sur des pliants et servis par un groom en livrée, trinquaient gaiement devant une table portative sur laquelle le couvert était mis.

Hervé ne put retenir un cri de surprise en reconnaissant les convives, qui répondirent par des exclamations si retentissantes que les corneilles perchées sur les créneaux s’envolèrent.

Ils accoururent tous les trois, le verre en main, et ils se mirent à danser une ronde autour du châtelain de Trégunc, stupéfait de trouver là Pibrac, l’interne Delle et Mlle Margot, tous plus ou moins gris et parlant tous à la fois.

– Te voilà! tu n’es donc pas parti pour l’Australie?

– Bonjour, cher monsieur. Donnez-moi donc des nouvelles de mon blessé de l’Hôtel-Dieu.

– Prince Breton, je vous salue!… Pas gai, votre pays!… je préfère le foyer du Châtelet.

– Ah! ça, d’où sortez-vous? demanda Scaër abasourdi.

– Et toi, mon vieux? répliqua Pibrac.

– Moi, je demeure tout près d’ici.

– Tiens! c’est vrai… je l’avais oublié.

– Alors, ce n’est pas pour me voir que tu es venu?

– Ma foi, non!… c’est une idée de Margot qui a lu des romans où l’on parle de la Bretagne… et je lui ai payé le voyage… ça ne me gêne pas… j’ai gagné mille louis aux courses et sept cents louis au baccarat… J’ai invité Delle qui vient de passer triomphalement son examen et qui peut s’offrir deux mois de vacances… Ce que nous faisons la fête depuis notre départ de Paris, tu ne peux pas te le figurer!… En poste, tout le temps!… dans un break que j’ai acheté à Nantes… et nous en sommes à notre troisième panier de Moët… nous le finirons à la pointe du Raz… Mais il ne s’agit pas de ça… tu vas nous recevoir dans ton château… tes vassaux seront épatés… et s’il y a un pardon Margot y dansera un pas de caractère. À propos… il est donc encore à toi, ton château?…

– Pas pour longtemps.

– Oui, je comprends… Bernage va te sommer, un de ces jours, de lui céder la place. Tu sais que sa fille n’est pas encore mariée?

– On me l’a dit.

– Il ne quitte pourtant pas son Canadien, mais il ne l’a pas encore présenté au Cercle. Et tu ne seras pas fâché d’apprendre qu’il court de mauvais bruits sur leur compte.

– Ça ne m’étonne pas.

– Ils ne valent pas mieux l’un que l’autre, dit Margot.

– Et ce garçon que j’ai laissé avec vous sur la place Vendôme? demanda l’interne.

– Il n’est pas loin d’ici, dit Hervé.

Alain, par discrétion, était resté dans le verger.

– Je voudrais bien le revoir.

– Vous le verrez tout à l’heure.

– On ne l’a plus inquiété?

– Non, et j’espère qu’on ne l’inquiètera plus, car je vais quitter la France et je l’emmènerai avec moi.

– Comment!… tu pars! s’écria Pibrac. Tu lâches ta patrie!

– Il le faut.

– Vous partez au bon moment, dit l’interne. La guerre est déclarée.

– La guerre? répéta Hervé qui, depuis huit jours, ne lisait plus les journaux.

– Eh! oui, la guerre avec la Prusse. Et j’ai bien envie de demander à servir comme chirurgien auxiliaire.

– Une drôle d’idée que tu as là, dit Pibrac. On n’aura pas besoin de toi. Les zouaves seront à Berlin dans six semaines.

– Je ne crois pas… et même…

– Ah! mais, vous n’allez pas nous embêter avec la politique! interrompit Margot. Prince Breton, venez prendre le café pendant qu’il est chaud. Tais-toi, Ernest! Tu n’iras pas à la guerre, puisque tu t’es payé un remplaçant. Laisse ce toqué de Delle s’engager, si ça lui fait plaisir et offre-moi un verre de chartreuse.

– Ça va! dit Pibrac en donnant le bras à la donzelle pour la ramener à la table où le café les attendait.

Hervé suivit machinalement. La nouvelle qu’il venait d’apprendre avait changé le cours de ses idées. Il se disait que cette guerre arrivait à point et qu’au lieu d’aller chercher aux antipodes la fortune ou la mort, il ferait mieux de se battre pour son pays.

L’interne, qui marchait à côté de lui, reprit à demi-voix:

– Voulez-vous que nous causions en tête-à-tête, cher monsieur? J’ai à vous parler de choses qui vous intéresseront et qui n’intéresseraient pas notre ami.

– Je ne demande pas mieux, répondit Hervé, un peu surpris de cette ouverture.

Il connaissait très peu M. Delle et il ne devinait pas de quoi ce jeune homme voulait l’entretenir en particulier.

– Bon! dit l’interne; seulement, il faut trouver un prétexte pour quitter momentanément Pibrac et sa compagne, car je tiens à ce qu’ils ne se doutent de rien.

Et presque aussitôt:

– Je crois que je le tiens, le prétexte. Laissez-moi faire.

Le couple si bien assorti était déjà attablé et Margot versait à la ronde le cognac et la chartreuse pour appuyer le café qui fumait dans les tasses.

– N’avez-vous pas honte? leur cria-t-il. Vous ne pensez qu’à boire des petits verres au milieu de ces ruines imposantes!… vous auriez aussi bien fait de rester sur le boulevard et de vous asseoir à la terrasse du café de la Paix. Moi, je prétends les visiter en détail.

– Hé! va donc, archéologue de carton! ricana Pibrac.

– Et je suis sûr que M. de Scaër aura l’obligeance de me servir de cicerone à travers ces nobles débris du moyen âge.

– Très volontiers, dit Hervé.

– Peut-on monter sur cette tour?

– Ce n’est pas très commode… il y a bien un escalier, mais il y manque des marches, par-ci, par-là.

– Ça m’est égal. Au collège, j’ai eu un premier prix de gymnastique. Je n’ai même jamais eu que celui-là.

– Alors, tout ira bien. Je connais le chemin depuis le temps où je grimpais là-haut pour y dénicher les chouettes.

Et vous serez payé de vos peines, car vous découvrirez toute la côte, depuis la baie de la Forest jusqu’à l’anse du Pouldu, comme si vous aviez sous les yeux une carte géographique.

C’est une vue à vol d’oiseau.

– Voilà qui m’est égal! s’écria Pibrac.

Allez, mes enfants, allez vous casser le cou pour contempler l’Océan. Moi, je vais fumer une pipe, en attendant qu’il vous plaise de descendre.

Delle emmena Hervé, qui ne demandait qu’à s’aboucher avec lui, car il pressentait que l’interne avait à lui faire une communication importante.

Ils entrèrent ensemble dans la tour qui, à l’intérieur, avait l’aspect d’un puits recouvert d’une calotte de pierre.

Des trois étages qu’elle avait jadis, il ne subsistait rien qu’une plate-forme, au sommet, suspendue en l’air et menaçant ruine, mais se soutenant grâce à la solidité de son architecture.

Au moyen âge on bâtissait mieux qu’à présent.

L’escalier, pris dans l’épaisseur du mur, avait résisté au temps et aux sièges soutenus par le château, et quoiqu’il présentât deux ou trois solutions de continuité, il était encore praticable.

Delle et Scaër, jeunes et lestes tous les deux, le gravirent sans peine. Aussitôt arrivé sur la plate-forme, l’interne se mit à regarder en bas, au lieu d’examiner le panorama.

– Les voilà attablés, murmura-t-il. Margot boit de la chartreuse et Pibrac boit de l’eau-de-vie. Ils ne nous dérangeront pas. Mais… n’est-ce pas mon blessé qui se promène sous les arbres du verger?

– Lui-même, répondit Hervé. Je l’y ai laissé, parce que je ne savais pas que vous étiez là, mais je l’appellerai.

– Quand nous serons descendus. Il n’a pas besoin d’entendre ce que j’ai à vous dire.

– Parlez, je vous en prie.

– Moi, je vous supplie de ne pas croire que je cherche à surprendre vos secrets, en me mêlant de ce qui ne me regarde pas. Le hasard m’a mis au courant de certains faits qu’il peut vous importer de connaître et dont je n’ai pas encore dit un mot à qui que ce soit… pas même à notre ami Pibrac qui n’est pas discret. À vous, c’est différent, et comme je n’ai pas promis de me taire, je vais vous apprendre tout ce que j’ai su depuis votre départ.

– Sur Alain? demanda Scaër, de plus en plus étonné et même un peu défiant.

– Sur ce garçon, et sur d’autres personnes. Il faut d’abord que je vous dise de qui je tiens mes renseignements. Je n’aime pas les policiers, vous le savez, mais j’ai un parent qui occupe de hautes fonctions à la préfecture de police… que voulez-vous!… on n’est pas parfait… et du reste, il fait bon avoir des amis partout, comme vous allez voir. Ce parent a su que c’était moi qui avais soigné à l’Hôtel-Dieu l’homme qu’on accusait d’avoir mis le feu rue de la Huchette, que je m’étais occupé de lui faire obtenir son exeat, que vous étiez venu me le recommander, et qu’après sa sortie j’étais entré en relations avec vous. Il a su tout cela par les rapports de ses agents, car depuis l’incendie, Alain a toujours été surveillé.

– Je m’en suis aperçu.

– Oui, puisque vous avez eu affaire à un commissaire, une nuit…

– Vous savez cela!

– Mon parent m’a fait appeler quelques jours plus tard et m’a demandé ce que je pensais de votre compatriote… et de vous. Vous devinez ce que je lui ai répondu. J’ai pour vous autant d’estime que de sympathie.

– C’est réciproque.

– Je l’espère, et je reviens à mon récit. Mon parent était déjà très bien disposé pour vous, et comme il me porte beaucoup d’amitié… je me flatte même qu’il fait cas de mon jugement… il n’a pas craint de me parler de votre cas. Il m’a raconté votre rencontre nocturne avec ce commissaire et ce qui s’en est suivi. J’ai su par lui que vous étiez parti brusquement pour la Bretagne, qu’on vous y laisserait tranquille et qu’on recherchait activement l’auteur ou les auteurs de deux ou trois crimes anciens ou récents.

– Quoi! il vous a parlé non seulement de l’incendie, mais encore de…

– Il m’a parlé de la disparition, il y a dix ans, du propriétaire de la maison, et il m’a dit qu’on menait très secrètement une enquête sur cette disparition inexplicable. Il a même ajouté que vous aviez indiqué au commissaire la marche à suivre pour éclaircir ce mystère et que vous lui aviez donné un avis très judicieux.

– Je lui ai conseillé de s’informer en Amérique.

– C’est ce qui a été fait, je crois. Mon parent ne m’en avait pas dit davantage, mais pendant ces quatre derniers mois, j’ai eu quelquefois l’occasion de le revoir et j’ai su de lui qu’on était sur une piste, qu’on n’avait pas encore de preuves positives, mais qu’on en aurait bientôt, et que les coupables seraient arrêtés, quelle que fût leur situation sociale.

– Il sait donc que ce sont des gens du monde?… des gens riches?

– Probablement. Et j’ai retenu des paroles qu’il a prononcées et que je vais vous répéter. Je n’en avais pas d’abord compris la portée… j’ai réfléchi depuis, et je crois avoir deviné à quel acte de votre vie il faisait allusion en me disant textuellement ceci: «Votre Breton s’est conduit comme un vrai gentilhomme. Il n’a pas hésité entre son intérêt et son honneur. Il a sacrifié son intérêt et il n’a dénoncé personne. Nous ferons ce qu’il ne pouvait pas faire et chacun sera traité selon ses œuvres.»

Ce langage peu clair ne compromettait pas le haut fonctionnaire qui l’avait tenu, mais Scaër n’eut pas de peine à comprendre qu’il visait la rupture de son mariage et le silence qu’il avait gardé, par pitié pour la fille de l’assassin qui avait été sa fiancée.

– Les indiscrétions de Pibrac m’ont éclairé, reprit l’interne. Je ne connais pas M. de Bernage, ni les gens qui l’entourent, mais je crois bien que la police s’occupe d’eux.

– Je m’étonne qu’elle n’ait rien trouvé, dit évasivement Hervé.

– Elle aurait trouvé, si elle ne s’occupait pas tant de politique, depuis qu’il y a des troubles dans la rue.

C’était précisément ce que la marquise avait écrit à Hervé.

– Et, continua M. Delle, il est à craindre que de nouveaux événements ne lui donnent encore plus de besogne. La guerre qu’on vient de déclarer agite déjà tout le pays. Le désordre est partout, et les agents ne suffisent pas à assurer la tranquillité dans Paris. Les coquins vont avoir beau jeu.

Maintenant, cher monsieur, vous voilà renseigné. Je tenais à vous dire tout cela en tête-à-tête. Pibrac n’est pas sérieux et Margot l’est encore moins que lui, si c’est possible. Si je me suis décidé à voyager avec eux, c’est que la guerre, je le prévois, va m’empêcher de terminer mes études et que je n’étais pas fâché de me distraire un brin avant de m’engager dans une ambulance comme je me propose de le faire, la semaine prochaine, en rentrant à Paris. Je ne regrette pas d’être venu, puisque je vous ai rencontré… et peut-être tranquillisé sur les suites de votre aventure de cet hiver.

Hervé remercia chaleureusement l’interne et il eut bonne envie de lui en dire et de lui en demander davantage. Maintenant, il avait pleine confiance dans ce brave jeune homme qui aurait pu être pour lui un précieux auxiliaire, non seulement à cause de ses relations de parenté avec un employé supérieur de la préfecture de police, mais aussi parce qu’il était loyal et avisé.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
420 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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