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Читать книгу: «Double-Blanc», страница 16

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III. Sur mer, aux plus violentes tempêtes succède assez souvent un calme plat…

Sur mer, aux plus violentes tempêtes succède assez souvent un calme plat. De même, à Paris, il arrive que les événements se précipitent pendant quelques jours et puis que tout à coup les choses reprennent pour un temps leur cours ordinaire.

Il faut bien qu’un drame ait des entractes, mais au théâtre le dénouement n’est jamais remis au lendemain, tandis que, dans la vie réelle, on l’attend parfois des mois et même des années.

Ainsi, le drame auquel le dernier des Scaër se trouvait mêlé avait commencé en 1860 par un sanglant prologue; on était en 1870 et rien n’annonçait encore qu’il dût bientôt finir.

Après une semaine fertile en péripéties et en catastrophes, Hervé, depuis la résurrection d’Alain Kernoul, venait de passer bien des heures paisibles.

Il s’était remis de tant de violentes émotions et il n’aurait tenu qu’à lui de les oublier pour songer à se refaire une existence à l’abri des orages.

Un égoïste comme Pibrac n’y aurait pas manqué; et si Hervé se fût décidé à ne plus s’occuper que de lui-même, il n’aurait pas eu grand chose à se reprocher, car il n’était pas personnellement intéressé à continuer la guerre déclarée à des ennemis puissants et dangereux.

Venger la mort – problématique – d’une enfant qu’il avait à peine eu le temps d’aimer et la mort d’une pauvre créature qu’il n’avait vue qu’une seule fois, ce n’était pas un but auquel il fût tenu de sacrifier son avenir.

Il lui en coûtait déjà assez cher d’avoir pris parti pour les victimes, puisqu’il avait payé de sa ruine sa généreuse conduite.

Il aurait pu s’en tenir là, rassembler les débris de sa fortune et partir pour en conquérir une autre à l’étranger.

Rien ne l’empêchait d’emmener Alain qu’il ne voulait pas abandonner et qui n’avait plus rien à faire à Paris, ni à Trégunc, puisque Zina était morte.

Mais Hervé avait promis à Mme de Mazatlan de rester pour l’aider à rassembler les preuves d’un crime que la prescription allait bientôt couvrir. C’était une dernière partie à jouer, et qu’il la gagnât ou qu’il la perdît, Hervé aurait tenu parole à une femme qui avait fait sur lui une profonde impression.

Après les incidents de la journée du vendredi, Hervé, en quittant le gars aux biques sur la place Vendôme, avait couru chez la marquise qu’il n’avait pas vue depuis le mercredi des Cendres et, n’ayant plus rien à lui cacher, il lui avait tout dit; tout, même la scène entre lui et Mlle Solange, sous la neige et en fiacre, jusques et y compris la rencontre du prétendu Canadien devant la grille de l’hôtel du boulevard Malesherbes.

Sur quoi, Mme de Mazatlan s’était mise à plaindre Mlle de Bernage livrée à un misérable qui vendait son silence à son complice en exigeant que ce complice lui sacrifiât sa fille.

Scaër s’était écrié que si Mlle de Bernage avait eu du cœur, elle aurait refusé de se prêter à ce honteux marché, mais il avait su gré à la marquise du sentiment qu’elle exprimait et il s’était juré de plus belle de lui obéir en toutes choses.

Elle n’en restait pas moins pour lui une énigme vivante, cette adorable femme qui ne pouvait pas ne pas voir qu’il commençait à l’aimer et qui ne faisait rien pour l’encourager ni pour le décourager.

Elle ne lui donnait que des conseils: entre autres celui de laisser faire Alain et de la tenir au courant de ce qu’il ferait, mais de ne plus s’occuper de Bernage et de sa bande, jusqu’au jour où elle jugerait qu’il était temps d’agir.

En revanche, elle avait autorisé Scaër à venir la voir aussi souvent qu’il voudrait et il usait largement de la permission.

Il n’avait pas manqué une seule fois d’arriver chez elle à trois heures, et il était toujours reçu, sinon familièrement, du moins affectueusement. Il n’osait pas lui parler d’amour, mais il pouvait se convaincre qu’il ne lui était pas indifférent et que l’heure viendrait peut-être où elle lui faciliterait un aveu.

Qu’attendait-elle? Hervé eut l’idée que le souvenir d’Héva Nesbitt la retenait.

Elle n’avait pas la certitude absolue que la pauvre Héva était morte, et elle hésitait à s’attacher à l’homme que son amie d’enfance avait aimé.

Et s’il s’abstenait de la presser en se déclarant, c’est qu’il craignait qu’elle ne le soupçonnât de vouloir l’épouser pour sa fortune, quoiqu’il eût fait tout récemment ses preuves de désintéressement.

Un mariage avec l’opulente veuve du marquis de Mazatlan eût été très bien assorti, alors qu’il était encore le seigneur de Scaër, châtelain et propriétaire foncier.

Maintenant, à la veille d’être dépossédé de ses terres, ce mariage aurait eu l’air d’une spéculation.

Il venait de passer par-dessus le même inconvénient en se fiançant à la fille d’un spéculateur enrichi et il n’avait pas eu le bénéfice de cette concession, puisque la mésalliance ne s’était pas accomplie.

Aussi, n’était-il tenté qu’à demi de courir encore une fois la même chance.

Il ne se pressait donc pas et il se laissait vivre, heureux d’oublier près de la marquise que sa situation était plus tendue que jamais.

Tout contribuait d’ailleurs à l’endormir dans les délices de ses visites quotidiennes à l’hôtel de la rue Guyot.

Le gars aux biques ne donnait pas signe de vie, l’interne n’avait pas reparu, et Pibrac, qui sans doute était tout à Margot, Pibrac ne s’était pas montré.

Solange n’avait pas renouvelé son escapade du mercredi des Cendres, et si elle continuait à sortir en huit-ressorts avec son nouveau prétendu, Scaër ne l’avait plus rencontrée.

Il attendait donc tranquillement le moment où il devait s’aboucher avec Alain et, du vendredi au mardi, le temps ne lui parut pas trop long.

Quand arriva le jour du rendez-vous sous le pont de la Tournelle, il était tout prêt à reprendre du service actif après un repos qui l’avait retrempé.

Il ne doutait pas qu’Alain eût bien employé le congé qu’il avait demandé et il espérait que le gars lui apporterait des informations qui lui permettraient de marcher droit au but.

En attendant, il continuait à habiter l’hôtel du Rhin, quoiqu’il se fût aperçu que le portier le regardait d’une certaine façon, depuis la malencontreuse visite du Cornouaillais en loques.

Évidemment, ce portier les avait vus conférer ensemble, au pied de la Colonne, et la considération qu’ils avaient pour le baron de Scaër n’était plus la même.

Scaër d’ailleurs n’avait pas remarqué qu’on l’espionnât, quoiqu’il ouvrît l’œil, comme le lui avait conseillé l’interne. L’homme rasé ne s’était plus retrouvé sur son chemin, et cela par l’excellente raison que l’homme rasé, étant devenu le gendre accepté de M. de Bernage, n’avait plus besoin de faire l’agent de police pour surveiller un rival évincé.

Il ne s’était pas montré non plus au cercle et, quoi qu’en dît Pibrac, on pouvait douter que son futur beau-père l’y présentât, car lui-même n’y venait plus depuis quelques jours.

Hervé le savait, parce qu’il s’en était informé en y déjeunant le mardi matin, et Hervé eût été surpris qu’il en fût autrement.

Bernage ne devait pas rechercher les occasions de rencontrer un homme qu’il avait offensé en rompant brutalement un mariage arrêté depuis six mois.

Après ce déjeuner prémédité, Hervé avait lu les journaux pour voir s’il y était question de l’incendie, et il y avait trouvé une indication intéressante, parmi beaucoup de renseignements insignifiants.

Une de ces feuilles, mieux informée que les autres, affirmait que la maison brûlée appartenait à un étranger, absent depuis bien des années de Paris où il n’avait pas laissé de représentant, et que, faute de pouvoir le mettre personnellement en demeure de démolir les murs qui menaçaient ruine, l’autorité allait d’office faire raser ce qui restait debout de l’édifice détruit.

La feuille bien informée ne donnait pas le nom du propriétaire, mais elle mentionnait une particularité assez curieuse.

Ce propriétaire, qui laissait son immeuble à l’abandon, envoyait chaque année, au mois de mars et par lettre chargée, une somme plus forte que le montant de ses impositions dont il ne connaissait pas le chiffre exact, puisqu’on ne savait où lui adresser les avertissements.

On ne lui envoyait pas non plus les quittances, puisqu’on ne connaissait pas le lieu de sa résidence qui, du reste, changeait souvent, car les lettres chargées ne venaient presque jamais du même pays.

Il en arrivait de toutes les parties du monde, l’Europe exceptée. Cet original s’en rapportait à la bonne foi du percepteur qui n’abusait pas sa confiance, et l’État ne s’était jamais plaint de ce contribuable exemplaire qui s’acquittait par avance.

Le renseignement que Scaër avait inutilement essayé d’obtenir au bureau des contributions lui arrivait ainsi de la façon la plus inattendue, et ce renseignement s’accordait avec les suppositions auxquelles Scaër s’était arrêté.

Le propriétaire absent devait être Georges Nesbitt et les impôts étaient payés sous son nom par M. de Bernage qui avait des correspondants partout, et qui tenait beaucoup à éviter que la maison fût saisie et vendue à la requête des agents du fisc, faute de paiement des impôts.

Le journal ne disait pas si elle était assurée, ni si le feu y avait été mis volontairement, mais sur ce dernier point, le doute n’était plus possible: l’incendie n’était pas accidentel et l’incendiaire avait agi par ordre de Bernage qui, fatigué peut-être de payer, s’était décidé à détruire la maison pour anéantir la preuve matérielle d’un crime.

S’il y avait un cadavre sous les ruines, il y resterait, à moins que l’assassin ne profitât de l’événement pour le faire disparaître.

C’était précisément ce qu’il fallait empêcher, et Hervé ne voyait pas encore comment il s’y prendrait pour devancer les assassins, s’ils tentaient quelque opération de ce genre.

Une semaine s’était écoulée depuis le sinistre. Ils avaient donc eu six nuits pour essayer.

Il est vrai que les premières journées ne leur avaient pas été propices. Les pompiers étaient restés soixante heures et plus sur le terrain à inonder d’eau les ruines fumantes. Après les pompiers étaient venus les agents de ville pour surveiller les décombres. Le commissaire de police les avait inspectés et on avait dû y faire des rondes aussi bien la nuit que le jour.

Mais aussi la surveillance avait dû se relâcher depuis qu’on avait organisé un service d’ordre, et très probablement il ne restait plus là que des plantons, comme on en met pour garder les constructions inachevées.

Les assassins avaient donc pu s’introduire dans la maison, et d’ailleurs rien ne démontrait qu’ils n’eussent pas opéré avant l’incendie, alors qu’ils pouvaient entrer comme ils le voulaient, leur gérante ayant certainement gardé les clés de toutes les portes.

Quoi qu’il en fût, Hervé devait se hâter et il n’attendait pour agir que de s’être remis en contact avec Alain qui allait lui apporter un concours précieux et peut-être des indications utiles. Mais l’heure n’était pas venue de le rencontrer et, après une longue station au cercle, il s’achemina pédestrement vers l’hôtel de la marquise.

Si Hervé se rendait, à l’heure où il avait accoutumé d’y aller, chez Mme de Mazatlan, ce n’était pas qu’il se proposât de lui parler de son projet d’entrer en action le soir même.

Il aurait craint de faire naître en elle des espérances qui peut-être ne se réaliseraient pas, et aussi de l’inquiétude, car il ne doutait pas qu’elle s’intéressât assez à lui pour se préoccuper du danger qu’il allait courir.

Il comptait se borner à lui dire qu’il devait très prochainement voir Alain Kernoul et il voulait profiter de l’occasion pour lui demander si, de son côté, elle n’avait rien appris de neuf.

Il s’était aperçu qu’elle évitait de l’entretenir de l’emploi qu’elle faisait de son temps, et comme elle l’avait prié de ne plus s’occuper de ce qui se passait à l’hôtel de Bernage, il se figurait qu’elle menait sans bruit une enquête dont elle se réservait de lui faire connaître le résultat lorsqu’il aurait abouti.

Il aurait préféré une entente complète, mais il ne pouvait pas se permettre de réclamer contre le système qu’elle avait cru devoir adopter, et il ne la soupçonnait pas de s’occuper d’autre chose que de venger la mort d’Héva Nesbitt en livrant à la justice les scélérats qui l’avaient assassinée.

Il se proposait donc de s’en tenir à des questions discrètes et de ne pas insister si la marquise ne paraissait pas disposée à y répondre.

Il prépara même, chemin faisant, celles qu’il voulait lui poser, mais il en fut pour sa peine, car, en arrivant rue Guyot, il trouva, à la porte de l’hôtel, le fidèle Dominguez qui lui dit que Mme de Mazatlan venait de sortir en voiture et qu’elle ne rentrerait que pour dîner.

Elle avait chargé son intendant de prier M. de Scaër de bien vouloir l’excuser de ne le recevoir que le lendemain.

Il n’y avait vraiment pas de quoi s’étonner que la marquise eût profité du beau temps pour aller au Bois, et le soin qu’elle avait pris de faire savoir à Hervé qu’elle l’attendrait, le jour suivant, témoignait assez que ses bonnes dispositions n’avaient pas changé.

Hervé eut cependant comme un pressentiment qu’on lui cachait quelque chose, mais il n’était pas homme à interroger un domestique.

Il se borna à répondre qu’il regrettait beaucoup de ne pas l’avoir rencontrée, qu’il ne manquerait pas de se présenter demain, à la même heure, et qu’il espérait être plus heureux.

C’était un contretemps, mais il en prit assez facilement son parti en se disant qu’il valait mieux ne la voir qu’après avoir vu le gars aux biques, car il serait moins gêné pour s’expliquer lorsqu’il saurait ce qu’on pouvait attendre du concours d’Alain et il aurait peut-être à annoncer à sa charmante alliée des résultats acquis.

Il rebroussa chemin, et comme il avait à perdre tout le reste de la journée, il entra au parc Monceau pour s’y asseoir au soleil en réfléchissant à sa situation.

Un ciel clair et l’approche du printemps y avaient attiré de nombreux promeneurs, et beaucoup de familles bourgeoises s’alignaient en espalier le long des grandes allées où les enfants jouaient comme pendant la belle saison.

Hervé cherchait une place moins fréquentée quand il aperçut, assis en rond au détour d’un sentier écarté et causant avec vivacité, M. de Bernage, M. Ricœur de Montréal et Mme de Cornuel.

Ils lui tournaient le dos ou à peu près, et ils ne le voyaient pas, mais il les reconnut, lui, à leurs prestances, à un bout de favori qui dépassait le profil perdu de Bernage, à la taille carrée de son futur gendre et à un certain cachemire ajusté que la gouvernante mettait toujours pour sortir quand il ne faisait ni trop froid ni trop chaud.

S’il eût cédé à son premier mouvement, il se serait hâté de passer outre. L’idée lui vint, non pas de se cacher pour entendre ce qu’ils disaient, mais de les observer de loin.

Un gentleman qui se respecte n’écoute pas aux portes, ni à travers un massif de verdure, ce qui reviendrait au même; il peut bien se permettre de suivre des yeux les gestes de gens qui ne savent pas qu’il les regarde.

C’est de l’espionnage à distance et Scaër transigea avec ses principes, sous prétexte que, dans certains cas, certaines capitulations de conscience sont excusables.

Il commença par exécuter un mouvement tournant qui l’amena derrière un rideau d’arbustes verts, assez éloigné du groupe pour que les propos qui s’échangeraient n’arrivassent pas à ses oreilles, et assez clairsemé pour lui offrir des échappées de vue, tout en le couvrant assez pour que les causeurs ne s’aperçussent pas qu’il était là.

Il y prit position sur le même banc qu’une nourrice serrée de près par un fantassin qui lui disait des douceurs et qui ne s’inquiéta pas de ce bourgeois nouveau venu.

En ce tassant sur lui-même, Hervé trouva des joints entre les branches et put ne rien perdre de la pantomime qui l’intéressait.

C’était, pour le moment, Bernage qui avait la parole, et il appuyait son discours de gestes très marqués, scandant ses phrases d’énergiques mouvements de main, de haut en bas, comme on en fait pour appuyer une admonestation.

M. Ricœur, moins démonstratif, se contentait d’approuver par des hochements de tête affirmatifs.

Mme de Cornuel s’agitait encore moins: à peine, de temps à autre, un haussement d’épaules ou un geste de protestation.

Elle avait tout l’air d’être sur la sellette et de dédaigner de se défendre contre les accusations ou les reproches des deux hommes qui semblaient s’être constitués en tribunal, avec Bernage pour ministère public et le Canadien pour juge unique.

Quel crime pouvaient-ils bien imputer à cette femme qui possédait probablement tous leurs secrets et qui ne paraissait pas s’émouvoir beaucoup de leurs objurgations?

Des crimes? ils avaient dû en commettre ensemble et, entre complices, on ne se malmène pas ainsi.

Il s’agissait sans doute d’une faute qu’elle avait faite dans l’exécution de quelque plan ténébreux; une faute grave, puisque la réprimande était vive, et cette faute, Hervé croyait deviner en quoi elle consistait.

Mais pourquoi s’avisaient-ils de tenir leurs assises au milieu d’un jardin ouvert à tout venant, au lieu de délibérer dans quelque salon de l’hôtel du boulevard Malesherbes?

Hervé conjectura qu’ils tenaient à ne pas être dérangés par Mlle de Bernage qui chez son père avait ses coudées franches, et qui ne s’était peut-être pas soumise aussi complètement que pouvaient le faire supposer ses promenades en voiture avec M. Ricœur de Montréal.

Ce qu’il y avait de certain, c’était qu’on ne l’avait pas convoquée à ce conseil de famille en plein vent, et très probablement on y traitait des sujets qui passaient sa compétence.

La discussion se prolongeait, mais peu à peu elle devint moins animée. Mme de Cornuel, sans gesticuler et sans élever la voix, produisit sans doute des justifications qui calmèrent son vieil ami Bernage, car il cessa de pérorer pour l’écouter avec une attention soutenue et elle finit par tenir le dé de la conversation, c’est-à-dire qu’à elle seule, elle parlait beaucoup plus que ses deux interlocuteurs, car le futur gendre se taisait et le futur beau-père risquait par ci, par là, quelques objections, pendant qu’elle exposait un plan qui vraisemblablement leur souriait.

Scaër bénissait le hasard qui l’avait conduit là tout à point pour surprendre ce trio en flagrant délit de conciliabule, et s’il n’avait rien entendu, il comptait bien mettre à profit ce qu’il avait vu.

Les gens qu’il épiait ne s’étaient pas encore doutés de sa présence et il ne craignait pas qu’ils le découvrissent dans son embuscade, car ils n’auraient pas pu passer de front dans l’étroite allée où il se tenait, et si, par impossible, ils avaient pris ce chemin pour s’en aller, il en eût été quitte pour s’accouder sur ses genoux en baissant le nez et en cachant son visage.

En prévision de ce cas et afin d’essayer cette posture, il s’était mis à tracer avec le bout de sa canne des ronds sur le sable.

Le colloque prit fin et les causeurs se séparèrent. Bernage et le soi-disant Canadien regagnèrent la grande allée centrale qui traverse le parc d’un bout à l’autre, tandis que Mme de Cornuel, prenant une direction tout opposée, s’acheminait vers le boulevard de Courcelles.

Évidemment, ils s’étaient mis d’accord avant de clore l’entretien et ils allaient maintenant agir de concert.

Hervé les laissa s’éloigner, et vingt minutes après leur départ, il s’en alla, sans se presser, par l’avenue Hoche, qui s’appelait alors l’avenue de la Reine-Hortense.

Il avait pris ce chemin afin d’éviter de rencontrer les conjurés qui venaient de se disperser, et comme rien ne le pressait, il monta jusqu’à la place de l’Étoile pour rentrer dans Paris en descendant l’avenue des Champs-Élysées.

Elle regorgeait d’équipages, de cavaliers et de promeneurs élégants, cette magnifique avenue par laquelle devaient passer, l’année suivante, les Allemands vainqueurs.

Personne alors ne songeait à la guerre et Paris n’avait jamais été si brillant. On se ruait au plaisir, comme si la fin du monde eût été proche, et pourtant nul n’avait le pressentiment des malheurs qui allaient fondre sur la France.

Hervé moins que tout autre, et, en ce moment, il pensait beaucoup plus au présent qu’à l’avenir.

Il cherchait à deviner ce que ses trois ennemis avaient pu se dire pendant cette conférence au parc Monceau et surtout ce qu’ils allaient faire.

Certainement, ils venaient d’arrêter un plan de campagne et ils ne perdraient pas de temps pour l’exécuter.

Mme de Cornuel devait coopérer à l’exécution, ce n’était pas douteux. Peut-être même était-ce elle qui l’avait conçu, ce plan adopté, après discussion, par ses deux complices.

Ils lui avaient reproché d’abord une fausse manœuvre, mais elle s’était disculpée, et elle en avait proposé d’autres qui répareraient l’erreur commise et qui assureraient le succès final.

Quel but visaient-ils et contre qui allaient-ils tourner les armes dont ils disposaient?

Évidemment, contre Scaër et contre Mme de Mazatlan qui les gênaient; peut-être aussi contre Alain, que la Cornuel connaissait bien et qui pouvait devenir dangereux; mais ils ne devaient pas tenir à les exterminer. Ils avaient déjà assez de méfaits à cacher, et ils ne supprimeraient pas impunément ces trois personnes comme ils avaient fait disparaître jadis Héva Nesbitt, sa mère et son oncle. Il leur suffisait de les surveiller.

Leur but, c’était d’effacer les traces des crimes de 1860, en attendant que la dixième année fût révolue.

Il s’en fallait de quelques mois seulement et, après, ils n’auraient plus rien à redouter de la justice.

Ces traces, on les trouverait dans la maison de la rue de la Huchette, si l’incendie ne les avait pas anéanties.

C’était là que les coupables allaient opérer.

Il s’agissait de les gagner de vitesse.

Ces raisonnements occupèrent Hervé jusqu’à l’heure où il dut songer à ne pas manquer le rendez-vous pris avec Alain Kernoul.

Il dîna seul dans un restaurant des Champs-Élysées, peu fréquenté pendant l’hiver: il dîna longuement, et, réconforté par un repas arrosé de grands vins, il se dirigea par les quais vers le pont de la Tournelle.

La nuit était noire et le temps s’était refroidi. Hervé cheminait à contre vent sur des quais exposés à toutes les bises. Il avait déjà beaucoup marché dans la journée et le trajet lui parut long.

Il pestait même contre Alain qui lui avait donné rendez-vous à l’autre bout de Paris, alors qu’il aurait pu choisir le fond de la place du Carrousel aussi désert, le soir, que les dessous du pont de la Tournelle et moins périlleux. Il se dit pourtant que le gars aux biques ne faisait rien sans réflexion et qu’il devait avoir eu de bonnes raisons pour préférer les bords de la Seine.

Hervé, du reste, s’était précautionné dès le matin contre les inconvénients et contre les dangers d’une conférence nocturne sur une berge écartée, en plein hiver. Il s’était vêtu chaudement, il avait mis dans sa poche un revolver chargé et il tenait à la main une canne solide.

Ainsi équipé, il pouvait braver les intempéries et il ne craignait personne.

Il était d’ailleurs décider à jouer sa vie, s’il le fallait, pour atteindre son but qui était de démasquer les assassins d’Héva en découvrant la preuve matérielle de leur crime.

Il arriva sans incident à la pointe de l’île Saint-Louis et dix heures sonnaient à l’horloge de l’Hôtel de Ville quand il s’engagea sur le quai d’Orléans, qui précède le quai de Béthune.

À dix heures du soir, le boulevard des Italiens est aussi animé qu’en plein jour, mais dans l’île Saint-Louis, tout le monde dort. Pas une boutique ouverte, si tant est qu’il y ait des boutiques sur ce quai où les chalands sont rares, pas une fenêtre éclairée, pas un passant attardé.

La rivière même était silencieuse et sombre. La navigation cesse aussitôt que le soleil est couché et à bord des bateaux amarrés le long des rives, les mariniers éteignent leurs falots à l’heure où jadis on sonnait le couvre-feu.

– Allons! se dit Hervé, personne ne dérangera notre entrevue… et ce n’est pas ici comme au parc Monceau… on ne pourra pas nous épier sous l’arche, comme j’ai épié tantôt ces coquins sous l’orme… il me paraît qu’il y fait noir comme dans un four, sous ce pont… Pourvu que le gars ne se fasse pas attendre!…

Le seigneur de Scaër monologuait ainsi en descendant la rampe qui allait du quai à la berge. Quand il fut au bas, il lui sembla voir quelque chose remuer dans l’ombre projetée par le pont et il mit la main sur son revolver.

Mais un appel connu des Bretons frappa son oreille: le chant du hibou, qui fut le cri de ralliement des Chouans et qu’on n’entend jamais à Paris.

Hervé comprit que c’était Alain qui s’annonçait ainsi et il ne se trompait pas, car le gars aux biques, sortant de son embuscade sous la voûte, s’avança vivement à la rencontre de son maître.

– Comment diable! t’y es-tu pris pour me reconnaître? lui demanda Hervé. On n’y voit goutte.

– J’y vois la nuit comme les chats-huants, répondit Alain.

– Et tu les imites dans la perfection. Tu as bien fait de chanter, car je te prenais pour un rôdeur et je me préparais à te recevoir en te brûlant la figure, dit Scaër en exhibant son revolver.

– Je l’ai bien pensé et c’est pour ça que je me suis annoncé de loin. Il pourra servir, votre pistolet.

– Contre qui? Est-ce qu’on t’a suivi?

– Je ne crois pas, mais là où nous allons, il fera bon être armé. J’ai apporté une trique…

– Où veux-tu donc me mener?

– Dans la maison brûlée, notre maître. N’était-ce pas convenu?

– Tu as découvert un moyen d’y entrer?

– Un moyen sûr. J’ai passé toute la nuit dernière dans la cour. Ah! je n’ai pas perdu mon temps depuis que je vous ai quitté sur la place Vendôme! D’abord, j’ai trouvé un logement rue des Grands-Degrés, tout près de la rue de la Huchette… et puis je me suis habillé comme vous voyez.

Le gars aux biques portait, sous une limousine de roulier, un bourgeron bleu serré à la taille par une ceinture rouge qui maintenait un pantalon de velours à l’instar des charbonniers auvergnats, il avait chaussé de gros souliers à clous et il s’était coiffé d’un chapeau à larges bords comme les forts de la halle.

– Je gagerais que le chef de la figuration du Châtelet ne me reconnaîtrait pas, s’il passait à côté de moi dans la rue, reprit Alain.

– C’est très bien, mais…

– Je me suis pouillé comme ça pour faire des connaissances dans le quartier… autour de la place Maubert… et j’en ai fait… j’ai aidé les maraîchers qui viennent au marché à décharger leurs voitures et les débardeurs du quai de la Tournelle à décharger les bateaux… j’ai fréquenté la bibine de la rue des Anglais.

– La bibine? répéta Scaër.

– Oui, c’est un cabaret où il n’y a que des ivrognes et des voleurs.

– Et pourquoi mènes-tu cette jolie vie?

– Pour faire peau neuve… et j’y ai réussi. Je vais et je viens rue de la Huchette… je passe sous le nez de cette crémière qui m’a dénoncé et elle ne me regarde seulement pas.

– Comment as-tu pu t’introduire dans la maison et y coucher?

– Y coucher, ça n’est pas le mot. Je suis resté assis toute la nuit sur un tas de moellons et je n’ai pas dormi une minute. Voilà ce que c’est… depuis deux jours, les sergents de ville sont partis et on a mis là pour garder les décombres un vieux cantonnier qui a été soldat. Il aime à boire et je lui ai payé des litres chez le marchand de vins… nous sommes maintenant une paire d’amis. Hier soir, je me suis arrangé pour le rencontrer, comme il arrivait prendre sa faction et je lui ai demandé s’il voulait me permettre de me chauffer au feu qu’il allume au milieu de la cour… J’avais dans ma poche une bouteille d’eau-de-vie que je lui ai montrée… Il a bu tant qu’il a voulu et il ne demande qu’à recommencer.

– Alors, tu crois que, moi aussi…

– Si vous arriviez avec moi, il se méfierait à cause de vos beaux habits. Il faudra attendre qu’il soit ivre-mort. Ça ne sera pas très long. Et quand il n’aura plus sa connaissance, je viendrai vous chercher. On a posé une barrière à la place de la porte qui a brûlé, mais je sais l’ouvrir… et je vous l’ouvrirai.

– Ce soir?

– Dans une heure, si vous voulez, car une fois que nous serons dans la maison, nous aurons de la besogne, et ce ne sera pas trop du reste de la nuit pour y faire des fouilles. C’est le bon moment pour y aller.

– N’est-ce pas trop tôt?

– Non, notre maître. Les débits ferment à dix heures… personne ne nous verra… et d’ailleurs, vous resterez un peu en arrière quand nous approcherons de la maison… vous m’attendrez dans la rue du Chat-qui-Pêche, et pour saouler le père Crochet, il ne me faudra pas plus de trente à quarante minutes… On boit dur au pardon de Trégunc, mais jamais je n’ai vu boire comme ce vieux-là… il viderait un litre de trois-six d’un coup… il n’a pas besoin du gobelet… il avale ça à la régalade.

– Pourvu qu’on ne l’ait pas remplacé depuis hier?…

– Non… non… je l’ai rencontré tantôt, à la brune, dans la rue de la Bûcherie… il s’en allait à son poste et il voulait m’emmener avec lui… il a fallu que je lui promette de venir lui dire bonsoir quand j’aurais fini ma journée. Il compte sur une autre tournée d’eau-de-vie et je suis sûr qu’il languit déjà de ne pas me voir arriver.

– Partons, alors! Le chemin est libre, je suppose?

– Voyez! notre maître… pas une âme!… nous sommes seuls…

– Non. Il y a quelqu’un là-haut.

Les becs de gaz du quai éclairaient le buste d’un homme accoudé sur le parapet du pont.

– Oh! murmura Kernoul, c’est un bourgeois qui prend l’air.

L’homme disparut et Alain reprit:

– Le voilà parti, il ne s’occupait pas de nous, et je crois bien qu’il ne nous a pas vus. Il faudrait qu’il eût de bons yeux.

– Les mouchards en ont d’excellents.

– Pas meilleurs que les miens, notre maître, et j’ai eu beau les ouvrir depuis trois jours, je n’ai vu personne sur mes talons. Si la police faisait suivre quelqu’un, ce ne serait pas vous, ce serait moi. Et puisqu’on ne m’a pas suivi, nous pouvons marcher.

– Eh bien! marchons! dit Hervé.

Il reprit vivement, comme un homme qui se ravise tout à coup:

– Et ton épaule démise!… Tu n’as plus le bras en écharpe?

– Non, Dieu merci!… Je ne m’en sers pas encore comme auparavant, mais ça ne tardera pas et, en attendant, je m’apprends à manier mon bâton de la main gauche.

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12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
420 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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