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Читать книгу: «Double-Blanc», страница 14

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– Est-ce à dire que vous n’en êtes pas certaine? demanda-t-il.

– Je ne le crois pas et, quoi qu’il en soit, je suis convaincue que ce garçon n’a rien fait de mal, mais il est bon que vous sachiez ce qui s’est passé hier. Quand on l’a apporté, un agent de police en bourgeois escortait le brancard et deux heures après, quand le blessé a été pansé et couché, ce même agent est revenu copier les indications portées sur le registre d’entrée de l’hôpital.

– On le soupçonne donc?

– Peut-être.

– Et de quoi? bon Dieu!

– Il paraît qu’on l’a vu, au petit jour, se glisser hors de la maison incendiée, et comme on ignore comment le feu a pris, on veut sans doute l’interroger…, mais on ne l’accuse pas, que je sache.

– Ce serait trop fort!… Je réponds de lui, sous tous les rapports, et je suis prêt à dire pourquoi il est entré dans cette maison pendant qu’elle brûlait.

– Alors, monsieur, voulez-vous me permettre de vous donner un conseil?

– Je vous en serai très reconnaissant et je vous promets de le suivre.

– Eh! bien, voyez l’interne de service. Il vous renseignera mieux que je ne puis le faire. Vous le trouverez à la salle de garde.

– Je vous remercie, ma sœur, et je vous recommande notre compatriote…

Elle acquiesça d’un sourire et elle revint au lit de son blessé.

Hervé sortit et s’adressa au portier qui lui indiqua le chemin à suivre pour arriver à la salle où se tiennent les internes.

Il y alla en maugréant contre la crémière de la rue de la Huchette.

– Elle aura bavardé, se disait-il, et ses sots propos seront tombés dans l’oreille d’un mouchard. Je m’en doutais bien. Mais l’accusation est trop bête et il sera facile de prouver que Kernoul était sur les planches du Châtelet quand l’incendie a éclaté. Je vais commencer par expliquer la chose à ce jeune homme. Il me comprendra, pour peu qu’il soit intelligent, et il décidera son chef à accorder l’exeat. Si ça ne suffit pas, je verrai le directeur de l’hôpital. Il me faut, dès demain, mon gars aux biques.

Par de longs corridors où il ne rencontra personne, il arriva devant une porte sur laquelle il lut: «Salle de garde», et comme cette porte était ouverte à moitié, – probablement à cause de la fumée du poêle, – il put, avant d’entrer, examiner le local et ceux qui l’occupaient.

C’était une pièce carrée, avec des murs blanchis à la chaux, prenant jour sur une cour intérieure et très sommairement meublée: une couchette de fer où se reposait la nuit l’interne de service; un grand casier en bois noir, surchargé de cahiers d’observations et de vieux journaux de médecine, une fontaine en cuivre, avec bassin pareil, accrochée au mur; un râtelier de pipes très culottées; puis, collée à la muraille, une longue liste de noms de malades avec les numéros de leurs lits et une ardoise où les internes qui s’absentent inscrivent à la craie le nom de la salle où l’infirmier peut les trouver, si on a besoin d’eux.

Au milieu, un poêle en faïence qui fumait outrageusement et dans le fourneau duquel une vieille femme accroupie cuisinait quelque mets mal odorant.

Dans un coin, au fond, une table en sapin où était accoudé, entre deux piles de bouquins, un jeune homme en tablier blanc, avec une petite calotte sur la tête et à la boutonnière une pelote à épingles, violette, qui, de loin, avait l’air d’une rosette d’officier d’académie.

Hervé toussa pour s’annoncer. La vieille se retourna et se remit à fourgonner dans les cendres. L’interne leva la tête et regarda le nouveau venu, en fronçant le sourcil.

Il était évidemment contrarié d’être dérangé de son travail et ses yeux disaient: qu’est-ce que vous me voulez?

Mais, presque aussitôt, sa figure changea d’expression. Il porta la main à sa calotte et, après avoir repoussé du pied le tabouret qui lui servait de siège, il vint au devant d’Hervé, en lui disant:

– Bonjour, monsieur!… Vous ne me reconnaissez pas!

– Mais, balbutia Hervé, il me semble bien vous avoir déjà vu… seulement, je ne me rappelle pas où.

– À Bullier, parbleu!… nous avons passé toute une soirée ensemble avec l’ami Pibrac qui nous a présentés l’un à l’autre… et même toute une nuit, car, après le bal, nous sommes allés souper chez Foyot… il y avait des dames… c’était en plein carnaval… le jeudi gras…

– Il y a trois ans! Je me souviens…

– À la bonne heure!… Vous êtes bien M. de Scaër?

– Parfaitement.

– Alors, donnez-moi des nouvelles de ce brave Pibrac. Comment va-t-il? Je ne le vois plus guère depuis que j’ai été reçu à l’internat… vous comprenez… je n’ai plus le temps de m’amuser. Il faut que je pioche mes examens.

– Pibrac va très bien.

– Bravo!… il ne me reste plus qu’à vous rappeler mon nom que vous me faites l’effet d’avoir oublié… Delle… Albert Delle… ça fait Adèle, disait ce blagueur de Pibrac… et à vous demander, cher monsieur, à quoi je puis vous être bon dans cet hôpital.

Hervé admirait les coups du hasard qui disperse et rassemble les gens, à Paris, comme des billes carambolant sur un billard, et il commençait à trouver que la fréquentation de Pibrac présentait quelques avantages mêlés à beaucoup d’inconvénients.

D’anciennes fredaines avec ce garnement allaient lui faciliter sa tâche en le tirant de l’embarras qu’il éprouvait à aborder un sujet assez délicat.

À un homme avec lequel on a soupé jadis, en joyeuse compagnie, on peut dire des choses qu’on hésiterait à confier à un inconnu.

– Voici ce que c’est, commença-t-il en offrant à l’interne un excellent cigare qui fut refusé.

Delle préférait la pipe. Il alluma la sienne, après avoir donné du feu à Hervé et, s’apercevant que celui-ci regardait du coin de l’œil la vieille, toujours occupée à tisonner:

– Mère Ponisse, cria-t-il, allez donc nous chercher de la bière.

Puis, quand elle fut dehors:

– Marchez maintenant, reprit-il gaiement. Je suis tout ouïe. Vous avez bien fait de me faire penser à la renvoyer. C’est une vraie pie borgne… et il est inutile qu’elle vous entende, si vous avez quelque chose de particulier à me dire.

– Oh! rien de confidentiel, s’empressa de répondre Hervé. Vous avez dans la salle de chirurgie un blessé auquel je m’intéresse… Alain Kernoul.

– Le nom ne m’apprend rien… ici, on ne connaît les malades que par les numéros des lits… et je ne retiens guère ceux des sujets insignifiants.

– Le mien est au numéro 49.

L’interne se leva pour aller jeter un coup d’œil sur une pancarte pendue au mur.

– Le 49 n’y figure pas, dit-il; c’est bon signe pour lui, car tous ceux que j’ai numérotés là sont sûrs de passer prochainement l’arme à gauche. Je les ai inscrits pour un externe de mes amis qui fait des recherches sur les maladies des os et qui désire être prévenu à temps pour assister à l’autopsie.

Delle disait cela aussi simplement que s’il eût parlé d’un mémento destiné à inscrire des dates d’invitations à dîner.

– Oh! reprit Hervé; il n’est pas dangereusement blessé… une luxation de l’épaule droite…

– Bon! en ce moment, nous n’en avons que trois, des luxations… Quand votre homme est-il entré à l’Hôtel-Dieu?

– Hier matin… on l’a apporté sur un brancard… il était hors d’état de marcher.

– J’y suis… c’est l’individu qui a manqué d’être grillé dans cette maison de la rue de la Huchette.

– Justement.

– Eh! bien, il est raccommodé… c’est moi qui l’ai reçu et qui l’ai pansé quand il est arrivé… il l’a échappé belle… il était couvert de contusions et de brûlures… Soyez tranquille, il sera soigné ici, mieux qu’il ne le serait chez lui.

– Je n’en doute pas, mais…

– Et avant un mois, il sera sur pied complètement.

– Il voudrait sortir dès demain.

– Demain, c’est trop tôt. La fièvre l’a pris à la suite de l’opération, et il a absolument besoin de repos. Mon chef de service ne signera pas l’exeat… à moins que le blessé ne l’exige formellement, car nous ne gardons pas les gens de force.

– On prétend que si… dans certains cas… en vertu d’un ordre du parquet, par exemple.

– Oui, quand il s’agit d’un prévenu… désigné pour être transféré à Mazas, dès qu’il sera en état de monter dans la voiture cellulaire – vulgo: le panier à salade. Ceux-là, on les case dans une salle spéciale… et votre homme n’y est pas, aux consignés.

– Non…, mais on vient de me dire qu’il avait été accompagné ici par un agent de police… et que cet individu était revenu un peu plus tard copier les indications accrochées au lit de ce pauvre garçon… c’est une sœur de charité qui m’a averti…

– Sœur Sainte-Marthe… si elle vous a dit cela, c’est la vérité… et, au fait, j’ai une vague idée d’avoir entendu mes camarades parler d’un mouchard qui a montré son nez dans la salle de chirurgie… ça arrive quelquefois, mais quand on signale un de ces drôles, tout le monde se donne le mot pour lui jouer des tours… et si celui-là s’avisait de revenir, il passerait mal son temps. Je suppose d’ailleurs que votre compatriote n’a rien sur la conscience.

– Je réponds de lui comme de moi-même. Il paraît qu’il s’est trouvé des imbéciles pour raconter que c’est lui qui a mis le feu à cette maison où il a failli laisser sa peau. C’est absurde, mais vous connaissez le mot de je ne sais plus quel magistrat d’autrefois: «Si on m’accusait d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par mettre la frontière entre moi et la justice…» Mon brave Alain n’a pas la moindre envie de se sauver, mais je voudrais lui éviter des ennuis en le tirant de l’hôpital… et je vous serai très obligé de ne pas vous opposer à ce qu’il en sorte dès demain.

– Ça ne dépend pas de moi… mais je vous promets d’exposer le cas à mon chef… il ne les aime pas plus que je ne les aime, ces messieurs de la police… et j’espère qu’il signera le bon de sortie du 49… Vous m’autorisez à vous nommer?

– Parfaitement. Je loge à l’hôtel du Rhin, place Vendôme, et je compte prendre Alain à mon service. On le trouverait chez moi si on avait besoin de lui. Je m’engage à le présenter à la première réquisition, dit Hervé en souriant.

– C’est tout ce qu’il faut, cher monsieur, et je vais…

Un infirmier poussa la porte et dit:

– Monsieur Delle, la sœur m’envoie vous chercher… l’amputé du 27 vient d’être pris d’une hémorragie…

– Diable! j’y vais, s’écria l’interne en posant sa pipe sur la table. Vous m’excusez, cher monsieur…

Et il se précipita dans le corridor.

– Allons! pensa Hervé en prenant le même chemin, je n’ai pas perdu ma journée.

Alain sortira demain et nous serons deux contre deux.

Il aurait dû dire trois contre trois, en comptant la marquise comme une alliée et Mme de Cornuel comme une ennemie.

II. Ernest Pibrac habitait la rue Saint-Arnaud, qui s’appelle maintenant la rue Volney…

Ernest Pibrac habitait la rue Saint-Arnaud, qui s’appelle maintenant la rue Volney, on n’a jamais su pourquoi car l’auteur des Ruines est fort ignoré de la génération présente, et, en lisant l’inscription gravée sur la plaque municipale, des passants, plus gastronomes que lettrés, s’imaginent que la voie qui portait jadis le nom du vainqueur de l’Alma a été consacrée à la gloire d’un des plus fameux crûs de la Bourgogne, – avec une faute d’orthographe, – le vin de Volnay étant beaucoup plus connu que le philosophe Volney.

C’est une courte, honnête et paisible rue, qui ne mène à rien et où par conséquent on ne passe guère.

En ce temps-là, un cercle très fréquenté ne s’y étant pas encore installé, elle était surtout habitée par des bourgeois aisés et paisibles.

Pibrac, qui n’appartenait pas à cette catégorie d’électeurs éligibles, y avait planté sa tente à l’entresol d’une jolie maison toute neuve et il s’y était arrangé une garçonnière élégante où il menait, sans trop de tapage, une joyeuse existence.

Fils d’un bon négociant qui avait mis trente ans à amasser du bien en vendant du drap, et orphelin à quinze ans, Ernest Pibrac s’était trouvé, à sa majorité, maître d’une fortune assez ronde, mais pas assez considérable pour lui permettre d’aborder ce qu’on nomme à Paris la grande vie.

Il l’avait d’ailleurs, avant d’entrer en possession, quelque peu écornée par des emprunts usuraires, comme en contractant facilement les mineurs prédestinés à tomber plus tard sous la tutelle conservatrice d’un conseil judiciaire.

Il s’était donc résigné à se passer de train de maison. Il se contentait d’un groom pour le servir et il ne se donnait point le luxe d’avoir une voiture à lui, ni même un cheval de selle. Sa devise était: tout pour l’argent de poche, et il la mettait en pratique.

Aussi, avait-il, comme on dit, le louis facile, et ces dames du monde où l’on s’amuse lui en savaient gré.

Il les connaissait toutes; il dînait et il soupait dans les restaurants à la mode; il ne manquait pas une première et on le voyait dans tous les endroits où il est de bon ton de se montrer.

Ses relations masculines n’étaient pas précisément triées sur le volet. Il fréquentait ses pareils et il n’avait pas ses grandes entrées dans les salons aristocratiques. Il ne s’était jamais avisé de se présenter au Jockey-Club où il n’aurait récolté que des boules noires, mais il faisait bonne figure dans un cercle de second ordre, et parmi ses camarades de plaisirs il en comptait qui étaient reçus dans le meilleur monde.

Entre autres, Hervé, baron de Scaër, qu’il connaissait depuis longtemps, sans trop savoir où et comment il l’avait connu.

Un hasard de la vie parisienne les avait mis en relations et le goût du plaisir qui leur était commun avait cimenté leur liaison.

Les rapports étaient devenus moins fréquents, depuis que le mariage de Scaër était décidé.

Pibrac allait criant partout: «Un homme à la mer!» quand il était question d’Hervé promu à la dignité de gendre d’un capitaliste.

Pibrac l’enviait peut-être, mais il se gardait bien de le dire et il continuait à chanter les louanges de la vie de garçon.

La nouvelle de la rupture ne lui avait pas été désagréable, un peu parce que, s’il faut en croire La Rochefoucauld, l’illustre auteur des Maximes, il y a toujours dans la déconvenue d’un ami quelque chose qui nous fait plaisir, mais surtout parce qu’il allait retrouver un compagnon qu’il préférait à beaucoup d’autres.

Il s’était bientôt aperçu qu’il faudrait en rabattre, car Hervé paraissait peu disposé à se divertir comme autrefois. Hervé cachait sa vie et faisait la sourde oreille quand on lui parlait de faire la fête. Pibrac pensait bien que le fiancé évincé devait avoir des ennuis d’argent, mais il soupçonnait aussi qu’il y avait de l’amour sous roche et il comptait savoir prochainement à quoi s’en tenir à seule fin de ramener dans le chemin de la vie à outrance un ami qui lui manquait.

Pibrac regrettait d’autant plus l’aimable compagnie de cet ami, qu’il venait de perdre une petite camarade à laquelle il était aussi attaché qu’un viveur peut l’être à une soupeuse à tous crins qui ne se piquait pas de fidélité.

Margot l’avait bel et bien lâché, mais il lui en voulait beaucoup moins qu’à l’étranger qui la lui avait soufflée et même qu’à Bernage qui patronnait ce déplaisant rastaquouère.

Il leur avait juré à tous les deux une haine irréconciliable et il ne s’était pas vanté en annonçant à Hervé qu’il se préparait à leur jouer de très mauvais tours.

Seulement, il s’étonnait que le susdit Hervé n’eût pas fait chorus et l’eût planté là, après le dîner du cercle.

Cette conduite devait cacher un mystère qu’il se promettait d’éclaircir.

Il n’avait pas revu Scaër et il n’avait pas trouvé le temps d’aller le chercher à l’hôtel du Rhin, ayant passé toute la journée du jeudi et une partie de la nuit suivante à cartonner avec fureur.

Et le cartonnage ne lui avait pas réussi, – contre son habitude, – car il était heureux au jeu, plus heureux qu’en femmes, quoiqu’il prétendît le contraire.

Il avait perdu, comme on dit dans l’argot des joueurs, la forte somme, et le vendredi il se leva fort tard et d’assez mauvaise humeur.

Il n’avait pas réglé ses bons à la caisse du cercle et il lui fallait, pour les retirer, déplacer des fonds, opération désagréable, même lorsqu’on a un compte courant au Crédit Lyonnais.

Il déjeunait habituellement chez lui. Son groom savait assez de cuisine pour faire cuire les œufs et la côtelette traditionnels.

Il finissait de les expédier et il allait s’habiller pour sortir, lorsqu’un coup de sonnette annonça un visiteur.

Pibrac eut bonne envie de consigner sa porte à tout venant, mais il lui passa par l’esprit que c’était peut-être Hervé qui venait le voir, et pour s’éviter la peine d’expliquer à son groom qu’il eût à recevoir M. de Scaër et personne autre, il ne donna pas d’ordre.

Ce n’était pas ce gentilhomme mais Pibrac ne regretta pas trop de n’avoir rien dit, quand il vit entrer un autre camarade qui ne venait pas souvent, mais qu’il goûtait assez, l’interne de l’Hôtel-Dieu.

Ce futur docteur était gai et sa présence ne manquait jamais de réjouir Pibrac qui ne demandait qu’à se dérider quand, par hasard, il avait des soucis.

– Tiens! s’écria-t-il joyeusement, c’est A. Delle! Bonjour ma petite Dé-dèle!… quel bon vent t’amène en ces lieux?… Et comment es-tu dehors aujourd’hui? Est-ce que l’Hôtel-Dieu fait relâche, faute de malades?

– Au contraire, dit en riant l’interne. En ce moment, ils y meurent comme mouches, les malades. C’est peut-être l’effet du carnaval. Mais j’étais de garde hier, et je puis bien me payer quelques heures de sortie. J’ai assez pioché depuis deux mois.

– Ah! tu peux te vanter d’avoir changé, toi!… où est le temps où tu passais tes journées à la brasserie du boul’Mich’ et tes soirées à la Closerie des Lilas?

– Oui, mon cher, je suis devenu sérieux. Et en me parlant de la Closerie, tu me fournis une transition pour te dire pourquoi je viens te voir.

– Aurais-tu l’intention de me convier à t’y voir exécuter, dimanche prochain, ton fameux pas de la grenouille en goguette?

– Non, je l’ai oublié, mon pas. Mais j’ai eu hier à la salle de garde la visite d’un de tes amis… Te souviens-tu d’un souper chez Foyot, le jeudi gras de l’an de rigolade 1867?… il y avait Molécule… Voyageur… Louise la balocheuse… et quelques autres jeunes personnes du meilleur monde…

– Jeunes, hum!… mais pour la distinction… oh! là! là!

– Il y avait aussi un seigneur de la vieille Armorique… M. Hervé de Scaër, un baron, rien que ça!… Louise en a rêvé.

– Comment! il est allé te chercher à l’Hôtel-Dieu?… Que diable pouvait-il avoir à te dire?

– C’est ce que je vais te raconter… mais d’abord, qu’est-ce que c’est que ce garçon-là?

– Tu le sais bien, puisque tu viens de m’énumérer ses noms, prénoms et qualités.

– Oui, je les sais par cœur… mais que penses-tu de son… de sa moralité… je ne trouve pas d’autre mot.

– En voilà une question bête!… si Hervé n’était pas un galant homme, te figures-tu que je serais lié avec lui comme je le suis?

– Certainement, non… je suis même convaincu, jusqu’à preuve du contraire, que ce Breton est un parfait gentleman… mais on peut se tromper sur les gens.

– T’aurait-il emprunté de l’argent et oublié de te le rendre? demanda en goguenardant Pibrac.

– Non… pour plus d’un motif… le premier de tous est que je n’ai pas le sou. Voici ce qui s’est passé: Avant-hier, dès l’aube, on a apporté à la salle de chirurgie un bonhomme à moitié rôti, avec une épaule démise et des contusions par tout le corps.

– Un beau cas, quoi! est-ce que tu vas me raconter comment tu l’as traité? Je te préviens que les opérations chirurgicales ne m’intéressent pas du tout.

– Écoute-moi donc, au lieu de blaguer sans cesse. Cet individu avait été arrangé comme ça dans l’incendie d’une maison qui a brûlé de fond en comble la nuit du mardi gras.

– Rue de la Huchette. J’ai su ça au théâtre du Châtelet.

– Tiens! justement, le blessé y est figurant au Châtelet. Et il est du même pays que ton M. de Scaër, qui s’intéresse tout particulièrement à lui.

– Ça ne m’étonne pas. Scaër est devenu très Parisien, mais il est resté Breton dans l’âme. Alors, il est venu te voir pour te recommander ce garçon?

– Oui… et surtout pour me prier d’obtenir qu’on le laissât sortir aujourd’hui de l’hôpital. Il veut, prétend-il, le prendre à son service.

– Il en a bien le droit et il en est bien capable. Scaër est un original. Est-ce parce qu’il veut prendre un domestique de son pays que tu doutes de sa moralité?

– J’ai des raisons pour douter de celle du domestique en question. Il a été accompagné jusqu’à l’hôpital par un agent de la Sûreté. Il paraît qu’on le soupçonne d’avoir mis le feu à la maison incendiée. Et c’est pour cela que M. de Scaër, qui le protège, tenait tant à ce qu’on lui donnât la clef des champs.

– Donc, cet homme est innocent. Scaër ne protègerait pas un gredin. Eh bien! l’a-t-on mis dehors, ce prétendu incendiaire?

– Pas encore. Mon chef de service est tout disposé à signer l’exeat et, ce matin, à la visite, je l’y ai poussé tant que j’ai pu. Mais, hier soir, on est venu de la préfecture de police inviter le directeur de l’hôpital à ne pas laisser sortir l’homme jusqu’à nouvel avis.

– C’est sérieux, alors? demanda Pibrac d’un air de doute.

– On le dirait, répondit l’interne. Et pourtant j’ai beaucoup de peine à croire que ce garçon ait mis le feu à la maison. Je l’ai interrogé et il m’a raconté qu’au moment où ce feu a pris, il était occupé à figurer sur la scène du Châtelet.

– Mais Scaër aussi y était sur la scène. C’est moi qui l’y ai conduit. Il me semble bien l’avoir vu causer avec un figurant… et comme il s’est éclipsé tout d’un coup, je suppose qu’il aura emmené son Breton et qu’ils sont allés ensemble voir l’incendie. Je sais qu’il y était… je l’ai rencontré quand il en revenait… et s’il répond de cet homme, c’est qu’il est en mesure de prouver qu’on se trompe en le prenant pour un incendiaire.

– Il me l’a dit hier, et maintenant je le crois, puisque tu me réponds de lui.

– Oh! absolument. Alors, tu vas lui rendre son gars?

– Ça ne dépend pas de moi seul, mais j’y tâcherai… et j’espère que demain, après la visite, mon chef de service le renverra… il n’a pas de comptes à rendre à la police, mon chef… et tant qu’on ne sera pas venu chercher notre blessé pour le transférer à l’infirmerie de Mazas, le médecin a le droit de le renvoyer chez lui.

– Alors, n’en parlons plus. Pourquoi n’es-tu pas venu me demander à déjeuner?

– Parce que je n’ai pas le temps de m’amuser. Je passe mon troisième examen dans huit jours. Je reviendrai te voir quand je serai reçu et c’est moi qui t’inviterai. Nous ferons une noce à tout casser.

– Tu noces donc encore, toi?

– Toutes les fois que je peux. Et je me figure que tu ne t’en prives pas non plus. Tu ne viens plus au quartier Latin parce que tu ne le trouves plus assez chic, mais le diable n’y perd rien, comme me disait ma grand-mère pendant mes dernières vacances, quand j’essayais de lui faire accroire que je m’étais rangé.

– C’est vrai que je n’ai pas dételé, mais tu me croiras si tu veux… je le regrette, le quartier, et je regrette aussi les bonnes filles que nous menions souper chez Foyot… les grandes cocottes ne les valent pas.

– Bah! tu en prends et tu en laisses… ça te coûte plus cher, mais tes moyens te le permettent.

– Oh! ce n’est pas mon argent que je regrette, mais c’est vexant d’être berné par des drôlesses qui vous plantent là un beau soir, quand on les a tirées de la misère.

– Est-ce que ça t’étonne?

– Non, mais ça m’embête.

– Bon! je vois ce que c’est. On vient de te lâcher. Conte-moi donc ça.

– Une piqueuse de bottines que j’avais fait entrer au Châtelet et que je venais de mettre dans ses meubles. Croirais-tu, mon cher, que pas plus tard qu’avant-hier, au lieu de souper avec moi, comme elle me l’avait promis, elle a filé avec une espèce de rastaquouère qu’elle a rencontré dans les coulisses?

– C’est très mal, dit ironiquement l’interne, mais j’espère que tu t’en es déjà consolé.

– Je te prie de le croire. Seulement, je lui en veux, et elle me le paiera. Quand son rastaquouère l’aura quittée, elle se rabattra sur moi et je l’enverrai promener.

– Tu auras tort. Avec ces demoiselles, il faut être philosophe. Au quartier, nous ne nous fâchons pas pour si peu.

– C’est possible… mais, moi, j’en ai assez des débutantes. Je vais me répandre dans le vrai monde. Les demi-castors ne me vont pas non plus. Scaër vient de s’y frotter et il lui en a cuit. Il s’est laissé pincer par une blonde qui lui a fait manquer un mariage superbe. Margot était encore moins dangereuse que cette princesse-là.

– Margot, c’est celle qui t’a trahi?…

– Et que je ne reverrai de ma vie, la coquine.

À ce moment, des bruits qui partaient de l’antichambre arrivèrent aux oreilles des deux amis; des bruits de voix qui alternaient et qui s’élevèrent bientôt au diapason le plus aigu.

– On jurerait que ton domestique se dispute avec une femme, dit l’interne.

La porte s’ouvrit et Margot, en personne, entra comme un obus. C’était une grande fille rousse qui ne paraissait pas avoir froid aux yeux, comme disent les marins et les militaires. Elle avait écarté d’un coup de poing le groom et elle lançait au maître des regards courroucés.

– Qu’est-ce que c’est que ce genre-là?… On me consigne à la porte, maintenant!… Je m’en fiche de tes consignes… comme je me fiche des amendes du régisseur de cette sale boîte du Châtelet… tu me feras le plaisir de lui régler son compte à ton polisson de groom… et que ça ne traîne pas!

Puis, feignant d’apercevoir tout à coup l’interne qui riait sous cape:

– Excusez-moi, monsieur, dit-elle; je ne vous avais pas vu. Du reste, vous n’êtes pas de trop, car vous devez être l’ami d’Ernest… Il se conduit avec moi qui suis une artiste comme on ne se conduit pas même avec une fille, quand on a un peu de cœur.

– C’est trop fort! s’écria Pibrac. Comment avez-vous l’aplomb de vous présenter chez moi, après ce qui s’est passé, l’autre soir, au théâtre?

– De quoi?… parce que j’ai été souper au Café anglais avec un Canadien qui avait invité Juliette et Delphine?… en voilà du bruit pour rien!… J’ai accepté exprès pour t’apprendre à faire le jaloux. Je croyais que tu ne serais pas assez bête pour te fâcher et que tu viendrais le lendemain au théâtre… mais non… Monsieur a pris la chose de travers!… Monsieur boude!…

– Il y a de quoi! grommela l’excellent Ernest, déjà un peu radouci, et si tu te figures que tu n’as qu’à te présenter chez moi pour y reprendre pied, tu t’abuses, ma chère.

– Je commence par y prendre une chaise, dit gaiement Margot en s’attablant sans façon. Sers-moi un verre de chartreuse… j’ai le cœur sens dessus dessous… ça me remettra… de la verte, tu sais… la jaune est trop fade.

Pibrac ne se pressa point d’obéir; mais la bouteille était sur la table et l’ami Delle versa la liqueur demandée.

– Merci, mon petit! lui dit Margot. Si Ernest n’avait que des camarades comme vous, il ne me ferait pas une scène ridicule à propos d’une bêtise. Mais il fréquente un imbécile de provincial qui lui monte la tête… Monsieur le baron de Scaër!… un baron panné… Avoue que c’est lui qui m’a débinée…

– Scaër ne s’est jamais occupé de toi et je t’engage à ne pas t’occuper de lui.

– Tu ne m’empêcheras pas de dire que c’est un jobard. Il comptait pour se refaire sur la dot de la fille à Bernage, et on vient de la lui souffler.

– Comment le sais-tu?

– Suffit que je le tienne de bonne source. Et je sais encore autre chose. Je sais qui elle va épouser, à la place de ton baron.

– Quoi! elle va se marier à un autre?

– Un peu, mon petit. Et tu le connais, l’autre… tu l’as même dans le nez, parce que tu te figures que je t’ai fait des traits avec lui.

– Le Canadien!

– Oui, gros jaloux!… ça prouve bien qu’entre ce monsieur et moi, il n’y a pas eu ça! dit Margot en faisant claquer son ongle rose sur ses blanches incisives.

– Ça ne prouve rien du tout… et tu ne me persuaderas pas que Bernage aurait amené cet homme dans les coulisses du Châtelet, s’il avait eu le projet d’en faire son gendre.

– Ce n’était peut-être pas son intention, ce jour-là. Il le connaissait depuis longtemps… il ne pensait qu’à procurer à cet ami, qui venait d’arriver à Paris, l’occasion de passer agréablement la soirée du mardi gras… et il ne s’est pas embêté le Canadien!… Delphine lui a chanté des chansons à crever de rire… mais le lendemain, Bernage l’a présenté à sa fille… elle lui a plu… et comme il est très calé, l’affaire du mariage a été bâclée tout de suite.

Pibrac se disait qu’après tout c’était possible. Il se souvenait de l’empressement que Bernage avait mis à présenter ce monsieur au cercle, et il ne s’étonnait pas outre mesure que Bernage, ayant surpris Hervé de Scaër en bonne fortune, eût brusqué les choses en jetant sa fille à la tête d’un étranger opulent.

Il admettait même que Solange eût consenti, par dépit, à changer de fiancé, du jour au lendemain.

Et il se promettait d’apprendre à Hervé, qui ne s’en doutait pas, cette étrange nouvelle. Mais il n’acceptait le récit de Margot que sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire en se réservant d’en contrôler l’exactitude.

– Comment, diable! es-tu si bien informée? lui demanda-t-il.

Et il ajouta ironiquement:

– Est-ce que ton Canadien t’a envoyé une lettre de faire-part?

– Non, mon cher, répondit Margot d’un air piqué. On ne se marie pas comme ça dans les quarante-huit heures. Mais le mariage se fera. Et tu as beau me blaguer, M. Ricœur de Montréal est plus poli que toi, car tu n’as pas daigné te déranger pour savoir ce que je devenais, tandis que, lui, il a pris la peine de venir hier chez moi s’excuser de ne pas pouvoir tenir ce qu’il m’avait promis. Il m’avait fait, je ne m’en cache pas, de brillantes propositions. Il devait, comme entrée de jeu, m’acheter un hôtel, avenue de Wagram, et un huit-ressorts.

– Et tu t’étais empressée d’accepter?

– Conviens que j’aurais été trop bête de refuser. Je n’ai dit ni oui, ni non… et ça parce que je tiens à toi. J’ai bien fait, puisque le traité n’a pas été signé, pour cause de mariage. La vertu est toujours récompensée, conclut Margot en éclatant de rire.

Il n’y avait pas moyen de se fâcher contre cette créature. Pibrac et Delle ne purent pas s’empêcher de rire aussi. La glace était rompue et la conversation tourna vite à la gaieté. Pibrac ne croyait pas du tout à l’innocence de Margot, mais elle lui plaisait fort et il ne demandait qu’à se raccommoder avec elle. L’interne la trouvait amusante et il aurait volontiers poussé à la réconciliation, dans l’espérance de la revoir chez son ami.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
420 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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