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Читать книгу: «Double-Blanc», страница 10

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V. La richesse ne fait pas le bonheur; c’est un dicton qui court et que répètent volontiers les pauvres diables…

La richesse ne fait pas le bonheur; c’est un dicton qui court et que répètent volontiers les pauvres diables, pour se consoler des injustices de la fortune. La philosophie convient aux déshérités.

Peut-être, s’ils disaient ce qu’ils pensent, au fond, tiendraient-ils un autre langage, mais il y a du vrai dans cette formule générale.

Il est difficile d’être complètement heureux sans argent, mais on peut aussi être tout à la fois très riche et très malheureux, car l’argent ne donne ni la santé, ni le contentement de soi-même, et il ne préserve pas de l’ennui, cette plaie des oisifs opulents. Encore moins préserve-t-il des soucis.

C’est pour mettre en lumière cette vérité incontestable que La Fontaine a écrit «Le Savetier et le Financier».

Sa fable s’applique surtout aux hommes qui, au lieu de jouir en paix de capitaux laborieusement acquis, ne songent qu’à les défendre et à les augmenter.

C’est le combat perpétuel qu’on appelle «les affaires»; et c’était le cas de M. Laideguive de Bernage, plusieurs fois millionnaire et pas du tout disposé à se contenter de ses millions. Mais celui-là était dans son élément naturel et il n’aspirait nullement au repos. La lutte pour l’argent, c’était sa vie.

Il ne se privait d’ailleurs d’aucune des distractions que Paris offre aux gens qui roulent sur l’or, et il était arrivé à ce moment psychologique où l’ambition vient aux capitalistes.

Charles de Bernage, spéculateur enrichi et futur candidat à la députation, n’avait jamais eu le temps de s’apercevoir qu’il lui manquait quelque chose.

Sa fille, en revanche, n’avait pas toujours mené une existence agréable. Enfermée jusqu’à dix-sept ans dans un pensionnat et fort isolée depuis qu’elle en était sortie, elle n’avait pas commencé à vivre, – s’il est vrai que vivre c’est sentir, – que le jour où s’était décidé son mariage avec Hervé.

Ce jour-là, seulement, s’étaient ouverts pour elle des horizons nouveaux. Elle entrevoyait un avenir de fêtes et d’indépendance qu’elle n’avait pas craint d’annoncer à son fiancé. Il ne s’agissait plus que d’attendre l’heure bénie qui allait lui apporter la joyeuse liberté qu’elle rêvait. Mais, en attendant, elle ne s’amusait guère. Ses journées s’écoulaient monotones, et les thés de cinq heures ne suffisaient pas à la distraire.

Depuis les visites qu’elle avait reçues le dimanche, elle n’avait vu personne et elle s’était mortellement ennuyée en la peu réjouissante compagnie de Mme de Cornuel.

Son père avait dîné en ville le lundi et le mardi – des dîners d’hommes, assurait-il, dans des maisons sérieuses où il ne la conduisait jamais. Et la pauvre Solange n’avait pas mis le pied dehors, de peur de se trouver mêlée à la foule inélégante qui encombre les rues de Paris, pendant les jours gras.

Solange, comme toutes les nouvelles venues dans le monde, sacrifiait ses préférences pour suivre les lois de la mode, et quoiqu’elle mourût d’envie de sortir, elle s’en privait, parce qu’il n’était pas de bon ton de se promener en même temps que le cortège du bœuf.

Elle s’était donc confinée dans l’hôtel du boulevard Malesherbes et la solitude lui avait été d’autant plus pénible à supporter qu’elle comptait sur Hervé, qui ne manquait presque jamais de venir lui faire sa cour, avant ou après le dîner.

Hervé n’avait pas paru.

Solange s’était donc levée de mauvaise humeur, le mercredi des Cendres, et, quoiqu’elle n’eût pas été élevée très religieusement, elle avait demandé à sa gouvernante de la conduire à l’église Saint-Augustin où affluaient, ce jour-là, les pénitentes de distinction.

On déjeunait à midi chez M. de Bernage qui, absorbé par ses affaires, ne prenait pas toujours part à ce premier repas. Il arrivait même quelquefois que mademoiselle déjeunait seule, parce que Mme de Cornuel était souffrante.

Mais, ce mercredi, le valet de chambre eut trois convives à servir. Le déjeuner n’en fut pas plus gai pour cela.

Solange boudait; son père avait l’air soucieux et, contrairement à ses habitudes, la dame de compagnie ne desserrait les dents que pour manger.

Ce n’était pas qu’ils n’eussent rien à se dire, mais la présence d’un domestique les empêchait d’aborder des sujets intéressants – encore un des inconvénients de la richesse – et ils étaient trop préoccupés pour échanger des paroles insignifiantes.

La conversation ne s’engagea qu’au dessert, après que M. de Bernage eût renvoyé le valet de chambre, et ce fut sa fille qui entama l’entretien en disant:

– Est-ce que M. de Scaër est malade?

– Je ne crois pas, répondit le père. Pourquoi me demandes-tu cela?

– Parce que je m’étonne de ne l’avoir pas vu depuis dimanche.

– Est-ce à dire que tu t’affliges de son absence?

– Un peu, je l’avoue. Sans doute, il a de bonnes raisons pour s’abstenir, mais ces raisons, je voudrais les connaître, et j’exigerai qu’il me les explique. Du reste, mon cher père, je saisis l’occasion de vous déclarer que la situation n’est plus tenable ni pour lui, ni pour moi.

– Comment cela?

– Voilà six mois que nous sommes fiancés, il est temps d’en finir.

– C’est absolument mon avis.

– Alors, qu’attendez-vous pour fixer la date de notre mariage? Si vous continuez à le renvoyer aux calendes grecques, autant vaudrait décider qu’il ne se fera jamais.

– En serais-tu très fâchée? demanda Bernage en regardant sa fille dans le blanc des yeux.

Solange rougit et balbutia:

– Quelle singulière question!

– Toute naturelle, au contraire. Je tiens à connaître le fond de ta pensée.

– Sur quoi?

– Sur ce mariage, parbleu!

– Ne savez-vous pas que je le désire?

– Je sais que tu as consenti à épouser M. de Scaër…

– C’est vous qui me l’avez proposé.

– Parfaitement… mais je ne sais pas si tu y tiens.

– En vérité, mon père, je ne vous comprends pas. Où voulez-vous en venir?

– À te prier de réfléchir, avant de te lier pour la vie.

– Encore une fois, mon père, il y a six mois que je réfléchis.

– D’accord… mais six mois ne suffisent pas toujours pour bien connaître un homme. En affaires, il m’est arrivé souvent d’être trompé par des gens qui m’inspiraient une confiance absolue.

– En affaires, oui…

– Eh! bien, ma chère enfant, le mariage est une affaire… où le cœur doit avoir sa part, j’en conviens, mais…

– Vous ne prétendez pas, je suppose, que M. de Scaër vous a trompé sur sa situation de fortune?

– Non, certes. Je la connaissais mieux qu’il ne la connaissait lui-même. Je savais qu’il avait dissipé son patrimoine et qu’il ne lui restait que des dettes. Elle ne pouvait donc pas empirer et je n’en ai tenu aucun compte. J’ai vu que ce jeune homme te plaisait et j’ai pu apprécier ses mérites, qui sont réels. Tu es assez riche pour te marier à ton gré. Je n’ai pas marchandé mon consentement, parce que j’avais alors la conviction que ce mariage ferait ton bonheur.

– Et maintenant vous pensez le contraire?

– Je pense que, de même qu’on peut être trompé sur le chiffre d’une dot, on peut l’être aussi sur les qualités d’un prétendu.

– Que s’est-il donc passé qui ait pu vous faire changer d’avis?

– Je vais te le dire. Réponds d’abord à une question que je vais te poser: Serais-tu heureuse avec un mari qui te donnerait sujet d’être jalouse?

– Non, répondit nettement Solange. Je veux avant tout être aimée, et si mon mari s’occupait d’une autre femme, ce serait qu’il ne m’aimerait pas.

– Je prends acte de ta déclaration.

– Et vous allez me dire que M. de Scaër a beaucoup vécu… qu’il a eu des maîtresses… Peu m’importe! Je ne me préoccupe pas de son passé… mais s’il en avait quand nous serons mariés, j’en mourrais…

– Tu l’aimes donc… d’amour?

– Si je ne l’aimais pas d’amour, je ne l’épouserais pas… et quoi que vous en disiez, je suis sûre qu’il me sera fidèle.

– Alors, tu crois que le mariage fera de lui un autre homme?

– C’est déjà fait, et pourtant il n’est encore que mon fiancé.

– Tu affirmes; moi, je doute.

– N’a-t-il pas renoncé à la vie qu’il menait avant de s’engager avec moi? Vous en êtes convenu vous-même… vous étiez là quand il a poussé la loyauté jusqu’à s’excuser de s’être laissé entraîner au bal de l’Opéra et le scrupule jusqu’à m’en demander pardon.

– S’il n’avait pas d’autre tort que celui-là, je ne douterais pas de lui. Les drôlesses qu’on rencontre au bal de l’Opéra ne sont pas des rivales à redouter pour une jeune femme. Mais il y en a de plus dangereuses…

– Dans le monde où nous vivons, je le sais… et je ne les crains pas. M. de Scaër a fait ses preuves, dimanche, pendant la visite de Mme de Mazatlan. Je ne crois pas qu’il existe une beauté plus parfaite… et plus séduisante. Eh bien! M. de Scaër ne s’est occupé d’elle que tout juste assez pour être poli.

– Vraiment? Il m’avait semblé au contraire que cette marquise t’inspirait de la jalousie.

– J’ai pu en concevoir, mais j’en suis vite revenue. Et la preuve, c’est que je n’ai rien dit quand vous l’avez invitée à venir nous voir en Bretagne.

– J’ai eu tort. Mon excuse est que je ne savais pas ce que je sais.

– Que savez-vous donc?

– Que cette femme n’est qu’une intrigante.

– Vous disiez qu’elle possédait à Cuba des terres… des mines…

– J’ai appris qu’elle les a vendues et qu’elle vient à Paris chercher fortune… et j’ai appris bien d’autres choses encore. Ce n’est pas pour une œuvre de charité qu’elle s’est présentée ici… c’est pour y rencontrer…

– Qui? interrompit Solange, qui pâlissait à vue d’œil.

– Tu devrais le deviner… cela m’épargnerait le chagrin de te le dire.

– Hervé?

– Eh! oui… Hervé!… et elle n’a pas perdu son temps, car ce joli monsieur est allé la rejoindre, un quart d’heure après son départ.

– La rejoindre?… Je ne comprends pas.

– Ce n’est pas M. Pibrac qui a fait appeler M. de Scaër… c’est cette marquise impudente.

– Si je croyais cela!…

– Tu peux et tu dois le croire, car je te l’affirme… et je te le prouverais sur-le-champ, s’il ne me répugnait pas de te le faire dire par un de mes gens qui a vu… de ses yeux vu…

– Ils se connaissaient donc avant de se rencontrer ici?

– Je ne sais pas s’ils se connaissaient, mais je suis sûr qu’ils ont fait connaissance, car… mais je vais t’affliger.

– Non… Je veux tout savoir.

– Alors, prends ton courage à deux mains, car c’est abominable ce qu’il fait là, ce fier gentilhomme. Hier soir, il était au Châtelet, dans une baignoire d’avant-scène, en tête-à-tête avec la charitable marquise de Mazatlan. J’étais entré, par hasard, à ce théâtre, et je les ai aperçus, quoiqu’ils aient essayé de se dissimuler, à grand renfort d’écrans…

– Ah! c’est infâme!

– Me reprocheras-tu encore d’avoir retardé ton mariage?

– Il faut le rompre.

– Je l’ai rompu. Je me suis fait ouvrir la loge et j’ai prié M. de Scaër d’en sortir. Il est venu et je lui ai signifié que je lui défendais de remettre les pieds chez moi. J’étais tellement indigné que j’ai agi sans te consulter. Ai-je eu tort?

Le père attendait de sa fille une approbation catégorique, il n’avait pas prévu la réponse qui fut:

– Je veux le voir.

– Et pour quoi faire, bon Dieu! s’écria M. de Bernage.

– Pour lui dire ce que je pense de sa trahison.

– Tu parles là comme une enfant. J’ai voulu, en lui signifiant son congé, t’épargner une scène pénible. Réfléchis donc à l’inconvenance d’une entrevue après ce qui s’est passé. Je doute fort, d’ailleurs, que M. de Scaër s’y prêtât. Quand on est coupable, on n’aime pas à en convenir devant celle qu’on a offensée.

– Coupable?… L’est-il?

– Les faits sont là. Je te répète que je l’ai surpris avec Mme de Mazatlan, dans une avant-scène où ils se cachaient.

– A-t-il avoué que cette femme était sa maîtresse?

– L’aveu eût été superflu. Il n’a pas nié, d’ailleurs, et au lieu d’essayer de se justifier, il s’est mis en colère. Il l’a pris de très haut avec moi. Je lui ai imposé silence et je l’ai laissé là. Je ne pouvais pas pousser les choses plus loin… on ne se bat pas avec un homme qu’on avait choisi pour gendre…

– Non… mais on peut le forcer à s’expliquer.

– C’était à lui de s’expliquer… et il n’y aurait pas manqué, s’il avait eu de bonnes raisons à me donner.

– Lui en avez-vous laissé le temps?

– Il n’avait qu’à parler. Je l’aurais écouté. Il a préféré se fâcher. Donc, il est coupable.

– Et elle?

– La marquise? quand je suis entré dans la loge, elle n’a pas dit un mot, mais j’ai bien vu à son air qu’elle se sentait prise. Du reste, j’ai aussitôt prié M. de Scaër de sortir. Il est sorti et elle ne nous a pas suivis. Je l’ai emmené au foyer, où, après lui avoir dit ce que je pensais de sa conduite, je lui ai déclaré que je ne le recevrais plus…

– Et il est allé la rejoindre?

– Je le suppose, mais je n’en sais rien, car je ne suis pas resté au théâtre. Te voilà renseignée.

– Pas comme je voudrais l’être.

– Que te faut-il donc de plus?

– Je viens de vous le dire.

– Ce n’est pas sérieusement que tu songes à interroger toi-même ce monsieur. Ce serait très maladroit, pour ne pas dire plus. Il croirait que tu tiens à lui et il abuserait de la situation.

– Il croirait ce qui est…

– Non; tu m’a dit que tu l’aimais, c’est vrai; mais tu as ajouté que, s’il te trompait, tu ne l’aimerais plus. Or, il te trompe et, en feignant de t’aimer, il s’est indignement moqué de toi.

– Je n’en ai pas la preuve.

– Voyons, ma chère Solange, ne déraisonne pas! Tu souffres d’être trahie et le chagrin te souffle des résolutions folles. Je comprends cela et je ne t’en veux pas, mais je te supplie d’écouter mes conseils et de les suivre. S’ils ne suffisent pas à te convertir, consulte notre amie Mme de Cornuel. Je suis certain qu’elle est de mon avis.

Solange fit une moue significative. Elle goûtait peu la dame de compagnie que son père lui avait à peu près imposée, et Bernage s’aperçut qu’il faisait fausse route en proposant de s’en rapporter à l’arbitrage de la gouvernante.

C’était trop tard pour retirer sa proposition, car Mme de Cornuel s’empressa de répondre:

– J’ai jugé M. de Scaër dès le premier jour, mon cher Charles, et je n’ai pas caché à votre fille qu’à mon sens, ce mariage ne lui convenait pas du tout.

– C’est votre appréciation, interrompit Solange. Hier encore, ce n’était pas celle de mon père. Je m’en tiens à la mienne, et si je n’épouse pas M. de Scaër, je n’épouserai personne.

– Je crois, ma chère Solange, que tu te méprends sur tes propres sentiments, dit doucement M. de Bernage, mais à Dieu ne plaise que je te contraigne. Je sais fort bien que tu n’iras pas te jeter à la tête de ce jeune homme. Je puis donc m’en remettre à ta sagesse. S’il s’avisait de revenir ici, je ne refuserais pas de le recevoir, en ta présence, et je te laisserais l’interroger tout à ton aise. Je ne pense pas qu’il ose affronter cette épreuve, mais s’il l’osait, je m’abstiendrais d’intervenir.

– C’est tout ce que je vous demande, répliqua Solange avec une fermeté qui donna fort à réfléchir au père et à la gouvernante.

Tous deux étaient d’accord sur la nécessité de rompre le mariage projeté, mais ils ne s’attendaient ni l’un ni l’autre à une résistance aussi nettement déclarée.

Solange, jusqu’alors avait toujours pris les événements de sa vie avec une certaine insouciance. Elle n’avait pas fait de façons pour accepter, lorsque son père lui avait proposé, un beau matin, de la marier à Hervé de Scaër qu’elle connaissait fort peu, et depuis que c’était décidé, elle n’avait pas cessé de se montrer satisfaite.

Elle paraissait avoir pour Hervé une de ces affections calmes qu’on permet aux demoiselles de bonne maison, et on pouvait supposer que la rupture se ferait sans déchirement.

Il semblait maintenant que son cœur se fût mis de la partie, car au lieu de croire, sans les vérifier, aux accusations portées par son père, elle se cramponnait à une espérance chimérique. Et ces illusions-là sont particulières aux femmes aveuglément éprises.

Bernage, tout en constatant ce symptôme inquiétant, ne crut pas devoir s’en préoccuper outre mesure. Il savait bien que Scaër, brutalement évincé, n’essaierait pas de rentrer en grâce. Pour que ce Breton entêté s’humiliât jusqu’à implorer le pardon de sa fiancée, il aurait fallu qu’il fût passionnément amoureux d’elle, et Bernage était convaincu que Scaër tenait beaucoup moins à Solange qu’à la grosse fortune qu’elle devait lui apporter.

On juge les autres d’après soi.

Et si Hervé, par fierté, se tenait à l’écart, que pourrait faire pour le ramener une jeune personne bien élevée? À coup sûr, elle n’irait pas le chercher chez lui. Tout au plus pourrait-elle lui écrire, et on le saurait, car elle n’avait pas coutume d’aller elle-même porter ses lettres à la poste.

Ainsi raisonnait ce père qui connaissait mieux le cours des valeurs que le caractère de sa fille. Et il se promettait de la surveiller pour l’empêcher de faire un coup de tête. Il comptait bien d’ailleurs lui trouver un autre mari qui serait selon son cœur, à lui, Bernage, et qu’elle finirait par accepter, ne fût-ce que pour se venger de la trahison du sire de Scaër.

Mme de Cornuel était peut-être moins rassurée sur l’avenir, mais elle n’en laissa rien paraître.

Solange, après avoir lancé son ultimatum, s’était enfermée dans un silence inquiétant. Elle s’en tenait à ce qu’elle avait dit et on voyait bien que tous les sermons du monde ne la convaincraient pas qu’il ne lui restait qu’à oublier Hervé.

M. de Bernage se dit que le temps la calmerait, tandis que la discussion ne ferait que l’exciter davantage, et jugea qu’il serait maladroit d’insister.

Il se prépara donc à lever la séance, et il commença par passer brusquement à un autre sujet de conversation.

– Ma chère amie, dit-il à Mme de Cornuel, j’aurai ce soir à dîner un ami que vous connaissez, et que vous n’avez pas vu depuis longtemps… ce brave Ricœur.

– Quoi! Il est en France! dit la dame.

– Oui. Il vient d’arriver à Paris. Je l’ai rencontré par hasard et j’ai eu grand plaisir à l’inviter. Nous le verrons souvent, car il va se fixer ici, et c’est un aimable homme.

Je te le présenterai, ma chère Solange, et je suis sûr qu’il t’intéressera. Il a beaucoup vu et il raconte à merveille.

– Je ne tiens pas à l’entendre, murmura la jeune fille.

– Tu changeras peut-être d’avis quand tu sauras qu’il arrive de la Havane et que c’est lui qui m’a renseigné sur cette marquise…

– Tout récemment alors, car, dimanche, vous l’avez reçue plus que poliment.

– Dimanche, je venais de causer cinq minutes avec Ricœur, sur la place de la Madeleine, mais après dix années d’absence, nous avions trop de choses à nous dire pour qu’il fût question entre nous de Mme de Mazatlan. Hier, je l’ai revu et je lui ai parlé de cette affaire de mines où j’avais eu la malencontreuse idée de me fourrer. Heureusement, il m’a édifié sur la situation actuelle de cette aventurière.

– Est-ce lui, aussi, qui vous a signalé les accointances de la marquise avec M. de Scaër?

– Non. Ricœur ne connaît pas ce Breton. C’est le hasard qui m’a fait découvrir la vérité. Je soupçonnais déjà qu’ils s’entendaient. Je n’en avais pas la preuve. Je l’ai maintenant et je ne reverrai plus le seigneur de Scaër, mais je me propose de dire à cette femme ce que je pense de sa conduite. Qu’elle jette son bonnet par-dessus les moulins, je n’ai rien à y voir… seulement, je ne lui pardonne pas de s’être moquée de nous, et comme elle pourrait avoir l’audace de revenir chez moi, je tiens à lui notifier la résolution que j’ai prise de lui fermer ma porte.

– Alors, vous irez la voir?…

– Parfaitement. Ce serait même déjà fait, si je n’avais pas tenu à t’avertir d’abord. Elle habite tout près d’ici.

– Avenue de Villiers, je crois, demanda vivement Solange.

– Oui… au coin de la rue Guyot. Elle a loué là, tout meublé, un petit hôtel dont le propriétaire est absent pour un an. Un de ces jours, elle s’envolera vers le pays d’où elle est venue. Cette marquise d’outre-mer est un oiseau de passage, et qui sait?… M. de Scaër s’envolera peut-être avec elle. C’est la grâce que je nous souhaite.

Solange, sans doute, ne s’associait pas au vœu exprimé par son père, et sans doute aussi elle savait tout ce qu’elle voulait savoir, car elle ne dit plus un seul mot.

Bernage, par une transition assez naturelle, était involontairement revenu au sujet d’entretien qu’il tenait à laisser de côté. Il s’en repentait déjà et, de peur de retomber dans la même faute, il se leva de table; Mme de Cornuel le suivit dans le salon, en lui demandant tout haut pour le dîner du soir des instructions dont elle aurait pu se passer, sachant très bien sur quel pied d’intimité Bernage était avec son invité, qu’elle connaissait de longue date.

Solange devina sans peine que la dame prenait ce prétexte pour s’en aller conférer en tête-à-tête avec son vieil ami, et elle s’empressa de regagner son appartement de jeune fille.

Ce n’était pas pour y pleurer l’abandon où la laissait son fiancé qu’elle s’y réfugiait, ni même pour s’y confiner.

Elle avait un projet arrêté et elle ne perdit pas une minute pour le mettre à exécution.

Solange avait conservé du pensionnat l’habitude très louable de s’habiller dès le matin et d’ailleurs, ce jour-là, elle était allée à l’église avant le déjeuner. Elle n’eut qu’à mettre son chapeau sur sa tête et un manteau sur ses épaules pour être prête, et il lui était facile de sortir de l’hôtel sans être vue.

Les fenêtres de sa chambre donnaient sur le jardin, où elle pouvait descendre par un escalier particulier, et elle avait la clé d’une petite porte qui s’ouvrait, au fond de ce jardin, sur la rue de la Bienfaisance.

Jamais son père n’entrait chez elle; sa gouvernante y venait très rarement. Ils ne s’apercevraient pas de son absence.

Le temps avait changé depuis la veille. Le ciel se couvrait de nuages chargés de neige et le jour tournait au crépuscule, quoiqu’il fût à peine deux heures. Un temps fait à souhait pour courir les rues incognito.

Solange, une fois hors du jardin, rabattit sa voilette sur son visage et fila, en rasant le mur, vers le boulevard Malesherbes.

Où allait-elle? Bien fin qui l’eût deviné. Les rares passants qui remarquaient son allure furtive devaient croire que cette femme voilée venait de quitter clandestinement un toit conjugal pour courir au rendez-vous donné par un amant.

Elles ont toutes, en ces occasions, une façon de se couler le long des maisons qui les signale à l’œil exercé d’un vieux Parisien.

Et, cette fois, le plus habile se serait mépris, car Solange n’avait pas de mari à tromper et ce n’était pas précisément l’amour qui l’avait attirée hors de l’hôtel de Bernage, quoique l’amour fût pour quelque chose dans cette escapade.

Son père, s’il eût été là, aurait peut-être pensé que, pour lui forcer la main, elle avait résolu de se compromettre avec Hervé de Scaër et qu’elle se hâtait ainsi vers l’hôtel du Rhin où il logeait. Il n’aurait certes pas soupçonné l’étrange dessein qui s’était logé dans cette tête exaltée et il eût été bien surpris de la voir remonter le boulevard Malesherbes.

Ce n’était pas le chemin de la place Vendôme.

Elle marchait d’un pas ferme et rapide, contre une bise glacée qui lui coupait la figure à travers son voile, sourde aux appels des cochers maraudeurs, et indifférente aux œillades des messieurs qu’elle croisait.

C’était la première fois qu’il lui arrivait de circuler seule, à pied, dans ce Paris où les jeunes filles bien nées ne s’aventurent guère sans un chaperon – ce chaperon fût-il une simple femme de chambre – et à la voir ainsi, alerte et décidée, on eût dit qu’elle n’avait de sa vie fait autre chose.

Elle eut tôt fait d’arriver, en traversant le boulevard de Courcelles, à la place Malesherbes, et elle continua, en obliquant à gauche, par l’avenue de Villiers.

Là commence un quartier où les hôtels particuliers, grands ou petits, ont poussé comme des champignons.

Les peintres ont commencé. Ceux-là avaient une raison pour aller s’établir sur les sommets. Ils ont besoin de la claire lumière qui vient du Nord et, au cœur de la ville, l’espace et le jour manquent pour installer commodément un atelier. Et puis un artiste propriétaire est nécessairement un artiste arrivé et il fait payer ses tableaux en conséquence.

Les demi-mondaines ont suivi. Pour elles, le petit hôtel, c’est le signe visible du grade gagné par de brillants succès dans l’armée de la galanterie. Paris leur doit des rues nouvelles. Elles ont hérissé de bâtisses les terrains vagues et elles reçoivent leurs amis, qui s’en plaignent, dans des parages où on allait chasser au furet sous le règne de Charles X.

Enfin, la bourgeoisie est venue. Les habitudes anglaises se sont implantées en France, et la manie du chez-moi – du home, comme disent nos voisins d’outre-Manche – a gagné les Parisiens. Les riches, qui se contentaient jadis d’un bel appartement au premier étage, dans un quartier central, se croient obligés, maintenant, d’habiter une maison à eux appartenant, à plusieurs kilomètres de la Bourse et du Palais-Royal.

Ils s’y ennuient à mourir, mais ils sont dans le train. Ils ont un hôtel, et cela suffit à les consoler de l’isolement.

Les architectes ont profité de cette manie pour se donner carrière. Ils ont bâti à tort et à travers, dans tous les styles, et imité toutes les époques.

Il y avait sous Louis XV des Folies-Beaujon, des Folies-Méricourt et autres fantaisies immobilières des financiers de ce temps-là; il y a maintenant des Folies «n’importe qui» copiées sur leurs devancières. Il y a des castels en briques, dans le goût Louis XIII. Il y a même des constructions agrémentées de tours, de barbacanes et de mâchicoulis, auxquelles il ne manque guère que la patine du temps pour avoir l’air de châteaux-forts du moyen âge.

L’hôtel de Bernage ne ressemblait pas à ces immeubles excentriques. C’était un hôtel sérieux, situé sur un boulevard où les terrains valent très cher. Son propriétaire aurait dédaigné les colifichets du quartier Villiers, et Solange, qui sortait de l’imposante demeure paternelle, ne les regardait guère, quoiqu’elle les vît pour la première fois. Elle ne poussait pas plus loin que le parc Monceau ses promenades accompagnées. Tout au plus, lui était-il arrivé de passer en voiture par cette avenue qui n’aboutit qu’aux fortifications. Mais elle savait à peu près où se trouvait la rue Guyot, qui s’appelle aujourd’hui la rue Fortuny et qui était déjà habitée par des peintres en vogue dont lui parlaient les amies qu’elle recevait à ses thés de cinq heures.

C’était, avait dit son père, au coin de cette rue et de l’avenue de Villiers que s’était logée Mme de Mazatlan, et c’était chez cette marquise qu’elle se rendait bravement, comme un soldat marche à l’ennemi, sans s’inquiéter de l’issue de la rencontre qu’il va chercher.

Solange était ainsi faite qu’elle ne pouvait pas supporter l’incertitude, et son tempérament la portait toujours aux résolutions extrêmes. Si elle n’avait pas risqué de courir à l’hôtel du Rhin chercher une explication, c’est qu’elle craignait de n’y pas rencontrer Hervé de Scaër, qui n’avait pas coutume de passer ses journées dans sa chambre d’auberge; mais elle voulait à tout prix savoir ce qu’il y avait de vrai dans les déclarations de son père qui lui semblaient suspectes, et, en attendant qu’elle pût mettre au pied du mur son fiancé, l’intrépide jeune fille allait interroger sa rivale. Démarche hardie, assurément, mais non pas déraisonnable, puisqu’elle devait être décisive.

Et elle l’exécutait avec une énergie sans pareille, car la neige commençait à tomber, comme si le ciel eût voulu la contraindre à rebrousser chemin.

Les passants se hâtaient, chassés par la bourrasque, et elle ne tarda guère à se trouver seule sur cette large voie qui se couvrait d’un tapis blanc, mais elle touchait au terme de cette expédition aventureuse, car elle apercevait le nom de la rue Guyot sur la plaque collée à une maison d’angle.

Il y avait deux maisons, une grande et une petite, ayant toutes les deux apparence d’hôtel. Mme de Mazatlan, affirmait Bernage, en occupait une. Mais, laquelle? Solange pensa que c’était la plus grande qui semblait mieux que l’autre, convenir à une marquise richissime ou soi-disant telle. Et elle allait se décider à sonner à la grille de cette importante habitation, lorsqu’elle vit sur le trottoir un facteur de la poste qui en sortait.

Ce facteur devait connaître l’adresse de la dame, et Mlle de Bernage osa l’arrêter pour la lui demander. À quoi il répondit que la marquise demeurait en face et que, justement, il allait de ce pas y porter une lettre qu’il venait de tirer de sa boîte et qu’il tenait à la main, une lettre sur laquelle Solange reconnut tout de suite l’écriture du dernier des Scaër, une grosse écriture ronde qu’il était impossible de confondre avec une autre.

Solange tressaillit, et peu s’en fallut qu’elle ne renonçât à son projet. Hervé en était à écrire à cette femme que, deux jours auparavant, il feignait de ne pas connaître; donc, il n’y avait plus à douter de son infidélité, mais la scabreuse visite lui procurerait du moins la satisfaction de forcer la marquise à rougir de sa conduite et, après avoir hésité un instant, elle suivit le facteur qui traversait la rue.

L’hôtel de Mme de Mazatlan était d’apparence modeste et on y entrait par une porte bâtarde. À côté, il y avait un terrain à vendre. En ce temps-là, ils ne manquaient pas dans cette rue assez récemment percée. La marquise n’avait pas de voisins et sa suite, si elle en avait une, ne devait pas être nombreuse, car le logis n’avait que deux étages, en y comprenant un rez-de-chaussée surélevé. Pas de remise, pas d’écurie. Sans doute, elle louait au mois la voiture et les chevaux dont elle se servait. Mlle de Bernage, accoutumée à juger la situation de fortune des gens d’après leur train de maison, commençait à penser que la dame n’était pas si millionnaire qu’elle l’avait cru.

Peu importait, d’ailleurs, qu’elle fût riche ou non, car si Hervé s’était amouraché d’elle, ce n’était assurément pas pour les beaux yeux de sa cassette.

Le facteur sonna. On le fit attendre un peu, puis la porte s’ouvrit et sur le seuil parut un homme qui n’avait ni la livrée ni la mine d’un laquais. Grand, sec et vieux, avec son teint basané et ses cheveux gris, il avait plutôt l’air d’un de ces intendants de grande maison comme on en voit en Espagne chez les seigneurs qui ont le droit de se couvrir devant le Roi.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
420 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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