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Читать книгу: «Annette Laïs», страница 24

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XXXV.
COUP DE FOUDRE

Annette restait seule souvent. Pendant mes absences quotidiennes, elle n'avait que mon souvenir à qui parler. Peut-être que la parole qui m'était échappée répondait en elle à quelque mystérieux regret. Les mères veulent tout pour leurs enfants. C'était une nature forte et droite, mais impressionnable à l'excès et tendre jusqu'à l'inquiétude. Dans cette parole, qui n'avait aucune portée cachée, peut-être avait-elle vu pour moi le germe de tout un malheur.

J'avais dit:

«Philippe et Anna seraient comme ceux-là…»

Donc, je trouvais en ceux-là, ou du moins dans le luxe parisien qui les entourait, quelque chose que Philippe et Anna pouvaient envier. Nos deux petits étaient habillés comme les enfants du pays. Mais qu'ils étaient roses, et frais et robustes! Philippe balbutiait le breton aussi bien que le français. Sur mon honneur, comme ils étaient je les voulais.

Jamais Annette elle-même ne m'avait semblé plus charmante sous le costume parisien. Je ne la souhaitais pas autrement.

Quinze jours s'écoulèrent. Je m'étais bien gardé de revenir sur cet entretien. Je le croyais oublié. Annette me demanda une fois si je voulais qu'elle prît une femme pour l'aider auprès de ses enfants. Elle était avec moi, s'il est possible, plus affectueuse que de coutume, mais je la voyais souvent pensive. Elle entendait mal ce qu'on lui disait. A plusieurs reprises, le soir, il me sembla qu'elle essuyait ses yeux après avoir embrassé Anna ou Philippe.

Nous eûmes une voisine pour garder les enfants. J'appris qu'Annette avait fait deux voyages à Hennebont, petite ville distante de trois lieues, sur la route de Vannes.

Après la pêche, maintenant, quand je rentrais, j'avais peur. De quoi? Je n'aurais point su le dire, mais du plus loin que mon œil pouvait atteindre, j'interrogeais la pointe du phare, et dès que j'apercevais Annette, mon cœur était soulagé. Craignais-je de ne l'y plus voir? L'idée qu'elle pouvait me fuir était-elle entrée en moi? Oh! non, mille fois non! C'eût été un commencement de folie. Mais je souffrais. Il ne faut point essayer d'expliquer l'instinct ni le définir. La vérité, c'est que les pressentiments ne trompent jamais.

Un soir, j'eus beau regarder, je ne vis pas à l'extrémité de la dune cette forme bien-aimée qui était mon vrai phare. Joson remarqua comme moi l'absence d'Annette, car il borda un aviron sans mot dire pour aller plus vite.

Je sautai sur le sable et je montai la falaise en courant. Il fallait qu'Annette fut bien malade.

A la maison, je trouvai la voisine avec les deux enfants qui pleuraient, demandant leur mère. Annette était partie depuis le matin.

«Elle va revenir!» m'écriai-je.

Mais il y avait sur la table une lettre à mon adresse; c'était l'écriture d'Annette. Je l'ouvris, et Joson, qui entrait, me soutint comme je tombais à la renverse.

XXXVI.
L'ABBE RAFFROY

Joson me porta sur mon lit. Je ne prononçai pas une parole dans le premier moment. Je ne sais pas bien si j'avais lu la lettre ou si la première ligne seule m'avait étourdi comme un coup de massue; ce dont je suis sûr, c'est que le contenu de la lettre m'échappait en cet instant. Ma fièvre d'autrefois était revenue foudroyante. La crise était plus forte, le rêve plus violent, mais les mêmes symptômes surgissaient.

Joson envoya un gars du village chercher un médecin à Port-Louis. Quand le médecin arriva, j'avais le transport.

Je voyais Annette dans un salon qui était beau sans avoir rien de féerique: le salon qu'elle aurait dû avoir. J'entendais le piano de la rue Saint-Sabin, le piano qui se taisait depuis quatre ans. Il était là, mais ses sons voilés semblaient venir de loin, de bien loin. Et il chantait, comme une voix dont les douceurs étaient infinies, le pauvre cher refrain:

 
Ma lon la
Les enfants sont là,
La vache est rentrée à l'étable;
Ma lon la
Ave Maria,
L'Angelus les endormira.
 

Les enfants! Ils étaient là, en effet, dans la calèche, auprès de leur mère: la calèche du pont Lorois. Ils avaient le costume mignon et coquet de ces deux petits Parisiens qui allaient à Carnac. Que mon Philippe était beau! Que mon Anna était gentille! Et Annette! Cela ne m'étonnait point de la voir en toilette de grande dame.

Le fort de ma crise ne dura qu'une nuit, cette fois. Pendant seize heures, j'eus cette étrange fatigue de me sentir partagé entre deux familles que je voyais distinctement, entre deux bonheurs qui me sollicitaient, disant chacun: Je suis la vérité. Ma souffrance était de chercher, avec ce terrible acharnement de la fièvre lequel des deux était le songe. Etais-je le touriste de la calèche? Etais-je le pêcheur du Magoër? Pêcheur, moi! le chevalier de Kervigné! C'était ici le roman et l'impossible. Pourquoi ces habits de malheureux à mes enfants? Que faisais-je dans ce taudis?

Je peinais à suivre ces invraisemblances et cependant la réalité a une force qui ne se dément point. Elle frappait sans cesse à la porte de ma pensée.

Et je riais sur les coussins de ma calèche. Et Annette riait. Et les petits me montraient, riant aussi, sur le chemin, auprès du pont Lorois, une pauvre famille: deux enfants avec le père et la mère. Cette famille, c'était nous. Je m'épuisais.

Le médecin de Port-Louis n'avait pas inventé la chaîne magnétique; il ne s'occupait même pas de juxtasonnance. C'était un mâle docteur, barbu et presque goudronné. Peu d'hommes peuvent se vanter de m'avoir fait respirer une pareille odeur de pipe. Ancien chirurgien-major à bord de l'Hécate, cinq pieds six pouces, couchant sur la dure, à ce qu'il disait, dans des draps camphrés, portant aux doigts une bague et six verrues, nez généreusement bourgeonné, pieds carrés, odorants et bossus, chapeau démocratique, opinions intolérantes, linge de la semaine passée, tel était le docteur Kermalahault.

Il se moquait des systèmes, celui-là; il n'avait point de système; il traitait par les amers, à moins qu'on ne préférât les sirupeux. Le baume d'acier! voilà sa panacée. Sa lancette était grande comme un sabre. Il me conseilla des bains de mer bouillis, se fit donner cent sous, et partit content pour aller, de son pied léger voir un malade à Hennebont. Il n'y a pas loin, nous dit-il, trois pipes, cinq gouttes et deux chopines. Aucun pêcheur de la côte ne voudrait avaler sa gaffe sans le docteur Kermalahault. C'est un vrai. Pour cent sous il vous met au cimetière.

Le surlendemain, j'avais ma raison. Je pus lire la lettre d'Annette,

«Mon René chéri,

»Tu as dit, en regardant les deux jolis enfants de la calèche au pont Lorois: «Philippe et Anna seraient» comme cela. Il faut qu'ils soient comme cela. Ta femme ne t'a jamais tant aimé.

»ANNETTE.»

Une idée terrible me traversa l'esprit. Ma femme était le seul obstacle entre mes parents et moi, c'est-à-dire entre moi et la fortune. La pensée de mourir lui était-elle venue?

Elle avait pu se dire: il est riche maintenant; il est seul héritier…

Mais elle avait l'esprit si droit et le cœur si pieux! Et puis m'abandonner! abandonner les petits! L'idée passa si vite qu'elle n'eut pas le temps de me rendre fou.

Le théâtre, cela ne se pouvait. Annette était incapable d'aller contre ma volonté exprimée.

Que peut faire une femme, cependant?

Il ne me plaît pas de ménager ici une puérile surprise. J'ignore en quoi consisterait l'art des romanciers habiles, vis-à-vis d'une situation qui est pour moi un souvenir gracieux et touchant. Je ne veux point d'art. Si j'ai des lectrices, elles sentiront battre mon cœur au travers de ces simples mots qui amènent à mes yeux une larme et un sourire: Annette s'était enfuie de chez moi pour aller chez mon père.

Le temps n'était plus de se sacrifier, puisque deux fois Dieu l'avait rendue mère. C'était l'heure de combattre. Annette tentait la bataille.

Peut-être l'idée de cette suprême épreuve était-elle née en elle avant l'occasion qui la mûrit tout un coup. Dans le cœur de toute femme, il y a un petit coin poétique; chez la femme, l'imagination la plus sobre n'exclut pas l'élément romanesque.

Ici, d'ailleurs, tout n'était pas roman, tant s'en fallait. Annette savait beaucoup mieux que moi ce qui se passait chez nous à Vannes. Des événemens graves avaient eu lieu, auxquels étant donné l'état de mon esprit, je n'aurais pas prêté toute l'attention convenable; d'autres plus graves encore se préparaient. Il était temps d'agir, grand temps, sinon de la façon choisie par Annette, du moins d'une façon quelconque.

Mon père et ma mère n'étaient pas heureux à la maison. Les Bélébon avaient décidément élu domicile à notre hôtel de la place des Lices. Personne n'était plus là pour leur tenir tête. Ils régnaient en maîtres.

Avant tout, mon père avait besoin de compagnie. Il préférait la tyrannie de ces deux intrus à la solitude. Quant à ma mère, le chagrin profond qu'elle avait éprouvé à la perte de sa fille et des deux petits changeait sa paresse d'esprit native en un véritable engourdissement. Elle ne vivait plus, elle végétait, endormie dans sa douleur comme la marmotte dans son trou. Elle n'en voulait point sortir; entre elle et les objets extérieurs il y avait son deuil, et son état de sommeil désespéré rendait la présence des Bélébon encore plus indispensable à mon père.

De tous les amis de la famille, un seul était resté: l'abbé Raffroy, aumônier des Incurables. C'était l'honneur même, mais sa nature timide et vacillante valait peu en face de la volonté résolue des deux Bélébon.

J'ignorais tout cela; je puis dire même que je ne voulais point le savoir. Annette le savait.

Elle avait aisément deviné mes répugnances. Elle respectait mon bonheur égoïste. Elle n'avait point de confident.

J'ai dit qu'elle avait fait deux voyages à Hennebont. Le premier de ces voyages avait eu pour but de mettre à la poste, à mon insu, une lettre pour l'abbé Raffroy, le second, de recevoir sa réponse poste restante.

Ce fut d'après cette réponse qu'elle partit pour Vannes.

Je raconterai désormais sa campagne comme j'en appris plus tard les détails, soit par elle, soit par le bon abbé Raffroy, soit par mon père et ma mère.

L'abbé la reçut sévèrement et accueillit mal le récit de notre mariage extra-réglementaire. Il blâma le prêtre qui nous avait unis et déclara à la pauvre Annette que, devant l'Eglise comme devant la loi, nos enfants étaient des bâtards.

Ce premier pas était cruel. Annette pleura. L'aumônier avait bon cœur et me gardait cette affection qu'on a toujours pour le fils d'une maison amie. La beauté angélique d'Annette m'excusa d'autant à ses yeux. Il fut séduit peut-être par cette exquise douceur, par cette adorable résignation qui avait rallié jadis le pauvre Gérard à notre cause. Il demanda à Annette ce qu'elle voulait, en définitive, quels étaient ses projets, son plan, ses espoirs.

Annette avait bien de tout cela un peu, mais si peu, et le peu qu'elle avait était si vague! Elle avoua qu'elle avait compté grandement sur les conseils et même sur l'aide de M. l'abbé.

Dès lors, l'excellent homme, à son insu, devint le complice d'Annette. Ce sont là, croyez-moi, les meilleurs complices.

C'était le matin. Annette avait couché à l'auberge. Il fit servir à déjeuner. Rien d'étonnant ni de malséant à ce qu'une bonne paysanne de la côte déjeune chez M. l'abbé. On envoie de temps en temps un panier de langoustes, de crevettes, d'huîtres et de poissons; ce n'est qu'une politesse rendue. Mais, en déjeunant, on conspire.

M. Raffroy, en honnête cœur qu'il était, ne pouvait souffrir les Bélébon. Il y a toujours un petit coin par où le diable se glisse. Cette aversion donna chez lui un bon coup d'épaule à la charité chrétienne.

Il fallut d'abord éclairer la position. Elle était ardue, Seigneur Dieu! et depuis quatre ans, les Bélébon, grâce aux avis de Laroche, avaient fait du chemin!

Laroche n'habitait point la Bretagne, mais il y faisait de fréquents voyages. C'était maintenant un monsieur d'importance, un homme d'affaires, un entrepreneur. La conviction de l'abbé Raffroy était que Laroche avait des actions dans la maison Bélébon.

Le jour même de mes vingt et un ans, on avait introduit au tribunal civil de Vannes une demande en interdiction contre moi. Il se présentait des difficultés sérieuses. Rarement peut-on rendre, en ces matières, un jugement contre un défendeur dont l'absence ne permet point de constater la position intellectuelle et morale, mais la terrible besogne qui fatigue incessamment les cours d'appel prouve que les juges de première instance n'y regardent pas toujours à deux fois. Errare humanum est, dit l'adage.

Si un homme me volait ma bourse et me traduisait pour ce fait en justice, je le prierais d'accepter ma montre avec ma bénédiction. Si après avoir accepté ma montre il me prenait au collet, j'abandonnerais l'habit. S'il me saisissait aux cheveux, je suis chauve.

Je fus interdit. Je l'ignorai. On est mieux caché au Magoër et mieux exilé aussi que dans les forêts de gommiers de l'Australie ou dans les pampas de l'Amérique.

Une fois l'interdiction prononcée tout était dit, car je n'étais pas là, ni personne en mon lieu et place pour interjeter appel. J'étais incapable à perpétuité de contracter mariage.

Laroche et les Bélébon passèrent à un autre exercice bien autrement important. Il s'agissait de faire adopter Vincent par M. et Mme de Kervigné, mon père et ma mère. Au point de vue légal et à première vue, l'entreprise était d'une impossibilité radicale. La loi, en effet, traite l'adoption comme un acte exceptionnel et en quelque sorte excessif; elle exige, pour valider cet acte, des conditions nombreuses en tête desquelles se place le manque d'enfants légitimes. Moi vivant, mes parents ne pouvaient pas adopter Vincent Bélébon.

Mais ce Laroche était de Normandie. Un homme d'affaires qui a fait son stage en livrée prend d'effrayantes proportions, croyez-moi. Il y a dans le Code civil un certain titre des absent, dont on peut tirer bon parti en une multitude de circonstances.

La loi est faite, il est vrai, pour protéger les absents, mais on a beau dire, le proverbe est là: ils ont toujours tort. Les présents profitent.

Après quatre années révolues depuis votre disparition ou depuis vos dernières nouvelles, notez bien ceci, vous êtes déclaré absent, par jugement du tribunal, et M. Joseph-Adrien Rogron, le plus élémentaire des commentateurs du Code Napoléon, vous avoue franchement que vous êtes présumé mort. C'est fâcheux. De tous les absents, les morts sont les plus maltraités.

L'invention de Laroche consistait à me faire déclarer absent d'abord; chose facile, puisque mon départ de Paris datait de plus de quatre ans. Une fois l'absence déclarée, une question de droit se présentait quant à l'adoption. Il est bien vrai que le silence même du Code semble la résoudre par la négative, mais ce n'était déjà plus l'impossibilité absolue. Quelque chose était donné désormais à l'appréciation des juges. Laroche se faisait fort d'enlever la difficulté d'emblée.

En attendant, l'adoption de fait, qui prépare si bien l'adoption de droit, existait dans toute la rigueur du mot. Vincent était l'enfant de la maison. Il se faisait appeler volontiers M. Vincent de Bélébon-Kervigné. On travaillait à son mariage. Il taillait, il rognait, il commandait. Mon père et ma mère restaient ses humbles serviteurs.

Et l'oncle Bélébon, continuant de monopoliser tout l'esprit de la famille, courait la ville en répétant:

«Ah! ceux-là sont bien heureux d'être tombés sur mon garçon.»

Notez que la fortune de mon père et de ma mère avait plus que doublé par le retour de la dot de Julie et les successions de mes trois tantes. En cas de succès, Vincent devenait un des riches propriétaires du pays, tout en payant une grosse commission à cet ingénieux Laroche, qui donnait en outre à mon père des conseils d'or pour l'administration de ses biens.

Mais Vincent, répugnant coquin, mettait à chaque instant l'entreprise à deux doigts de sa perte. Les deux vieux, comme il les appelait, voulaient bien être menés par le bout du nez: cette tyrannie même leur faisait illusion et ils se croyaient en famille, mais, sous la simplicité de mon père, restait le gentilhomme breton, et l'épée de bonne trempe ne vaut pas moins dans un fourreau vulgaire; ma mère, si bien engourdie qu'elle fût dans sa paresse native, augmentée par ce mortel chagrin dont elle ne voulait point être consolée, ma mère, dis-je, était la dignité même: un cœur fier, délicat et doux. Sa patience n'était qu'une léthargie. Quand elle s'éveillait, Vincent devait lui faire horreur.

Vincent n'avait pas même pris la peine de nettoyer ses mœurs et son langage. C'était un conquérant: il s'imposait tout entier. Ma mère le trouvait ivre à chaque instant, et il poussait l'insolence jusqu'à continuer chez nous son métier de rustique don Juan. La seule chose qu'il eût changée, c'était son costume. Vincent avait des prétentions à l'élégance, il portait des bottes vernies, des chapeaux de soie, des chaînes, des bagues, des breloques, il pommadait son poil. Je ne peux affirmer qu'il se lavât les mains, mais on l'avait surpris avec des chemises presque blanches.

Je sais bien que la captation, opérée par un semblable malotru, paraîtra invraisemblable. Il s'agissait du père et de la mère de Gérard de Kervigné, l'un des plus brillants jeunes gens que j'aie rencontrés en toute ma vie. A cette table où l'ignoble drôle trônait, mon beau-frère, le marquis de Tréfontaines, s'était assis: un type parfait d'élégance découragée. Je sais bien. Mais qu'y faire? Mon père avait besoin d'entendre rire et chanter autour de lui quand il mangeait la soupe, besoin, vous entendez, comme on a besoin de pain et d'air.

Parfois, ce honteux gredin le faisait rire et tout le fantôme du passé heureux se dressait peut-être quand l'oncle Bélébon entonnait au dessert sa ronde mémorable:

 
On dit qu'aux noces de Thétis
Tous les dieux s'assemblèrent…
 

Il y avait, cependant, un point sur lequel ma mère ne passait pas condamnation. Chaque fois que Vincent était ivre, – et c'était tous les jours – il devenait galant.

Or, imaginez quelles devaient être les galanteries de Vincent. Ma mère ne pouvait garder des femmes de chambre; sa maison faisait peur désormais à toutes les honnêtes filles du pays. Elle n'avait pas parlé haut, de peur de s'éveiller, mais le fait attaquait par trop directement son repos: elle avait risqué auprès de mon père quelques plaintes.

Or, ce ménage, en apparence si froid, était un ménage d'amoureux; il y avait trente ans qu'ils s'aimaient. En cachette des Bélébon, tyrans du logis, ils avaient tous deux des conciliabules qui étaient de vrais rendez-vous. Ils se cachaient pour pleurer, pour causer, pour vivre dans le passé, et l'abbé Raffroy prétendait que parfois mon nom venait dans ces pauvres entretiens.

Car toutes ces choses que je viens de rapporter, l'abbé Raffroy les dit à Annette, avec bien d'autres encore. Il était comme les anciens commensaux de l'hôtel des Lices: il avait le café un peu bavard, bien que ce fût un homme sobre et un digne prêtre.

Quand on se leva de table, il était l'ami d'Annette et je crois qu'il l'appela madame René de Kervigné. Il lui demanda:

«En somme, que voulez-vous, ma fille?

– Je veux, répondit Annette, chasser l'ennemi de notre maison.

– Ah! ah! fit le bon abbé, qui ne put s'empêcher de rire. Votre maison! comme vous y allez!

– Je veux, poursuivit Annette, que les parents de mon bien-aimé mari aient un fils et une fille, que mes petits enfants aient un nom, et que nous soyons tous heureux.

– Ainsi soit-il, madame René, ainsi soit-il de tout mon cœur! Mais parlons raison: la pauvre comtesse est comme la Belle au bois dormant.

– Nous l'éveillerons.

– Peste!.. M. le comte ne vaut guère mieux et, par surcroît, il vous tient pour un monstre infernal, cause directe et coupable de tous les malheurs de la famille.

– Nous le détromperons!

– Peste! peste!.. sauf le respect qui lui est dû, savez-vous qu'il est entêté comme un demi-cent de mules?

– Nous le dompterons!

– Peste! peste! peste! Vous êtes une chère enfant, cela est vrai, mais… enfin, amen! amen! du fond de l'âme!.. Je voudrais savoir seulement le moyen…

– J'ai mon plan.

– En vérité! Voyons ce plan.

– Vous m'avez dit que ma belle-mère…

– Hein?.. Mais au fait… allez!

– Que ma belle-mère était sans femme de chambre depuis huit jours.

– Exact. Et ça pourra durer.

– Je veux être la femme de chambre de ma belle-mère.»

L'abbé Raffroy fronça le sourcil et devint pensif. Puis il se prit à regarder attentivement celle qui était là devant lui, douce, mais résolue, et belle qu'il en avait le cœur tout ému.

«A la grâce de Dieu! murmura-t-il. Nous mentirons le moins que nous pourrons… et je vais commencer une neuvaine.»

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
470 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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