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Читать книгу: «La corde au cou», страница 7

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– J'ai l'homme qu'il faut à madame la marquise, dit-il enfin.

– Ah!

– Un garçon que sa modestie a toujours empêché de se produire, bien qu'il soit un des plus habiles jurisconsultes que je sache, et un admirable orateur.

– Et vous le nommez?…

– Manuel Folgat. Je vais vous l'envoyer…

Deux heures après, en effet, le protégé de maître Chapelain franchissait le seuil de l'hôtel de Boiscoran.

C'était un homme de trente à trente-deux ans, très brun, avec de grands yeux bien ouverts, et dont toute la physionomie respirait l'intelligence et l'énergie.

Il plut au marquis, lequel, après lui avoir exposé ce qu'il savait de la situation de Jacques, entreprit de lui faire connaître le terrain sur lequel il allait manœuvrer, lui disant quels alliés et quels adversaires il rencontrerait à Sauveterre, lui recommandant surtout de se fier à M. Séneschal, un vieil ami de la famille, personnage influent et le plus retors de tous ces diplomates de sous-préfecture, qui rendraient des points à Machiavel.

– Tout ce qu'il est humainement possible de faire sera fait, monsieur, dit l'avocat.

Et le soir même, à huit heures quinze minutes, la marquise de Boiscoran et Manuel Folgat prenaient place dans un coupé du chemin de fer d'Orléans.

2. Le chemin de fer qui relie Sauveterre à la ligne d'Orléans doit une légitime célébrité…

Le chemin de fer qui relie Sauveterre à la ligne d'Orléans doit une légitime célébrité à une série de courbes absolument inutiles, mais qui sont comme un défi au bon sens et qui seraient le théâtre d'accidents quotidiens si l'on s'avisait de marcher à une vitesse de plus de huit ou dix kilomètres à l'heure. La gare, toujours pour la plus grande commodité de messieurs les voyageurs, aété bâtie à une bonne demi-lieue de la ville, sur l'emplacement des jardins de M. Thibault, le premier banquier de l'arrondissement. On y arrive par une jolie route jalonnée d'auberges et de cabarets, lesquels, les jours de marché, s'emplissent de paysans qui, le verre à la main et la bouche pleine de protestations de bonne foi, cherchent à se voler à qui mieux mieux.

Les jours ordinaires, même, cette route est assez fréquentée, car le chemin de fer est devenu un but de promenade. On y va voir arriver ou partir les trains, dévisager lesétrangers, et aussiépiloguer sur les motifs connus ou secrets qui peuvent déterminer M. Untel ou Mme Unetelle à se mettre en voyage.

Ilétait neuf heures du matin, lorsqu'approcha enfin de Sauveterre le train qui amenait la marquise de Boiscoran et maître Folgat.

La marquiseétait brisée des fatigues et des angoisses de cette nuit passée tout entière à discuter les chances de salut de son fils, et d'autant plus anéantie que maître Folgat s'étaitétudié à ne pas encourager ses espérances. C'est qu'il partageait, sans en avoir rien laissé paraître, les doutes de maître Chapelain. De même que le vieil avoué, le jeune avocat s'était dit qu'on n'arrête pas un homme tel que Jacques de Boiscoran sans les plus fortes raisons, sans avoir en main de ces preuves qui valent presque une certitude. Bientôt le train ralentit sa marche.

– Pourvu, mon Dieu! fit Mme de Boiscoran, pourvu que Denise et monsieur de Chandoré aient eu l'idée d'envoyer une voiture par-devant de nous.

– Pourquoi cela, madame? demanda maître Folgat.

– Pour m'y jeter bien vite, monsieur, pour y dérober à tous les yeux ma douleur et mes larmes…

Le jeune avocat secoua la tête.

– C'est ce que vous vous garderez de faire, madame, dit-il, si j'ai sur vos actions quelque influence…

Elle le regardait d'un air surpris.

– Je veux dire, insista-t-il, qu'il ne faut pas que vous paraissiezéviter les regards. Ce serait une faute immense, peut-être irréparable. Que penserait-on, si l'on vous voyait désolée et en pleurs? On penserait que vousêtes sûre de la culpabilité de votre fils, et ceux qui doutent encore ne douteraient plus. Il vous faut, du premier coup, conquérir l'opinion; car elle est souveraine, madame, dans les petits pays surtout, où chacun vit sous le contrôle immédiat du voisin. L'opinion s'impose à tous et, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, elle poursuit les jurés jusque dans la salle de leurs délibérations…

– C'est vrai, murmurait la marquise, ce n'est que trop vrai…

– Donc, madame, au nom des intérêts les plus sacrés, faites appelà toute votreénergie, refoulez au plus profond de votreâme vos maternelles angoisses, séchez vos larmes et montrez à tous une confiance superbe. Que chacun, en vous apercevant, se dise: non, une mère n'est pas ainsi quand son fils est coupable.

Mme de Boiscoran se redressa.

– Vous avez raison, monsieur, dit-elle, et je vous remercie. Oui, c'est à moi de frapper l'opinion, et autant je souhaitais trouver la gare déserte, autant je désire maintenant qu'elle soit pleine de monde. Je vous ferai voir ce que peut une femme que soutient la pensée de son fils.

La marquise de Boiscoran n'était pas une femmelette. Tirant un peigne de son sac de voyage, elle répara le désordre de sa coiffure; en quelques gestes rapides, elle rétablit l'harmonie de sa toilette; ses traits, grâce à une puissante projection de volonté, reprirent leur sérénité accoutumée; elle contraignit sa bouche à sourire, sans qu'on discernât l'effort, et d'une voix d'un timbre pur et net:

– Regardez-moi, monsieur, dit-elle. Puis-je paraître, maintenant?

Le train s'arrêtait devant les bâtiments de la station. Maître Folgat sauta légèrement à terre, et offrant la main à la marquise pour l'aider à descendre:

– Soyez satisfaite, madame, lui dit-il, votre courage ne sera pas perdu; tout Sauveterre doitêtre là.

C'était plus qu'à moitié vrai. Dès la veille au soir, le bruit s'était répandu – semé par qui? on ne sait – que la «mère de l'assassin», comme on disait déjà charitablement, arriverait par le train de neuf heures, et chacun s'était bien promis à part soi de se trouver, par hasard, à la gare à son arrivée.

C'était uneémotion à ne pas négliger, dans une localité où la conversation vit trois jours sur la dernière robe arborée par la sous-préfète.

De l'impression de Mme de Boiscoran, en se trouvant en face de tant de monde, nul ne s'était inquiété ni soucié. C'est qu'à Sauveterre la curiosité a du moins cette qualité de n'être pas hypocrite. On y est indiscret naïvement et sans la moindre pudeur. On s'y plante carrément devant vous, et les yeux dans vos yeux, on s'efforce de démêler le secret de votre joie ou de votre douleur.

Il est vrai d'ajouter que les espritsétaient fort montés contre Jacques de Boiscoran. S'il n'y eût eu à sa charge que la destruction du Valpinson et les coups de fusil tirés à M. de Claudieuse, ce n'eûtété que peu de chose. Mais l'incendie avait eu des conséquencesépouvantables. Deux hommes y avaient péri, et deux autres y avaientété blessés assez grièvement pour qu'on les crût en danger de mort.

La veille, on avait vu un convoi sinistre traverser la rue Nationale. Dans une charrette, recouverte d'un drap et près de laquelle marchaient deux prêtres, on rapportait les restes carbonisés et n'ayant plus forme humaine de Bolton, le tambour, et du pauvre Guillebault. Dans une voiture qui suivaitétaient les deux blessés, l'un, le gendarme, impassible; l'autre, le fermier, poussant des cris déchirants.

Toute la ville avait pu voir la veuve de Guillebault se rendre chez le maire, portant entre ses bras son dernier enfant et traînant, pendus à ses jupes, les quatre autres, dont l'aîné n'avait pas douze ans.

Attribuant tous ces malheurs à Jacques, les gens le chargeaient de malédictions et songeaient peut-être à les faire remonter en huées jusqu'à sa mère, jusqu'à la marquise de Boiscoran.

– La voilà! la voilà! murmura-t-on dans la foule quand elle parut sur le seuil de la gare, donnant le bras à maître Folgat.

Seulement, on ne dit que cela, tant onétait surpris de l'assurance de son maintien.

Deux courants aussitôt divisèrent l'opinion. Elle a du toupet! pensaient les uns. Et les autres: elle est sûre de l'innocence de son fils.

Elle avait, en tout cas, assez de sang-froid pour discerner l'impression qu'elle produisait, et combien elle avait eu raison de suivre les conseils de maître Folgat. Sa force en fut doublée. Et distinguant dans la foule quelques personnes de sa connaissance, elle s'avança vers elles, et toujours souriante:

– Eh bien! dit-elle, vous savez ce qui nous arrive! C'est inouï! Voici maintenant la liberté d'un homme tel que mon fils à la merci du premier soupçon saugrenu qui passera par la cervelle d'un juge. J'ai appris la nouvelle hier soir par le télégraphe, et j'accours avec monsieur, qui est de nos amis et l'un des plus remarquables avocats de Paris.

Maître Folgat fronçait les sourcils. Il eût voulu la marquise plus mesurée. Cependant il ne pouvait se dispenser de la soutenir.

– Ces messieurs du parquet, prononça-t-il d'un ton d'oracle, regretteront peut-être d'avoirété si prompts.

Heureusement, un jeune garçon qui portait pour toute livrée une casquette à galon d'or s'approcha de Mme de Boiscoran.

– La voiture de monsieur de Chandoré est là, dit-il, aux ordres de madame la marquise.

– Je suis à vous, mon petit ami, dit-elle au jeune garçon. (Et saluant les braves Sauveterriens, interloqués de son assurance): Excusez-moi de vous quitter si brusquement, dit-elle, mais monsieur de Chandoré m'attend. J'espère d'ailleurs avoir, cet après-midi même, le plaisir de vous rendre visite… au bras de mon fils.

La maison de Chandoré, pour parler comme à Sauveterre, est bâtie de l'autre côté de la place du Marché-Neuf, tout au sommet de la rue de la Rampe, une rue qui n'est guère plus praticable qu'un escalier et dont M. Séneschal, le maire, ne cesse de demander la rectification au conseil municipal, qui ne se lasse pas de la lui refuser.

C'est une construction toute moderne, gauche, massive, et flanquée d'une prétentieuse tourelle à toit pointu, que le radical docteur Seignebos appelle une perpétuelle menace du système féodal. Il est certain que les Chandoré affichaient autrefois de hautes prétentions nobiliaires, le dédain profond de quiconque n'avait pas eu des ancêtres aux croisades, et la haine de toutes les idées qui datent de la Révolution.

Mais s'ils avaient jamaisété redoutables, ils avaient depuis longues années cessé de l'être. De cette grande famille, une des plus nombreuses de Saintonge et des plus puissantes, il ne restait plus qu'un vieillard, le baron de Chandoré, et une enfant, sa petite-fille, la fiancée de Jacques de Boiscoran.

Deniseétait orpheline. Elle n'avait pas trois ans, lorsqu'à moins de cinq mois d'intervalle elle perdit son père, tué en duel, à la suite d'une discussion futile, et sa mère, une demoiselle de Lavarande, qui n'eut pas l'énergie de survivre à l'homme qu'elle avait aimé. Ce fut, certes, pour l'enfant, un immense malheur; mais ni les soins ni la tendresse ne lui manquèrent. Sur elle seule son grand-père reporta toutes ses affections et toutes ses espérances, et les deux sœurs de sa mère, les demoiselles de Lavarande, déjà d'un certainâge, prirent la résolution définitive de ne se jamais marier, afin de se consacrer plus exclusivement à leur nièce.

Dès cetteépoque, les deux bonnes demoiselles avaient demandé à M. de Chandoré à venir demeurer avec lui. Il avait rejeté bien loin leurs propositions, déclarant que, sa petite-filleétant à lui seul, il prétendait, sarpejeu! la garder pour lui seul. Il trouvait déjà bien beau, ajoutait-il, de permettre aux demoiselles de Lavarande de s'occuper de Denise et de passer avec elle toutes les journées.

De ce différend devait naître et naquit en effet, entre les tantes et le grand-père, une rivalité qui se traduisit par les plusétonnantes exagérations. Ce fut à qui capterait, et dame!, par n'importe quels moyens, la première place dans l'affection de la petite fille, à qui déroberait une de ses caresses ou achèterait le plus cher un de ses sourires. À cinq ans, Denise avait eu tous les joujoux qui ontété inventés. À dix ans, elleétait rassasiée de robes et ne savait plus où mettre ses bijoux.

Du soir au lendemain, pour ainsi dire, on avait vu se métamorphoser M. de Chandoré. Brusque, sévère, dur, il avait, sans transition, tourné au «papa gâteau». Il avaitéteint l'éclat métallique de ses yeux, fixé sur ses lèvres un perpétuel sourire et donné à sa voix ces inflexions mignardes que prennent les nourrices. On ne rencontrait que lui, par les rues, en courses pour sa petite-fille, trottant de la boutique du pâtissier au magasin du marchand de jouets. Il invitait les petites amies, organisait des dînettes, poussait le cerceau ou le volant, et même, au besoin, menait les rondes.

Denise fronçait-elle le sourcil, il tressautait. Toussait-elle, il devenait tout pâle. Elle fut malade, une fois, elle eut la rougeole: il resta douze nuits sans se coucher et fit venir de Paris des médecins qui lui rirent au nez.

Eh bien! les demoiselles de Lavarande trouvaient encore le moyen de dépasser les folies de M. de Chandoré. Certes, si Denise apprit quelque chose, c'est bien parce qu'elle le voulut absolument, tant au moindre signe d'impatience ellesétaient disposées à congédier le professeur d'écriture ou la maîtresse de piano.

C'est en haussant lesépaules que Sauveterre assistait à ce spectacle. «Quelleéducation pitoyable! disaient les dames de la société. On n'a pas idée d'une faiblesse pareille. C'est un joli service qu'on rend à cette enfant.»

Il est sûr que tant et de si incroyables gâteries, cette aveugle soumission et ces adorations perpétuelles couraient grand risque de faire de Denise la plus désagréable petite personne qui se pût voir. Pas du tout. Il est de ces naturels si heureux que rien ne saurait les pervertir. Et d'ailleurs, elle fut peut-être préservée du danger par son excès même.

Plusâgée, elle disait en riant: «Grand-père Chandoré, tantes Lavarande et moi, nous faisons tout ce que je veux.»

Ce n'était là qu'une plaisanterie. Jamais jeune fille ne récompensa, par des qualités si rares et si exquises, de plus pures affections.

Elle vivait donc heureuse et insoucieuse, et elle venait d'avoir dix-sept ans lorsqu'arriva le grandévénement de sa vie.

M. de Chandoré, ayant un matin rencontré Jacques de Boiscoran, dont l'oncle avaitété son ami, l'invita à dîner. Jacques accepta l'invitation; il vint. Mlle Denise le vit et… l'aima. De ce moment et pour la première fois, elle eut un secret que ne connurent ni grand-père Chandoré ni tantes Lavarande, et, pendant deux ans, ses fleurs et ses oiseaux furent les seuls confidents de cet amour qui grandissait au fond de sonâme, doux comme le rêve, idéalisé par l'absence et poétisé par le souvenir. Car Jacques fut deux ans sans voir…

Mais aussi, le jour où il vit clair, étourdi de son bonheur, ébloui des perspectives qui s'offraient à lui, il sentit que sa destinéeétait fixée. Aussi n'hésita-t-il pas; et, à moins d'un mois de là, son père, le marquis de Boiscoran, faisait le voyage de Sauveterre pour demander la main de Mlle Denise.

Ah! ce fut un rude coup pour grand-père Chandoré. Certes, il n'avait pasété sans songer souvent au mariage de sa petite-fille, sans en parler quelquefois, sans lui dire, à elle-même, qu'il se faisait vieux et qu'il se sentirait soulagé d'une grosse inquiétude quand il lui aurait trouvé un bon mari. Mais il parlait de cela comme d'une chose lointaine, comme il parlait de mourir, par exemple.

La démarche de M. de Boiscoran l'éclaira sur ses véritables sentiments. La pensée de donner Denise, de la voir lui préférant un homme, d'abord, puis des enfants qu'elle aurait de cet homme, lui fit horreur.

Pour bien peu, il eût jeté dehors l'ambassadeur. Cependant il se contraignit et répondit qu'il ne pouvait rien prendre sur lui et qu'il lui fallait consulter sa petite-fille. Il gardait encore l'espoir qu'elle repousserait cette demande.

Pauvre grand-père! Aux premiers mots qu'il hasarda:

– Quel bonheur! s'écria la jeune fille. Mais je m'y attendais.

Sans doute pour cacher une larme qui jaillit brûlante de ses yeux, M. de Chandoré baissa la tête.

– Ce mariage se fera donc, murmura-t-il.

Déjà, un peu consolé par la joie qu'il avait vu briller dans les yeux de sa petite-fille, il enétait à se reprocher son féroceégoïsme et à se gourmander de ne pas s'estimer très heureux lorsque Deniseétait si contente.

Jacques avait doncété admis à faire officiellement sa cour, et l'avant-veille de l'incendie du Valpinson, après une longue délibération, où l'on avait calculé le temps strictement nécessaire aux emplettes et à l'achèvement du trousseau, le jour de la noce avaitété irrévocablement fixé.

Ainsi, c'est en plein bonheur que Mlle Denise fut frappée, lorsqu'elle apprit en même temps de quels crimes on accusait Jacques de Boiscoran et son arrestation. Foudroyée d'abord, elleétait restée près de dix minutes sans connaissance entre les bras de ses tantes et de son grand-pèreépouvantés. Mais dès qu'elle revint à elle:

– Suis-je donc folle, s'écria-t-elle, de m'émouvoir ainsi! N'est-il pasévident qu'il est innocent!

C'est alors qu'elle avait adressé une dépêche au marquis de Boiscoran, comprenant bien qu'avant de rien tenter, ilétait indispensable de s'entendre avec la famille de Jacques. Puis elle avait demandé qu'on la laissât seule, et sa nuit s'était passée à compter les minutes qui la séparaient encore de l'heure où arrivait le train de Paris.

Dès huit heures, elle descendit elle-même donner au domestique l'ordre d'atteler et de partir pour attendre Mme de Boiscoran à la gare, lui recommandant surtout de revenir bride abattue. Elle alla ensuite s'établir dans le salon, où se trouvaient déjà ses tantes et son grand-père. Ils lui parlaient, mais son attentionétait ailleurs…

Bientôt elle entendit une voiture remonter au galop la rue de la Rampe et s'arrêter devant la maison. Elle se dressa alors et s'élança dans le vestibule en s'écriant:

– Voilà la mère de Jacques!

3. Ce n'est jamais impunément qu'on violente ses sentiments les plus chers…

Ce n'est jamais impunément qu'on violente ses sentiments les plus chers. Lorsqu'enfin la marquise de Boiscoran put se réfugier dans la voiture envoyée à sa rencontre, elleétait bien près de défaillir, brisée par l'effort inouï qu'elle avait fait pour montrer aux impitoyables curieux de Sauveterre une contenance assurée et un visage riant.

– Quelle horrible comédie! murmura-t-elle en se laissant tomber sur les coussins.

– Reconnaissez, du moins, madame, qu'elleétait nécessaire, prononça maître Folgat. Vous venez de conquérir cent personnes peut-être à votre fils.

Elle ne répondit pas. Les larmes l'étouffaient. Que n'eût-elle pas donné pour se trouver seule, chez elle, pour s'abandonner librement à toutes les lâchetés de sa douleur et de ses angoisses maternelles!

Jamais trajet ne lui avait paru aussi insupportablement long que celui qui sépare la gare de la rue de la Rampe. Lancé à toute vitesse, le cheval faisait feu des quatre pieds; il lui semblait qu'il n'avançait pas… Pourtant, la voiture finit par s'arrêter. Le petit domestique avait déjà sauté à terre, et il tournait la poignée de la portière en disant:

– Nous voilà arrivés.

Aidée de maître Folgat, Mme de Boiscoran descendit, et son pied touchait à peine le pavé de la rue que la porte de la maison s'ouvrit et que Mlle Denise se jeta dans ses bras, tropémue pour pouvoir rien dire, sinon:

– Oh! ma mère, ma chère mère, quel horrible malheur!

Dans l'ombre du corridor, s'avançait M. de Chandoré, qui s'était levé en même temps que sa petite-fille.

– Rentrons, dit-ilà ces infortunées, ne restons pas là… Déjà derrière tous les volets brillent des yeux qui nousépient.

Et il les entraîna dans le salon.

Positivement, maître Folgatétait assez embarrassé de son personnage. Nul ne semblait s'apercevoir de son existence. Il avait suivi, cependant, ilétait entré dans le salon et, debout près de la porte, ému de l'émotion de tous, il observait alternativement Mlle Denise, M. de Chandoré et les demoiselles de Lavarande.

Mlle Denise allait avoir vingt ans. On ne pouvait dire qu'elle fût remarquablement jolie, mais ilétait difficile de l'oublier quand on l'avait vue une fois. Petite, elleétait la grâce même, et chacun de ses mouvements trahissait quelque rare et exquise perfection. Avec des cheveux noirs d'une merveilleuse abondance, elle avait les yeux bleus et le teint d'une blonde des pays du Nord, un teint dont l'éblouissante blancheur faisait paraître jaunes toutes les comparaisons imaginées par les poètes: le lis, la neige, le lait… En elle, tout exprimait une angélique douceur et la plus excessive timidité. Et pourtant, certains plis de ses lèvres et le mouvement de ses sourcils devaient faire soupçonner une grandeénergie.

Près d'elle, grand-père Chandoré étonnait par sa haute stature et par sa carrure puissante. Soixante-douze années n'avaient pas fait plier ses reins d'hercule, et il semblait bâti pour défier tous les orages de la vie. Ce qu'il avait surtout de singulier, c'était un teint rouge brique, uniformément cramoisi, un teint de vieux chef mohican, que faisaient paraître plus dur et plus cru sa barbe, ses sourcils et ses cheveux blancs. Son visage, malgré tout, exprimait une bonté presque enfantine. Mais il ne fallait pas le regarder deux fois pour comprendre qu'il eûtété peu prudent de se fier au sourire bénin qui voltigeait sur ses lèvres charnues. Et, à certainesétincelles qui s'allumaient au fond de ses yeux gris, on sentait, par exemple, que celui-là eût passé un fâcheux quart d'heure entre ses mains, qui se fût permis d'offenser Mlle Denise.

Quant aux tantes Lavarande, longues et minces comme une baguette de saule, pâles, discrètes, d'une réserve et d'une froideur ultra-aristocratiques, elles avaient cette physionomie placide et cette expression de sensibilité dévouée des vieilles filles dont le célibat n'a pas aigri les illusions. Elles portaient des toilettes absolument pareilles, comme c'était leur invariable habitude depuis quarante ans, des toilettes de couleur indécise, modestes comme toute leur personne.

Elles pleuraient, en ce moment, et maître Folgat se demandait de quel sacrifice elles ne seraient pas capables pour racheter les larmes de leur nièce.

– Pauvre Denise! murmuraient-elles.

La jeune fille les entendit; et se dressant tout à coup, et rompant le lourd silence qui durait depuis longtemps déjà:

– Mais notre conduite est indigne! s'écria-t-elle. Que dirait Jacques, si du fond de sa prison il luiétait donné de nous voir! Pourquoi nous affliger? Est-il donc coupable?…

Ses yeux brillaient d'unéclat extraordinaire, sa voix avait des vibrations qui troublaient maître Folgat jusqu'au fond de l'âme.

– Je puis, du moins, me rendre cette justice, poursuivit-elle, que je n'ai pas douté de lui une seconde. Et comment le doute m'eût-il effleurée? Le soir même de l'incendie du Valpinson, Jacques m'aécrit une lettre de quatre pages, qu'il m'a envoyée ici par un de ses fermiers, et que j'ai reçue à neuf heures… Je l'ai montrée à grand-père, cette lettre, il l'a lue, et aussitôt il s'estécrié que j'avais mille et mille fois raison et que jamais un homme méditant un crime affreux n'eûtécrit cela.

– Je l'ai dit et je le pense, approuva M. de Chandoré, et tout homme sensé sera de mon avis, seulement…

Mais sa petite-fille ne le laissa pas achever.

– Il est doncévident, interrompit-elle, que Jacques est victime de quelque intrigue abominable, c'est à nous à la déjouer. Assez pleuré, il faut agir… (Et s'adressant à Mme de Boiscoran): Et c'est pour nous aider à cetteœuvre de salut, chère mère, que je vous ai appelée…

– Et me voici, dit la marquise, non moins sûre que vous, chère enfant, de l'innocence de mon fils.

Ce n'était sans doute pas tout ce qu'avait rêvé M. de Chandoré, car intervenant:

– Et le marquis? demanda-t-il.

– Mon mari reste à Paris.

Le vieillard eut une grimace des plus significatives.

– Ah! je le reconnais bien là! s'écria-t-il. Rien ne saurait l'émouvoir. Son fils unique est lâchement accusé d'un crime, arrêté, et en prison. On le prévient, on pense qu'il va accourir… Erreur! Que son fils se tire d'affaire s'il peut. Lui restera à surveiller ses potiches. Ah! si j'avais encore un fils!…

– Mon mari, monsieur, protesta la marquise, pense qu'il sera plus utile à Jacques en restant à Paris. Il peut y avoir des démarches à faire…

– Le chemin de fer n'est-il pas là…

– Enfin, prononça Mme de Boiscoran, il m'a confiée à monsieur… (Elle montrait le jeune avocat.) Monsieur Manuel Folgat, dont l'expérience, le talent et le dévouement nous sont acquis.

Ainsi présenté régulièrement, maître Folgat s'inclinait.

– Et j'ai bon espoir, dit-il, tant il avaitété gagné par la confiance de Mlle Denise. Mais je suis de l'avis de mademoiselle de Chandoré. Il faut agir sans perdre une seconde. Or, avant d'arrêter une ligne de conduite, j'aurais besoin de connaître exactement les faits.

– Malheureusement, nous ne savons rien, répondit M. de Chandoré. Rien, sinon que Jacques est au secret.

– Eh bien! nous nous informerons. Vous connaissez sans doute les magistrats de Sauveterre?

– Fort peu, à l'exception du procureur de la République…

– Et le juge chargé de l'instruction?

L'aînée des demoiselles de Lavarande se dressa.

– Celui-là! s'écria-t-elle, monsieur Galpin-Daveline est un monstre d'hypocrisie et d'ingratitude! Il se disait l'ami de Jacques. Et, en effet, Jacques l'aimait assez pour nous avoir décidées, ma sœur et moi, à accorder à ce petit juge la main d'une de nos cousines, une Lavarande… Pauvre enfant! Quand elle a connu l'affreuse vérité: «Ô mon Dieu! s'est-elleécriée, soyez béni de m'avoirépargné la honte d'être la femme d'un tel homme!»

– Et en effet, ajouta l'autre vieille demoiselle, si tout Sauveterre croit Jacques coupable, c'est que chacun se dit: c'est un ami qui est son juge…

Maître Folgat hochait la tête.

– Il me faudrait des renseignements plus précis, dit-il. Monsieur de Boiscoran m'avait parlé du maire de la ville, monsieur Séneschal.

M. de Chandoré sauta sur son chapeau.

– En effet! s'écria-t-il, celui-là est notre ami, et si quelqu'un est bien informé, c'est lui! Allons le trouver. Venez…

Certainement M. Séneschalétait l'ami des Chandoré, et aussi des Lavarande, et pareillement des Boiscoran. Si avoué que l'on soit, ce ne peut-être sans s'attacher aux gens que, vingt années durant, on est leur confident et leur conseil.

Bien après avoir vendu sa charge, M. Séneschalétait encore le seulà avoir l'absolue confiance de ses anciens clients. Jamais ils n'eussent pris une détermination grave sans avoir son avis. Ils s'adressaient à son successeur, mais ils le consultaient avant. Les services, d'ailleurs, étaient réciproques. La clientèle de grand-père Chandoré et de l'oncle de Jacques n'avait pasété sans attirer plus d'un paysan processif en l'étude de maître Séneschal. Leur appui ne lui avait pasété inutile, lorsque, pris du vertigo 2 de l'ambition, il s'était «sacrifié à son pays»en sollicitant la place de maire et le mandat de conseiller général.

Aussi, ce digne et excellent hommeétait-il consterné, lorsqu'au matin de l'incendie du Valpinson, il rentra à Sauveterre. Ilétait si blême et si défait que sa femme en fut toute saisie.

– Seigneur Dieu! Auguste! s'écria-t-elle, que t'est-il arrivé?

Augusteétait le prénom de M. Séneschal.

– Il arrive quelque chose d'affreux! répondit-il d'un accent si tragique que Mme Séneschal en frémit.

Il est vrai que Mme Séneschal frémissait aisément. C'était une femme de quarante-huit à cinquante ans, très brune, courte, dodue, et dont la poitrine mettait à de rudesépreuves les corsages que lui confectionnaient ses couturières, les demoiselles Méchinet, les sœurs du greffier.

Jeune, elle avait eu la beauté du diable. Elle gardait en vieillissant des joues enluminées comme une image d' Épinal, une forêt de cheveux noirs bien plantés et des dents admirables. Pourtant elle n'était pas heureuse. Sa vie s'était consumée à souhaiter un enfant et elle n'en avait pas eu. «Ce qui doit, disait-elle, paraître inexplicable aux personnes qui nous connaissent, monsieur Séneschal et moi; lui qui aété un des beaux hommes de Sauveterre, et moi qui ai toujours joui d'une santé exceptionnelle.»

Et tout de suite, qu'on fût ou non de son intimité, elle entrait à ce sujet dans les détails les plus délicats, disant ses déceptions et celles de son mari, les pèlerinages qu'elle avait faits, le nom des médecins qu'ils avaient consultés, et combien de mois elle avait passés au bord de la mer, vivant presque exclusivement de poisson qu'elle n'aimait point. Rien n'avait réussi; et ses espérances s'évanouissant avec les années, elle s'était résignée, et l'amertume de ses regrets s'était changée en une sorte de mélancolie sentimentale qu'elle nourrissait de romans et de poésies. Elle avait une larme au service de toutes les infortunes, et quelques paroles de consolation pour toutes les douleurs. Sa charité était proverbiale. Jamais une pauvre femme en couches ne s'était inutilement adressée à son cœur.

Ce qui ne l'empêchait pas d'être une maîtresse femme qu'ilétait malaisé de duper, menant sa maison au doigt et à l'œil, dirigeant une lessive ou réglant un dîner comme pas une dame de Sauveterre.

C'est donc en sanglotant qu'elleécouta le récit que lui fit son mari desévénements de la nuit. Et lorsqu'il eut achevé:

– Cette pauvre Denise, dit-elle, est capable d'en mourir. À ta place, j'irais bien vite chez monsieur de Chandoré, lui apprendre avec tous les ménagements convenables cette funeste nouvelle.

– C'est ce dont je me garderai bien! s'écria M. Séneschal, et même je te défends expressément d'y aller…

C'est qu'il n'était pas un héros de stoïcisme et que, s'il se fûtécouté, il eût pris le chemin de fer et se fût enfui à cent lieues, pour n'être pas témoin de la douleur de grand-père Chandoré et de tantes Lavarande, du désespoir de Denise, surtout, qu'il affectionnait particulièrement, et dont, depuis tant d'années, il soignait et arrondissait la dot avec autant de sollicitude que si elle eûtété sa fille.

C'est qu'aussi il ne savait plus que croire, et qu'influencé par l'assurance de M. Galpin-Daveline, désorienté par le déchaînement de l'opinion, il en arrivait à se demander si Jacques, véritablement, n'avait pas commis les crimes dont on l'accusait.

2.Caprice, fantaisie.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
610 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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