Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Victor Hugo, son oeuvre poétique», страница 4

Шрифт:

LES CHANTS DU CRÉPUSCULE

Ce qui manque le plus aux Chants du Crépuscule, c'est l'unité d'impression. L'auteur s'est laissé aller, plus que dans aucun autre recueil, à la tentation de grossir son volume avec des vers d'album, des romances, des madrigaux, des pièces de circonstance. Ces crayons un peu improvisés feraient honneur à de moindres poètes; chez Hugo, ils ont l'inconvénient de détourner à leur profit une attention, parfois même une admiration qui s'adresserait mieux à des beautés plus hautes. Je ne citerai qu'un exemple. Dans quelle mémoire ne s'est pas logée cette déclaration d'amour où la passion est symbolisée dans la prière de la fleur au papillon? Tout à côté de cette odelette gracieuse, se trouve l'admirable contemplation qui a pour titre Au bord de la mer, et, un peu plus loin, la merveille même de ce recueil, la méditation puissante sur la cloche.

 
Seule en ta sombre tour aux faîtes dentelés,
D'où ton souffle descend sur les toits ébranlés,
O cloche suspendue au milieu des nuées
Par ton vaste roulis si souvent remuées,
Tu dors en ce moment dans l'ombre, et rien ne luit
Sous ta voûte profonde où sommeille le bruit.
Oh! tandis qu'un esprit qui jusqu'à toi s'élance,
Silencieux aussi, contemple ton silence,
Sens-tu, par cet instinct vague plein de douceur
Qui révèle toujours une sœur à la sœur,
Qu'à cette heure où s'endort la soirée expirante,
Une âme est près de toi, non moins que toi vibrante,
Qui bien souvent aussi jette un bruit solennel,
Et se plaint dans l'amour comme toi dans le ciel!
 
 
Mais qu'importe à la cloche et qu'importe à mon âme!
Qu'à son heure, à son jour, l'esprit saint les réclame,
Les touche l'une et l'autre, et leur dise: chantez!
Soudain, par toute voie et de tous les côtés,
De leur sein ébranlé, rempli d'ombres obscures,
A travers leur surface, à travers leurs souillures,
Et la cendre et la rouille, amas injurieux,
Quelque chose de grand s'épandra dans les cieux!
 
 
Ce sera l'hosanna de toute créature!
Ta pensée, ô Seigneur! ta parole, ô nature!
Oui, ce qui sortira par sanglots, par éclairs,
Comme l'eau du glacier, comme le vent des mers,
Comme le jour à flots des urnes de l'aurore,
Ce qu'on verra jaillir, et puis jaillir encore,
Du clocher toujours droit, du front toujours debout,
Ce sera l'harmonie immense qui dit tout!
Tout! les soupirs du cœur, les élans de la foule:
Le cri de ce qui monte et de ce qui s'écroule;
Le discours de chaque homme à chaque passion;
L'adieu qu'en s'en allant chante l'illusion;
L'espoir éteint, la barque échouée à la grève;
 
 
La vertu qui se fait de ce que le malheur
A de plus douloureux, hélas! et de meilleur;
L'autel enveloppé d'encens et de fidèles;
Les mères retenant les enfants auprès d'elles;
La nuit qui chaque soir fait taire l'univers
Et ne laisse ici-bas la parole qu'aux mers;
Les couchants flamboyants; les aubes étoilées;
Les heures de soleil et de lune mêlées,
Et les monts et les flots proclamant à la fois
Ce grand nom qu'on retrouve au fond de toute voix;
Et l'hymne inexpliqué qui, parmi des bruits d'ailes,
Va de l'aire de l'aigle au nid des hirondelles;
Et ce cercle dont l'homme a sitôt fait le tour,
L'innocence, la foi, la prière et l'amour!
Et l'éternel reflet de lumière et de flamme
Que l'âme verse au monde et que Dieu verse à l'âme!
 

C'est dans de pareilles pages qu'il faut chercher l'originalité du volume, et non dans les aubades, les effusions de tendresse ou les actes de foi, antérieurs de quelques années, et animés d'un autre esprit. On reconnaît sans peine ces poèmes de la vingtième année à leur caractère élégiaque, et à cette tendance mystique, à ce besoin d'adoration que sûrement en 1835 (date de la publication des Chants du crépuscule) Victor Hugo ne ressent plus. S'il y a eu dans la période de sa vie antérieure à l'exil une heure de doute, de mélancolie morose, de pessimisme amer, douloureux, agressif, cette heure est arrivée.

Ce mécontentement s'explique assez par le regret très vif de la première jeunesse.

 
Il fut un temps, un temps d'ivresse,
Où l'aurore qui te caresse
Rayonnait sur mon beau printemps,
Où l'orgueil, la joie et l'extase,
Comme un vin pur d'un riche vase,
Débordaient de mes dix-sept ans.
 

A ce moment il avait la gloire devant lui; elle brillait dans le lointain, mais il bondissait vers ce but:

 
Et comme un vif essaim d'abeilles,
Mes pensers volaient au soleil.
 

Le but est atteint, et le mirage est dissipé; la coupe est bue, et la «lie» est au fond.

Tout poète est irritable. Que dire de celui-ci? On se rappelle son enfance hypéresthésique. Le tempérament qui ébranla jusqu'à la folie le cerveau surexcitable de plus d'un des siens, devait se retrouver chez lui et souffrir très cruellement de certaines hostilités:

 
Toujours quelque bouche flétrie,
Souvent par ma pitié nourrie,
Dans tous mes travaux m'outragea.
 

Il s'exagérait la violence ou la portée de ces attaques:

 
Moi que déchire tant de rage…
 

Il ne pouvait pas pardonner au régime royal qui s'était établi, avec la liberté, le droit pour champions, de manquer à ses engagements, de renier son principe, de laisser subsister «des abus de granit,» auxquels les tribuns du jour ne pouvaient opposer «qu'une charte de plâtre.» Et de tous ces abus, à ce qu'il semble, celui qui a le plus blessé le poète, celui qui a fait surgir de son seuil naguère égayé par les rires d'enfant, la «muse Indignation,» c'est la persécution qu'on a infligée à sa pensée, c'est l'interdiction jetée sur telle ou telle de ses œuvres:

 
Chacun se sent troublé comme l'eau sous le vent;
Et moi-même, à cette heure, à mon foyer rêvant,
Voilà, depuis cinq ans qu'on oubliait Procuste,
Que j'entends aboyer au seuil du drame auguste
La censure à l'haleine immonde, aux ongles noirs,
Cette chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs,
Vile, et mâchant toujours dans sa gueule souillée,
O Muse! quelque pan de ta robe étoilée!
 

Il proteste contre ces «tristes libertés qu'on donne et qu'on reprend»; il se fait l'adversaire de toutes les mesures de réaction provoquées par un pouvoir inquiet, et consenties par les «trois cents avocats,» par «ces rhéteurs» que leur toge neuve embarrasse. Il oppose au régime sans éclat, sous lequel la France s'agite, le souvenir du Césarisme triomphant, et il compare avec dédain les lampions des fêtes officielles au soleil d'Austerlitz; lui qui, dix ans plus tôt, maudissait Buonaparte, il s'attendrit comme la bonne vieille de Béranger, ou comme les vétérans en demi-solde de la Restauration, devant l'image du captif de Sainte-Hélène, regrettant non pas le Kremlin, non pas le bivac, non pas les dragons chevelus, ou les rouges lanciers, ou les grenadiers épiques, mais l'enfant blond, rose, «divin,» qu'allaite sa nourrice éblouie, souriante.

Napoléon n'est pas le seul repoussoir lumineux qu'il imagine de placer en regard des obscurs artisans de la politique présente. A deux reprises, il évoque le souvenir d'un autre soldat, le héros de l'indépendance grecque, Canaris. Comme le passé, l'éloignement grandit les hommes: pour Hugo, Napoléon mort est une sorte de Dieu terrifiant; Canaris disparu et entré dans l'oubli est le dieu bon, aux «traits sereins,» au «regard pur,» au cœur «candide.» Il envie la destinée de ce fils de l'Archipel, qui vit au pays de l'héroïsme et de la gloire, qui voit

 
Décroître à l'horizon Mantinée ou Mégare,
 

qui a échangé la popularité bruyante, banale, éphémère, contre

 
…la douceur d'entrevoir
Tantôt un fronton blanc dans les brumes du soir,
Tantôt, sur le sentier qui près des mers chemine,
Une femme de Thèbe ou bien de Salamine,
Paysanne à l'œil fier qui va vendre ses blés,
Et pique gravement deux grands bœufs accouplés,
Assise sur un char d'homérique origine,
Comme l'antique Isis des bas-reliefs d'Egine!
 

Hugo ne se borne pas à cette satire indirecte. Il blâme ouvertement les désintéressements de la politique française, et s'indigne qu'aucun écho ne réponde au cri de la Pologne piétinée par les clous des Baskirs. En maudissant «l'homme qui a livré une femme,» il inflige un blâme sanglant aux ministres qui ont soldé et provoqué ce louche trafic. Ses éloges mêmes, tels que le remerciement au duc d'Orléans, ont quelque chose d'un peu humiliant pour le trône; ils ne diffèrent guère du conseil, et quand le conseil se fait jour, il est gros de menaces. Hugo montre aux rois le flot populaire qui monte; rien ne l'arrêtera dans sa fureur inconsciente, sinon le pouvoir du bienfait, et l'obstacle d'une bonne action.

La préoccupation des misérables de tout ordre vient servir d'excuse à ces plaintes, mais elle fournit à cette satire naissante un aliment nouveau.

Voici l'antithèse du riche et du pauvre; voici le contraste entre la foule heureuse, éclatante, enivrée, que rassemble le bal flamboyant, et le groupe des créatures dégradées,

 
Voilant leur deuil affreux d'un sourire moqueur,
Les fleurs au front, la boue aux pieds, la haine au cœur!
 

Où trouver un refuge contre tant de causes de tristesse?

Dans l'amour tout divin de l'humanité. A la prière qui s'est tue un autre hymne succédera.

 
Ce sera l'hosanna de toute créature,
 
 
Ce sera l'harmonie immense qui dit tout.
 

Et cette harmonie s'annonce déjà, comme par une note préparatoire de l'accord, dans ce vers curieux:

 
Et le sage attentif aux voix intérieures.
 

Le titre et le sujet du recueil suivant étaient trouvés.

LES VOIX INTÉRIEURES

Deux pièces du nouveau livre, les deux premières, sont encore inspirées par le spectacle des événements et la préoccupation politique. Sunt lacrymæ rerum est une sorte de chant funéraire, de panégyrique attendri, que la mort de Charles X, exilé, inspire au poète du sacre. Dans la pièce A l'Arc de triomphe, on retrouve une fois de plus la glorification de l'idée impériale, que l'auteur des Chants du crépuscule avait entreprise dans la Colonne et Napoléon II. Si l'éloge de l'Empire était opportun, et de nature à flatter le sentiment public, on ne saurait faire le même reproche à l'hymne en l'honneur de la royauté légitime. Cette manifestation venait à l'encontre du sentiment populaire, et, à ce propos, il n'est pas inutile de remarquer à quel point se trompent ceux qui voient dans Victor Hugo un courtisan de l'opinion. Qui la flattait en 1825, Victor Hugo, chantre de l'autel et du trône, ou Casimir Delavigne, le poète des Messéniennes, ou Béranger, le chansonnier du Roi d'Yvetot, le prêtre narquois du Dieu des Bonnes Gens? Et plus tard, sera-ce un sacrifice au goût dominant des Français de 1852 que de flétrir le régime devant lequel ils se sont prosternés? Sera-ce une tactique d'opportuniste, au lendemain de la Commune de 1871, et au plus fort de représailles dont personne, à ce moment-là, n'eût osé mettre en doute la légitimité, que de jeter le cri d'appel à la clémence, que de s'opposer aux revanches de l'ordre, que de flétrir la basse loi du talion?

La conséquence d'une si habile conduite devait être ce qu'elle fut. En 1871, on lapida les fenêtres de celui qui avait dit: «Pas de représailles;» après 1853, et pendant de longues années, ce fut la mode et la marque du goût que de décrier, de railler, de renier l'auteur des Châtiments; en 1837, après la publication des Voix intérieures, les attaques dont Victor Hugo avait déjà souffert si vivement, redoublèrent de violence.

Mais cette fois le poète pouvait les braver. Il avait trouvé le grand secret de consolation, la source inépuisable de courage, de sérénité. Las des agitations stériles de la politique et de son fracas irritant, il s'était remis à écouter, de plus près que jamais, «cette musique que tout homme a en soi» et «dont parle la Porcia de Shakespeare.» Ce chant continu, cette voix intérieure, «écho affaibli» et «confus» du grondement de la Nature, voilà surtout ce que le poète notait cette fois, et fixait en des vers, singulièrement beaux.

Il retrouvait le verbe imagé, les traits de feu des Orientales avec un attrait tout nouveau de puissante mélancolie.

 
La morne Palenquè gît dans les marais verts;
A peine entre ses blocs d'herbe haute couverts
Entend-on le lézard qui bouge.
Ses murs sont obstrués d'arbres au fruit vermeil
Où volent, tout moirés par l'ombre et le soleil,
De beaux oiseaux de cuivre rouge.
 
 
Comme une mère sombre, et qui, dans sa fierté,
Cache sous son manteau son enfant souffleté,
L'Egypte au bord du Nil assise
Dans sa robe de sable enfonce enveloppés
Ses colosses camards à la face frappés
Par le pied brutal de Cambyse.
 

Mais, à côté de ce vers fulgurant, Hugo en apportait un autre plus original peut-être, je veux dire le vers simple et pénétrant, virgilien par la pureté et l'harmonie, homérique par la vérité de l'impression, le vers avec lequel il décrit:

 
Les coteaux renversés dans le lac qui miroite,
 

«l'antre obstrué d'herbe verte,» et

 
… les vieilles forêts où la sève à grands flots
Court du fût noir de l'aulne au tronc blanc des bouleaux.
 

Ce ne sont là que des aspects de la nature. Hugo soulève le voile riant et rayé de couleurs dont l'éternelle Isis enveloppe son sein palpitant. Il ne s'arrête pas longtemps à l'églogue ancienne, malgré la douceur de regarder «fumer le feu du pâtre,» et d'entrevoir, «à travers les buissons,» sous «la lune», «à la dérobée,»

 
Les Satyres dansants qu'imite Alphésibée.
 

Il cherche le pourquoi de la nature; il la trouve compatissante, charitable, providentielle; elle est l'intermédiaire auguste qui dispense à l'homme les bienfaits de Dieu:

 
L'hiver, l'été, la nuit, le jour,
Avec des urnes différentes,
Dieu verse à grands flots son amour.
 

Cette première conception est justement le contraire de celle qui s'exprimera dans la Tristesse d'Olympio; mais on la voit se modifier déjà, rien qu'en tournant les feuillets des Voix intérieures. La pièce A Albert Durer nous révèle une nature autrement vraie, toute livrée au travail de la vie, et tourmentée par de sourds mais visibles efforts:

 
Le cresson boit; l'eau court; les frênes sur les pentes,
Sous la broussaille horrible et les ronces grimpantes,
Contractent lentement leurs pieds noueux et noirs.
 

La terre ne vit pas seulement; elle fait vivre. Elle est la Mater Alma que célèbre le mythe ancien; elle est la nourrice universelle.

C'est ce qu'exprime avec une puissance singulière la pièce fameuse qui a pour titre la Vache.

LA VACHE
 
Devant la blanche ferme où parfois vers midi
Un vieillard vient s'asseoir sur le seuil attiédi,
Où cent poules gaîment mêlent leurs crêtes rouges,
Où, gardiens du sommeil, les dogues dans leurs bouges
Ecoutent les chansons du gardien du réveil,
Du beau coq vernissé qui reluit au soleil,
Une vache était là tout à l'heure arrêtée.
Superbe, énorme, rousse et de blanc tachetée,
Douce comme une biche avec ses jeunes faons,
Elle avait sous le ventre un beau groupe d'enfants,
D'enfants aux dents de marbre, aux cheveux en broussailles,
Frais, et plus charbonnés que de vieilles murailles,
Qui, bruyants, tous ensemble, à grands cris appelant
D'autres qui, tout petits, se hâtaient en tremblant,
Dérobant sans pitié quelque laitière absente,
Sous leur bouche joyeuse et peut-être blessante
Et sous leurs doigts pressant le lait par mille trous,
Tiraient le pis fécond de la mère au poil roux.
Elle, bonne et puissante et de son trésor pleine,
Sous leurs mains par moments faisant frémir à peine
Son beau flanc plus ombré qu'un flanc de léopard,
Distraite, regardait vaguement quelque part.
Ainsi, nature! abri de toute créature!
O mère universelle! indulgente nature!
Ainsi, tous à la fois, mystiques et charnels,
Cherchant l'ombre et le lait sous tes flancs éternels,
Nous sommes là, savants, poètes, pêle-mêle,
Pendus de toutes parts à ta forte mamelle!
Et tandis qu'affamés, avec des cris vainqueurs,
A tes sources sans fin désaltérant nos cœurs,
Pour en faire plus tard notre sang et notre âme,
Nous aspirons à flots ta lumière et ta flamme,
Les feuillages, les monts, les prés verts, le ciel bleu,
Toi, sans te déranger, tu rêves à ton Dieu!
 

La terre fait plus que de nourrir ses fils; elle leur parle. Elle élève et elle agrandit le cœur qui sait l'entendre.

 
De partout sort un flot de sagesse abondante.
 
 
Tout objet dont le bois se compose répond
A quelque objet pareil dans la forêt de l'âme.
 

Avec la voix de la Terre, éclate, pour la première fois3, dans l'œuvre de Hugo, le chant de la Mer, qui grondera si puissamment dans les Contemplations, dans les Châtiments, et dans la Légende des siècles. Cette intimité merveilleuse qui s'établira, pendant les années de l'exil, entre le poète et l'Océan, s'explique, s'annonce, avant l'heure de la rélégation sur les rochers anglo-normands, par des affinités dont voici la première preuve. Qu'on relise Soirée en Mer, ou encore Une nuit qu'on entendait la mer sans la voir. Qu'on joigne à ces premières impressions les deux pièces des Rayons et Ombres, Cæruleum Mare, où s'exprime l'idée qu'éveille le spectacle de l'Océan, et Oceano Nox, où se traduit plus fortement le sentiment qui se dégage de ses murmures. On aura dans ces quatre odes comme un prélude de cette symphonie immense de la mer, que Hugo écrira plus tard, et qu'il jettera par lambeaux à travers ses chants lyriques, ses romans, ses satires, ses épopées.

LES RAYONS ET LES OMBRES

On peut rapprocher, sur d'autres points, les Rayons et les Ombres des Voix intérieures. L'un et l'autre de ces deux recueils offrent, dans un petit nombre de pièces, de facture exquise, l'union très heureuse de deux éléments très divers, la nature et l'art, associés ici d'une façon presque classique. On songe à Versailles et à la préface de la Psyché de La Fontaine, quand le poète s'achemine

 
Vers la grotte où le lierre
Met une barbe verte au vieux fleuve de pierre!
 

Et lui-même, en décrivant le parc austère, au grand «bassin dormant,» où moisit maintenant «un Neptune verdâtre» et où jadis le roi Louis, tenant par la main ou Caussade ou Candale, errait sous les ombrages, il éveille, non sans raillerie, le souvenir des rimes de Boileau.

Cette inspiration si gracieuse gagne, d'un volume à l'autre, en profondeur mélancolique, et elle produit, sous le titre de la Statue, ce délicieux entretien avec le Faune isolé, immobile, oublié «dans sa gaine de marbre.» La musique seule égalerait ce que produit ici la poésie, évoquant, avec je ne sais quel ineffable mystère, les élégances somptueuses, royales, galantes du passé, dans ce puissant paysage d'hiver:

D'autres arbres plus loin croisaient leurs sombres fûts;

 
Plus loin d'autres encore, estompés par l'espace,
Poussaient dans le ciel gris où le vent du soir passe,
Mille petits rameaux noirs, tordus et mêlés,
Et se posaient partout, l'un par l'autre voilés,
Sur l'horizon, perdu dans les vapeurs informes,
Comme un grand troupeau roux de hérissons énormes.
Rien de plus. Ce vieux faune, un ciel morne, un bois noir.
 

Poésie ou musique, à quel art rattacher la méditation sur «l'Orphée moderne,» le vieux maître Palestrina?

 
Ecoutez, écoutez! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l'archet se précipite.
L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.
Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,
Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,
Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l'alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vidant et remplissant leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour,
Tandis qu'un vent léger fait flotter alentour,
Comme un voile folâtre autour d'un divin groupe,
Ces dentelles du son que le fifre découpe.
 
 
Ciel! voilà le clairon qui sonne. A cette voix,
Tout s'éveille en sursaut, tout bondit à la fois.
La caisse aux mille échos, battant ses flancs énormes,
Fait hurler le troupeau des instruments difformes,
Et l'air s'emplit d'accords furieux et sifflants
Que les serpents de cuivre ont tordus dans leurs flancs.
Vaste tumulte où passe un hautbois qui soupire!
Soudain du haut en bas le rideau se déchire:
Plus sombre et plus vivante à l'œil qu'une forêt,
Toute la symphonie en un hymne apparaît.
Puis, comme en un chaos qui reprendrait un monde,
Tout se perd dans les plis d'une brume profonde.
Chaque forme du chant passe en disant: Assez!
Les sons étincelants s'éteignent dispersés.
Une nuit qui répand ses vapeurs agrandies
Efface le contour vague des mélodies,
Telle que des esquifs dont l'eau couvre les mâts,
Et la strette jetant sur leurs confus amas
Ses tremblantes lueurs largement étalées
Retombe dans cette ombre en grappes étoilées!
 
 
O concert qui s'envole en flamme à tous les vents!
Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants!
Comme l'âme s'émeut! Comme les cœurs écoutent!
Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,
Tantôt dans la lumière et tantôt dans la nuit,
Remue avec fierté cet orage de bruit!
 

Singulière puissance du génie! Il entre de plain-pied, et sans effort, de l'art où il règne en maître dans les arts qui lui semblent le plus fermés. Hugo n'a point reçu d'instruction musicale; il n'a point cherché à y remédier, même superficiellement, par l'audition, fréquente des musiciens; mais, d'instinct, il a évité de s'associer à l'admiration banale des gens de son temps pour les manifestations vulgaires de l'art le plus tenu de s'élever, et, quand il veut glorifier un maître de l'harmonie, il ne se prosterne pas devant des idoles de bois doré, de carton-pierre ou de simili-bronze; il n'adore que les vrais dieux. Et lui-même il saisit l'archet, et il conduit l'orchestre, et il en explique les voix, avec une intuition des ressources symphoniques, avec un bonheur d'images, une puissance de transcription, de transposition des effets, qui confond les initiés.

Comme dans les Voix intérieures, la Nature, dans les Rayons et les Ombres, occupe une place très large. Elle paraît ici pour la première fois dans ce rôle d'éducatrice que Hugo lui conservera jusque dans ses poèmes des derniers jours (l'Ane). Tout le monde a dans la mémoire les souvenirs des Feuillantines; pour en parler ici, ce serait un abus que dépasser l'allusion.

On peut en dire autant de la Tristesse d'Olympio. Qui n'a lu cette sonate pathétique où gémit le souvenir douloureux de l'amour passé, tandis que le bois, la fontaine, les chambres de feuillage, jadis témoins et complices de ces tendresses, poursuivent, dans l'oubli de tout, leur rythme régulier, fatal, inconscient, et enchantent d'autres amoureux de leurs sereines harmonies? Qui n'a comparé cette élégie inoubliable au Lac de Lamartine, au Souvenir d'Alfred de Musset? Qui n'a cru, à vingt ans, que, des trois poètes traitant le même sujet, Hugo fut le moins inspiré? Qui peut le croire après avoir vécu? Les vers profonds, révélateurs du mystère de l'âme, surgissent ici à chaque strophe; ils traversent la trame de l'œuvre comme autant de traits lumineux.

 
… Nos pensées
S'envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.
 
 
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés.
 
 
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.
 
 
L'impassible nature a déjà tout repris.
 

Et quelle couleur revêt ici la pensée! Beaucoup d'images, même dans Hugo, dans le Hugo de la Légende, ont-elles la nouveauté, le charme saisissant de celles-ci?

 
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.
 
 
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas.
 
 
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.
 
 
Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline,
Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions;
 
 
Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,
 
 
Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe,
Loin des objets réels, loin du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur;
 
 
Et là dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile,
L'âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile. —
C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir!
 

On a dit des Rayons et des Ombres que le poète y résumait en quelque sorte toute son œuvre lyrique antérieure. On y retrouverait, par exemple, l'inspiration dominante des Feuilles d'automne, c'est-à-dire les souvenirs de l'enfance, et l'expression des sentiments qui se rattachent au foyer, l'amitié fraternelle, l'amour filial, l'adoration, ou, pour emprunter le mot de Sévigné, la triple «idolâtrie» de la mère, de l'épouse, et des enfants. Ce serait la «pitié aumônière» déjà exprimée dans les Chants du crépuscule, qui reparaîtrait dans des pièces comme la Rencontre des quatre enfants sans parents, sans abri, sans souliers et sans pain.

Je n'énumère pas jusqu'au bout ces prétendues analogies; car je suis beaucoup plus frappé des différences. Ce n'est pas aux écrits antérieurs de Hugo que ces pièces me font penser: j'y vois déjà l'idée et le dessein des grands écrits de sa maturité. Je trouve dans la Rencontre un avant-goût de la satire toute sociale des Contemplations, et je démêle un coin de la philosophie des Misérables dans cette leçon que la nature donne à l'homme, en prodiguant aux mendiants toutes les douceurs de la tiède saison.

 
Et son œil ne vit rien que l'éther calme et chaud.
Le soleil bienveillant, l'air plein d'ailes dorées,
Et la sérénité des voûtes azurées,
Et le bonheur, les cris, les rires triomphants
Qui des oiseaux du ciel tombaient sur ces enfants.
 

C'est encore à la doctrine philosophique des Contemplations, non pas à la religion des premiers écrits, que nous achemine la pièce, où le poète, après avoir jeté un regard sur le problème du destin, relève des yeux effarés comme s'il avait aperçu quelque puits insondable:

 
Cryptes! palais! tombeaux, pleins de vagues tonnerres!
Vous êtes moins brumeux, moins noirs, moins ignorés,
Vous êtes moins profonds et moins désespérés,
Que le destin, cet astre habité par nos craintes,
Où l'âme entend, perdue en d'affreux labyrinthes,
Au fond, à travers l'ombre, avec mille bruits sourds,
Dans un gouffre inconnu tomber le flot des jours!
 

Si ce gouffre rappelle une conception de Hugo, c'est sûrement la Bouche d'ombre.

Et quand on a lu les poèmes de la vieillesse de Hugo, quand on a l'esprit encore ému de cette sanction morale jusqu'à laquelle s'était haussé son cœur de patriarche, la suprême pitié, n'est-on pas en droit de vouloir retrouver comme un lointain pressentiment de cette évolution dernière, dans les vers par où le recueil des chants de jeunesse finit:

 
Et de ce triple aspect des choses d'ici-bas,
De ce triple conseil que l'homme n'entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s'émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d'avance attendrit
Le vers qu'à moitié fait j'emporte en mon esprit,
Pour l'achever aux champs avec l'odeur des plaines,
Et l'ombre du nuage et le bruit des fontaines!
 

Mais la lecture des Rayons et des Ombres révèle autre chose que les desseins poétiques de Hugo: elle fait prévoir son entrée dans la politique. Chez Victor Hugo, les ambitions d'homme d'Etat ont pris leur source dans l'idée qu'il se fait de la mission du poète. Nous avons dit qu'il lui donnait les attributs du vates antique, et faisait de lui l'interprète de Dieu, l'oracle «de l'éternelle vérité.» Il se prend ici pour un visionnaire, pour un prophète, dans le sens biblique du mot:

 
Pour des regards distraits la France était sereine,
Mais dans ce ciel troublé d'un peu de brume à peine,
Où tout semblait azur, où rien n'agitait l'air,
Lui, rêveur, il voyait par instants un éclair!
 

Ce qu'il y avait de fâcheux dans cette conviction, c'est qu'elle allait détourner Hugo de sa «fonction» vraie, et contrarier son instinct naturel. La coulée lumineuse de poésie lyrique sur laquelle il nous a paru essentiel d'arrêter longtemps les regards du lecteur, va se refroidir, s'obscurcir, s'arrêter. Mais de nouveau, à dater de l'exil, elle débordera, et pour un très long temps, avec l'éclat brûlant et le fracas, majestueux d'une éruption volcanique.

3.La pièce des Chants du Crépuscule, Au bord de la mer, en dépit de son titre, ne s'oppose pas à cette assertion. Le poète y définit la Terre, l'Ether, l'Amour. L'Océan n'entre que pour trois vers dans cette triple synthèse.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
170 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают