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Читать книгу: «Lettres à Mademoiselle de Volland», страница 9

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XXVI

Le 1er novembre 1759.

On se promène presque en tout temps à la campagne. S'il fait un rayon de soleil, on en profite. Je travaille beaucoup, et avec agrément. Je vois ma besogne tirer à sa fin. D'un assez grand nombre de morceaux de philosophie, il ne m'en reste que trois à faire; mais longs et difficiles: c'est l'examen du platonisme et du pythagorisme, avec l'histoire de la philosophie chez les Étrusques et les Romains54. Je sors des Arabes et des Sarrasins, où j'ai trouvé plus de choses intéressantes que je n'en espérais. Ces peuples ont un caractère particulier. Vous avez entendu parler de ces dévots orientaux, dont la pratique religieuse se réduit à pirouetter sur un pied jusqu'à ce qu'ils tombent par terre sans connaissance, sans sentiment, étourdis et presque morts. Croyez-vous que cette extravagance est le résultat d'un système théosophique très-suivi, très-lié, et parsemé de vérités les plus sublimes? Ils prétendent que le vertige suspendant toutes les distractions de la particule divine, elle s'en rejoint plus intimement à l'être éternel dont elle est émanée. Dans cet état de stupidité tranquille, simple, pure et une comme lui, elle entend sa voix, et jouit d'un bonheur inconnu aux profanes qui ne l'ont point éprouvé. La vénération que les musulmans ont pour les idiots est la conséquence de ce privilège. Ils les regardent comme des êtres privilégiés en qui la nature a opéré la bienheureuse imbécilité que les autres n'acquièrent que par le saint vertige. Je vous détaillerais tout cela si j'en avais le temps; vous verriez que l'islamite qui est assis immobile au fond d'une caverne obscure, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête penchée sur ses mains, les yeux attachés au bout de son nez, passant des journées entières dans l'attente de la vision béatifique, est un aussi grand philosophe que l'Européen dédaigneux qui le regarde en pitié, et qui se promène tout fier d'avoir découvert que nous ne voyons rien qu'en Dieu.

Le saint prophète pressentit que la passion des femmes était trop naturelle, trop violente et trop générale pour tenter avec succès de la refréner. Il aima mieux y conformer sa législation que d'en multiplier les infractions en l'opposant à la pente la plus utile et la plus douce de la nature. Quand il encourageait les hommes à la vertu par l'espérance future des voluptés corporelles, il leur parlait d'une félicité qui ne leur était pas étrangère. Il prescrivait des ablutions et quelques pratiques frivoles, dont le peuple a besoin, qui sont arbitraires, telles qu'il y en a dans toutes les religions du monde, et qui ne signifient rien pour les hommes d'une piété un peu solide, comme de tourner le dos au soleil pour pisser, parmi les musulmans, ou de porter un scapulaire, parmi nous, parce qu'il faisait un culte pour la multitude. Il prêcha le dogme de la fatalité qui inspire l'audace et le mépris de la mort; le péril étant aux yeux du fataliste le même pour celui qui manie le fer sur un champ de bataille et pour celui qui repose dans un lit; l'instant de périr étant irrévocable, et toute prudence humaine étant vaine devant l'Éternel qui a enchaîné toutes choses d'un lien que sa volonté même ne peut ni resserrer ni relâcher.

Jugez si mes occupations sont ingrates par cette lettre, et par ce morceau du poëte Sadi que je vais vous traduire; il vous fera plaisir, parce qu'il m'en a fait, parce qu'il est beau, parce qu'il est plein de sentiment, de pathétique et de délicatesse55.

Les Sarrasins ont des maximes d'une énergie et d'une délicatesse peu communes. Aucune nation n'est aussi riche en proverbes; leurs fables sont d'une simplicité qui me charme.

Voilà, mon amie, ceux avec qui je converse depuis quelques jours. Auparavant c'était avec les Phéniciens; auparavant avec les habitants du Malabar; auparavant avec les Indiens.

J'ai vu toute la sagesse des nations, et j'ai pensé qu'elle ne valait pas la douce folie que m'inspirait mon amie. J'ai entendu leurs discours sublimes, et j'ai pensé qu'une parole de la bouche de mon amie porterait dans mon âme une émotion qu'ils ne me donnaient pas. Ils me peignaient la vertu, et leurs images m'échauffaient; mais j'aurais encore mieux aimé voir mon amie, la regarder en silence, et verser une larme que sa main aurait essuyée ou que ses lèvres auraient recueillie. Ils cherchaient à me décrier la volupté et son ivresse, parce qu'elle est passagère et trompeuse; et je brûlais de la trouver entre les bras de mon amie, parce qu'elle s'y renouvelle quand il lui plaît, et que son cœur est droit, et que ses caresses sont vraies. Ils me disaient: Tu vieilliras; et je répondais en moi-même: Ses ans passeront avec les miens. Vous mourrez tous deux; et j'ajoutais: Si mon amie meure avant moi je la pleurerai et serai heureux la pleurant. Elle fait mon bonheur aujourd'hui; demain elle fera mon bonheur, et après-demain, et après-demain encore, et toujours, parce qu'elle ne changera point, parce que les dieux lui ont donné le bon esprit, la droiture, la sensibilité, la franchise, la vertu, la vérité qui ne change point. Et je fermai l'oreille aux conseils austères des philosophes; et je fis bien, n'est-ce pas, ma Sophie?

XXVII

Au Grandval le 2 novembre 1759.

Le père Hoop nous a quittés; mais en revanche, il nous est arrivé une dame. Elle n'est point mal de figure. À juger par le son de sa voix, le tour de ses idées et le ton de son expression, elle a du naturel dans l'esprit et de la douceur dans le caractère. Je suis fort trompé, ou elle a déjà bien souffert quoiqu'elle soit jeune. Ceux qui ont éprouvé la peine ont un signe auquel ils se reconnaissent.

Les dernières nouvelles qu'on nous a apportées de Paris ont rendu le Baron soucieux. Il a des sommes considérables placées dans les papiers royaux… Il disait à sa femme: «Écoutez, ma femme, si cela continue, je mets bas l'équipage, je vous achète une belle capote avec un beau parasol, et nous bénirons toute notre vie M. de Silhouette, qui nous a délivrés des chevaux, des laquais, des cochers, des femmes de chambre, des cuisinières, des grands dîners, des faux amis, des ennuyeux, et de tous les autres privilèges de l'opulence…» Et moi je pensais que pour un homme qui n'aurait ni femme, ni enfant, ni aucun de ces attachements qui font désirer la richesse, et qui ne laissent jamais de superflu, il serait presque indifférent d'être pauvre ou riche. Pauvre, on s'expatrierait, on subirait la condamnation ancienne portée par la nature contre l'espèce humaine, et l'on gagnerait son pain à la sueur de son front… Ce paradoxe tient à l'égalité que j'établis entre les conditions et au peu de différence que j'émets, quant au bonheur, entre le maître de la maison et son portier… Si je suis sain d'esprit et de corps, si j'ai l'âme honnête et la conscience pure, si je sais distinguer le vrai du feux, si j'évite le mal et fais le bien, si je sens la dignité de mon être, si rien ne me dégrade à mes propres yeux, si, loin de mon pays, je suis ignoré des hommes dont la présence me ferait peut-être rougir, on peut m'appeller comme on voudra, milord ou sirrah: sirrah, en anglais, c'est un faquin en français, la qualité qu'un petit-maître en humeur donne à son valet… Faire le bien, connaître le vrai, voilà ce qui distingue un homme d'un autre; le reste n'est rien. La durée de la vie est si courte, ses vrais besoins sont si étroits, et quand on s'en va, il importe si peu d'avoir été quelqu'un ou personne. Il ne faut à la fin qu'un mauvais morceau de toile et quatre planches de sapin… Dès le matin j'entends sous ma fenêtre des ouvriers. À peine le jour commence-t-il à poindre qu'ils ont la bêche à la main, qu'ils coupent la terre et roulent la brouette. Ils mangent un morceau de pain noir; ils se désaltèrent au ruisseau qui coule: à midi, ils prennent une heure de sommeil sur la terre; bientôt ils se remettent à leur ouvrage. Ils sont gais; ils chantent; ils se font entre eux de bonnes grosses plaisanteries qui les égaient; ils rient. Sur le soir, ils vont retrouver des enfants tout nus autour d'un âtre enfumé, une paysanne hideuse et malpropre, et un lit de feuilles séchées, et leur sort n'est ni plus mauvais ni meilleur que le mien… Vous avez éprouvé l'une et l'autre fortune: dites-moi, le temps présent vous paraît-il plus dur que le temps passé?.. Je me suis tourmenté toute la matinée à courir après une idée qui m'a fui… Je suis descendu triste; j'ai entendu parler des misères publiques; je me suis mis à une table somptueuse sans appétit; j'avais l'estomac chargé des aliments de la veille; je l'ai surchargé de la quantité de ceux que j'ai mangés; j'ai pris un bâton et j'ai marché pour les faire descendre et me soulager; je suis revenu m'asseoir à une table de jeu, et tromper des heures qui me pesaient. J'avais un ami dont je n'entendais point parler. J'étais loin d'une amie que je regrettais. Peines à la campagne, peines à la ville, peines partout. Celui qui ne connaît pas la peine n'est pas à compter parmi les enfants des hommes… C'est que tout s'acquitte; le bien par le mal, le mal par le bien, et que la vie n'est rien.

Nous irons peut-être demain au soir ou lundi matin passer un jour à la ville; je verrai donc cette amie que je regrettais; je recouvrerai donc cet ami silencieux dont je n'entendais point parler. Mais je les perdrai le lendemain; et plus j'aurai senti le bonheur d'être à côté d'eux, plus je souffrirai de m'en séparer. C'est ainsi que tout va: tournez-vous, retournez-vous, il y aura toujours une feuille de rose pliée qui vous blessera… J'aime ma Sophie; la tendresse que j'ai pour elle affaiblit à mes yeux tout autre intérêt. Je ne vois qu'un malheur possible dans la nature; mais ce malheur se multiplie et se présente à moi sous cent aspects. Passe-t-elle un jour sans m'écrire, qu'a-t-elle? serait-elle malade? Et voilà les chimères qui voltigent autour de ma tête et qui me tourmentent. M'a-t-elle écrit, j'interpréterai mal un mot indifférent, et je suis aux champs. L'homme ne peut ni améliorer ni empirer son sort. Son bonheur et sa misère ont été circonscrits par un astre puissant. Plus d'objets, moins de sensibilité pour chacun. Un seul, tout se rassemble sur lui. C'est le trésor de l'avare…

Mais je m'aperçois que je digère mal, et que toute cette triste philosophie naît d'un estomac embarrassé. Crapuleux ou sobre, mélancolique ou serein, Sophie, je vous aime également; mais la couleur du sentiment n'est pas la même… On est allé à Charenton vous porter un volume de moi et chercher une ligne de vous. Et attendant, je piétine et je maudis la longueur du messager. Amour et mauvaise digestion. J'ai beau dire: Ce coquin s'est amusé dans un cabaret; il n'a pu voir une couronne de lierre pendue à une porte sans entrer; je ne m'en crois pas moi-même. Qu'est-ce donc que cette raison qui siège là, que rien ne corrompt, qui m'accuse et qui absout mon valet? Est-ce qu'on est sage et fou dans un même instant?

Je n'ai presque rien fait aujourd'hui; la matinée s'est échappée je ne sais comment, et je vous écris un mot ce soir pour me raccommoder avec moi-même. Je n'aurai pas perdu la journée, si j'en ai employé un quart d'heure à causer avec vous. Adieu, ma Sophie! À demain au soir ou à lundi matin, s'il fait beau et si les projets du Baron ne se dérangent point. Gardez-moi les lettres de votre sœur, et, quand vous lui écrirez, ne m'oubliez pas. Serrez la main pour moi à M. de Prisye. Présentez mon dévouement et mon respect à Mlle Boileau. Laissez-moi oublier de votre mère, puisque c'est son projet.

Mais voilà notre nouvelle arrivée qui passe en chantant par mon corridor. Il me semble qu'elle a de la voix. Adieu, mon amie! Soyez toujours bien sage. Pour moi, je suis les conseils que je donne. Je vous l'ai dit souvent, et, plus je vais, mieux je sens que je vous l'ai bien dit: il n'y a et il n'y aura jamais qu'une femme au monde pour moi. Et cette femme, qui est-elle? C'est ma Sophie; c'est elle qui pense à moi, mais qui ne m'écrit point. Car voilà mon messager revenu de Charenton sans lettres. J'ai de l'humeur; je vais me coucher de peur de gronder mal à propos et de mériter toutes les épithètes que je donnerais à mon valet; car, après tout, ce n'est pas sa faute, si l'on n'écrit point à Paris, et si cela me fâche.

XXVIII

Au Grandval, le 3 novembre 1759.
Les IL FAUT56
 
Il faut penser; sans quoi l'homme devient,
Malgré son âme, un franc cheval de somme.
Il faut aimer: c'est ce qui nous soutient,
Car sans aimer, il est triste d'être homme.
 
 
Il faut avoir un ami, qu'en tout temps,
Pour son bonheur on écoute, on consulte,
Qui sache rendre à notre âme en tumulte
Les maux moins vifs et les plaisirs plus grands.
 
 
Il faut le soir un souper délectable,
Où l'on soit libre, où l'on puisse en repos
Goûter gaîment les bons mets, les bons mots,
Et sans être ivre il faut sortir de table.
 
 
Il faut la nuit dire tout ce qu'on sent
Au tendre objet que notre cœur adore;
Se réveiller pour en redire autant,
Se rendormir pour y songer encore.
 
 
Mes chers amis, convenez que voilà
Ce qui serait une assez douce vie.
Ah! dès le jour que j'aimai ma Sylvie,
Sans plus chercher, j'ai trouvé tout cela.
 

À la place de ma Sylvie, mettez ma Sophie, si vous voulez. Ces vers m'ont paru jolis, et je vous les envoie pour vous, pour Mme Le Gendre et pour madame votre mère. J'ai vu la réponse que vous avez faite à un certain billet. Elle a ajouté ce qui manquait à ma peine! Il serait bien plus simple de me dire: Le sentiment que j'avais est usé; j'ai pesé la peine et le plaisir … et le plaisir m'a paru léger; comme je n'aimais plus, j'ai conçu que ma sœur avait raison. Je vous estimerai toujours. Et j'entendrais tout cela bien mieux que: je ne veux point le gêner, je ne veux point l'être, je n'empêche point qu'il saisisse l'amusement qui se présente, et j'espère qu'il approuvera que je le cherche. On a tant d'indulgence quand on n'a plus d'amour! Avec l'habitude que vous avez de regarder au fond de votre âme, voilà ce que vous y devez voir. Avec l'habitude de dire ce que vous voyez, c'est ainsi que vous auriez dû me parler. Si vous saviez le mal que vous m'avez fait!.. Mais quand vous le sauriez, qu'est-ce que cela vous ferait? Je ne rappellerais point en vous des sentiments qui n'y sont plus, et j'éloignerais peut-être une vérité qu'il faudra pourtant que je sache. Parlez-moi vrai, n'est-ce pas que vous n'aimez plus?

XXIX

À Paris, le 15 janvier 1760.

Il est neuf heures sonnées. Je perds l'espérance de vous voir. J'ai lu toutes les lettres de notre sœur, qui m'ont fait grand plaisir. Voilà un griffonnage qu'elles m'ont suggéré. Vous le lui enverrez, si vous croyez qu'il en vaille la peine. Je m'en retournerai donc sans vous avoir embrassée; je remporterai l'envie de vous faire une petite caresse. Il y a cependant longtemps que je l'ai, cette envie, et qu'elle me peine. Adieu, portez-vous bien, aimez-moi comme je vous aime. Je ne sais quand je vous verrai. Demain, j'ai un rendez-vous d'affaires à six heures du soir. Dimanche je vais dîner à l'École militaire où je devais dîner jeudi; mais nous en fûmes rappelés dans la matinée par l'accouchement de Mme d'Holbach, qui nous a donné une petite créature un mois plus tôt qu'elle n'était attendue. Lundi je suis invité, je ne sais où, à une représentation d'une tragédie de M. de Ximènes57. Grimm exige que j'aille avec lui. Je ferai de mon mieux pour vous apercevoir dans cet intervalle; mais de quoi me plains-je? Depuis un mois fais-je autre chose que de vous apercevoir? Cela me parai dur. Je ne me fais point, je ne me ferai jamais à l'austérité de ce régime. Pour le coup, votre mère a trouvé le secret de nous désespérer. Je m'en console un peu en imaginant qu'elle ne s'en doute pas. Bonsoir, bonsoir, voilà dix heures à votre pendule, c'est-à-dire neuf heures et demie au moins par toute terre.

XXX

À Paris, le 1er juillet 1760.

Je ne sais pas précisément combien il y a de temps que je vous ai vue; mais ce temps m'a bien duré! Je ne sais pas précisément ce que j'ai fait; si j'avais fait quelque chose qui m'eût intéressé, je m'en souviendrais. Je venais passer aujourd'hui la journée avec vous. Il était environ cinq heures; vous veniez de sortir; vous étiez toutes allées à Spartacus58. Quand vous ne m'auriez pas attendu, cette pièce ne vous aura pas fait grand plaisir; on n'y est ni transporté d'admiration, ni ému d'une commisération forte, ni touché d'horreur. On ne sait pour qui s'intéresser. Ce n'est ni pour le consul, ni pour sa fille, ni pour Noricus, ni pour les Romains, ni pour Spartacus. Il ne court aucun péril. Il y a des événements, mais ils ne sont pas enchaînés. Par exemple, au premier acte, Noricus est jaloux de Spartacus; les Romains forcent la mère de Spartacus à se tuer; on prend la fille de Crassus. Le poëte pouvait tout aussi bien commencer par où il a fini, et finir par où il a commencé. En se défaisant, tout en commençant, de la mère de Spartacus, et en renvoyant la fille de Crassus, il s'est privé des seules sources de pathétique qu'il pouvait avoir. Lorsqu'il a rendu Émilie à son père, à la fin du second acte ou du troisième, la pièce est finie. Faire revenir le consul comme père d'Émilie et comme député du sénat, c'est une espèce de pléonasme déplaisant. La fille du consul sortir de la maison de son père et entrer dans un camp. Il eût fallu bien du génie pour pallier l'indécence de cette action. N'est-il pas aussi bien étrange que Crassus trouve sa fille à l'entrée de la tente de Spartacus sans en être surpris? Et cette fille qu'on vient de prendre à la fin du premier acte et qui n'en est non plus émue au commencement du second que si elle était en sûreté dans Rome! Je trouve qu'il n'y a point de jugement dans la conduite, rien de sublime dans les détails; le seul moment où l'on soit affecté, c'est celui où Spartacus demande pardon à Noricus de l'injure qu'il lui a faite. Mais à quoi cela tient-il? Qu'est-ce que cela fait à l'action? Il y a du mérite à avoir imaginé la déclaration d'Émilie à Spartacus. Le dénoûment a déplu, parce que c'est, je crois, une imitation de la mort d'Aria et de Pœtus. Je ne blâme pas qu'on cherche son dénoûment dans l'histoire. Alors il est impossible qu'il soit faux: mais il ne faut pas que le spectateur s'aperçoive de cet emprunt. Il se rappelle le trait historique, et il n'est plus étonné. Il y a une scène entre Spartacus et Crassus, député des Romains, dont le commencement m'a paru dialogué: c'est l'endroit où Spartacus répond à l'offre qu'on lui fait d'une place au sénat:

Au temps des Scipions j'aurais pu l'accepter.

Vous venez me proposer des conditions: c'est, ce me semble, prendre le rôle du vainqueur. Que parlez-vous de sénat? C'est à moi de décider s'il doit encore y avoir un sénat ou non. Le poëte a beaucoup travaillé; mais il n'avait pas le génie, sans lequel le travail coûte beaucoup et ne produit rien. Je vous dirais encore là-dessus beaucoup d'autres choses, mais vous les aurez senties comme moi. Pourquoi Crassus ne voit-il pas sa fille avant Spartacus? Croyez-vous que cette scène n'eût pas été très-intéressante? Le poëte a tout sacrifié au rôle de Spartacus; et, en cela, il a bien fait; mais il ne s'est pas aperçu que ce n'était pas assez de le montrer grand, il fallait encore le montrer malheureux. Vous ajouterez à cela tout ce qu'il vous plaira.

J'avais espéré que vous n'entendriez pas la petite pièce; mais je vois que je nie suis trompé. Je ne vous verrai donc qu'un instant. Bonsoir, mon amie. J'ai encore eu de la tracasserie d'auteur jusque par-dessus les oreilles depuis que je ne vous ai vue. Imaginez qu'avant-hier, au moment que j'étais incertain si j'irais dîner chez le Baron où je n'ai pas paru depuis quinze jours, ou au Jardin du Roi où j'étais invité avec mon évêque, Le Breton m'a enlevé pour aller travailler chez lui depuis onze heures du matin jusqu'à onze heures du soir. C'est toujours la maudite histoire de nos planches. Ces commissaires de l'Académie sont revenus sur leur premier jugement; ils s'étaient arraché les yeux à l'Académie; ils se sont dit hier toutes les pouilles de la halle. Je ne sais ce qu'ils auront fait aujourd'hui. Cela m'ennuie beaucoup, presque autant que de vous attendre après avoir été longtemps sans vous voir. J'espère vous voir et vous aimer demain un petit moment dans la matinée; je serais trop content si je pouvais me promettre de venir passer avec vous un petit reste de soirée; mais si je quitte le Baron, comment prendra-t-il cela? Ô la sotte vie que je mène! À quoi me sert donc d'aimer et d'être aimé? Mlle Clairet m'a dit que madame votre mère était malade, et moi j'ai demandé tout de suite: Et mademoiselle? Qu'elle avait eu l'estomac dérangé, et j'ai ajouté: Et mademoiselle59? Mais j'entends une voiture. Dieu veuille que ce soit la vôtre! Il est neuf heures sonnées, et je meurs de froid aux pieds. Je vais me chauffer en vous attendant et donner au diable toutes les tragédies, toutes les comédies du monde. C'est mercredi qu'il fallait y aller. Nous y étions, Grimm, et moi. Je parcourais toutes les secondes avec une lorgnette; mais je n'y voyais point ce que j'y cherchais.

54.Pour l'Encyclopédie.
55.Ici se trouvait le morceau intitulé: Le rosier du poète Sadi, reproduit t. IV, page 483.
56.Ces vers charmants sont de Voltaire. Diderot les citait, de mémoiresans doute, ce qui explique les variantes qu'ils présentent ici. Composés à Cirey, dans l'automne de 1734, lors d'un séjour de Mme Du Châtelet, ils figurent sous le titre de Impromptu fait à un souper dans une cour d'Allemagne, au t. V des Nouveaux mélanges publiés par les frères Cramer, et sous celui de l'Usage de la vie dans une édition des Poésies. Amsterdam, 1764, in-12. Un bibliophile qui signé E. Marnicouche a réimprimé ces stances (moins les deux derniers vers), intitulées cette fois Le bonheur de la vie, sur un texte collationné par M. Clogenson. (Rouen, Cagniard J., 1868, 40 ex. sur papier rose.)
57.Sans doute encore Don Carlos, joué sur un théâtre particulier.
58.Le Spartacus de Saurin avait été donné pour la première fois le 20 février 1760, et repris avec des changements le 21 avril suivant.
59.Et Tartuffe? (Molière, le Tartuffe, acte I, sc. 5.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
760 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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