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Читать книгу: «Lettres à Mademoiselle de Volland», страница 43

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CXIX

À Paris, le 15 novembre 1768.

Je vous supplie, mon amie, de ne pas vous plaindre de ma négligence: je réponds sur-le-champ. Votre dernière me parvint le 13 novembre, et votre avant-dernière était datée des derniers jours d'octobre.

Je n'ai pas eu le moindre doute que maman, bonne, humaine, bienfaisante, heureuse comme le sont presque toujours les personnes prudentes, n'aquiesçât à la proposition que je lui faisais. J'en ai prévenu Gatti, qui attend son retour avec la même impatience que moi, et qui ne demande pas mieux que de l'initier dans cette pratique de l'inoculation. Il faut qu'au même moment où je la sollicite, le hasard lui envoie une pauvre créature aveuglée par la petite vérole naturelle pour appuyer ma demande.

Ne craignez-vous pas que cette méchante femme n'apprenne ou ne soupçonne que vous êtes au fond de cette petite correction, et qu'elle ne fesse quelque coup de tête violent? Mes amies, prenez-y garde.

Le portrait de Mme Bouchard a été gâté chez elle, et gâté presque sans ressource; l'artiste y a fait ce qu'il a pu, et il est à peu près comme au sortir de ses mains.

J'oubliais de vous dire qu'il est sorti du petit hôpital de Gatti soixante et un enfants inoculés sans qu'il y en ait eu un seul alité.

J'embrasse de tout mon cœur le garçon chirurgien qui s'occupe à bien faire depuis le matin jusqu'au soir, et qui sait si grand gré à ceux qui le suivent de loin.

Je crois que vous m'aimez toujours; je m'en rapporte plus volontiers à votre goût pour la justice qu'aux apparences.

Pour maman, je suis très-sûr que je lui suis cher: cela tout simplement parce qu'elle vous permet de me le dire.

Quel diable d'amphigouri me faites-vous sur les grains? Il y a à la halle deux sortes de fermes: il y a de la ferme dite malicet, du nom de celui qui la fournit, qui est plus belle, plus chère, et peut-être dans des sacs cachetés.

J'aime la conduite de vos magistrats; il est rare que des officiers municipaux aient cette fermeté-là.

Si je ne me mêle pas de tramer le cher parent dans la boue, je l'abandonnerai à un certain Target qui s'en acquittera bien pour moi.

J'avoue que je ne connais pas quelle affaire nous pouvons avoir à démêler avec lui. Il a fait ses demandes; elles ont été accordées. Il était fondé de procuration; il a transigé pour lui et ses ayants cause. C'est donc un libelle qu'il veut publier; il font l'attendre, et avoir confiance dans nos ongles et ceux des lois.

C'est un conte que le bel ange: il y a eu ici quelque rumeur; mais il était question de tout autre chose.

Écoutez la bonne, la grande, l'heureuse nouvelle: Mme Therbouche est partie; elle s'avance de dimanche au soir, entre neuf et dix, vers Bruxelles, dans une chaise de poste; car elle n'a jamais voulu honorer la diligence de sa personne. Il y a cent autres traits de puérile vanité de cette force-là.

Je suis chargé de l'achat de tous les tableaux Gaignat, et je vais y procéder.

Je vous ai dit que Grimm m'avait fait bien du mal.

Hier, ce fut la répétition de la même scène avec le Baron.

Ces gens-là ne veulent pas que je sois moi; je les planterai tous là, et je vivrai dans un trou: il y a longtemps que ce projet me roule par la tête.

Damilaville est moribond. Plus de force, pas même pour faire un pas. Plus d'appétit; nausées, défaillances, et abandon de médecin.

Je ne saurais vous répondre sur l'histoire des portraits: je ne sais plus ce que c'est. Aussi y a-t-il toujours une bonne quinzaine entre mes lettres et os réponses! Voulez-vous parler de la mystification? Les embarras d'un départ prochain ont tout suspendu, et le départ tout réduit à rien. Il ne nous reste de cela qu'une scène excellente, l'attente trompée de trois ou quatre autres, mais point de portraits.

Je n'ai point vu M. Trouard. J'attends toujours sa visite promise par l'abbé. S'il ne vient pas, j'irai.

Ce dîner, je crois vous l'avoir dit, était un guet-apens où j'aurais bien donné sans un de ces hasards de ce pays-ci Je devais me trouver en tête-à-tête avec Mme de Coaslin. Cela s'est éventé par la Guimard qui le savait, et qui le confia à un libertin de sa société qui m'en avertit. Ô la belle contrée où un libertin tient un philosophe par la main, et où la duchesse n'est séparée de la fille que par un intermédiaire commun qui dit souvent à la fille ce qu'il laisse ignorer à la duchesse!

J'espère quelquefois que M. Trouard veut me présenter la nomination de l'abbé; c'est un tour tout à l'ait à la façon de l'autre: il faut voir, et ne pas le leurrer de fausses espérances.

Perdez, madame, perdez au trictrac tant qu'il vous plaira, mais n'allez pas gagner au whist; cela ne serait pas honnête.

Ah! voilà M. l'abbé Marin arrivé! J'entendrai parler de vous quand il plaira à Dieu. Mais je commence à me résigner à tout.

Je savais tout ce que vous me dites de M. et de Mme Duclos; celui-ci est bien heureux de ne pouvoir vieillir; je lui envie ce secret, et le plaisir d'être auprès de vous. Voilà une ligne que vous ne passerez pas, parce qu'écrite elle ne signifie pas grand'chose, et que passée, on y mettrait de l'importance.

Agréez tout mon respect.

CXX

Paris, le 22 novembre 1768.

MESDAMES ET BONNES AMIES,

Votre départ n'est pas encore fixé. Est-ce que ces mauvais temps-ci ne hâteront pas votre retour? Que faites-vous au château d'Isle, que vous ne fissiez mieux encore dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre? Il y a là un jardinet pour le premier rayon du soleil; des amis que vous désirez et qui vous attendent; une petite table verte sur laquelle on peut s'accouder; des nouvelles vraies ou fausses qu'on tient de la première main; un âtre autour duquel on peut se presser dans les grands froids; quelques amusements que rien ne peut remplacer à la campagne, lorsque la pluie, les vents, les frimas, ne permettent plus de s'éloigner de la maison. Il y a des jours où nous ferions bien à trois ou quatre la monnaie de l'abbé Marin.

Où est le temps où mon impatience, mon dépit, ma colère vous auraient M grand plaisir? où vous auriez été enchantée que je n'eusse donné le temps ni à mes lettres ni à vos réponses d'arriver? où deux jours passés sans avoir entendu parler de moi m'auraient été reprochés comme un silence de deux semaines? Cela vous paraît injuste aujourd'hui: vous êtes d'une justesse admirable dans vos calculs; on ne saurait avoir plus de raison que vous en avez acquis; vous ne vous fâchez plus; vous ne voulez plus que je me fâche; voilà qui est dit: je ne me fâcherai plus.

Mme Van Loo a pensé mourir d'une humeur dartreuse qui s'était jetée sur la poitrine; mais les crachements de sang purulent ont cessé, et elle court les rues jusqu'à nouvel ordre.

Mme de Coaslin ne me verra pas: je l'ai déclaré net à M. Dubucq, qui entrait chez moi au moment même où j'ouvrais le gros paquet de Mme de Blacy. Dites à cette bonne mère d'être parfaitement tranquille sur le compte de son fils; il a tout ce qu'il lui faut, j'en ai la parole expresse de M. Dubucq qui n'est homme ni à promettre ce qu'il ne veut pas faire, ni à garantir comme fait ce qui ne l'est pas. Les lettres que vous m'adressez par Damilaville me parviennent franches; si je ne vous ai pas répondu plus tôt sur cet article, c'est qu'il est on ne saurait moins important.

D'où je connais Mlle Guimard? Mais, de tout temps, il y a eu cent moyens, et, à mon âge, il y a cent raisons de connaître la Guimard. On trouve dans ces filles-là je ne sais combien de ressources essentielles qu'on ne peut espérer dans une honnête femme, sans compter celle d'être avec elles comme on veut: bien, sans vanité; mal, sans honte. Au reste, c'est M. de Falbaire, l'auteur de l'Honnête criminel, qui la fréquente, je ne sais pas pourquoi, qui m'a garanti, par son indiscrétion, de l'embûche de M. Dubucq et de Mme de Coaslin.

Je me suis trouvé au rendez-vous mystérieux; mais je me suis refusé net à ce qu'on en attendait. Qu'en attendait-on? Si maman se met à y rêver, elle le trouvera avant la fin de deux ourlets. Pour vous, mesdames, je vous conseille de ménager vos têtes: cela est au-dessus de vos forces.

Que diable votre religieuse ne jette-t-elle son froc aux orties, et ne se réfugie-t-elle dans quelque coin ignoré où elle vivrait et mourrait en paix? Donnez-lui ce conseil que Mlle de Blacy ne désapprouvera pas. Il faut être Épictète en personne pour ne se pas damner dans un cachot.

J'y ferai de mon mieux pour qu'elles vous parviennent, ces fables de Voltaire; mais vous seriez bien aimables de venir les chercher. C'est entendre assez mal son intérêt que de vous envoyer de l'amusement; si vous pouvez avoir la ville à la campagne, je ne vois plus de raison de revenir de la campagne à la ville.

Raccommodé avec Grimm? Mais oui, ou à peu près, je le crois; la chose s'est faite comme je l'avais prédite: j'ai eu la douleur et ne me suis pas sauvé de la visite.

Le prince est venu passer deux heures chez moi en chenille231: c'était le mercredi Le jeudi, je passai toute la journée avec lui chez le Baron, sans le connaître, du moins à ce qu'ils croyaient tous; mais le Baron m'avait averti, et les trompeurs ont été trompés; j'ai joué mon rôle comme un ange232.

À propos de Sainte-Périne, c'est une nièce de M. de Neufond que nous avons épousée; je ne le sais que d'aujourd'hui; jugez combien l'oubli de toute cette histoire est nécessaire.

J'ai démontré à notre artiste, deux heures avant son départ, qu'en moins de quinze mois elle avait dépensé à peu près huit cents buis. Elle est partie; elle est à Bruxelles. Le prince Galitzin la remettra dans sa patrie, dans sa famille, avec dignité, et ce ne sera pas de ma faute si son fils n'est pas secrétaire d'ambassadeur.

L'ami Naigeon s'empiége tant qu'il peut. Eheu! quanto laboras in Charybdi, digne puer meliore flammâ! M. l'abbé Marin vous expliquera ce latin-là. Au reste, la belle dame a pensé mourir d'une vapeur hystérique accompagnée subitement d'une inflammation de bas-ventre et d'une perte.

Vous avez raison de regretter un peu la lecture de ce Salon; car il y a, ma foi, d'assez belles choses, et d'autres moins sérieuses et plus amusantes.

Je ne sais qui plaidera pour notre mal baptisée. Si vous avez un peu médité cette affaire, vous y aurez vu plus de difficultés qu'elle n'en présente d'abord233.

Avant que de prononcer si ferme sur votre exactitude, je voudrais savoir à quel numéro j'en suis.

Il n'y a plus de bon vin dans la cave de ma sœur; elle m'a envoyé les deux malheureuses pièces qui restaient.

Chanson que tout ce que vous me dites de maman. Voici le fait. Vous lui persuadez qu'elle a les jambes mauvaises. Mme de Blacy lui fait compagnie; et vous allez courir les champs en tête-à-tête avec l'abbé. Cela n'est pas maladroit.

Je suis fou à lier de ma fille. Elle dit que sa maman prie Dieu et que son papa fait le bien; que ma façon de penser ressemble à mes brodequins, qu'on ne met pas pour le monde, mais pour avoir les pieds chauds; qu'il en est des actions qui nous sont utiles et qui nuisent aux autres, comme de l'ail qu'on ne mange pas quoiqu'on l'aime, parce qu'il infecte; que, quand elle regarde ce qui se passe autour d'elle, elle n'ose pas rire des Égyptiens; que si, mère d'une nombreuse famille, il y avait un enfant bien méchant, bien méchant, elle ne se résoudrait jamais à le prendre par les pieds et à lui mettre la tête dans un poêle. Et tout cela en une heure et demie de causerie, en attendant le dîner.

Je l'ai trouvée si avancée, que dimanche passé, chargé par sa mère de la promener, j'ai pris mon parti et lui ai révélé tout ce qui tient à l'état de femme, débutant par cette question: «Savez-vous quelle est la différence des deux sexes?» De là, je pris occasion de lui commenter toutes ces galanteries qu'on adresse aux femmes. « Cela signifie, lui dis-je: Mademoiselle, voudriez-vous bien, par complaisance pour moi, vous déshonorer, perdre tout état, vous bannir de la société, vous renfermer à jamais dans un couvent, et faire mourir de douleur votre père et votre mère?» Je lui ai appris ce qu'il fallait dire et taire, entendre et ne pas écouter; le droit qu'avait sa mère à son obéissance; combien était noire l'ingratitude d'un enfant qui affligeait celle qui avait risqué sa vie pour la lui donner; qu'elle ne me devait de la tendresse et du respect que comme à un bienfaiteur; qu'il n'en était pas ainsi de sa mère; quelle était la vraie base de la décence, la nécessité de voiler des parties de soi-même dont la vue inviterait au vice. Je ne lui laissai rien ignorer de tout ce qui pouvait se dire décemment, et là-dessus, elle remarqua qu'instruite à présent, une faute commise la rendrait bien plus coupable, parce qu'il n'y aurait plus ni l'excuse de l'ignorance, ni celle de la curiosité. À propos de la formation du lait dans les mamelles et de la nécessité de l'employer à la nourriture de son enfant ou de le perdre par une autre voie, elle s'écria: «Ah! mon papa, qu'il est horrible d'aller jeter dans la garde-robe l'aliment de son enfant!» Quel chemin on ferait faire à cette tête-là, si l'on osait! fine s'agirait que de laisser tramer quelques livres.

J'ai consulté sur cet entretien quelques gens sensés; ils m'ont tous dit que j'avais bien fait. Serait-ce qu'il ne faut point blâmer une chose à laquelle il n'y a plus de remède?

Elle m'a dit qu'elle ne s'était jamais occupée de ces choses-là, parce qu'il viendrait apparemment un moment où il conviendrait de les lui apprendre: qu'elle n'avait pas encore songé au mariage; mais que si cette fantaisie l'importunait, elle ne s'en cacherait pas, et qu'elle nous dirait nettement à sa mère et à moi: «Papa, maman, mariez-moi»; parce qu'elle ne voyait point de honte à cela.

Si je perdais cet enfant, je crois que j'en périrais de douleur: je l'aime plus que je ne saurais vous dire.

La dévotion qui impose des pratiques affligeantes donne communément de l'humeur qui se répand sur les autres.

Enfin, l'abbé Galiani s'est expliqué net. Ou il n'y a rien de démontré en politique, ou il l'est que l'exportation est une folie. Je vous jure, mon amie, que personne jusqu'à présent n'a dit le premier mot de cette question; je me suis prosterné devant lui pour qu'il publiât ses idées. Voici seulement un de ses principes: Qu'est-ce que vendre du blé? C'est échanger du blé contre de l'argent. Vous ne savez pas ce que vous dites: c'est échanger du blé contre du blé. A présent pouvez-vous jamais échanger avec avantage le blé que vous avez contre du blé qu'on vous vendra? Il nous montra toutes les branches de cette loi; et elles sont immenses. Il nous expliqua la cause de la cherté présente; et nous vîmes que personne ne s'en était douté. Je ne l'ai jamais écouté de ma vie avec autant de plaisir.

Encore une fois, bonnes amies, prenez garde que la méchante femme ne vous devine. Eh! quelle anicroche voulez-vous que votre remboursement souffre?

Je ne sais ce que vous voulez dire avec votre barrière de Charenton: vous avez mal lu, ou je n'ai su ce que j'écrivais.

Je vous ai dit ce qui était arrivé du portrait de Mme Bouchard, quoi que l'artiste ait pu faire, il est resté un peu nébuleux, défaut qu'on n'aurait pu lui ôter qu'en le repeignant en entier.

Eh! vraiment oui, le jeune roi nous aurait vus tous! C'était une affaire arrangée en dépit de ses, ministres et des nôtres. Nous devions dîner chez le baron de Gleichen; il devait survenir et nous surprendre, mais il est tombé malade, excédé de fêtes et d'ennui Le baron prétend que c'est seulement une partie remise; je le souhaite, afin de montrer à ces ânes-là que l'on fait ailleurs quelque cas de nous. Je ne voulais pas être de ce dîner; voilà ce qui a occasionné entre le Baron et moi précisément la même scène que j'avais eue huit jours auparavant avec Grimm234.

Les bienfaits ne nous réussissent pas. Nous avons donné gîte à une de nos compatriotes qu'une affaire malheureuse avait appelée à Paris. Elle s'est amusée pendant trois mois à mettre, par ses caquets, tout mon peuple en combustion.

Tandis que vous restez là, casanières à Isle, vous ne savez pas combien vous me serviriez à Paris. Je viens de recevoir ordre de l'impératrice de faire l'acquisition du cabinet Gaignat.

Il pleut des bombes dans la maison du Seigneur; je tremble toujours que quelqu'un de ces téméraires artilleurs-là ne s'en trouve mal Ce sont des Lettres philosophiques traduites ou supposées traduites de l'anglais de Toland; ce sont des Lettres à Eugénie, c'est la Contagion sacrée; c'est l'Examen des prophéties; c'est la Vie de David ou de l'homme selon le cœur de Dieu235: ce sont mille diables déchaînés. Ah! madame de Blacy, je crains bien que le Fils de l'Homme ne soit à la porte; que la venue d'Élie ne soit proche, et que nous ne touchions au règne de l'Antéchrist. Tous les jours, quand je me lève, je regarde par ma fenêtre, si la grande prostituée de Babylone ne se promène point déjà dans les rues, avec sa grande coupe à la main, et s'il ne se fait aucun des signes prédits dans le firmament. Que faites-vous à Isle? Revenez-vous-en vite ici, afin que nous assistions tous ensemble à la résurrection générale des morts. Si vous attendez que le soleil s'éteigne, comment ferez-vous pour revenir à Paris? il ne fait pas bon voyager quand on ne voit goutte.

Mais M. Trouard ne vient point; si je l'allais voir, ferais-je donc si mal?

Je vous salue et vous embrasse toutes ensemble, et chacune en particulier, avec les distinctions qui conviennent.

Je me porte bien aussi de mon côté, avec de la limonade le matin et du lait froid le soir. Gatti prétend que ce régime n'est pas si fou qu'on croirait bien.

Je ne m'endors pas comme vous, mademoiselle, quoiqu'il en soit bien l'heure.

CXXI

Paris, le 24 juillet 1769.

MESDAMES ET BONNES AMIES,

Grondez-moi un peu; mais plaignez-moi beaucoup. Je me porte bien, je ne sais pour jusqu'à quand. Joignez à l'accablement du travail celui de la chaleur; je ne crois pas avoir autant travaillé de ma vie. Je me couche de bonne heure; je me lève de grand matin; et tant que la journée dure, je suis attaché à mon bureau. Je veux absolument qu'à votre retour, vous me trouviez dégagé de tout lien. Mes libraires veulent publier deux volumes à la fois; ainsi voyez-moi entouré de planches de la tête aux pieds. L'absence de Grimm me donne une peine que je ne connaissais pas236 Je ne voudrais pas, pour autant d'or que je suis gros, continuer cette corvée le reste de ma vie. Et puis l'ouvrage de l'abbé Galiani237 qu'il a fallu lire, relire et corriger. Ajoutez à cela toutes les distractions occasionnées par la bienfaisance et les importuns, qui, sûrs de me trouver chez moi, s'y rendent plus communs que jamais. Vous m'adressez des reproches de tous côtés; il m'en vient d'Isle par mon amoureuse, il m'en vient de la rue des Vieux-Augustins par Mme Bouchard, il m'envient de la rue Sainte-Anne par M. Digeon; et ceux que je me fois à moi-même, je vous assure que ce ne sont pas les moins durs. Malgré ma négligence, si vous ne voulez pas me châtier trop durement, croyez que je vous suis aussi tendrement attaché que jamais.

J'oubliais, parmi les occupations qui prennent mon temps, les soins que je prends de l'éducation de mon enfant: ah! mademoiselle, la jolie enfant que j'ai là. Je vous jure qu'elle vous ferait tourner la tête à toutes. Il est incroyable le chemin que cette imagination a fait toute seule, combien cela a rêvé! combien cela a réfléchi! combien cela a vu de choses! Il y a quelques jours que je lui confiai un ouvrage assez fort pour son âge; à moitié de la lecture, elle me dit: «Cet homme-là ne m'a rien appris jusqu'à présent; j'en savais autant que lui»; et je jugeai aux réponses qu'elle fit à mes questions qu'elle disait vrai Voilà tout mon bonheur pendant votre absence.

Bonjour, mes bonnes et tendres amies, comptez que les moments que je pourrai vous refuser, je vous les restituerai bien à votre retour. Je me prosterne aux pieds de maman, et je la supplie de ne me plus faire les gros yeux. Je tâcherai à l'avenir d'être un peu plus joli garçon. J'embrasse Mme de Blacy de tout mon cœur. Vous, mademoiselle, tendez-moi la main et faisons la paix. Quand j'y pense, je ne conçois pas moi-même comment on peut alarmer, inquiéter, faire du mal à celle qu'on aime, quand il ne faut que quatre lignes bien douces pour le lui épargner, et que l'âme, toujours la même, en dicterait un cent tout de suite. Je vous prie de dire à Mme de Blacy que je n'ai rien négligé jusqu'à présent de toutes les petites commissions qu'elle m'a données; je ne désespère point des bons offices de M. Fontaine: un homme qui craint de s'éloigner sans donner signe de vie me paraît bien intentionné. M. Fontaine m'est venu voir purement et simplement pour me rassurer sur son silence et son absence. J'oubliais de vous dire que j'avais risqué d'aller voir Mme Bouchard, et que j'avais été effrayé au premier aspect de son mari; il faut qu'il ait été à toute extrémité. J'ai bien peur qu'elle n'ait un peu enchéri sur les injures dont on l'avait chargée pour moi.

Bonjour, mesdames et tendres amies, Aimez-moi toujours avec mon défaut; je tâcherai de m'amender. Voilà pourtant un Salon qui me va tomber sur le corps238. C'est bien dommage que je ne puisse plus vous rendre compte de mes pensées comme autrefois; je vous proteste que nous y perdons tous des moments fort doux. Avez-vous fait de belles récoltes? Êtes-vous bien riches cette année? Quoique je ne vous dise rien de ma vie, ne me laissez rien ignorer de la vôtre, à laquelle je ne saurais prendre un médiocre intérêt sans être le plus ingrat des hommes.

231.En chenille, en négligé, expression du temps.
232.Il paraît qu'en effet Diderot le joua très-bien, car Grimm, dans sa Correspondance, 15 décembre 1768, rend compte de cette journée, et s'amuse de l'ignorance où était Diderot du rang du jeune étranger. (T.)
233.Voir précédemment, p. 297.
234.Diderot vit Christian VII le 20 novembre 1768, à l'hôtel d'York, où tout le parti philosophique avait été convoqué. Grimm (Corr. litt., 15 décembre 1768) a donné d'intéressants détails sur ces présentations.
235.Tous ces ouvrages, imprimes en 1768, à Amsterdam, sous la rubrique de Londres, sont du baron d'Holbach, aidé de Naigeon.
236.Diderot s'était chargé de continuer sa Correspondance.
237.Dialogues sur le commerce des blés. Londres (Paris, Merlin), 1770, in-8.
238.Celui de 1769.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
760 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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