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Читать книгу: «Lettres à Mademoiselle de Volland», страница 21

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LVI

Paris, le 1er décembre 1760.

Non, je ne vous attends plus. Je souffre trop à être trompé. J'ai remis votre lettre à Mlle Boileau. J'ai plaisanté M. de Prisye sur les dernières lignes de celle que je lui ai envoyée de vous. Tout cela s'est fort bien passé, et je suis chargé de vous présenter les amitiés de tout le monde. On vous aime ici et on vous y estime beaucoup. Ce n'est point un compliment flatteur qu'on veuille me faire.

Voici donc de nouvelles brouilleries qui s'apprêtent119; vous en jugerez par un arrêt du Parlement, que je vous envoie. Autre nouvelle qui vous fera plus de plaisir. On joue à présent à Marseille le Père de Famille. Je suis désolé de ne pouvoir vous envoyer la gazette qui fait mention de son succès. Toutes les têtes en sont tournées. Entre autres choses qu'on y dit, et qui me font plaisir, c'est qu'à peine la première scène est-elle jouée, qu'on croit être en famille, et qu'on oublie qu'on est devant un théâtre. Ce ne sont plus des tréteaux, c'est une maison particulière. Si ces gens-là ont parlé d'après l'impression, il faut qu'elle ait été bien violente. Jamais aucune pièce n'a été louée comme elle est là. On la rejoue pour une actrice à qui on fait le cadeau de la recette d'une représentation. Un mot encore là-dessus: c'est qu'on ajoute que la difficulté de la déclamation et du jeu n'a pas, à beaucoup près, autant dérouté les acteurs qu'on le craignait.

Malgré moi, malgré vous, il a bien fallu écrire à cet illustre réfugié du lac120. Il a écrit deux lettres charmantes, l'une à Thiriot, l'autre à Damilaville; elles sont pleines des choses les plus douces et les plus obligeantes. Thiriot a été chargé de me remettre les vingt volumes reliés de ses œuvres. Je les reçus mercredi; vendredi mon remerciement était fait, il était en chemin pour Genève le samedi Damilaville et Thiriot disent qu'il est fort bien. C'est une critique assez sensée de son Tancrède, c'est un éloge de ses ouvrages, surtout de son Histoire universelle121, dont ils pensent que j'ai parlé sublimement; c'est une excuse de ma paresse, c'est une exhortation à nous conserver une vie que je regarde comme la plus précieuse et la plus honorable à l'univers: car on a des rois, des souverains, des juges, des ministres en tout temps; il faut des siècles pour recouvrer un homme comme lui, etc.

Trois hommes, M. de Limoges, M. Watelet, M. de La Condamine, concourent pour entrer à l'Académie. Il n'y avait que deux places vacantes; M. de Limoges, à qui la première était assurée, s'est retiré, afin qu'aucun de ses deux concurrents n'eût le désagrément d'un refus. Cela est bien honnête. Il se fait cent mille actions comme celle-là par jour. Nous nous sommes arraché le blanc des yeux, Helvétius, Saurin et moi. Hier au soir ils prétendaient qu'il y avait des hommes qui n'avaient aucun sentiment d'honnêteté, ni aucune idée de l'immortalité; nous plaidions avec chaleur, comme il arrivera toujours quand on aura des femmes pour juges. Mme de Valory, Mme d'Épinay, Mme d'Holbach siégèrent. J'avouais que la crainte du ressentiment était bien la plus forte digue de la méchanceté, mais je voulais qu'à ce motif on en joignît un autre qui naissait de l'essence même de la vertu, si la vertu n'était pas un mot. Je voulais que le caractère ne s'en effaçât jamais entièrement, même dans les âmes les plus dégradées; je voulais qu'un homme qui préférait son intérêt propre au bien public sentît plus ou moins qu'on pouvait faire mieux, et qu'il s'estimât moins de n'avoir pas la force de se sacrifier; je voulais, puisqu'on ne pouvait pas se rendre fou à discrétion, qu'on ne pût pas non plus se rendre plus méchant; que si l'ordre était quelque chose, on ne réussît jamais à l'ignorer comme si de rien n'était; que, quelque mépris que l'on fît de la postérité, il n'y eût personne qui ne souffrît un peu si on l'assurait que ceux qu'il n'entendrait pas diraient de lui qu'il était un scélérat. Cela fût vif; mais ce qui me plut singulièrement, c'est qu'à peine la dispute fut-elle apaisée, que ces honnêtes gens-là, sans s'en apercevoir, dirent les choses les plus fortes en faveur du sentiment qu'ils venaient de combattre. Ils disaient d'eux-mêmes la réfutation de leur opinion, mais Socrate, à ma place, la leur aurait arrachée; puis il aurait mis leur discours du moment en contradiction avec leur discours du moment précédent, puis il leur aurait tourné le dos en souriant finement. Chère amie, si vous vouliez faire usage de cette méthode avec la finesse, le sang-froid, la justesse que vous avez, personne n'y réussirait comme vous, et vous seriez mon Aspasie. Cette Aspasie-là de Socrate n'était pas si sage que vous. J'ai mille choses à faire. Je devrais être à l'Hôtel des Fermes, je devrais être chez le caissier de M. de Saint-Julien, je devrais être chez Mme d'Épinay, et je suis avec vous, et je ne saurais vous quitter. Adieu, mon amie. Ah! vous ne m'aimez pas comme je vous aime. Vous ne prenez pas le retard de votre retour comme moi. Tant mieux: vous seriez trop à plaindre, si vous étiez aussi malade d'amour que moi. Il est fait, ce portrait qui me ressemble; il sera chez Grimm demain. C'est lui qui m'aura. Adieu, adieu.

LVII

À Paris, le 12 septembre 1761.

J'ai l'âme flétrie de tous côtés. Il y avait environ vingt-cinq jours que je n'avais aperçu mon enfant, je l'ai trouvée tout à fait empirée. Elle grasseyé, elle minaude, elle grimace; elle connaît tout le pouvoir de son humeur et de ses larmes; elle boude et pleure pour rien; elle a la mémoire pleine de sots rébus; elle est dégingandée; on n'en peut venir à bout; le goût du travail et de la lecture, qui lui était naturel, se perd. Je vois tout cela, et je m'en désolerais, si l'effet de ma présence depuis quelques jours ne me laissait espérer quelque réforme. Elle est grande, elle est assez bien de visage, elle a de l'aptitude à tous les exercices du corps et de l'esprit; Uranie ou sa sœur en aurait fait un sujet surprenant. Sa mère, qui s'en est emparée, ne souffrira jamais que j'en fasse quelque chose. Eh bien! elle ressemblera à cent mille autres, et si elle a un sot mari, comme il y a cent mille à parier contre un que cela arrivera, elle en sera moins mécontente que si une meilleure éducation l'eût rendue plus difficile.

Autre sujet de peine. Cette terrible révision est finie. J'y ai passé vingt-cinq jours de suite, à dix heures de travail par jour. Mes corsaires ont tous leurs manuscrits sous les yeux. C'est une masse énorme qui les effraye. Ils surfont eux-mêmes mon travail, et moi je dis: «Donc, je n'en obtiendrai rien. La conséquence est juste. S'ils avaient envie de le payer, ce travail, ils le déprimeraient.» Je suis si sûr de ma logique, que je ne m'attends à rien, mais à rien absolument. Si par hasard je me suis trompé, je ne rougirai point d'en convenir; mais je ne me trompe pas, je gage ce qu'on voudra.

Grimm arrive ce soir de la Chevrette. Je lui avais promis d'aller au Salon, et de lui esquisser un jugement rapide des principaux morceaux qui y sont exposés; le dégoût, l'ennui, la mélancolie m'ont empêché de lui tenir parole, et c'est encore un chagrin pour moi.

Comme je finissais hier la lettre que je vous écrivis, arriva l'abbé de La Porte, ami du directeur des eaux de Passy, qui nous raconta les détails suivants de l'aventure de la petite Hus122. Mais je suis bien maussade aujourd'hui pour entamer une chose aussi gaie; n'importe, quand vous l'aurez lue, vous fermerez ma lettre, et vous en ferez de vous-même un meilleur récit.

M. Bertin123 a une maisonnette de 50,000 à 60,000 francs à Passy; c'est là qu'il va passer une partie de la belle saison avec Mlle Hus.

Cette maison est tout à côté des vieilles eaux. Le maître de ces eaux est un jeune homme beau, bien fait, leste d'action et de propos, ayant de l'esprit et du jargon, fréquentant le monde, et en possédant à fond les manières. Il s'appelle Vielard. Il y avait environ dix-huit mois que l'équitable Mlle Hus avait rendu justice dans son cœur au mérite de M. Vielard, et que M. Vielard avait rendu justice dans le sien aux charmes de Mlle Hus. Dans les commencements, M. Bertin était enchanté d'avoir M. Vielard; dans la suite il devint froid avec lui, puis impoli, puis insolent; ensuite il lui fit fermer sa porte, ensuite insulter par ses gens. M. Vielard aimait et patientait. Il y eut avant-hier huit jours que M. Bertin s'éloigna de Mlle Hus sur les dix heures du matin, pour aller de Passy à Paris. Il faut passer sous les fenêtres de M. Vielard. Celui-ci ne s'est pas plus tôt assuré que son rival est au pied de la montagne, qu'il sort de chez lui, s'approche de la porte de la maison qu'habite Mlle Hus, la trouve ouverte, entre, et monte à l'appartement de sa bien-aimée. À peine est-il entré que toutes les portes se ferment sur lui M. Vielard et Mlle Hus dînèrent ensemble. Le temps passe vite; il était quatre heures du soir qu'ils ne s'étaient pas encore dit toutes les choses douces qu'ils avaient retenues depuis un temps infini que la jalousie les tenait séparés. Ils entendent le bruit d'un carrosse qui s'arrête sous les fenêtres; ils soupçonnent qui ce peut être. Pour s'en assurer, Vielard s'échappe par une garderobe, et grimpe par un escalier dérobé au haut d'un belvédère qui couronne la maison; de là il voit avec effroi descendre M. Bertin de sa voiture; il se précipite à travers le petit escalier; il avertit la petite Hus, et remonte. Il sortait par une porte et M. Bertin entrait par une autre. Le voilà à son belvédère, et M. Bertin assis chez Mlle Hus; il l'embrasse, il lui parle de ce qu'il a fait, de ce qu'il fera: pas le moindre signe d'altération sur son visage. Elle l'embrasse, elle lui parle de l'emploi de son temps et du plaisir qu'elle a de le revoir quelques heures plus tôt qu'elle ne l'attendait. Même assurance, même tranquillité de sa part. Une heure, deux heures, trois heures se passent. M. Bertin propose un piquet, la petite Hus l'accepte. Cependant l'homme du belvédère profite de l'obscurité pour descendre, et s'adresser à toutes les portes qu'il trouve fermées. Il examine s'il n'y aurait pas moyen de franchir les murs; aucun, sans risquer de se briser une ou deux jambes. Il regagne sa demeure aérienne; Mlle Hus, de son côté, a, de quart d'heure en quart d'heure, des petits besoins. Elle sort, elle va de son belvédère dans la cour, cherchant une issue à son prisonnier, sans la trouver. M. Bertin voit tout cela sans rien dire; le piquet s'achève; le souper sonne; ou sert; on soupe. Après le souper, ou cause. Après avoir causé jusqu'à minuit, on se retire, M. Berlin chez lui, Mlle Hus chez elle. M. Bertin dort ou paraît dormir profondément. La petite Hus descend, va dans les offices, charge sur des assiettes tout ce qui lui tombe sous la main, sert un mauvais souper à son ami, qui se morfondait au haut du belvédère, d'où il descend dans son appartement. Après souper, on délibère sur ce qu'on fera. La fin de la délibération, ce fut de se coucher, pour achever de se communiquer ce qu'on pouvait encore avoir à se dire. Ils se couchèrent donc; mais comme il y avait un peu plus d'inconvénient pour M. Vielard à se lever une heure trop tard qu'une heure trop tôt, il était tout habillé, lorsque M. Bertin, qui avait apparemment fait la même réflexion, vint sur les huit heures frapper à la porte de Mlle Hus; point de réponse. Il refrappe, on s'obstine à se taire. Il appelle, on n'entend pas. Il descend, et tandis qu'il descend, la garde-robe de Mlle Hus s'ouvre, et Vielard regrimpe au belvédère. Pour cette fois, il y trouve en sentinelles deux laquais de son rival. Il les regarde sans s'étonner, et leur dit: «Eh bien! qu'est-ce qu'il y a? Oui, c'est moi, pourquoi toutes les portes sont-elles fermées? » Comme il achevait cette courte harangue, il entend du bruit sur les degrés au-dessous de lui. Il met l'épée à la main, il descend, il rencontre l'intendant de M. Bertin, accompagné d'un serrurier; il présente la pointe de l'épée à la gorge du premier, en lui criant: «Descends, suis-moi et ouvre, ou je te tue.» L'intendant, effrayé du discours et de la pointe qui le menaçait, oublie qu'il est sur un escalier, se renverse en arrière, tombe sur le serrurier, et le culbute. L'intrépide Vielard profite de leur chute, leur passe sur le ventre, saute le reste des degrés, arrive dans la cour, va à la principale porte où il trouve un petit groupe de femmes qui jasaient tout bas. Il leur crie d'une voix troublée, d'un œil hagard, et d'une épée qui lui vacillait dans les mains; «Qu'on m'ouvre!» Toutes ces femmes effarouchées se sauvent en poussant des cris. Vielard aperçoit la grosse clef à la porte, il ouvre; le voilà dans la rue, et de la rue, en deux sauts, chez lui Deux heures après on aperçoit M. Berlin qui regagnait Paris dans sa voiture, et deux autres heures après Mlle Hus en fiacre, environnée de paquets, qui regagnait la grande ville, et le lendemain un fourgon qui transportait tous les débris d'un ménage. Il y avait quinze ans qu'ils vivaient ensemble; M. Bertin en avait eu une poussinée d'enfants. Ces enfants, une vieille passion le tireront; il suivra; il demandera à rentrer en grâce, et il sera exaucé pour dix mille écus; voilà la gageure que je propose à quiconque voudra124.

Je répondrai une autre fois à votre numéro 25 que je reçois. Écrivez sur-le-champ, ou plutôt faites écrire par Uranie sur la première lettre que vous écrirez à M. Vialet: Oui vraiment, oui l'Anjou, et le plus tôt que faire se pourra. Il entendra ces mots, il les baisera. Je serai servi promptement, et j'en aurai l'obligation à Uranie. Ajoutez, si vous voulez, qu'il y a dans sa lettre un diable m 'emporte qui m'a fait mourir de rire; croyez qu'il peut compter sur mon dévouement en tout et partout.

LVIII

À Paris, le 17 septembre 1761.

J'ai l'âme toute renversée. Je ne vous écris que pour vous empêcher de prendre de l'inquiétude. Vous savez le mal sensible que me causent l'injustice et la déraison; eh bien, imaginez qu'il a fallu en supporter un débordement qui a duré plus de deux heures à s'écouler. Mais dites-moi quel avantage il en reviendra à cette femme, lorsqu'elle m'aura fait rompre un vaisseau dans la poitrine, ou dérangé les fibres du cerveau? Ah! que la vie me paraît dure à passer! combien de moments où j'en accepterais la fin avec joie! Ne vous offensez pas de ces sentiments. Vous êtes loin de moi, et mon cœur est encore tout gonflé. Dans trois ou quatre heures je dormirai. Demain je retrouverai l'amour au fond de cette âme que l'impatience et l'indignation occupent maintenant et tourmentent, les finies s'en seront allées pendant le sommeil; la tendresse et tout son doux cortège reprendra sa place, et je ne voudrai plus mourir. Je vous plaignais d'être séparées; je vous plains d'être l'une à côté de l'autre, sans jouir de ce bonheur.

Ce que vous me dites de l'enterrement et du testament de Clarisse125, je l'avais éprouvé; c'est seulement une preuve de plus de la ressemblance de nos âmes. Seulement encore mes yeux se remplirent de larmes. Je ne pouvais plus lire, je me levai, et je me mis à me désoler, à apostropher le frère, la sœur, le père, la mère et les oncles, et à parler tout haut, au grand étonnement de Damilaville qui n'entendait rien ni à mon transport ni à mes discours, et qui me demandait à qui j'en avais. Il est sûr que ces lectures sont très-malsaines après le repas, et que vous choisissez mal votre moment; c'est avant la promenade qu'il faudrait prendre le livre. Il n'y a pas une lettre où l'on ne puisse trouver deux ou trois textes de morale à discuter.

Uranie, Uranie, chère sœur, vous négligez votre santé! vous perdez votre estomac et vos forces sans ressource; vous serez infirme à la fleur de votre âge, et vous quitterez la vie au moment où vos conseils, votre indulgence et vos secours seraient si nécessaires au petit sauvage. Ce fait quand Télémaque fut chez Calypso qu'il eut besoin de Minerve, et vous risquez de l'abandonner dans le vestibule de la caverne enchanteresse. Vous êtes juste. La vie est une mauvaise chose. Nous en convenons avec vous, elle et moi. Mais il faut la conserver en faveur de ceux à qui on a eu le malheur de la donner.

Non, je ne suis pas pressé de ces fragments; vous me les renverrez quand il vous plaira. Je m'étais presque engagé d'aller retrouver, à la Chevrette, mes pigeons, mes oies, mes poulets, mes canetons et le cher cénobite. C'est une partie remise. Je viens de recevoir de Grimm un billet qui blesse mon âme trop délicate. Je me suis engagé à lui faire quelques lignes sur les tableaux exposés au Salon; il m'écrit que, si cela n'est pas prêt demain, il est inutile que j'achève. Je serai vengé de cette espèce de dureté, et je le serai comme il me convient. J'ai travaillé hier toute la journée, aujourd'hui tout le jour. Je passerai la nuit et toute la journée de demain, et, à neuf heures, il recevra un volume d'écriture.

Il a l'air un peu sot, notre ami Saurin.

Les Cacouacs 126? c'est ainsi qu'on appelait, l'hiver passé, tous ceux qui appréciaient les principes de la morale au taux de la raison, qui remarquaient les sottises du gouvernement et qui s'en expliquaient librement, et qui traînaient Briochet le père, le fils et l'abbé dans la boue. Il ne vous manque plus que de me demander ce que c'est que Briochet. C'est le premier joueur de marionnettes qui ait existé dans le monde. Tout cela bien compris, vous comprendrez encore que je suis Cacouac en diable, que vous l'êtes un peu, et votre sœur aussi, et qu'il n'y a guère de bon esprit et d'honnête homme qui ne soit plus ou moins de la clique.

Vous croyez qu'un jour Saurin saura tout. Il ne sera pas de bonne humeur ce jour-là127.

Oui, la Clytemnestre128 du comte de Lauraguais est en vers, et quelquefois en très-beaux vers. Lorsqu'il me les lisait, je lui disais: «Mais, monsieur le comte, c'est une langue que cela; où l'avez-vous apprise?» On dit qu'il a à côté de lui un nommé Clinchant qui la sait. Mais que m'importe à moi que les beaux vers soient de Clinchant ou du comte? le point important c'est qu'ils soient faits, et ils le sont.

On répand, depuis quelques jours, la mort de Mlle Arnould; cela mérite confirmation. En attendant, l'abbé Raynal m'a fait son oraison funèbre, en me récitant quelques traits d'une conversation qu'elle avait eue avec Mme Portail, et où il m'a semblé que celle-ci avait fait le rôle de catin, et la petite actrice celui d'honnête femme. «Mais, mademoiselle, vous n'avez point de diamants. – Non, madame, et je ne vois pas qu'ils soient fort essentiels à une petite bourgeoise de la rue du Four. – Vous avez donc des rentes? – Des rentes! et pourquoi, madame? M. de Lauraguais a une femme, des enfants, un état à soutenir, et je ne vois pas que je puisse honnêtement accepter la moindre portion d'une fortune qui appartient à d'autres plus légitimement qu'à moi – Oh! par ma foi, pour moi je le quitterais. – Cela se peut, mais il a du goût pour moi, j'en ai pour lui. Ç'a peut-être été une imprudence que de le prendre; mais puisque je l'ai faite, je le garderai…» Je ne me souviens pas du reste. Il me reste seulement l'idée qu'il était aussi malhonnête de la part de la présidente, et aussi honnête de la part de l'actrice.

Votre morale et votre religion sont bonnes. Je n'en ai pas une autre, et je m'en tiens là. Adieu, mes bonnes amies; commencez-vous à entrevoir dans l'éloignement la possibilité de votre retour? Je vous embrasse toutes deux. Mme Le Gendre sur ses joues vermeilles; car elle a seule le secret d'avoir des chairs fraîches et fermes et des joues vermeilles avec une mauvaise santé.

LIX

À Paris, le 22 septembre 1761.

Eh bien! voilà un bon effet de cette lecture. Imaginez que cet ouvrage est répandu sur toute la surface de la terre, et que voilà Richardson l'auteur de cent bonnes actions par jour. Imaginez qu'il fera le bien de toutes les contrées, de longs siècles après sa mort.

Ces deux femmes-là se ressemblaient si fort d'esprit, de caractère, qu'il était difficile que l'une ne se reconnût pas dans l'autre…

Toute la vie d'Uranie se serait passée à dire à un jeune homme: mon ami, voyez combien je suis estimable! combien je suis aimable! estimez-moi tant qu'il vous plaira, mais gardez-vous bien de m'aimer; et le jeune homme aurait fini par en perdre le repos, la tête et la vie.

Où j'étais ces jours derniers qu'il faisait si beau? J'étais enfermé dans un appartement très-obscur, à m'user les yeux, à collationner des planches avec leurs explications, à achever de m'hébéter pour des gens qui ne me donneront pas un verre d'eau lorsqu'ils n'auront plus besoin de moi, et qui ont dès à présent bien de la peine à garder avec moi la mesure.

Vous voilà bien fière d'avoir tremblé que miss Howe ne tombât entre les mains de l'ami Lovelace, et vous me croyez bien humilié d'avoir découvert au fond de mon cœur un sentiment aussi horrible que celui que je vous ai avoué. Affaire de goût, mon amie; envie de compliquer le roman, et puis c'est tout. Cette fille pétulante ne fait que causer; j'aurais voulu la voir en action. Clarisse est un agneau tombé sous la dent d'un loup, et qui n'a pour se garantir que sa pusillanimité, sa pénétration, sa prudence; miss Howe aurait été plus le fait de Lovelace. Ces deux êtres-là se seraient donné du fil à retordre. Un beau jour, Lovelace aurait fait l'insolent, et miss Howe lui aurait arraché la peau du visage avec ses ongles, et peut-être crevé un œil avec la pointe de ses ciseaux. Clarisse tourne ses mains contre elle-même, dans un moment de désespoir. Dans un pareil moment, où l'on n'est plus à soi, miss Howe, machinalement, d'instinct, simplement, parce qu'elle était la fille de son père et de sa mère, aurait tourné les siennes contre son persécuteur. Si les choses s'étaient fait comme je le souhaitais, Clarisse eût été sauvée. Il est fort incertain que notre sublime brigand fût venu à bout de miss Howe; il aurait eu au moins une oreille déchirée; et vous, trouvez-vous qu'il valait mieux que tout se passât comme il s'est passé? À la bonne heure, j'y consens. Je n'aurais pas été lâché, pour sauver Clarisse, d'aventurer un peu son amie. J'ai pensé comme cette amie a cent fois pensé elle-même. Mes souhaits la portaient où elle était tentée d'aller. Cela ne vous convient pas; n'en parlons plus.

Tout ce que vous faites pour Morphyse est fort beau; je le loue. Elle ne vous en chérit pas davantage; mais vos devoirs sont remplis, et vous vous en estimez plus. Et puis je ne sais si l'on n'en acquiert pas une force qu'on n'aurait pas sans cela. On craint de gâter ce qu'on a fait de bien, et l'on en supporte plus facilement l'humeur et ses bourrasques… Quand je me porte bien, je suis plaisant et gai. Je me porte mal, je digère difficilement, la vésicule du fiel est gonflée, quand je moralise. Votre sœur vous aime bien; j'admire comme elle se prête à votre délire. Ne levons pas tout à fait ce petit rideau; c'est bien assez d'en avoir écarté un point. Si vous saviez, mon amie, combien les discours les plus passionnés sont maussades pour ceux qui les écoutent de sang-froid! Uranie nous voit tous deux dans la cahutte à travers les barreaux; elle vient s'appuyer sur le trou, et causer gaiement avec nous. C'est la sagesse qui fait un tour aux Petites-Maisons, et qui dissimule aux habitants du lieu, par humanité, qu'ils sont fous. Je ne sais si elle gagne quelque chose à la folie que je vous ai donnée; mais je suis sûr, par un grand nombre d'expériences, que je perds toujours quelque chose aux sentiments que sa présence vous inspire dans le premier moment. Si cela n'est pas, dites-moi pourquoi j'en ai fait dix fois l'observation, et cela à des intervalles très-éloignés.

Vous comptez encore sur quelques beaux jours que vous n'aurez pas. Adieu les jolies promenades! adieu les petites causeries solitaires! adieu la verdure des vordes. Nous avons déjà vu du feu. Hier nous allâmes voir le palais de M. d'Argenson. Le maître n'y était pas, et nous y arrivâmes au moment où un autre ministre disgracié, M. Rouillé, venait d'y expirer. Voyez la rêverie où ces circonstances ont du me jeter.

Non, ce ne sont pas des indigestions, mais des ardeurs d'entrailles que je prends, courbé des journées entières sur un bureau.

Je vous prie de demander à Uranie pourquoi elle ne crève pas les yeux à ses enfants. L'ignorance est la mère de toutes nos erreurs. Est-il bon de connaître la vérité? Est-il bon d'aimer la vertu? Est-il important de connaître le bien et le mal, le prix des choses de la vie, ce que l'on se doit à soi-même et aux autres? ou vaut-il mieux errer dans les ténèbres, n'avoir aucune idée arrêtée, faire le bien par sottise, le mal sans savoir pourquoi, tomber dans le mépris, vivre sans considération, et cætera, et cætera? Voilà à peu près à quoi se réduit l'observation d'Uranie. Les lumières sont un bien dont on peut abuser, sans doute. L'ignorance et la stupidité, compagnes de l'injustice, de l'erreur et de la superstition, sont toujours des maux.

Je ne crois pas avoir traité l'article de M. Vialet légèrement. J'avais comparé ce qu'on appelle des faveurs avec la vie d'un homme de bien qu'on avait compromise par une conduite indiscrète, et j'avais prononcé qu'à mes yeux ces choses n'étaient pas d'un prix à comparer; et je persiste.

M. l'ambassadeur129 vient d'en user un peu durement avec moi. Il me demande un mot sur les tableaux: je vais les voir, je reviens, j'écris, j'écris un volume; je passe les jours et les nuits pour le contenter; vous verrez, par sa lettre, comme j'y ai réussi; je vous l'envoie. Il faut que vous sachiez que je lui avais écrit un mot où je lui disais de ne me pas parler de reconnaissance parce que ce propos semblait en exiger de moi.

Vous ne me verrez pas cette année à Isle! et qui sait cela? Nous allons publier un volume de planches; il faut voir comment il réussira.

Je vous ai déjà dit que M. Rouillé était mort à Neuilly dans le palais d'Argenson, dimanche, sur les trois heures130. Voici encore des nouvelles. Je fais de mon mieux pour vous donner de l'importance. Le roi vient d'accorder le commandement du Languedoc à M. le duc de Fitz-James. M. de Caraman a enlevé un camp des ennemis, leur a tué, pris beaucoup de monde, s'est emparé d'un drapeau, de trois pièces de canon, et de tous les équipages. Un M. de Vignolles, colonel d'une troupe légère, y a reçu une blessure mortelle. M. Clermont d'Amboise est mort. M. le baron de Montmorency a le commandement de la Bourgogne à la place de M. de Tavannes. Les Enfants de France seront baptisés à la fin du mois. M. le duc de Berri aura pour parrain le roi de Pologne, électeur de Saxe, et pour marraine Madame; M. le comte de Provence, pour parrain le roi de Pologne, duc de Lorraine, et Mme Victoire pour marraine; M. le comte d'Artois, pour parrain M. le duc de Berri et pour marraine Mme Sophie; la petite Madame, pour parrain M. le duc d'Orléans, et pour marraine Mme Louise. Tous les bureaux de la marine cassés au Havre, à Dunkerque, etc. On n'en a plus que faire. Toutes ces choses ingénieuses-là ne sont pas de moi au moins; c'est une lettre de la cour que je vous copie, mot pour mot.

Mme Arnould est plus violente et plus aimable que jamais. On l'avait tuée au Marais. Le comte, son Myrtil131, s'en va à Genève avec une Iphigénie en Tauride en poche132. Je l'ai vu dimanche passé, et je n'ai jamais vu d'amour-propre plus intrépide. «Eh bien! que dites-vous de ma Clytemnestre? – Qu'il y a de beaux vers. – Voltaire m'a écrit que son Oreste n'était qu'une froide déclamation, une plate machine en comparaison. – Il vous a écrit cela? – Dix fois au lieu d'une. – Oh! je vous proteste que le perfide n'en croit pas un mot. – Eh bien! Il a tort.» Qu'en dites-vous? Voilà ce qu'on appelle une tête tournée. Tant mieux, morbleu! tant mieux, c'est comme cela qu'il faut être, et cent fois plus ridiculement encore épris de soi, pour faire une grande chose; car c'est en se croyant capable qu'on la fait, ou du moins qu'on la tente. Adieu, mes amies. Voilà une bien mauvaise lettre, bien froide, pas un petit mot ni d'amitié ni d'amour. Cela est bien mal. Je commets là une faute que je ne vous pardonnerais pas. Je sens pourtant là bien des sentiments accumulés. Quand tout pela se répandra-t-il dans votre sein? Adieu, âmes célestes. Seriez-vous des âmes célestes, si la nuit avec ses ténèbres…? Vous entendez, Uranie.

119.Pour la publication de l'Encyclopédie.
120.Voltaire.
121.L'Essai sur les mœurs.
122.Mlle Hus, dont parle le neveu de Rameau, on sait en quels termes (voir t. V, p. 404), d'abord actrice à la Comédie-Française, puis à Saint-Pétersbourg, épousa en 1775 un sieur Lelièvre. Elle avait eu du comte Markoff une fille qui fut légitimée et mariée au prince Dolgorouky. On a parfois confondu Mlle Hus avec sa mère, qui fit représenter sans succès à la Comédie-Italienne, en 1750, un acte intitulé Plutus rival de l'Amour.
123.Trésorier des parties casuelles.
124.Diderot eût perdu la gageure; voir ci-après la lettre LXII.
125.Clarisse Harlowe.
126.Mlle Volland avait sans doute demandé à Diderot la signification de ce mot. Moreau, l'historiographe, qui était fort hostile aux encyclopédistes, fit paraître un Nouveau Mémoire pour servir à l'histoire des Cacouacs (Amsterdam, 1757, in-12), où Montesquieu, Voltaire, Buffon, Rousseau, d'Alembert, Diderot et autres sont peints comme professant des principes pernicieux pour la société et la tranquillité publique. L'année suivante (1758), on vit paraître Catéchisme et décisions de cas de conscience à l'usage des Cacouacs, avec un discours du patriarche des Cacouacs pour la réception d'un nouveau disciple. À Cacapolis (Paris), 1758 in-12. Cette plaisanterie est attribuée à l'abbé Giry de Saint-Cyr, de l'Académie française. (T).
127.Voir ci-après, p. 64.
128.1761, in-8°, non représentée. C'est Malfilâtre, et non Clinchant, qui fut le collaborateur de Lauraguais.
129.Allusion au titre de chargé d'affaires de la ville de Francfort qu'avait Grimm et peut-être à ses airs hautains. Ailleurs Diderot l'appelle le marquis. Un jour, ayant trouvé chez un brocanteur une enseigne représentant un houx avec cette devise: Semper frondescit, il l'envoya à Grimm, qui accepta le sobriquet de houx toujours vert comme il avait accepté celui de Tyran-le-blanc que Gauffecourt lui donnait pour railler à la fois son fard et ses allures despotiques.
130.Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy, ministre de la marine, puis des affaires étrangères, né le 7 juin 1689, mort le 20 septembre 1761.
131.Lauraguais.
132.Il ne mit jamais sans doute ce projet à exécution. On ne connaît du moins de Lauraguais que sa Clytemnestre dont Diderot a parlé dans sa lettre précédente, et sa Jocaste. Paris, Debure, 1781, in-8. (T.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
760 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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