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Читать книгу: «Lettres à Mademoiselle de Volland», страница 15

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Quand on fait tant que d'aimer une femme, il en faut être éperdu, mon amie, comme je le suis de vous… Mais j'attends toujours une de vos lettres, et il n'en vient point. Mes fenêtres donnent sur le chemin; je jette les yeux au loin, et si quelqu'un s'avance de ce côté, je le prends tout de suite pour le commissionnaire de Damilaville. Combien y serai-je encore trompé de fois?.. Le mauvais temps a fort allongé la visite de nos habitants de Sussy. On a dit que celle qui n'aurait pas été aimée d'un homme faible ignorerait les caresses de l'amour. Autre thèse: Qu'il y avait plus de rapport qu'on ne croyait entre la dévotion et la tendresse: que la dévotion, tout bien pesé, consistait à se priver des choses qui ne nous plaisaient plus et qui nous échappaient, et à expier par des sacrifices qui ne coûtent rien la jouissance de celles qu'on aimait encore et qu'on se pouvait procurer. Il m'a semblé que cela avait été mieux dit que je ne vous l'écris. Cependant les voilà partis, et nous revenus à notre première conversation.

Il y a plusieurs contrées où les premières nuits d'une nouvelle mariée appartiennent aux prêtres, à condition cependant que la nouvelle mariée sera d'une famille illustre. Les Nambouris, c'est ainsi que l'on appelle ce clergé, n'accordent pas cette faveur à tous les maris. Là on croit ces hommes impeccables, tout ce qu'ils font est bien; c'est-à-dire qu'ils disposent de tout comme il leur plaît, sans avoir à répondre de leurs actions. Les Juifs, qui avaient vécu longtemps sous la théocratie, n'étaient pas exempts de ce préjugé. Le prophète Osée disait à une courtisane: L'amie, couchez-vous là, et que je vous fasse un enfant de fornication, et personne n'était scandalisé ni du propos ni de la chose. Le péché irrémissible, c'est de frapper un prêtre; celui qui le tuerait, par accident serait condamné à mendier toute sa vie, le crâne du prêtre à la main.

Ah! chère amie, où est cette sérénité d'âme que j'avais l'an passé? Mme d'Holbach a la même finesse, Mme d'Aine la même gaieté; le Baron est aussi aimable, l'Écossais aussi original, mais je n'ai plus le pinceau avec lequel je vous les peignais… Le ciel continue de se résoudre en eau, et moi de me désoler. Mes lettres sont arrêtées à Charenton. Quand arriveront-elles ici? Quand aurez-vous celle-ci? En attendant, vous souffrirez beaucoup! la même peine que moi! Cette idée double la mienne. Vous vous plaindrez à votre sœur, et elle, qui ne demande pas mieux que de me trouver des torts, m'en supposera, et ses discours iront me chercher jusqu'au fond de votre cœur, et m'y blesser. Ce sont des coups d'épingle qui, réitérés, font mourir… je vous en avertis… Notre piquet est fait. Le Baron peut essuyer deux quatre-vingt-dix de suite sans se fâcher. Nous avons soupé. Nos femmes sont étendues sur un même canapé, et nous autres nous sommes rassemblés autour du foyer. Encore un mot de nos Chinois. Ils ne savent ce que c'est que la promenade. Celui qui sortirait de chez lui sans affaire et qu'on verrait aller et venir sous des arbres passerait pour un fou. On les accoutume dès leur plus tendre enfonce à durer des heures entières dans la même attitude; dans un âge plus avancé, semblables à des statues, ils restent un temps incroyable, le corps, la tête, les pieds, les mains, les jambes, les bras, les sourcils, les paupières immobiles. Ils doivent en contracter la facilité de méditer profondément. Il est incroyable jusqu'où ils se possèdent. On a beau faire, on ne les tire point de leur assiette tranquille. Fripons entre eux et avec l'étranger, ils disent que ce sont leurs dupes qui sont des sots ou des étourdis. «Une fois, dit le père Hoop, je fus un de ces sots, de ces étourdis-là; c'est-à-dire que je fus trompé par un commerçant chinois et fripon. J'allai lui représenter combien il m'avait lésé: « Cela est vrai, me répondit-il, vous l'êtes beaucoup, mais il faut payer.– Mais où est la bonne foi, la droiture? —Je n'en sais rien, mais il faut payer. «Après avoir essayé les paroles douces, j'en vins aux gros mots, je l'appelai coquin, maraud, fripon. Tout ce qui vous plaira, mais il faut paver.» Je n'en pus jamais tirer autre chose, et je payai. En recevant mon argent: «Étranger, me dit-il, tu vois bien que tu n'as pas gagné un sou à te mettre en colère. Eh! que ne payais-tu tout de suite, sans te fâcher? cela eût été beaucoup mieux. » Mais ne vous ai-je pas écrit, ou parlé d'une bizarrerie de toute cette nation? En regardant les meubles et les porcelaines peintes qui nous viennent de ce pays, il n'est pas que l'extravagance des figures ne vous ait frappée. Savez-vous d'où cela vient? C'est que, loin de prendre la nature pour modèle, ils cherchent à s'en écarter le plus qu'ils peuvent; ils disent pour leur raison qu'on la voit sans cesse, et quelque talent qu'on ait, quelque peine qu'on se dorme, qu'on n'en approche pas; d'où ils concluent que tout ouvrage exécuté dans ce genre d'imitation doit dégoûter et faire pitié, au lieu qu'en s'abandonnant au délire de l'imagination, les plantes, les animaux, les hommes, les êtres qu'on crée, ne ressemblant à rien, ne peuvent être accusés de défaut. Mais, dirais-je à un Chinois, je voudrais bien savoir quelle perfection on y peut louer. On assure cependant qu'ils font d'après nature des choses prodigieuses, quand on l'exige d'eux, et qu'ils saisissent singulièrement la ressemblance. Pour moi, j'aurai toujours peine à croire que la vérité de la couleur, la correction du dessin, et l'intelligence des ombres et des lumières soient portées jusqu'à un certain point chez un peuple qui méprise ces qualités; à moins que la perfection du travail ne soit le résultat de l'abondance dont il jouit et de la patience de son caractère.

Chère amie, je vais laisser là notre radotage philosophique, pour vous entretenir de sujets plus familiers… Comme nous étions occupés une de ces après-midi, le père Hoop, le Baron et moi, à faire une partie de billard, on entend le bruit d'une voiture légère sur la chaussée; la porte de la salle de billard s'ouvre subitement. C'est Mme d'Holbach qui entre, et qui nous demande avec une joie qui rayonnait autour de son visage comme une auréole: «Devinez la visite qui nous vient?» Comme nous ne devinions personne qui nous aimât assez pour venir s'enfermer avec nous par le temps qu'il faisait: «C'est M. Le Roy91», nous dit-elle. Nous allâmes tous l'embrasser. Si vous savez combien je l'aime, vous saurez aussi combien il m'a été doux de le voir. Il y avait près de trois mois que j'en avais besoin. Il avait passé tout ce temps à jouir d'une petite retraite qu'il s'est faite dans la forêt. Cette retraite s'appelle les Loges. Malheur aux paysannes innocentes et jeunes qui s'amuseront aux environs des Loges! Paysannes innocentes et jeunes, fuyez les Loges! C'est là que le satyre habita. Malheur à celle que le satyre aura rencontrée auprès de sa demeure! C'est en vain qu'elle tendra ses mains au ciel, et qu'elle appellera sa mère; le ciel ni sa mère ne l'entendront plus; ses cris seront perdus dans la forêt; personne ne viendra qui la délivre du satyre; et quand le satyre l'aura surprise une fois aux environs de sa demeure, elle y retournera pour en être surprise encore. Si le hasard conduit encore les pas du satyre vers elle, elle s'enfuira comme auparavant, mais plus lentement, et peut-être retournera-t-elle la tête en fuyant; et quand le satyre l'atteindra, elle ne l'égratignera plus; elle dira qu'elle va crier, mais elle ne criera plus; elle n'appellera plus sa mère. Mais le satyre ne la cherchera pas longtemps; car il est plus inconstant encore que libertin. Le bélier qui paît l'herbe qui croît autour de sa cabane n'est pas plus libertin; le vent qui agite la feuille du lierre qui la tapisse est moins changeant. Celles qu'il ne recherchera plus et qui se seront amusées inutilement autour de sa cabane, et il y en aura beaucoup, s'en retourneront tristes et chagrines en disant au dedans d'elles-mêmes: Ô méchant satyre! ô satyre inconstant! si je l'avais su! Et leurs compagnes, qui verront leur tristesse, leur en demanderont la cause; et elles ne la diront pas: et les autres bergères innocentes et jeunes continueront de s'amuser autour de la cabane du satyre; et lui de les surprendre, de les surprendre encore une fois, de ne les surprendre plus; et elles de se taire. Voilà, mon amie, ce qu'on appelle une idylle que je vous fois, tandis que le satyre, l'oreille dressée, se réjouit à dire des contes à nos femmes. À propos de beaux yeux, il leur dit qu'un jour Saint-Évremond s'endormit entre deux femmes qui se disputaient sur ce qu'il faut appeler de beaux yeux. La matière était importante; chacune avait la prétention. On allégua beaucoup de choses fines et profondes; on en allégua beaucoup de brillantes, et de réfléchies. Cependant Saint-Évremond, qui goûtait au milieu de la dispute le sommeil le plus doux, fût pris pour juge. Une des deux femmes, le tirant par le bras, lui dit: «À votre avis, monsieur, quels sont les plus beaux?» Saint-Évremond se frottant les yeux, leur dit: «Les plus beaux!.. Ce sont les petits et ridés. – Les yeux petits et ridés sont les plus beaux! y pensez-vous? – Ah! ah! vous parlez d'yeux! Ma foi, j'ai cru que deux femmes de cour s'entretenaient d'autre chose.» Et voilà Mme d'Holbach qui baisse les yeux et qui joue l'inattention, et Mme d'Aine qui se met à rire comme une folle, en disant: «C'est une bonne connaissance à voir. – Mais pourquoi si bonne? Il est toujours trop tard pour s'en servir.» Voilà encore un endroit qu'il ne faut pas lire à notre sœur Uranie.

Mais puisque je suis en train de vous écrire toutes nos minuties, il ne faut pas que j'oublie de vous raconter comme quoi Pouf, le fils de Thisbé, qui avait fait concevoir de lui de si grandes espérances, a jeté la division parmi nous. Thisbé est une élégante, Sibéli la vit et l'aima. Sibéli a été élevé à la cour des rois. D'abord Thisbé fit la coquette, Sibéli se piqua de constance, et au bout de trois heures Thisbé couronna ses feux: trois heures de coquetterie pour des êtres dont la passion ne dure que quelques jours, c'est beaucoup. Je dis cela, parce que je serais fâché qu'on prît une idée défavorable des mœurs de Thisbé. Thisbé mit au monde au temps prescrit deux jumeaux charmants; Pouf en fut un. Plusieurs grandes dames demandèrent Pouf; la dame D… fut préférée, et voilà Pouf installé dans son château, et maître de ses oreillers et de ses coussins dont il usait peu discrètement, lorsqu'un ami de la dame regarda Pouf entre les deux yeux, et prononça que malgré tout l'esprit du père et toute la gentillesse de la mère, cet enfant ne serait jamais qu'un sot. Aussitôt la dame D… qui ne voit que par les yeux de son ami, comme cela se pratique, se met à répéter que Pouf malgré toute la gentillesse de sa mère et tout l'esprit de son père, ne sera jamais qu'un sot, quoiqu'elle eût dit auparavant qu'on en pouvait espérer beaucoup; et puis elle écrit une lettre qu'elle remet à un de ses gens, avec un panier qui renferme Pouf, et Pouf, porté par le domestique, n'a pas sitôt fait quatorze lieues dans son panier qu'il est remis aux lieux de sa naissance. Avec quelles démonstrations de joie n'y est-il pas reçu! Ah! c'est toi, mon pauvre Pouf, mon petit ami; et quand on l'a bien fêté, bien baisé, bien caressé, on lit la lettre de renvoi où l'on ne trouve que faussetés, injures, détours et calomnies; et l'on dit beaucoup de mal de la dame D… et l'on félicite Pouf de ne plus appartenir à une aussi méchante maîtresse. J'ai voulu défendre la dame D…

(Le reste manque.)

XLVI

Au Grandval, le 18 octobre 1760.

Nous recevrons, vous mes lettres, moi les vôtres, deux à deux; c'est une affaire arrangée. Combien d'autres plaisirs qui s'accroissent par l'impatience et le délai! Éloigner nos jouissances, souvent c'est nous servir; faire attendre le bonheur, c'est ménager à son ami une perspective agréable; c'est en user avec lui comme l'économe fidèle qui placerait à un haut intérêt le dépôt oisif qu'on lui aurait confié. Voilà des maximes qui ne déplairont pas à votre sœur. J'en ai entendu de plus folles encore. Il y en a qui disent qu'on ne s'ennuie presque jamais d'espérer, et qu'il est rare qu'on ne s'ennuie pas d'avoir. Je réponds, moi, qu'on espère toujours avec quelque peine, et qu'on ne jouit jamais sans quelque plaisir. Et puis la vie s'échappe, la sagacité des hommes a donné au temps une voix qui les avertit de sa fuite sourde et légère. Mais à quoi bon l'heure sonne-t-elle, si ce n'est jamais l'heure du plaisir? Venez, mon amie; venez que je vous embrasse, venez et que tous vos instants et tous les miens soient marqués par notre tendresse; que votre pendule et la mienne battent toujours la minute où je vous aime et que la longue nuit qui nous attend soit au moins précédée de quelques beaux jours.

Je suis désolé que cette irrégularité des postes ou de notre correspondance soit de temps en temps si cruelle pour vous. Mais, chère amie, que voulez-vous que j'y fasse? Je vous dirai comme milord d'Albemarle à Lolotte, qui admirait l'éclat d'une belle étoile: «Ah! mon amie, ne la louez pas tant, car je ne saurais vous la donner.» Ah! chère amie, ne vous plaignez pas tant de la lenteur des courriers, je ne saurais les foire aller plus vite.

Vous les demandez donc, mes lettres? vous les recevrez donc de sa main, sans humeur de sa part, sans contrainte de la vôtre? Mais cela est assez joli!

Et que vous dit l'honnête de Prisye? Nous devions nous voir, causer de vous, abréger votre absence, ou l'alléger ainsi; mais les campagnes nous ont tous dispersés. Combien de reconnaissances et de doux reproches se feront à la Saint-Martin!

En voilà donc encore deux dont il faut dire qu'il n'y a pas assez d'étoffe pour en faire ou d'honnêtes gens ou des fripons! et combien d'autres que nous connaissons, et combien d'autres encore que nous ne connaissons pas!

J'ai très-bien compris l'arrangement qu'on vous propose. La promptitude avec laquelle vous en avez démêlé l'injustice me ravit, mais ne me surprend pas. Lorsque le sentiment est délicat et que l'intérêt n'offusque pas la raison, cela ne manque pas d'arriver. Les hommes partiraient presque tous de la même vitesse, s'ils suivaient la même impulsion de leur cœur. Il est bien rare que le cœur mente, mais on n'aime pas à l'écouter.

Chère femme, combien je vous aime! combien je vous estime! En dix endroits votre lettre m'a pénétré de joie. Je ne saurais vous dire ce que la droiture et la vérité font sur moi. Si le spectacle de l'injustice me transporte quelquefois d'une telle indignation que j'en perds le jugement, et que, dans ce délire, je tuerais, j'anéantirais; aussi celui de l'équité me remplit d'une douceur, m'enflamme d'une chaleur et d'un enthousiasme où la vie, s'il fallait la perdre, ne me tiendrait à rien: alors il me semble que mon cœur s'étend au dedans de moi, qu'il nage; je ne sais quelle situation délicieuse et subite me parcourt partout; j'ai peine à respirer; il s'excite à toute la surface de mon corps comme un frémissement; c'est surtout au haut du front, à l'origine des cheveux qu'il se fait sentir; et puis les symptômes de l'admiration et du plaisir viennent se mêler sur mon visage avec ceux de la joie, et mes yeux se remplissent de pleurs. Voilà ce que je suis quand je m'intéresse vraiment à celui qui fait le bien. Ô ma Sophie, combien de beaux moments je vous dois! combien je vous en devrai encore! Ô Angélique, ma chère enfant, je te parle ici et tu ne m'entends pas; mais si tu lis jamais ces mots quand je ne serai plus, car tu me survivras, tu verras que je m'occupais de toi, et que je disais, dans un temps où j'ignorais quel sort tu me préparais, qu'il dépendait de toi de me faire mourir de plaisir ou de peine. Les parents ne sont pas assez affligés quand leurs enfants font le mal; ils ne sont pas assez heureux quand leurs enfants font le bien; jamais ils ne voient le plaisir et la peine faire couler leurs pleurs.

Un des moments les plus doux de ma vie, ce fut il y a plus de trente ans, et je m'en souviens comme d'hier, lorsque mon père me vit arriver du collège les bras chargés des prix que j'avais remportés, et les épaules chargées des couronnes qu'on m'avait données, et qui, trop larges pour mon front, avaient laissé passer ma tête. Du plus loin qu'il m'aperçut, il laissa son ouvrage, il s'avança sur sa porte, et se mit à pleurer. C'est une belle chose qu'un homme de bien et sévère qui pleure!

Chère amie, pardonnez-moi cet écart, c'est vous qui m'avez échauffa. J'ai suivi ma chaleur, et j'ai écrit tout ce qu'elle m'inspirait.

* * * * * * * * *

J'aurais été fâché que vous eussiez eu à répondre à ces gens-là. Laissez faire votre mère; c'est elle qui se possède. À quoi bon accroître les mauvaises dispositions des méchants, en leur jetant du mépris au visage? Votre mère aura répondu sur-le-champ, comme vous n'eussiez fait, vous, que le lendemain. Lorsque la chose se présente, il semble qu'elle ait toujours eu un jour ou deux par-devant elle; c'est l'effet de l'expérience et du bon jugement.

Il faut insister sur l'exécution rigoureuse de la transaction, et exiger vos intérêts et vos remboursements aux temps prescrits. On en passera par là.

Mes amies, je vous conseille de ne pas vous creuser la tête sur des choses qui n'auront pas lieu. Quand on a la justice et le bon sens pour soi, on est bien fort. Ne voyez-vous pas déjà dans les précautions obliques que ces indignes prennent avec vous qu'ils ont peur?

N'allez pas surtout souffler à madame votre mère votre austérité. Je n'aime pas que la vertu gâte les affaires. Ayant à plaider l'intérêt de ses enfants et celui de ses petits-enfants auprès d'un de ses gendres, n'aura-t-elle pas assez beau jeu?

Mettre les choses au pis-aller, affaire de caractère; quand c'est de courage, comme en vous, et non de désespoir et de pusillanimité comme en d'autres, à la bonne heure.

Tout cela vous tracasse beaucoup? Peut-être l'aurais-je craint, si je ne vous avais pas vue dans vos premiers embarras.

Le seul moyen sûr avec des fripons, c'est de sortir de leurs mains, n'importe comment.

Au reste, mon amie, rappelez-vous le moment où je m'attachai à vous; et songez que s'il pouvait arriver que je vous aimasse et que je vous respectasse davantage, la misère le ferait. Je vous dirais comme Charlotte à Lenson: «Je n'aurais pas un toit, j'aurais à peine du pain, que je voudrais coucher à l'air et pâtir à côté de vous.»

Je vous demande mille pardons, à madame votre mère, à votre sœur et à vous, de l'envoi du petit roman et de quelque trait de gaieté indiscrètement répandu dans ma dernière lettre. Je dis indiscrètement, sans savoir pourquoi, car j'ignorais vos inquiétudes quand j'écrivis.

J'attendrai vos ordres pour reprendre la suite de nos entretiens, si cela vous distrait un peu et vous convient.

Le malheur d'un ennemi qui aurait attenté à ma vie me rapprocherait de lui.

Tout mon dévouement et tout mon respect à madame votre mère.

Tout mon dévouement et tout mon respect à madame votre sœur.

Heureux ou malheureux, je vous suis attaché jusqu'au tombeau.

Adieu, femme de bien.

XLVII

Du Grandval, le 20 octobre 176092.

Voici, ma bonne amie, la suite de nos journées. Je vous en aurais peut-être fait un récit amusant; mais le moyen de plaisanter et de rire, lorsque nos âmes sont dans la tristesse. Je parle de votre mère, de votre sœur et de vous. Qu'il est heureusement né cet ami! que j'envie son caractère! L'espérance reste toujours au fond de sa boîte; au contraire, le hasard vient-il à entr'ouvrir le couvercle de la mienne, c'est la première chose qui s'en va. Ce n'est pas que je n'aperçoive aussi les fils auxquels je pourrais m'accrocher; mais je les vois si faibles et si déliés que je n'oserais m'y fier. J'aime presque autant m'abandonner au torrent que de saisir la feuille d'un saule.

Nous avons ici beaucoup de monde; M. Le Roy, comme je vous l'ai dit, l'ami Grimm et l'abbé Galiani, M. et Mme R… J'aime la physionomie de M. R… S'il avait seulement la moitié de l'esprit qu'elle promet! C'est un mélange de finesse et de volupté. Le matin, lorsque ses longs cheveux bruns tombent en boucles négligées sur ses épaules, on le prendrait pour l'Hymen, mais comme il est le lendemain d'une noce, blême et un peu fatigué. Mme R… était vêtue d'un rouge foncé qui lui sied mal, et notre ami lui disait: «Comment, chère sœur, vous voilà belle comme un œuf de Pâques!» D'Alinville et Mme Geoffrin presque point ennuyés, chose rare. Mme de Charmoi toujours avec ses beaux yeux et sa mine intéressante. Mon fils d'Aine93, M. et Mme Schistre, M. Schistre avec sa mandore et son tympanon, et puis deux ou trois inconnus brochant sur le tout.

Je tiens à mon aise partout, mais plus encore à la campagne qu'ailleurs. J'occupe un appartement de femme; c'est le plus agréable de la maison; au milieu de ce monde il m'est resté, et j'en aime encore un peu plus notre hôtesse.

Plus la compagnie est nombreuse, plus on est libre. Tout à moi, je n'ai jamais eu tant de temps pour lire, pour me promener, pour être à vous, pour vous aimer et pour vous l'écrire.

Notre dîner a été très-gai M. Le Roy racontait qu'une fois il avait été malheureux en amour. «Rien qu'une fois? – Pas davantage…» Alors il dormait ses quinze heures et il engraissait à vue d'œil «Mais un amant malheureux doit être défait. – Ou le paraître, et il n'y avait pas moyen. C'est ce qui me désespérait.» Il reposait en raison de la peine qu'il avait endurée; et quand il avait reposé, il pouvait souffrir derechef en raison du repos qu'il avait pris. «Sans cela vous n'y auriez pas suffi. – Il est vrai; mais du soir au matin j'étais tout frais pour la peine – Mais si malheureux, vous dormez vos quinze heures; heureux, combien dormez-vous? – Presque point. – Le bonheur vous fatigue peu. – On ne peut moins, et puis je répare vite.»

Vous comprenez tout ce que cela doit devenir à table, au dessert, entre douze ou quinze personnes, avec du vin de Champagne, de la gaieté, de l'esprit, et toute la liberté des champs.

Mme Geoffrin fut fort bien; je fis un piquet avec elle, d'Alinville et le Baron. Je remarque toujours le goût noble et simple dont cette femme s'habille. C'était, ce jour-là, une étoffe simple, d'une couleur austère, des manches larges, le linge le plus uni et le plus fin, et puis la netteté la plus recherchée de tout côté. Elle me demanda de la mère et de l'enfant. Je répondis de l'enfant que je craignais qu'elle n'eût une vie agitée et malheureuse; car elle était ennuyée du repos. «Tant mieux, me dit-elle, elle se remuera pour les paresseux»; et elle en prit occasion de faire l'éloge de Mme d'Aine, que son attention continuelle pour nous autres fainéants tenait un pied levé et l'autre en l'air.

Ah! mon amie, où étiez-vous? Que faisiez-vous à Isle, où vous étiez, lorsque je vous désirais ici? Partout où je rencontre le plaisir, je vous y souhaite. Voilà M. Schistre qui prend sa mandore. Le voilà qui joue quelque musique. Quelle exécution! Tout ce que ses doigts font dire à des cordes est incroyable; et comme Mme d'Holbach et moi nous n'en perdions pas un mot! – Le joli courroux! – Que cette plainte est douce! – Il se dépite; il prend son parti. – Je le crois. – Les voilà qui se raccommodent. – Il est vrai – Le moyen de tenir contre un homme qui sait s'excuser ainsi! – Il est sûr que nous entendions tout cela.

M. Schistre quitta sa mandore, et la vivacité de notre plaisir devint le sujet de la conversation. Nous les laissâmes dire tout ce qu'ils voulurent, et nous préférâmes jouir en silence du reste de notre émotion. Le moment de palpitation qui suit un grand plaisir est encore un moment fort doux: car le cœur palpite avant et après le plaisir.

Mme Geoffrin ne découche point; sur les six heures du soir, elle nous embrassa, et remonta dans sa voiture avec l'ami d'Alinville, et la voilà partie.

Sur les sept heures, ils se sont mis à des tables de jeu, et MM. Le Roy, Grimm, l'abbé Galiani et moi, nous avons causé. Oh! pour cette fois, je vous apprendrai à connaître l'abbé, que peut-être vous n'avez regardé jusqu'à présent que comme un agréable. Il est mieux que cela.

Il s'agissait entre Grimm et M. Le Roy du génie qui crée et de la méthode qui ordonne. Grimm déteste la méthode; c'est, selon lui, la pédanterie des lettres. Ceux qui ne savent qu'arranger feraient aussi bien de rester en repos; ceux qui ne peuvent être instruits que par des choses arrangées feraient tout aussi bien de rester ignorants. «Mais c'est la méthode qui fait valoir. – Et qui gâte. —Sans elle, on ne profiterait de rien.– Qu'en se fatiguant, et cela n'en serait que mieux. Où est la nécessité que tant de gens sachent autre chose que leur métier?» Ils dirent beaucoup de choses que je ne vous rapporte pas, et ils en diraient encore, si l'abbé Galiani ne les eût interrompus comme ceci:

«Mes amis, je me rappelle une fable, écoutez-la. Elle sera peut-être un peu longue, mais elle ne vous ennuiera pas.

«Un jour, au fond d'une forêt, il s'éleva une contestation sur le chant entre le rossignol et le coucou. Chacun prise son talent. « – Quel oiseau, disait le coucou, a le chant aussi facile, aussi simple, aussi naturel et aussi mesuré que moi?»

« – Quel oiseau, disait le rossignol, l'a plus doux, plus varié, plus éclatant, plus léger, plus touchant que moi?»

«Le coucou: «Je dis peu de choses; mais elles ont du poids, de l'ordre, et on les retient.»

«Le rossignol: «J'aime à parler; mais je suis toujours nouveau, et je ne fatigue jamais. J'enchante les forêts; le coucou les attriste. Il est tellement attaché à la leçon de sa mère, qu'il n'oserait hasarder un ton qu'il n'a point pris d'elle. Moi, je ne reconnais point de maître. Je me joue des règles. C'est surtout lorsque je les enfreins qu'on m'admire. Quelle comparaison de sa fastidieuse méthode avec mes heureux écarts!»

«Le coucou essaya plusieurs fois d'interrompre le rossignol Mais les rossignols chantent toujours et n'écoutent point; c'est un peu leur défaut. Le nôtre, entraîné par ses idées, les suivait avec rapidité, sans se soucier des réponses de son rival.

«Cependant, après quelques dits et contredits, ils convinrent de s'en rapporter au jugement d'un tiers animal.

«Mais où trouver ce tiers également instruit et impartial qui les jugera? Ce n'est pas sans peine qu'on trouve un bon juge. Ils vont en cherchant un partout.

«Ils traversaient une prairie, lorsqu'ils y aperçurent un âne des plus graves et des plus solennels. Depuis la création de l'espèce, aucun n'avait porté d'aussi longues oreilles. «Ah! dit le coucou en les voyant, nous sommes trop heureux; notre querelle est une affaire d'oreilles; voilà notre juge; Dieu le fit pour nous tout exprès.»

«L'âne broutait. Il n'imaginait guère qu'un jour il jugerait de musique. Mais la Providence s'amuse à beaucoup d'autres choses. Nos deux oiseaux s'abattent devant lui, le complimentent sur sa gravité et sur son jugement, lui exposent le sujet de leur dispute, et le supplient très-humblement de les entendre et de décider.

«Mais l'âne, détournant à peine sa lourde tête et n'en perdant pas un coup de dent, leur fait signe de ses oreilles qu'il a faim, et qu'il ne tient pas aujourd'hui son lit de justice. Les oiseaux insistent; l'âne continue à brouter. En broutant son appétit s'apaise. Il y avait quelques arbres plantés sur la lisière du pré. «Eh bien! leur dit-il, allez là: je m'y rendrai; vous chanterez, je digérerai, je vous écouterai, et puis je vous en dirai mon avis.»

«Les oiseaux vont à tire-d'aile et se perchent; l'âne les suit de l'air et du pas d'un président à mortier qui traverse les salles du palais: il arrive, il s'étend à terre et dit: «Commencez, la cour vous écoute.» C'est lui qui était toute la cour.

«Le coucou dit: «Monseigneur, il n'y a pas un mot à perdre de mes raisons; saisissez bien le caractère de mon chant, et surtout daignez en observer l'artifice et la méthode.» Puis, se rengorgeant et battant à chaque fois des ailes, il chanta: coucou, coucou, coucoucou, coucoucou, coucou, coucoucou.» Et après avoir combiné cela de toutes les manières possibles, il se tut.

«Le rossignol, sans préambule, déploie sa voix, s'élance dans les modulations les plus hardies, suit les chants les plus neufs et les plus recherchés; ce sont des cadences ou des tenues à perte d'haleine; tantôt on entendait les sons descendre et murmurer au fond de sa gorge comme l'onde du ruisseau qui se perd sourdement entre des cailloux, tantôt on les entendait s'élever, se renfler peu à peu, remplir l'étendue des airs et y demeurer comme suspendus. Il était successivement doux, léger, brillant, pathétique, et quelque caractère qu'il prît, il peignait; mais son chant n'était pas fait pour tout le monde.

«Emporté par son enthousiasme, il chanterait encore; mais l'âne, qui avait déjà bâillé plusieurs fois, l'arrêta et lui dit: «Je me doute que tout ce que vous avez chanté là est fort beau, mais je n'y entends rien; cela me paraît bizarre, brouillé, décousu. Vous êtes peut-être plus savant que votre rival, mais il est plus méthodique que vous, et je suis, moi, pour la méthode.»

Et l'abbé, s'adressant à M. Le Roy, et montrant Grimm du doigt: « Voilà, dit-il, le rossignol, et vous êtes le coucou, et moi je suis l'âne qui vous donne gain de cause. Bonsoir.»

Les contes de l'abbé sont bons, mais il les joue supérieurement. On n'y tient pas. Vous auriez trop ri de lui voir tendre son cou en l'air, et faire la petite voix pour le rossignol, se rengorger et prendre le ton rauque pour le coucou; redresser ses oreilles, et imiter la gravité bête et lourde de l'âne; et tout cela naturellement et sans y tâcher. C'est qu'il est pantomime depuis la tête jusqu'aux pieds.

M. Le Roy prit le parti de louer la fable et d'en rire.

À propos du chant des oiseaux, on demanda ce qui avait fait dire aux anciens que le cygne, qui a le cri nasillard et rauque, chantait mélodieusement en mourant.

Je répondis que peut-être le cygne était le symbole de l'homme qui parle toujours au dernier moment, et j'ajoutai que si j'avais jamais à mettre en vers les dernières paroles d'un orateur, d'un poëte, d'un législateur, j'intitulerais ma pièce le chant du cygne.

91.Ch. Georges Le Roy (1723-1789), lieutenant des chasses des parcs de Versailles et de Marly, collaborateur de l'Encyclopédie. La dernière édition de ses Lettres sur les animaux a été donnée en 1862, par M. le docteur Robinet, chez M. Poulet-Malassis, qui a également réimprimé de Le Roy Louis XV et Mme de Pompadour (Baur, 1875, in-12), étude dont Sainte-Beuve avait signalé la valeur.
92.Un très-court fragment de cette lettre, la fable de Galiani, avait déjà été imprimé dans la Correspondance de Grimm, au mois de janvier 1787, et dans les éditions Belin et Brière.
93.C'est le fils de Mme d'Aine, le frère de Mme d'Holbach, que Diderot appelait familièrement son fils.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
760 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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