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Читать книгу: «Mademoiselle de Bressier», страница 14

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– Pourquoi ne me réponds-tu rien? Je me montre tendre et soumis; je ne peux donc pas t'avoir blessée? Il est impossible que tu juges mal Faustine, puisque tu ne la connais pas. Si c'est un mariage en lui-même que tu blâmes, attends au moins quelques jours. Étudie celle que j'aime, observe son caractère: il est impossible que tu ne sois pas séduite par sa franchise et sa loyauté.

Françoise ne pouvait pas refuser. Elle aurait avoué ainsi que, par égoïsme, elle détruisait le bonheur de son fils. Soit, elle la verrait, cette femme, et peut-être alors lui serait-il permis de parler.

– Mme de Guessaint m'attend ce soir, reprit-il. Pourquoi ne m'accompagnerais-tu pas? Je présente ma fiancée à ma mère: rien de plus naturel.

– C'est bien, dit-elle. Je t'accompagnerai.

Faustine attendait dans son atelier avec Nelly.

– Alors ton mari ne sait rien encore de tes résolutions? demandait Mme de Guessaint en riant.

– Rien; je me suis montrée d'une dignité… oh! d'une dignité!.. En me voyant arriver, le pauvre homme est devenu tout pâle. Bon Félix! je voulais lui sauter au cou. Mais, heureusement, je suis restée dans une réserve amicale pleine de tenue. Je lui ai dit: «Je crois que nous avons à causer. Je vais dîner avec Faustine, et je rentrerai de bonne heure. Je vous défends de sortir: attendez-moi.»

– Et qu'est-ce que tu feras en… en rentrant de bonne heure?

Nelly rougissait un peu. Elle baissa la tête et dit tout bas:

– J'ôterai le verrou…

Cette fois, Mme de Guessaint riait aux éclats.

– Dame! reprit Nelly, puisque les hommes sont comme ça! Puisque si… puisque… enfin, je m'entends!

Mme Percier détourna la conversation.

– Alors, il va venir, le beau sculpteur? Mon Dieu, que j'ai donc envie de vous voir tous les deux en face l'un de l'autre! Sois tranquille, je ne vous ennuierai pas longtemps. Je m'en irai au bout d'un quart d'heure.

Faustine rougissait à son tour; et, à son tour aussi, Nelly riait, heureuse de sa petite revanche. Presque aussitôt on annonçait à Mme de Guessaint la visite de Jacques Rosny et de sa mère.

– Sa mère? murmura-t-elle étonnée. C'est vrai. Il lui a tout dit, et elle a voulu me voir.

Faustine ne pouvait pas reconnaître Françoise. Tant d'années s'étaient écoulées depuis le jour où elle avait recueilli la pauvre créature! Tant d'événements, terribles ou douloureux, avaient troublé sa vie! Puis, cette femme de quarante-cinq ans, aux cheveux gris, au visage pâle, allongé et durci par la souffrance, ne ressemblait guère à la Françoise d'autrefois, superbe dans l'épanouissement de sa beauté blonde. Au contraire, Mme de Guessaint n'avait pas changé. C'était bien toujours la jeune fille du château de Chavry, mûrie peut-être par l'existence, mais toujours jeune et radieuse. Françoise n'hésita pas une minute. En entrant dans l'atelier, elle fixa ses yeux ardents sur cette rivale, et dès le premier regard elle resta toute saisie. Elle revoyait après tant d'années celle qui, naguère, lui venait en aide; celle qui se montrait bonne et généreuse lorsque le destin la désespérait. Elle ne pouvait pas douter. Dans le fond de la pièce était accroché le tableau, peint par Faustine, ce tableau que Mlle de Bressier esquissait, le jour même où le malheureux Étienne arrivait à Chavry pour la dernière fois. Ce souvenir ancien amollissait les duretés de Françoise. Elle apercevait, dans la pénombre du passé, ce grand salon et ces deux belles jeunes filles si douces et si prévenantes. Sa jalousie maternelle se fondait brusquement à la chaleur de sa gratitude.

– Vous! c'est vous! Oui, vous ne me reconnaissez pas: c'est que je ne suis plus moi-même. Rappelez-vous la pauvre malheureuse qui s'évanouissait, il y a dix ans, à votre porte. Vous l'avez recueillie, vous l'avez sauvée. Comme je vous ai bénie, sans savoir où vous étiez! Et c'est vous qui êtes aimée par mon fils! C'est vous qui l'aimez! Comme je suis heureuse! C'est pour son bonheur et le mien qu'il vous a rencontrée! Il aurait pu s'éprendre d'une coquette, d'une créature légère, incapable de le comprendre. Et c'est vous! Moi qui étais jalouse! Les desseins de Dieu sont infinis. J'aurai le bonheur d'aimer comme ma fille celle qui épousera mon fils!

Jacques écoutait, stupéfait, ne comprenant pas. Il fallut que Faustine et sa mère lui racontassent tout ce qu'il ignorait. Françoise expliquait à Mme de Guessaint quelle terreur lui inspirait le mariage de son fils. Elle avait craint que cette épouse lui arrachât le cœur de son enfant. Maintenant, elle ne redoutait plus rien. Elle ne se lassait pas de regarder Faustine. Oui, Jacques avait bien choisi. Comme la vie se montrait douce et clémente, qui les réunissait ainsi dans une communauté d'amour! Et Mme de Guessaint, à son tour, achevait d'apaiser les dernières jalousies de la mère. Non, ils ne se quitteraient pas, ils vivraient ensemble, toujours, toujours…

Toujours! Un bien grand mot, et que les lèvres humaines ne devraient prononcer jamais.

VIII

Depuis un mois, le procureur de la République d'Oran poursuivait son enquête. Comment M. de Guessaint avait-il été assassiné la veille du départ de la mission scientifique? Tout le monde l'ignorait. Un mystère étrange enveloppait ce drame, et les dépositions du colonel Maubert et de ses compagnons ne l'éclaircissaient pas. Le colonel croyait savoir qu'un soir, vers dix heures, M. de Guessaint était entré dans la maison d'une Mauresque, célèbre par sa beauté. Cette fille, nommée Yelma, accueillait volontiers les voyageurs qu'elle supposait généreux et riches. On lui connaissait pourtant un amant en titre, un riche Tunisien, Enoussi, établi à Oran depuis une quinzaine d'années. L'enquête établissait que M. de Guessaint avait quitté la maison de la Mauresque à une heure du matin. Depuis, on ne l'avait pas revu. Le lendemain seulement, ses compagnons de voyage s'apercevaient de son absence. Tout le monde croyait à un crime; comment le prouver? Interrogés séparément par le magistrat, Yelma et le sieur Enoussi répondaient très nettement. La première disait qu'entré chez elle à dix heures, M. de Guessaint la quittait un peu après minuit. Enoussi, de son côté, prouvait qu'il avait passé la soirée au théâtre, avec un marchand de ses amis et un sous-lieutenant de la garnison. Les servantes de la Mauresque confirmaient la déposition de leur maîtresse. Les soupçons qui effleuraient un instant le Tunisien tombaient d'eux-mêmes devant un indiscutable alibi. Cette affaire mystérieuse passionnait un moment la presse algérienne, et le bruit en retentissait jusqu'à Paris. Tout le monde connaissait Faustine et son mari; on les estimait, ils tenaient dans la société une place importante: mille raisons pour qu'on s'occupât de cette étrange disparition. Qu'il y eût eu crime, personne n'en doutait. Alors! quel était le criminel? C'est ce qu'on ne découvrait pas.

Mme de Guessaint vivait retirée, à Louveciennes, dans une propriété appartenant à Nelly. Elle ne voyait personne, excepté Jacques, sa mère et le docteur Grandier. M. Percier et sa femme l'entouraient de prévenances. Pour lui complaire, ils ne recevaient aucune visite. Jacques venait tous les jours, ayant soin de se protéger contre les indiscrets. La villa de Nelly se dressait à l'entrée des bois de Marly, sur la route de Saint-Germain à Versailles. Le sculpteur ne prenait pas le chemin de fer; on aurait pu le rencontrer. Il arrivait en coupé et franchissait la grille qui se refermait derrière lui. La certitude d'un bonheur prochain calmait les fièvres et les désirs du jeune homme. Qu'importe d'attendre quelques mois, quand on a devant soi toute la vie?

Cependant, la jeune femme suivait avec ardeur l'enquête commencée. Par ordre du procureur de la République, le greffier du parquet d'Oran la tenait au courant d'une manière fort exacte. Les recherches hésitaient, tâtonnant à droite et à gauche. On croyait, cependant, que M. de Guessaint était tombé victime de la cupidité de deux Arabes. D'importants témoignages établissaient que deux hommes d'allures suspectes rôdaient, le soir du crime, à peu de distance de la maison habitée par la Mauresque. Des agents de police, venus de Paris, se lançaient comme de fins limiers sur la trace de ces hommes. Puis, tout s'évanouissait; et il fallait partir à nouveau sur une autre piste.

Cependant le temps s'écoulait. Vers la fin d'août, trois mois après la disparition de M. de Guessaint, Faustine invita M. et Mme Percier, Jacques et sa mère, à passer la moitié de septembre dans une propriété qu'elle possédait en Bretagne. Le général avait hérité jadis une grande villa d'un de ses oncles, armateur à Nantes. A trois kilomètres de Pornic, un petit village de pêcheurs s'accroche aux falaises, penchées sur les vagues grises de la baie de Bourgneuf. La Birochère est une de ces plages au sable fin, que l'invasion parisienne n'a pas encore déshonorées. M. de Bressier ayant un peu délaissé sa villa bretonne, avait installé dans un des pavillons de garde, ce sous-officier auquel, plus tard, il devait léguer une rente dans son testament. Devenue maîtresse de sa fortune, Faustine prit, au contraire, l'habitude d'y passer quelques semaines tous les ans. Elle se réjouissait d'y recevoir Jacques dans une intimité plus grande encore qu'à Louveciennes. Elle partit la première, suivie de près par ses amis.

Au lieu de quinze jours, la petite colonie fit un séjour de deux mois. Les deux fiancés partaient le matin pour de longues promenades à travers les roches. La grande mer leur envoyait ses âcres senteurs salines, ou bien, ils s'enfonçaient à travers la campagne, et leur imagination d'artistes trouvait un charme infini à ces excursions nouvelles. Autour de La Birochère, de vieux chênes, des hêtres chevelus couvrent la terre féconde de bois sombres et bleus. La forêt se dessine capricieusement, enroulée autour du golfe et découpant au hasard des criques ses fantastiques dessins; une vraie forêt de la vieille Bretagne, où sous les ramures frissonnantes le rêve attendri cherche encore une Velléda blonde. Pas de routes tracées dans la profondeur muette des bois silencieux. Quelques sentiers qui s'entre-croisent, des lacets jaunâtres à demi cachés sous la mousse, et, de temps à autre, d'énormes blocs de pierre grise, qu'on croirait jetés au milieu des arbres par les efforts magiques d'un géant enchanteur. Les jeunes gens éprouvaient une jouissance exquise à se perdre au milieu de ces luxuriants dédales. Tout près d'eux, la mer grondait comme un lion au repos; au-dessus de leurs têtes, le grand ciel ardoisé de Bretagne; et partout un calme infini à peine troublé par la respiration profonde de la nature.

– Et le travail? disait de temps en temps Faustine avec un sourire de reproche.

Françoise défendait son fils; elle voulait qu'il se reposât. Après tant d'années de labeur, il pouvait bien goûter quelques semaines d'oisiveté utile. Le cerveau a besoin de se renouveler. Octobre s'achevait, le temps devenait plus âpre, et personne ne pensait encore à regagner Paris. Félix et Nelly ne se plaignaient pas d'être abandonnés par les deux fiancés. Leurs amours conjugales, en plein renouveau, n'en étaient pas moins charmantes pour être plus positives. Nelly tenait parole. Elle assassinait son mari de tendresses; elle l'étouffait de baisers; le bon Félix n'en gémissait pas. Plus de verrou moqueur à la porte de la jolie femme! Elle disait: «Je veux mon mari!» ou bien: «J'emmène mon mari!» d'une façon qui montrait que sa tyrannie d'enfant gâtée ne désarmait pas. Elle continuait à gouverner son époux; seulement, au lieu de le glacer par sa froideur, elle l'accablait de son amour.

– Tu ne peux donc pas rester dans un juste milieu raisonnable? lui demandait Faustine en riant.

– Je voudrais t'y voir! Et puis, ma chère, l'excès ne me déplaît pas… en cette matière-là, bien entendu. Les demoiselles Aurélie peuvent faire ce qu'elles voudront; je suis plus forte qu'elles à présent!

Entre ce couple d'amoureux, Françoise menait sa vie patiente et calme. Elle observait beaucoup Faustine, et chaque jour elle la chérissait davantage. Cette jeune femme d'apparence froide, et qui se livrait tout entière quand elle s'était donnée, cette nature profondément tendre et qui cachait sa tendresse aux seuls indifférents, plaisait à la fille du peuple ardente et passionnée. Elle aimait surtout Faustine d'aimer son fils. Les servantes d'un dieu comprennent toujours celles qui partagent leur culte. Ce furent donc deux mois de bonheur plein, de tranquillité paisible.

Le notaire de Mme de Guessaint eut seul le pouvoir de troubler cette quiétude. Il avertissait sa cliente que son retour à Paris devenait nécessaire, car il désirait lui parler de choses importantes; il s'agissait de la succession de son mari. Faustine prévint ses hôtes qu'on partirait quelques jours plus tard. Elle s'en allait de Bretagne plus éprise que jamais. Après deux mois d'existence commune, elle n'éprouvait aucune désillusion. Chez Jacques l'homme valait l'artiste. Sa franchise et sa loyauté séduisaient la jeune femme autant que sa haute intelligence; et Jacques, lui, pour la première fois de sa vie, connaissait enfin l'amour dans ce qu'il a de plus élevé et de plus complet.

– Nous reviendrons ici, n'est-ce pas? dit-il. J'ai vécu sur ce coin de plage les jours les plus heureux de mon existence. Je croyais impossible de n'aimer une femme qu'avec mon cœur; vous m'avez montré que ce qu'il y a de vraiment divin, c'est l'union de deux âmes.

Heureux et calme, il attendait son bonheur sans impatience. Cinq mois passés déjà! Cinq mois encore, et la bien-aimée lui appartiendrait. A vingt-six ans, l'existence s'ouvre si large et si belle que les impatiences fiévreuses s'apaisent bien vite, quand on a la certitude d'un bonheur prochain.

Me Denizot, notaire à Paris, se présentait chez Faustine le lendemain même de son arrivée.

– J'ai su que vous aviez quitté Paris après le malheur qui vous a frappée, Madame. D'ailleurs, je n'avais pas lieu de vous importuner. J'étais le notaire de M. de Guessaint, je suis le vôtre, et je connais à fond les affaires qui vous intéressent. Vous étiez mariés sous le régime de la communauté; en cas de décès, le survivant devait hériter. Ne voyant pas la nécessité de pourvoir à l'administration des biens de votre époux, présumé absent, je vous ai laissée tout entière à votre douleur.

Les affaires d'intérêt ne préoccupaient guère Faustine. Deux mots seulement la frappaient dans la phrase de l'officier ministériel. Pourquoi disait-il en parlant de son mari «présumé absent»? Me Denizot lui donna tout de suite l'explication nécessaire.

– La situation est bien nette, Madame. L'article 15 du Code civil ne permet aucun doute. Lorsqu'une personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, et que depuis quatre ans on n'en aura point de nouvelles, les parties intéressées pourront se pourvoir devant le tribunal de première instance, afin que l'absence soit déclarée.

Faustine ne voyait toujours qu'une question d'affaire, débattue par un homme d'affaires.

– Cependant, maître Denizot, mon mari est déjà mort depuis cinq mois.

– Vous commettez une petite erreur, Madame. M. de Guessaint n'est pas considéré comme mort, mais comme disparu.

– Je ne comprends pas bien la différence.

– Elle est capitale, cependant. Dans le premier cas, vous entreriez tout de suite en possession de son héritage; dans le second, vous êtes forcée de l'attendre.

– Cela n'a pas beaucoup d'importance pour moi. Que je sois plus ou moins riche, qu'importe? Si je viens à me remarier, mon second mari m'épousera pour moi, non pour ma fortune.

Me Denizot, vieux notaire, blanchi dans le respect du Code, ne connaissait qu'une chose: LA LOI. Quand on commettait devant lui une hérésie de jurisprudence, il bondissait comme si on eût attaqué une maîtresse adorée. En écoutant Mme de Guessaint, il se contenta de témoigner une stupéfaction profonde. Il lui semblait impossible qu'une créature humaine pût être aussi ignorante des lois de son pays. Il crut avoir mal entendu et répliqua:

– Je ne comprends pas bien ce que vous me dites, Madame.

– C'est pourtant bien clair. Vous m'apprenez que je n'hériterai la fortune de mon mari qu'au bout d'un certain temps. Je ne récrimine pas et ne m'étonne pas. La question est pour moi sans importance. Puisque je suis veuve…

Cette fois, Me Denizot sauta sur son fauteuil.

– Mais vous n'êtes pas veuve, Madame!

Brusquement, Faustine devint toute pâle. Elle marchait à tâtons dans une impasse. Il lui semblait qu'elle se heurterait bientôt à un obstacle terrible.

– Vous dites? Je ne suis pas veuve, je ne suis pas libre?

– Mais non, Madame, mais non!

– Je ne peux pas me remarier si cela me convient?

– Non, non, mille fois non!

Faustine défaillait. Qu'était-ce donc que cette loi qui lui réservait subitement une si cruelle surprise? Me Denizot ne voyait pas le trouble profond où il jetait sa cliente. Emballé par sa passion de jurisconsulte, il reprit avec ardeur:

– Voilà bien les gens du monde! Ils n'ont jamais lu le Code, le seul livre sérieux qu'on ait écrit! «Article 147: On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. – Article 47: Le mariage ne se dissout que par la mort.»

– M. de Guessaint n'est donc pas mort?

– Mais non, Madame, il n'est pas mort; disparu seulement, et ce n'est pas la même chose. On n'a pas pu constater sa mort, puisqu'on n'a pas retrouvé son cadavre. Pour rédiger l'acte de décès de votre mari, il faudrait qu'on rencontrât des témoins pouvant affirmer à quelle heure, et dans quelles circonstances, il a été tué. Bien plus, l'officier de l'état civil est spécialement chargé de s'assurer du décès; et il est censé devoir le constater toujours personnellement de visu. Vous ne connaissez donc pas l'article 77?

Et les lunettes de M. Denizot sautaient sur son nez, comme si le notaire s'indignait qu'une femme du monde, élégante et jolie, ne connût pas l'article 77! Faustine comprenait que la lutte recommençait pour elle. La fière créature s'y jetait courageusement, comme toujours. Il fallait se battre encore? Eh bien, elle se battrait.

– Certainement, je ne connais pas le Code, monsieur. Mais je comprends tout de suite ce qui est intelligent ou ce qui ne l'est pas. Or, il me paraît impossible que le Code édicte une sottise. Il résulterait de vos paroles qu'on ne pourrait jamais dresser l'acte de décès d'un homme ou d'une femme dont le corps ne serait pas retrouvé. Cependant, quand un soldat est tué sur le champ de bataille, quand un voyageur disparaît dans un naufrage, ils ne peuvent pas être considérés comme vivants. L'absence de constatations entraînerait toutes sortes de difficultés. La loi doit avoir prévu ces hasards douloureux.

– La loi a tout prévu, Madame, dit gravement Me Denizot, comme s'il n'admettait pas qu'on touchât à l'inviolabilité du Code.

– Eh bien, ce cas est le mien, ce me semble!

– La jurisprudence a dû apporter un tempérament raisonnable aux exigences de la loi. Certes, il est des personnes auxquelles la tenue des registres de l'état civil ne peut raisonnablement s'appliquer. On admet donc que les tribunaux ont le droit de constater un décès par jugement.

– Je m'adresserai aux tribunaux, c'est bien simple.

– Pardon, pardon, Madame. La jurisprudence a décidé qu'en cas d'incendie ou de naufrage, la preuve ressortait suffisamment des témoignages, attestant qu'une personne a été vue enveloppée par les flammes, ou qu'elle a été vue engloutie par les flots. Mais jamais… vous m'entendez bien, Madame?.. jamais, en cas de disparition ou même d'absence proprement dite, on n'a pu suppléer à la constatation du décès. Quelques fortes que soient les présomptions, les tribunaux, en dehors de ces deux cas, se sont toujours refusés à prononcer la dissolution d'un mariage.

Faustine restait écrasée par la netteté de ces paroles. Elle remercia Me Denizot d'un signe de tête. Elle ne pouvait pas prononcer une parole. Le notaire se retira, enchanté de lui-même, et charmé d'avoir donné une consultation de droit à une aussi jolie cliente.

La malheureuse! Tout croulait autour d'elle: le passé, le présent et l'avenir. Jamais elle ne serait la femme de Jacques; le bonheur rêvé depuis cinq mois s'envolait pour ne plus revenir. Elle restait stupide, les yeux fixes, le corps à demi incliné, ne voyant plus clair dans son destin, doutant même de la justice de Dieu. Que faire? Elle se croyait libre, elle ne l'était pas; elle se croyait heureuse, et voilà que le malheur la ressaisissait à nouveau entre ses griffes pour la déchirer plus cruellement. Cette créature vaillante, toujours prête pour la lutte, voyait que même la lutte devenait impossible. On ne se bat pas contre des chimères, on ne résiste pas à l'impossible, on ne se jette pas tête baissée contre un mur qu'on n'enfoncera pas. Elle en revenait toujours à ces deux mots qui flambaient devant elle comme une lueur d'incendie: «Que faire?» Mais, surtout, comment apprendre à Jacques le désastre qui les frappait? Survivrait-il à ce coup imprévu? Généreuse et chevaleresque comme toujours, elle plaignait Jacques plus encore qu'elle-même. Elle se savait moins nerveuse et plus résistante que lui contre les découragements et les dégoûts de la vie. S'il allait se tuer? Pour la première fois, depuis que la pensée s'était éveillée en elle, Faustine hésitait. Son devoir lui paraissait trouble. Et de nouveau, un immense désespoir l'envahissait; de nouveau, elle s'interrogeait, se demandant pour la troisième fois: «Que faire?»

Son cœur trouvait une réponse que sa conscience n'approuvait pas.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
290 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
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