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Читать книгу: «Robinson Crusoe. I», страница 26

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LA CAPITULATION

Ils étaient justement sur le point d'entrer dans la chaloupe, quand Vendredi et le second se mirent à crier. Ils les entendirent aussitôt, et leur répondirent tout en courant le long du rivage à l'Ouest, du côté de la voix qu'ils avaient entendue; mais tout-à-coup ils furent arrêtés par la crique. Les eaux étant hautes, ils ne pouvaient traverser, et firent venir la chaloupe pour les passer sur l'autre bord comme je l'avais prévu.

Quand ils eurent traversé, je remarquai que, la chaloupe ayant été conduite assez avant dans la crique, et pour ainsi dire dans un port, ils prirent avec eux un des trois hommes qui la montaient, et n'en laissèrent seulement que deux, après l'avoir amarrée au tronc d'un petit arbre sur le rivage.

C'était là ce que je souhaitais. Laissant Vendredi et le second du capitaine à leur besogne, j'emmenai sur-le-champ les autres avec moi, et, me rendant en tapinois au-delà de la crique, nous surprîmes les deux matelots avant qu'ils fussent sur leurs gardes, l'un couché sur le rivage, l'autre dans la chaloupe. Celui qui se trouvait à terre flottait entre le sommeil et le réveil; et, comme il allait se lever, le capitaine, qui était le plus avancé, courut sur lui, l'assomma, et cria à l'autre, qui était dans l'esquif: – «Rends-toi ou tu es mort.»

Il ne fallait pas beaucoup d'arguments pour soumettre un seul homme, qui voyait cinq hommes contre lui et son camarade étendu mort. D'ailleurs c'était, à ce qu'il paraît, un des trois matelots qui avaient pris moins de part à la mutinerie que le reste de l'équipage. Aussi non-seulement il se décida facilement à se rendre, mais dans la suite il se joignit sincèrement à nous.

Dans ces entrefaites Vendredi et le second du capitaine gouvernèrent si bien leur affaire avec les autres mutins qu'en criant et répondant, ils les entraînèrent d'une colline à une autre et d'un bois à un autre, jusqu'à ce qu'ils les eussent horriblement fatigués, et ils ne les laissèrent que lorsqu'ils furent certains qu'ils ne pourraient regagner la chaloupe avant la nuit. Ils étaient eux-mêmes harassés quand ils revinrent auprès de nous.

Il ne nous restait alors rien autre à faire qu'à les épier dans l'obscurité, pour fondre sur eux et en avoir bon marché.

Ce ne fut que plusieurs heures après le retour de Vendredi qu'ils arrivèrent à leur chaloupe; mais long-temps auparavant nous pûmes entendre les plus avancés crier aux traîneurs de se hâter, et ceux-ci répondre et se plaindre qu'ils étaient las et écloppés et ne pouvaient marcher plus vite: fort heureuse nouvelle pour nous.

Enfin ils atteignirent la chaloupe. – il serait impossible de décrire quelle fut leur stupéfaction quand ils virent qu'elle était ensablée dans la crique, que la marée s'était retirée et que leurs deux compagnons avaient disparu. Nous les entendions s'appeler l'un l'autre de la façon la plus lamentable, et se dire entre eux qu'ils étaient dans une île ensorcelée; que, si elle était habitée par des hommes, ils seraient touts massacrés; que si elle l'était par des démons ou des esprits, ils seraient touts enlevés et dévorés.

Ils se mirent à crier de nouveau, et appelèrent un grand nombre de fois leurs deux camarades par leurs noms; mais point de réponse. Un moment après nous pouvions les voir, à la faveur du peu de jour qui restait, courir çà et là en se tordant les mains comme des hommes au désespoir. Tantôt ils allaient s'asseoir dans la chaloupe pour se reposer, tantôt ils en sortaient pour rôder de nouveau sur le rivage, et pendant assez long-temps dura ce manége.

Mes gens auraient bien désiré que je leur permisse de tomber brusquement sur eux dans l'obscurité; mais je ne voulais les assaillir qu'avec avantage, afin de les épargner et d'en tuer le moins que je pourrais. Je voulais surtout n'exposer aucun de mes hommes à la mort, car je savais l'ennemi bien armé. Je résolus donc d'attendre pour voir s'ils ne se sépareraient point; et, à dessein de m'assurer d'eux, je fis avancer mon embuscade, et j'ordonnai à Vendredi et au capitaine de se glisser à quatre pieds, aussi à plat ventre qu'il leur serait possible, pour ne pas être découverts, et de s'approcher d'eux le plus qu'ils pourraient avant de faire feu.

Il n'y avait pas long-temps qu'ils étaient dans cette posture quand le maître d'équipage, qui avait été le principal meneur de la révolte, et qui se montrait alors le plus lâche et le plus abattu de touts, tourna ses pas de leur côté, avec deux autres de la bande. Le capitaine était tellement animé en sentant ce principal vaurien si bien en son pouvoir, qu'il avait à peine la patience de le laisser assez approcher pour le frapper à coup sûr; car jusque là il n'avait qu'entendu sa voix; et, dès qu'ils furent à sa portée, se dressant subitement sur ses pieds, ainsi que Vendredi, ils firent feu dessus.

Le maître d'équipage fut tué sur la place; un autre fut atteint au corps et tomba près de lui, mais il n'expira qu'une ou deux heures après; le troisième prit la fuite.

À cette détonation, je m'approchai immédiatement avec toute mon armée, qui était alors de huit hommes, savoir: moi, généralissime; Vendredi, mon lieutenant-général; le capitaine et ses deux compagnons, et les trois prisonniers de guerre auxquels il avait confié des armes.

Nous nous avançâmes sur eux dans l'obscurité, de sorte qu'on ne pouvait juger de notre nombre. – J'ordonnai au matelot qu'ils avaient laissé dans la chaloupe, et qui était alors un des nôtres, de les appeler par leurs noms, afin d'essayer si je pourrais les amener à parlementer, et par là peut-être à des termes d'accommodement; – ce qui nous réussit à souhait; – car il était en effet naturel de croire que, dans l'état où ils étaient alors, ils capituleraient très-volontiers. Ce matelot se mit donc à crier de toute sa force à l'un d'entre eux: – «Tom Smith! Tom Smith!» – Tom Smith répondit aussitôt: – «Est-ce toi, Robinson?» – Car il paraît qu'il avait reconnu sa voix. – «Oui, oui, reprit l'autre. Au nom de Dieu, Tom Smith, mettez bas les armes et rendez-vous, sans quoi vous êtes touts morts à l'instant.»

– À qui faut-il nous rendre? répliqua Smith; où sont-ils?» – «Ils sont ici, dit Robinson: c'est notre capitaine avec cinquante hommes qui vous pourchassent depuis deux heures. Le maître d'équipage est tué, Will Frye blessé, et moi je suis prisonnier. Si vous ne vous rendez pas, vous êtes touts perdus.»

– «Nous donnera-t-on quartier? dit Tom Smith, si nous nous rendons?» – «Je vais le demander, si vous promettez de vous rendre,» répondit Robinson. – Il s'adressa donc au capitaine, et le capitaine lui-même se mit alors à crier: – «Toi, Smith, tu connais ma voix; si vous déposez immédiatement les armes et vous soumettez, vous aurez touts la vie sauve, hormis WILL ATKINS.»

Sur ce, WILL ATKINS s'écria: – Au nom de Dieu! capitaine, donnez-moi quartier! Qu'ai-je fait? Ils sont touts aussi coupables que moi.» – Ce qui, au fait, n'était pas vrai; car il paraît que ce WILL ATKINS avait été le premier à se saisir du capitaine au commencement de la révolte, et qu'il l'avait cruellement maltraité en lui liant les mains et en l'accablant d'injures. Quoi qu'il en fût, le capitaine le somma de se rendre à discrétion et de se confier à la miséricorde du gouverneur: c'est moi dont il entendait parler, car ils m'appelaient touts gouverneur.

Bref, ils déposèrent touts les armes et demandèrent la vie; et j'envoyai pour les garrotter l'homme qui avait parlementé avec deux de ses compagnons. Alors ma grande armée de cinquante d'hommes, laquelle, y compris les trois en détachement, se composait en tout de huit hommes, s'avança et fit main basse sur eux et leur chaloupe. Mais je me tins avec un des miens hors de leur vue, pour des raisons d'État.

Notre premier soin fut de réparer la chaloupe et de songer à recouvrer le vaisseau. Quant au capitaine, il eut alors le loisir de pourparler avec ses prisonniers. Il leur reprocha l'infamie de leurs procédés à son égard, et l'atrocité de leur projet, qui, assurément, les aurait conduits enfin à la misère et à l'opprobre, et peut-être à la potence.

Ils parurent touts fort repentants et implorèrent la vie. Il leur répondit là-dessus qu'ils n'étaient pas ses prisonniers, mais ceux du gouverneur de l'île; qu'ils avaient cru le jeter sur le rivage d'une île stérile et déserte, mais qu'il avait plu à Dieu de les diriger vers une île habitée, dont le gouverneur était Anglais, et pouvait les y faire pendre touts, si tel était son plaisir; mais que, comme il leur avait donné quartier, il supposait qu'il les enverrait en Angleterre pour y être traités comme la justice le requérait, hormis ATKINS, à qui le gouverneur lui avait enjoint de dire de se préparer à la mort, car il serait pendu le lendemain matin.

Quoique tout ceci ne fût qu'une fiction de sa part, elle produisit cependant tout l'effet désiré. ATKINS se jeta à genoux et supplia le capitaine d'intercéder pour lui auprès du gouverneur, et touts les autres le conjurèrent au nom de Dieu, afin de n'être point envoyés en Angleterre.

Il me vint alors à l'esprit que le moment de notre délivrance était venu, et que ce serait une chose très-facile que d'amener ces gens à s'employer de tout cœur à recouvrer le vaisseau. Je m'éloignai donc dans l'ombre pour qu'ils ne pussent voir quelle sorte de gouverneur ils avaient, et j'appelai à moi le capitaine. Quand j'appelai, comme si j'étais à une bonne distance, un de mes hommes reçut l'ordre de parler à son tour, et il dit au capitaine: – «Capitaine, le commandant vous appelle.» – Le capitaine répondit aussitôt: – «Dites à son Excellence que je viens à l'instant.» – Ceci les trompa encore parfaitement, et ils crurent touts que le gouverneur était près de là avec ses cinquante hommes.

Quand le capitaine vint à moi, je lui communiquai mon projet pour la prise du vaisseau. Il le trouva parfait, et résolut de le mettre à exécution le lendemain.

Mais, pour l'exécuter avec plus d'artifice et en assurer le succès, je lui dis qu'il fallait que nous séparassions les prisonniers, et qu'il prît ATKINS et deux autres d'entre les plus mauvais, pour les envoyer, bras liés, à la caverne où étaient déjà les autres. Ce soin fut remis à Vendredi et aux deux hommes qui avaient été débarqués avec le capitaine.

Ils les emmenèrent à la caverne comme à une prison; et c'était au fait un horrible lieu, surtout pour des hommes dans leur position.

Je fis conduire les autres à ma tonnelle, comme je l'appelais, et dont j'ai donné une description complète. Comme elle était enclose, et qu'ils avaient les bras liés, la place était assez sûre, attendu que de leur conduite dépendait leur sort.

À ceux-ci dans la matinée j'envoyai le capitaine pour entrer en pourparler avec eux; en un mot, les éprouver et me dire s'il pensait qu'on pût ou non se fier à eux pour aller à bord et surprendre le navire. Il leur parla de l'outrage qu'ils lui avaient fait, de la condition dans laquelle ils étaient tombés, et leur dit que, bien que le gouverneur leur eût donné quartier actuellement, ils seraient à coup sûr mis au gibet si on les envoyait en Angleterre; mais que s'ils voulaient s'associer à une entreprise aussi loyale que celle de recouvrer le vaisseau, il aurait du gouverneur la promesse de leur grâce.

On devine avec quelle hâte une semblable proposition fut acceptée par des hommes dans leur situation. Ils tombèrent aux genoux du capitaine, et promirent avec les plus énergiques imprécations qu'ils lui seraient fidèles jusqu'à la dernière goutte de leur sang; que, lui devant la vie, ils le suivraient en touts lieux, et qu'ils le regarderaient comme leur père tant qu'ils vivraient.

– «Bien, reprit le capitaine; je m'en vais reporter au gouverneur ce que vous m'avez dit, et voir ce que je puis faire pour l'amener à donner son consentement.» – Il vint donc me rendre compte de l'état d'esprit dans lequel il les avait trouvés, et m'affirma qu'il croyait vraiment qu'ils seraient fidèles.

REPRISE DU NAVIRE

Néanmoins, pour plus de sûreté, je le priai de retourner vers eux, d'en choisir cinq, et de leur dire, pour leur donner à penser qu'on n'avait pas besoin d'hommes, qu'il n'en prenait que cinq pour l'aider, et que les deux autres et les trois qui avaient été envoyés prisonniers au château, – ma caverne, – le gouverneur voulait les garder comme otages, pour répondre de la fidélité de ces cinq; et que, s'ils se montraient perfides dans l'exécution, les cinq otages seraient tout vifs accrochés à un gibet sur le rivage.

Ceci parut sévère, et les convainquit que c'était chose sérieuse que le gouverneur. Toutefois ils ne pouvaient qu'accepter, et ce fut alors autant l'affaire des prisonniers que celle du capitaine d'engager les cinq autres à faire leur devoir.

Voici quel était l'état de nos forces pour l'expédition: 1º le capitaine, son second et le passager; 2º les deux prisonniers de la première escouade, auxquels, sur les renseignements du capitaine, j'avais donné la liberté et confié des armes; 3º les deux autres, que j'avais tenus jusqu'alors garrottés dans ma tonnelle, et que je venais de relâcher, à la sollicitation du capitaine; 4º les cinq élargis en dernier: ils étaient donc douze en tout, outre les cinq que nous tenions prisonniers dans la caverne comme otages.

Je demandai au capitaine s'il voulait avec ce monde risquer l'abordage du navire. Quant à moi et mon serviteur Vendredi, je ne pensai pas qu'il fût convenable que nous nous éloignassions, ayant derrière nous sept hommes captifs. C'était bien assez de besogne pour nous que de les garder à l'écart, et de les fournir de vivres.

Quant aux cinq de la caverne, je résolus de les tenir séquestrés; mais Vendredi allait deux fois par jour pour leur donner le nécessaire. J'employais les deux autres à porter les provisions à une certaine distance, où Vendredi devait les prendre.

Lorsque je me montrai aux deux premiers otages, ce fut avec le capitaine, qui leur dit que j'étais la personne que le gouverneur avait désignée pour veiller sur eux; que le bon plaisir du gouverneur était qu'ils n'allassent nulle part sans mon autorisation; et que, s'ils le faisaient, ils seraient transférés au château et mis aux fers. Ne leur ayant jamais permis de me voir comme gouverneur, je jouais donc pour lors un autre personnage, et leur parlais du gouverneur, de la garnison, du château et autres choses semblables, en toute occasion.

Le capitaine n'avait plus d'autre difficulté devant lui que de gréer les deux chaloupes, de reboucher celle défoncée, et de les équiper. Il fit son passager, capitaine de l'une avec quatre hommes, et lui-même, son second et cinq matelots montèrent dans l'autre. Ils concertèrent très-bien leurs plans, car ils arrivèrent au navire vers le milieu de la nuit. Aussitôt qu'ils en furent à portée de la voix, le capitaine ordonna à Robinson de héler et de leur dire qu'ils ramenaient les hommes et la chaloupe, mais qu'ils avaient été bien long-temps avant de les trouver, et autres choses semblables. Il jasa avec eux jusqu'à ce qu'ils eussent accosté le vaisseau. Alors le capitaine et son second, avec leurs armes, se jetant les premiers à bord, assommèrent sur-le-champ à coups de crosse de mousquet le bosseman et le charpentier; et, fidèlement secondés par leur monde, ils s'assuraient de touts ceux qui étaient sur le pont et le gaillard d'arrière, et commençaient à fermer les écoutilles pour empêcher de monter ceux qui étaient en bas, quand les gens de l'autre embarcation, abordant par les porte-haubans de misaine, s'emparèrent du gaillard d'avant et de l'écoutillon26 qui descendait à la cuisine, où trois hommes qui s'y trouvaient furent faits prisonniers.

Ceci fait, tout étant en sûreté sur le pont, le capitaine ordonna à son second de forcer avec trois hommes la chambre du Conseil, où était posté le nouveau capitaine rebelle, qui, ayant eu quelque alerte, était monté et avait pris les armes avec deux matelots et un mouce27. Quand le second eut effondré la porte avec une pince, le nouveau capitaine et ses hommes firent hardiment feu sur eux. Une balle de mousquet atteignit le second et lui cassa le bras, deux autres matelots furent aussi blessés, mais personne ne fut tué.

Le second, appelant à son aide, se précipita cependant, tout blessé qu'il était, dans la chambre du Conseil, et déchargea son pistolet à travers la tête du nouveau capitaine. Les balles entrèrent par la bouche, ressortirent derrière l'oreille et le firent taire à jamais. Là-dessus le reste se rendit, et le navire fut réellement repris sans qu'aucun autre perdît la vie.

Aussitôt que le bâtiment fut ainsi recouvré, le capitaine ordonna de tirer sept coups de canon, signal dont il était convenu avec moi pour me donner avis de son succès. Je vous laisse à penser si je fus aise de les entendre, ayant veillé tout exprès sur le rivage jusqu'à près de deux heures du matin.

Après avoir parfaitement entendu le signal, je me couchai; et, comme cette journée avait été pour moi très-fatigante, je dormis profondément jusqu'à ce que je fus réveillé en sursaut par un coup de canon. Je me levai sur-le-champ, et j'entendis quelqu'un m'appeler: – «Gouverneur, gouverneur!» – Je reconnus de suite la voix du capitaine, et je grimpai sur le haut du rocher où il était monté. Il me reçut dans ses bras, et, me montrant du doigt le bâtiment: – «Mon cher ami et libérateur, me dit-il, voilà votre navire; car il est tout à vous, ainsi que nous et tout ce qui lui appartient.» Je jetai les yeux sur le vaisseau. Il était mouillé à un peu plus d'un demi-mille du rivage; car ils avaient appareillé dès qu'ils en avaient été maîtres; et, comme il faisait beau, ils étaient venus jeter l'ancre à l'embouchure de la petite crique; puis, à la faveur de la marée haute, le capitaine amenant la pinace près de l'endroit où j'avais autrefois abordé avec mes radeaux, il avait débarqué juste à ma porte.

Je fus d'abord sur le point de m'évanouir de surprise; car je voyais positivement ma délivrance dans mes mains, toutes choses faciles, et un grand bâtiment prêt à me transporter s'il me plaisait de partir. Pendant quelque temps je fus incapable de répondre un seul mot; mais, comme le capitaine m'avait pris dans ses bras, je m'appuyai fortement sur lui, sans quoi je serais tombé par terre.

Il s'apperçut de ma défaillance, et, tirant vite une bouteille de sa poche, me fit boire un trait d'une liqueur cordiale qu'il avait apportée exprès pour moi. Après avoir bu, je m'assis à terre; et, quoique cela m'eût rappelé à moi-même, je fus encore long-temps sans pouvoir lui dire un mot.

Cependant le pauvre homme était dans un aussi grand ravissement que moi, seulement il n'était pas comme moi sous le coup de la surprise. Il me disait mille bonnes et tendres choses pour me calmer et rappeler mes sens. Mais il y avait un tel gonflement de joie dans ma poitrine, que mes esprits étaient plongés dans la confusion; enfin il débonda par des larmes, et peu après je recouvrai la parole.

Alors je l'étreignis à mon tour, je l'embrassai comme mon libérateur, et nous nous abandonnâmes à la joie. Je lui dis que je le regardais comme un homme envoyé par le Ciel pour me délivrer; que toute cette affaire me semblait un enchaînement de prodiges; que de telles choses étaient pour nous un témoignage que la main cachée d'une Providence gouverne l'univers et une preuve évidente que l'œil d'une puissance infinie sait pénétrer dans les coins les plus reculés du monde et envoyer aide aux malheureux toutes fois et quantes qu'il lui plaît.

Je n'oubliai pas d'élever au Ciel mon cœur reconnaissant. Et quel cœur aurait pu se défendre de le bénir, Celui qui non-seulement avait d'une façon miraculeuse pourvu aux besoins d'un homme dans un semblable désert et dans un pareil abandon, mais de qui, il faut incessamment le reconnaître, toute délivrance procède!

Quand nous eûmes jasé quelque temps, le capitaine me dit qu'il m'avait apporté tels petits rafraîchissements que pouvait fournir le bâtiment, et que les misérables qui en avaient été si long-temps maîtres n'avaient pas gaspillés. Sur ce il appela les gens de la pinace et leur ordonna d'apporter à terre les choses destinées au gouverneur. C'était réellement un présent comme pour quelqu'un qui n'eût pas dû s'en aller avec eux, comme si j'eusse dû toujours demeurer dans l'île, et comme s'ils eussent dû partir sans moi.

Premièrement il m'avait apporté un coffret à flacons plein d'excellentes eaux cordiales, six grandes bouteilles de vin de Madère, de la contenance de deux quartes, deux livres de très-bon tabac, douze grosses pièces de bœuf salé et six pièces de porc, avec un sac de pois et environ cent livres de biscuit.

Il m'apporta aussi une caisse de sucre, une caisse de fleur de farine, un sac plein de citrons, deux bouteilles de jus de limon et une foule d'autres choses. Outre cela, et ce qui m'était mille fois plus utile, il ajouta six chemises toutes neuves, six cravates fort bonnes, deux paires de gants, une paire de souliers, un chapeau, une paire de bas, et un très-bon habillement complet qu'il n'avait que très-peu porté. En un mot, il m'équipa des pieds à la tête.

Comme on l'imagine, c'était un bien doux et bien agréable présent pour quelqu'un dans ma situation. Mais jamais costume au monde ne fut aussi déplaisant, aussi étrange, aussi incommode que le furent pour moi ces habits les premières fois que je m'en affublai.

Après ces cérémonies, et quand toutes ces bonnes choses furent transportées dans mon petit logement, nous commençâmes à nous consulter sur ce que nous avions à faire de nos prisonniers; car il était important de considérer si nous pouvions ou non risquer de les prendre avec nous, surtout les deux d'entre eux que nous savions être incorrigibles et intraitables au dernier degré. Le capitaine me dit qu'il les connaissait pour des vauriens tels qu'il n'y avait pas à les domter, et que s'il les emmenait, ce ne pourrait être que dans les fers, comme des malfaiteurs, afin de les livrer aux mains de la justice à la première colonie anglaise qu'il atteindrait. Je m'apperçus que le capitaine lui-même en était fort chagrin.

Aussi lui dis-je que, s'il le souhaitait, j'entreprendrais d'amener les deux hommes en question à demander eux-mêmes d'être laissés dans l'île. – «J'en serais aise, répondit-il, de tout mon cœur.»

– «Bien, je vais les envoyer chercher, et leur parler de votre part.» – Je commandai donc à Vendredi et aux deux otages, qui pour lors étaient libérés, leurs camarades ayant accompli leur promesse, je leur ordonnai donc, dis-je, d'aller à la caverne, d'emmener les cinq prisonniers, garrottés comme ils étaient, à ma tonnelle, et de les y garder jusqu'à ce que je vinsse.

Quelque temps après je m'y rendis vêtu de mon nouveau costume, et je fus alors derechef appelé gouverneur. Touts étant réunis, et le capitaine m'accompagnant, je fis amener les prisonniers devant moi, et je leur dis que j'étais parfaitement instruit de leur infâme conduite envers le capitaine, et de leur projet de faire la course avec le navire et d'exercer le brigandage; mais que la Providence les avait enlacés dans leurs propres piéges, et qu'il étaient tombés dans la fosse qu'ils avaient creusée pour d'autres.

Je leur annonçai que, par mes instructions, le navire avait été recouvré, qu'il était pour lors dans la rade, et que tout-à-l'heure ils verraient que leur nouveau capitaine avait reçu le prix de sa trahison, car ils le verraient pendu au bout d'une vergue.

26.Diminutif d'écoutille. (Note du correcteur – ELG.)
27.Petrus Borel explique, dans la préface, pourquoi il a orthographié le mot mousse ainsi. (Note du correcteur – ELG.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
390 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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