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Читать книгу: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2», страница 4

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CHAPITRE V

Du pachalic de Saide, dit aussi d’Acre

AU midi du pachalic de Tripoli, et sur le prolongement de la même côte maritime, s’étend un troisième pachalic, qui jusqu’à ce jour a porté le nom de la ville de Saide, sa capitale, mais qui maintenant pourra prendre celui d’Acre, où le pacha, depuis quelques années, a transféré sa résidence. La consistance de ce gouvernement a beaucoup varié dans ces derniers temps. Avant Dâher, il était composé du pays des Druzes et de toute la côte, depuis Nahr-el-kelb jusqu’au Carmel. A mesure que Dâher s’agrandit, il le resserra au point que le pacha ne posséda plus que la ville de Saide, dont il finit par être chassé; mais à la chute de Dâher, on a rétabli l’ancienne consistance. Djezzâr, qui a succédé à ce chaik en qualité de pacha, y a fait annexer le pays de Safad, de Tabarîé, de Balbek, ci-devant relevant de Damas, et le territoire de Qâïsarié (Césarée), occupé par les Arabes de Saqr. C’est aussi ce pacha qui, profitant des travaux de Dâher à Acre, a transféré sa résidence en cette ville; et de ce moment elle est devenue la capitale de la province.

Par ces divers accroissements, le pachalic d’Acre embrasse aujourd’hui tout le terrain compris depuis Nahr-el-kelb jusqu’au sud de Qâïsarié, entre la Méditerranée à l’ouest, l’Antiliban et le cours supérieur du Jourdain à l’est. Cette étendue lui donne d’autant plus d’importance, qu’il y joint des avantages précieux de position et de sol. Les plaines d’Acre, d’Ezdredon, de Sour, de Haoulé, et le bas-Beqââ, sont vantées avec raison pour leur fertilité. Le blé, l’orge, le maïs, le coton et le sésame y rendent, malgré l’imperfection de la culture, vingt et vingt-cinq pour un. Le pays de Qaïsarié possède une forêt de chênes, la seule de la Syrie. Le pays de Safad donne des cotons que leur blancheur fait estimer à l’égal de ceux de Cypre. Les montagnes voisines de Sour ont des tabacs aussi bons que ceux de Lataqîé, et l’on y trouve un canton où ils ont un parfum de girofle qui les fait réserver à l’usage exclusif du sultan et de ses femmes. Le pays des Druzes abonde en vins et en soies; enfin par la position de la côte et la quantité de ses anses, ce pachalic devient l’entrepôt nécessaire de Damas et de toute la Syrie intérieure.

Le pacha jouit de tous les droits de sa place; il est gouverneur despote, et fermier général. Il rend chaque année à la Porte une somme fixe de sept cent cinquante bourses; mais en outre, il est obligé, ainsi qu’à Tripoli, de fournir le djerdé ou convoi des pèlerins de la Mekke. On estime également sept cent cinquante bourses la quantité de riz, de blé, d’orge employés à ce convoi. Le bail de la ferme est pour un an seulement; mais il est souvent prorogé. Ses revenus sont: 1º le miri; 2º les sous-fermes des peuples tributaires, tels que les Druzes, les Motouâlis, et quelques tribus d’Arabes; 3º le casuel toujours abondant des successions et des avanies; 4º les produits des douanes, tant sur l’entrée que sur la sortie et le passage des marchandises. Cet article seul a été porté à mille bourses (1,250,000 liv.) dans la ferme que Djezzâr a passée, en 1784, de tous ses ports et anses. Enfin ce pacha, usant d’une industrie familière à ses pareils dans toute l’Asie, fait cultiver des terrains pour son compte, s’associe avec des marchands et des manufacturiers, et prête de l’argent à intérêt aux laboureurs et aux commerçants. La somme qui résulte de tous ces moyens, est évaluée entre neuf et dix millions de France. Si l’on y compare son tribut, qui n’est que de 1500 bourses, ou 1,875,000 liv., l’on pourra s’étonner que la Porte lui permette d’aussi gros bénéfices; mais ceci est encore un des principes du divan. Le tribut une fois déterminé, il ne varie plus. Seulement si le fermier s’enrichit, on le pressure par des demandes extraordinaires; souvent on le laisse thésauriser en paix; mais lorsqu’il s’est bien enrichi, il arrive toujours quelque accident qui amène à Constantinople son coffre fort ou sa tête. En ce moment, la Porte ménage Djezzâr, à raison, dit-elle, de ses services. En effet, il a contribué à la ruine de Dâher; il a détruit la famille de ce prince, réprimé les Bedouins de Saqr, abaissé les Druzes, et presque anéanti les Motouâlis. Ces succès lui ont valu des prorogations qui se continuent depuis dix ans. Récemment il a reçu les trois queues, et le titre de ouâzir (vizir) qui les accompagne20; mais, par un retour ordinaire, la Porte commence à prendre ombrage de sa fortune; elle s’alarme de son humeur entreprenante; lui, de son côté, redoute sa fourberie; en sorte qu’il règne de part et d’autre une défiance qui pourra avoir des suites. Il entretient des soldats en plus grand nombre et mieux tenus qu’aucun autre pacha; et il observe de n’enrôler que des gens venus de son pays; c’est-à-dire des Bochnâqs et des Arnautes; leur nombre se monte à environ neuf cents cavaliers. Il y joint environ mille Barbaresques à pied. Les portes de ses villes frontières ont des gardes régulières; ce qui est inusité dans le reste de la Syrie. Sur mer, il a une frégate, deux galiotes et un chébek qu’il a récemment pris sur les Maltais. Par ces précautions, dirigées en apparence contre l’étranger, il se met en garde contre les surprises du divan. L’on a déja tenté plus d’une fois la voie des capidjis; mais il les a fait veiller de si près, qu’ils n’ont rien pu exécuter; et les coliques subites qui en ont fait périr deux ou trois, ont beaucoup refroidi le zèle de ceux qui se chargent d’un si cauteleux emploi. D’ailleurs il soudoie des espions dans le séraï ou palais du sultan; et il y répand un argent qui lui assure des protecteurs. Ce moyen vient de lui procurer le pachalic de Damas, qu’il ambitionnait depuis long-temps, et qui en effet est le plus important de toute la Syrie. Il a cédé celui d’Acre à un mamlouk nommé Sélim, son ami et son compagnon de fortune; mais cet homme lui est si dévoué, que l’on peut regarder Djezzâr comme maître des deux gouvernements. L’on dit qu’il sollicite encore celui d’Alep. S’il l’obtient, il possédera presque toute la Syrie, et peut-être la Porte aura-t-elle trouvé un rebelle plus dangereux que Dâher; mais comme les conjectures en pareilles matières sont inutiles, et presque impossibles à asseoir, je vais passer, sans y insister, à quelques détails sur les lieux les plus remarquables de ce pachalic.

Le premier qui se présente en venant de Tripoli le long de la côte, est la ville de Béryte, que les Arabes prononcent comme les anciens Grecs, Baîrout21. Son local est une plaine qui du pied du Liban s’avance en pointe dans la mer, environ deux lieues hors la ligne commune du rivage: l’angle rentrant qui en résulte au nord, forme une assez grande rade, où débouche la rivière de Nahr-el-Salib, dite aussi Nahr-Baîrout. Cette rivière en hiver a des débordements qui ont forcé d’y construire un pont assez considérable; mais il est tellement ruiné, que l’on n’y peut plus passer: le fond de la rade est un roc qui coupe les câbles des ancres, et rend cette station peu sûre. De là, en allant à l’ouest vers la pointe, l’on trouve, après une heure de chemin, la ville de Baîrout. Jusqu’à ces derniers temps elle avait appartenu aux Druzes; mais Djezzâr a jugé à propos de la leur retirer, et d’y mettre une garnison turke. Elle n’en continue pas moins d’être l’entrepôt des Maronites et des Druzes: c’est par là qu’ils font sortir leurs cotons et leurs soies, destinées presque toutes pour le Kaire. Ils reçoivent en retour du riz, du tabac, du café et de l’argent, qu’ils échangent encore contre les blés de Beqâà et du Hauran: ce commerce entretient une population assez active, d’environ six mille ames. Le dialecte des habitants est renommé avec raison pour être le plus mauvais de tous; il réunit à lui seul les douze défauts d’élocution dont parlent les grammairiens arabes. Le port de Baîrout, formé comme tous ceux de la côte par une jetée, est comme eux comblé de sables et de ruines; la ville est enceinte d’un mur dont la pierre molle et sablonneuse cède au boulet de canon sans éclater; ce qui contraria beaucoup les Russes quand ils l’attaquèrent. D’ailleurs, ce mur et ses vieilles tours sont sans défense. Il s’y joint deux autres inconvénients qui condamnent Baîrout à n’être jamais qu’une mauvaise place; car d’une part elle est dominée par un cordon de collines qui courent à son sud-est, et de l’autre elle manque d’eau dans son intérieur. Les femmes sont obligées de l’aller puiser à un demi-quart de lieue, à une source où elle n’est pas trop bonne. Djezzâr a entrepris de construire une fontaine publique, comme il a fait à Acre; mais le canal que j’ai vu creuser sera de peu de durée. Les fouilles que l’on a faites en d’autres circonstances pour former des citernes, ont fait découvrir des ruines souterraines, d’après lesquelles il paraît que la ville moderne est bâtie sur l’ancienne. Lataqîé, Antioche, Tripoli, Saide, et la plupart des villes de la côte sont dans le même cas, par l’effet des tremblements de terre qui les ont renversées à diverses époques. On trouve aussi hors des murs à l’ouest, des décombres et quelques fûts de colonnes, qui indiquent que Baîrout a été autrefois beaucoup plus grande qu’aujourd’hui. La plaine qui forme son territoire est toute plantée en mûriers blancs, qui, au contraire de ceux de Tripoli, sont jeunes et vivaces, parce que sous la régie druze on les renouvelait impunément. Aussi la soie qu’ils fournissent est d’une très-belle qualité: c’est un coup d’œil vraiment agréable, lorsqu’on vient des montagnes, d’apercevoir, de leurs sommets ou de leurs pentes, le riche tapis de verdure que déploie au fond lointain de la vallée cette forêt d’arbres utiles: dans l’été, le séjour de Baîrout est incommode par sa chaleur et son eau tiède; cependant il n’est pas malsain: on dit qu’il le fut autrefois, mais qu’il cessa de l’être depuis que l’émir Fakr-el-dîn eut planté un bois de sapins qui subsiste encore à une lieue de la ville; les religieux de Mahr-Hanna, qui ne sont pas des physiciens à systèmes, citent la même observation pour divers couvents; ils assurent même que depuis que les sommets se sont couverts de sapins, les eaux de diverses sources sont devenues plus abondantes et plus saines: ce qui est d’accord avec d’autres faits déja connus.

Le pays des Druzes offre peu de lieux intéressants. Le plus remarquable est Dair-el Qamar ou Maison de la Lune, qui est la capitale et la résidence des émirs. Ce n’est point une cité, mais simplement un gros bourg mal bâti et fort sale. Il est assis sur le revers d’une montagne, au pied de laquelle coule une des branches de l’ancien fleuve Tamyras, aujourd’hui ruisseau de Dâmour. Sa population est formée de Grecs catholiques et schismatiques, de Maronites et de Druzes, au nombre de quinze à dix-huit cents ames. Le séraï ou palais du prince, n’est qu’une grande et mauvaise maison qui menace ruine.

Je citerai encore Zahlé, village au pied des montagnes, sur la vallée de Beqâà: depuis vingt ans ce lieu est devenu le centre des relations de Balbek, de Damas et de Baîrout, avec l’intérieur des montagnes. L’on prétend même qu’il s’y fabrique de la fausse monnaie; mais les ouvriers qui contrefont les piastres turkes, n’ont pu imiter la gravure plus fine des dahlers d’Allemagne.

J’oubliais d’observer que le pays des Druzes est divisé en qàtas ou sections, qui ont chacune un caractère principal qui les distingue. Le Matné qui est au nord, est le plus rocailleux et le plus riche en fer. Le Garb qui vient ensuite, a les plus beaux sapins. Le Sâhel, ou pays plat, qui est la lisière maritime, est riche en mûriers, et en vignes. Le Choûf, où se trouve Dair-el-Qamar, est le plus rempli d’oqqâls, et produit les plus belles soies. Le Tefâh, ou district des pommes, qui est au midi, abonde en ce genre de fruits. Le Chaqîf a les meilleurs tabacs; enfin l’on donne le nom de Djourd à toute la région la plus élevée et la plus froide des montagnes: c’est là que les pasteurs retirent dans l’été leurs troupeaux.

J’ai dit que les Druzes avaient accueilli chez eux des chrétiens grecs et maronites, et leur avaient concédé des terrains pour y bâtir des couvents. Les Grecs catholiques, usant de cette permission, en ont fondé douze depuis 70 ans. Le chef-lieu est Mar-hanna: ce monastère est situé en face du village de Chouair, sur une pente escarpée, au pied de laquelle coule en hiver un torrent qui va au Nahr-el-Kelb. La maison, bâtie au milieu de rochers et de blocs écroulés, n’est rien moins que magnifique. C’est un dortoir à deux rangs de petites cellules, sur lesquelles règne une terrasse solidement voûtée: l’on y compte 40 religieux. Son principal mérite est une imprimerie arabe, la seule qui ait réussi dans l’empire turk. Il y a environ 50 ans qu’elle est établie: le lecteur ne trouvera peut-être pas mauvais d’en apprendre en peu de mots l’histoire.

Dans les premières années de ce siècle, les jésuites, profitant de la considération que leur donnait la protection de la France, déployaient dans leur maison d’Alep le zèle d’instruction qu’ils ont porté partout. Ils avaient fondé dans cette ville une école où ils s’efforçaient d’élever les enfants des chrétiens dans la connaissance de la religion romaine, et dans la discussion des hérésies: ce dernier article est toujours le point capital des missionnaires; il en résulte une manie de controverse qui met sans cesse aux prises les partisans des différents rites de l’Orient. Les Latins d’Alep, excités par les jésuites, ne tardèrent pas de recommencer, comme autrefois, à argumenter contre les Grecs; mais comme la logique exige une connaissance méthodique de la langue, et que les chrétiens, exclus des écoles musulmanes, ne savaient que l’arabe vulgaire, ils ne pouvaient satisfaire par écrit leur goût de controverse. Pour y parvenir, les Latins résolurent de s’initier dans le scientifique de l’arabe. L’orgueil des docteurs musulmans répugnait à en ouvrir les sources à des infidèles; mais leur avarice fut encore plus forte que leurs scrupules; et moyennant quelques bourses, la science si vantée de la grammaire et du nahou fut introduite chez les chrétiens. Le sujet qui se distingua le plus par les progrès qu’il y fit, fut un nommé Abd-allah-zâker; il y joignit un zèle particulier à promulguer ses connaissances et ses opinions. On ne peut déterminer les suites qu’eût pu avoir cet esprit de prosélytisme dans Alep; mais un accident ordinaire en Turkie vint en déranger la marche. Les schismatiques, blessés des attaques d’Abd-allah, sollicitèrent sa perte à Constantinople. Le patriarche, excité par ses prêtres, le représenta au vizir comme un homme dangereux: le vizir, qui connaissait les usages, feignit d’abord de ne rien croire; mais le patriarche ayant appuyé ses raisons de quelques bourses, le vizir lui délivra un kat-chérîf, ou noble-seing du sultan, qui, selon la coutume, portait ordre de couper la tête à Abd-allah. Heureusement il fut prévenu assez à temps pour s’échapper; et il se sauva dans le Liban où sa vie était en sûreté; mais en quittant son pays, il ne perdit pas ses idées de réforme, et il résolut plus que jamais de répandre ses opinions. Il ne le pouvait plus que par des écrits: la voie des manuscrits lui parut insuffisante. Il connaissait les avantages de l’imprimerie: il eut le courage de former le triple projet d’écrire, de fondre et d’imprimer; et il parvint à l’exécuter par son esprit, sa fortune, et son talent de graveur, qu’il avait déja exercé dans la profession de joaillier. Il avait besoin d’un associé, et il eut le bonheur d’en trouver un qui partagea ses desseins: son frère, qui était supérieur à Mar-hanna, le détermina à choisir cette résidence; et dès lors, libre de tout autre soin, il se livra tout entier à l’exécution de son projet. Son zèle et son activité eurent tant de succès, que dès 1733 il fit paraître les Psaumes de David en un volume. Ses caractères furent trouvés si corrects et si beaux, que ses ennemis mêmes achetèrent son livre: depuis ce temps on en a renouvelé dix fois l’impression; l’on a fondu de nouveaux caractères, mais l’on n’a rien fait de supérieur aux siens. Ils imitent parfaitement l’écriture à la main; ils en observent les pleins et les déliés, et n’ont point l’air maigre et décousu des caractères arabes d’Europe. Il passa ainsi 20 années à imprimer divers ouvrages, qui furent la plupart des traductions de nos livres dévots. Ce n’est pas qu’il sût aucune de nos langues; mais les jésuites avaient déja traduit plusieurs livres; et comme leur arabe était tout-à-fait mauvais, il refondit leurs traductions, et leur substitua sa version, qui est un modèle de pureté et d’élégance. Sous sa plume, la langue a pris une marche soutenue, un style nombreux, clair et précis dont on ne l’eût pas crue capable, et qui indique que si jamais elle est maniée par un peuple savant, elle sera l’une des plus heureuses et des plus propres à tous les genres. Après la mort d’Abd-allah, arrivée vers 1755, son élève lui succéda; à celui-ci ont succédé des religieux de la maison même; ils ont continué d’imprimer et de fondre; mais l’établissement est languissant et menace de finir. Les livres se vendent peu, à l’exception des Psaumes, dont les chrétiens ont fait le livre classique de leurs enfants, et qu’il faut, par cette raison, renouveler sans cesse. Les frais sont considérables, attendu que le papier vient d’Europe, et que la main-d’œuvre est très-lente. Un peu d’art remédierait au premier de ces inconvénients; mais le second est radical. Les caractères arabes exigeant d’être liés entre eux, il faut, pour les bien joindre et les aligner, des soins d’un détail immense. En outre, la liaison des lettres variant de l’une à l’autre, selon qu’elles sont au commencement, au milieu ou à la fin d’un mot, il a fallu fondre beaucoup de lettres doubles; par-là les casses trop multipliées ne se trouvent plus rassemblées sous la main du compositeur; il est obligé de courir le long d’une table de dix-huit pieds de long, et de chercher ses lettres dans près de neuf cents cassetins: de là, une perte de temps qui ne permettra jamais aux imprimeries arabes d’atteindre à la perfection des nôtres. Quant au peu de débit des livres, il ne faut l’imputer qu’au mauvais choix que l’on en a fait; au lieu de traduire des ouvrages d’une utilité pratique, et qui fussent propres à éveiller le goût des arts chez tous les Arabes sans distinction, l’on n’a traduit que des livres mystiques exclusivement propres aux chrétiens, et qui, par leur morale misanthropique, ne sont faits que pour fomenter le dégoût de toute science et même de la vie. Le lecteur en pourra juger par le catalogue ci-joint.

Catalogue des livres imprimés au couvent de Mar-hanna-el-Chouir, dans la montagne des Druzes.

1. 22 Balance du temps, ou Différence du Temps et de l’Éternité, par le père Nieremberg, jésuite.

2. Vanité du monde, par Didaco Stella, jésuite.

3. Guide du Pécheur, par Louis de Grenade, jésuite.

4. Guide du Prêtre.

5. Guide du Chrétien.

6. Aliment de l’Ame.

7. Contemplation de la Semaine Sainte.

8. Doctrine Chrétienne.

9. Explication des sept Psaumes de la Pénitence.

10. Les Psaumes de David, traduits du grec.

11. Les Prophéties.

12. L’Évangile et les Épîtres.

13. Les Heures Chrétiennes, à quoi il faut joindre la Perfection Chrétienne de Rodriguez, et la Règle des Moines, imprimés tous les deux à Rome.

En manuscrits, ce couvent possède:

1. 23 Imitation de Jésus-Christ.

2. Jardin des Moines, ou la Vie des Saints Pères du Désert.

3. Théologie Morale, de Buzembaum.

4. Les Sermons de Segneri.

5. Théologie de saint Thomas, en 4 vol. in-fol., dont la transcription a coûté 1250 liv.

6. Sermons de saint Jean Chrysostôme.

7. Principes des Lois de Claude Virtieu.

8. *Dispute Théologique du moine George.

9. Logique traduite de l’italien, par un Maronite.

10. La lumière des Cœurs (Juifs), de Paul de Smyrne, juif converti.

11. *Demandes et Recherches sur la Grammaire et le Nahou, par l’évêque Germain, Maronite.

12. *Poésies du même, sur des sujets pieux.

13. *Poésies du Curé Nicolas, frère d’Abd-allah-Zâkèr.

14. Abrégé du Dictionnaire appelé l’Océan de la Langue arabe.

Tous ces ouvrages sont de la main des Chrétiens; ceux qui sont marqués d’étoiles sont de composition arabe; les suivants sont de la composition des Musulmans.

1. 24 Le Qôran, ou la Lecture de Mahomet.

2. L’Océan de la Langue arabe, traduit par Golius.

3. Les Mille Distiques d’Ebn-el-Malek, sur la Grammaire.

4. Explication des Mille Distiques.

5. Grammaire Adjeroumié.

6. Rhétorique de Taftazâni.

7. Séances, ou Histoires plaisantes de Hariri.

8. Poésies d’Omar Ebn-el-Fârdi, dans le genre érotique.

9. Science de la Langue arabe; petit livre dans le genre des Synonymes français de Girard.

10. Médecine d’Ebn-Sina (Avicenne).

11. Les Simples et les Drogues, traduit de Dioscoride par Ebn-el-Bitar.

12. Dispute des Médecins.

13. Fragmens Théologiques sur les sectes du monde.

14. Un livret de Contes (de peu de valeur). J’en ai l’extrait.

15. Histoire des Juifs, par Josèphe, traduction très-incorrecte.

Enfin, un petit livre d’astronomie dans les principes de Ptolomée, et quelques autres de nulle valeur.

Voilà en quoi consiste toute la bibliothèque du couvent de Mar-hanna, et l’on peut en prendre une idée de la littérature de toute la Syrie, puisque cette bibliothèque est, avec celle de Djezzâr, la seule qui y existe. Parmi les livres originaux, il n’y en a pas un seul qui, pour le fonds, mérite d’être traduit. Les séances même de Hariri n’ont d’intérêt qu’à raison du style; et il n’y a dans tout l’ordre qu’un seul religieux qui les entende: les autres ne sont pas mieux compris de la plupart des moines. Le régime de cette maison, et les mœurs des moines qui l’habitent, offrent quelques singularités qui méritent que j’en fasse mention.

La règle de leur ordre est celle de saint Basile, qui est pour les Orientaux ce que saint Benoît est pour les Occidentaux; seulement ils y ont fait quelques modifications relatives à leur position; la cour de Rome a sanctionné le code qu’ils en ont dressé il y a 30 ans. Ils peuvent prononcer les vœux dès l’âge de 16 ans, selon l’attention qu’ont eue tous les législateurs monastiques de captiver l’esprit de leurs prosélytes dès le plus jeune âge, pour le plier à leur institut; ces vœux sont, comme partout, ceux de pauvreté, d’obéissance, de dévouement et de chasteté; mais il faut avouer qu’ils sont plus strictement observés dans ce pays que dans le nôtre; en tout, la condition des moines d’Orient est bien plus dure que celle des moines d’Europe. On en pourra juger par le tableau de leur vie domestique. Chaque jour, ils ont 7 heures de prières à l’église, et personne n’en est dispensé. Ils se lèvent à 4 heures du matin, se couchent à 9 du soir, et ne font que deux repas, savoir, à 9 et à 5. Ils font perpétuellement maigre, et se permettent à peine la viande dans les plus grandes maladies; ils ont, comme les autres Grecs, trois grands carêmes par an, une foule de jeûnes, pendant lesquels ils ne mangent ni œufs, ni lait, ni beurre, ni même de fromage. Presque toute l’année ils vivent de lentilles à l’huile, de fèves, de riz au beurre, de lait caillé, d’olives et d’un peu de poisson salé. Leur pain est une petite galette grossière et mal levée, dure le second jour, et que l’on ne renouvelle qu’une fois par semaine. Avec cette nourriture, ils se prétendent moins sujets aux maladies que les paysans; mais il faut remarquer qu’ils portent tous des cautères au bras, et que plusieurs sont attaqués d’hernies, dues, je crois, à l’abus de l’huile. Chacun a pour logement une étroite cellule, et pour tout meuble une natte, un matelas, une couverture, et point de draps; ils n’en ont pas besoin, puisqu’ils dorment vêtus. Leur vêtement est une grosse chemise de coton rayée de bleu, un caleçon, une camisole, et une robe de bure brune si roide et si épaisse, qu’elle se tient debout sans faire un pli. Contre l’usage du pays, ils portent des cheveux de huit pouces de long; et au lieu de capuchon, un cylindre de feutre de dix pouces de hauteur, tel que celui des cavaliers turks. Enfin chacun d’eux, à l’exception du supérieur, du dépensier et du vicaire, exerce un métier d’un genre nécessaire ou utile à la maison; l’un est tisserand, et fabrique les étoffes; l’autre est tailleur, et coud les habits; celui-ci est cordonnier, et fait les souliers; celui-là est maçon, et dirige les constructions. Deux sont chargés de la cuisine, quatre travaillent à l’imprimerie, quatre à la reliure; et tous aident à la boulangerie, le jour que l’on fait le pain. La dépense de 40 à 45 bouches qui composent le couvent, n’excède pas chaque année la somme de 12 bourses, c’est-à-dire, 15,000 liv.; encore sur cette somme prend-on les frais de l’hospitalité de tous les passants, ce qui forme un article considérable. Il est vrai que la plupart de ces passants laissent des dons ou aumônes, qui font une partie du revenu de la maison; l’autre partie provient de la culture des terres. Ils en ont pris à rente une assez grande étendue, dont ils paient 400 piastres de redevance à deux émirs. Ces terres ont été défrichées par les premiers religieux; mais aujourd’hui, ils ont jugé à propos d’en remettre la culture à des paysans qui leur paient la moitié de tous les produits. Ces produits sont des soies blanches et jaunes que l’on vend à Baîrout; quelques grains et des vins25 qui, faute de débit, sont offerts en présent aux bienfaiteurs, ou consommés dans la maison. Ci-devant les religieux s’abstenaient d’en boire; mais, par une marche commune à toutes les sociétés, ils se sont déja relâchés de leur austérité première; ils commencent aussi à se tolérer la pipe et le café, malgré les réclamations des anciens, jaloux en tout pays de perpétuer les habitudes de leur jeunesse.

Le même régime a lieu pour toutes les maisons de l’ordre, qui, comme je l’ai dit, sont au nombre de 12. On porte à 150 sujets la totalité des religieux; il faut y ajouter 5 couvents de femmes qui en dépendent. Les premiers supérieurs qui les fondèrent, crurent avoir fait une bonne opération; mais aujourd’hui l’ordre s’en repent, parce que des religieuses en pays turk sont une chose dangereuse, et qu’en outre elles dépensent plus qu’elles ne rendent. L’on n’ose cependant les abolir, parce qu’elles tiennent aux plus riches maisons d’Alep, de Damas et du Kaire, qui se débarrassent de leurs filles dans ces couvents, moyennant une dot. C’est d’ailleurs pour un marchand un motif de verser des aumônes considérables. Plusieurs donnent chaque année cent pistoles, et même cent louis et mille écus, sans demander d’autre intérêt que des prières à Dieu, pour qu’il détourne d’eux le regard dévorant des pachas. Mais comme d’autre part ils le provoquent par le luxe fastueux de leurs habits et de leurs meubles, ces dons ne les empêchent point d’être rançonnés. Récemment l’un d’eux osa bâtir à Damas une maison de plus de 120,000 livres. Le pacha qui la vit, fit dire au maître qu’il était curieux de la visiter, et d’y prendre une tasse de café. Or, comme le pacha eût pu s’y plaire et y rester, il fallut, pour se débarrasser de sa politesse, lui faire un cadeau de 10,000 écus.

Après Mar-hanna, le couvent le plus remarquable est Dair-Mokallés, ou couvent de Saint-Sauveur. Il est situé à trois heures de chemin au nord-est de Saide. Les religieux avaient amassé dans ces derniers temps une assez grande quantité de livres arabes imprimés et manuscrits; mais il y a environ 8 ans que Djezzâr ayant porté la guerre dans ce canton, ses soldats pillèrent la maison et dispersèrent tous les livres.

En revenant à la côte, on doit remarquer d’abord Saîda, rejeton dégénéré de l’ancienne Sidon26. Cette ville, ci-devant résidence du pacha, est, comme toutes les villes turkes, mal bâtie, malpropre, et pleine de décombres modernes. Elle occupe, le long de la mer, un terrain d’environ 600 pas de long sur 150 de large. Dans la partie du sud, le terrain qui s’élève un peu, a reçu un fort construit par Degnîzlé. De là l’on domine la mer, la ville et la campagne; mais une volée de canon renverserait tout cet ouvrage, qui n’est qu’une grosse tour à un étage, déja à demi ruinée. A l’autre extrémité de la ville, c’est-à-dire au nord-ouest, est le château. Il est bâti dans la mer même, à 80 pas du continent, auquel il tient par des arches. A l’ouest de ce château, est un écueil de 15 pieds d’élévation au-dessus de la mer, et d’environ 200 pas de long. L’espace compris entre cet écueil et le château, sert de rade aux vaisseaux; mais ils n’y sont pas en sûreté contre le gros temps. Le rivage qui règne le long de la ville, est occupé par un bassin enclos d’un môle ruiné. C’était jadis le port; mais le sable l’a rempli au point qu’il n’y a que son embouchure près le château, qui reçoive des bateaux. C’est Fakr el Din, émir des Druzes, qui a commencé la ruine de tous ces petits ports, depuis Baîrout jusqu’à Acre, parce que craignant les vaisseaux turks, il y fit couler à fond des bateaux et des pierres. Le bassin de Saide, s’il était vidé, pourrait tenir 20 à 25 petits bâtiments. Du côté de la mer, la ville est absolument sans muraille; du côté de la terre, celle qui l’enceint n’est qu’un mur de prison. Toute l’artillerie réunie ne monte pas à six canons, qui n’ont ni affûts ni canonnier. A peine compte-t-on 100 hommes de garnison. L’eau vient de la rivière d’Aoula, par des canaux découverts où les femmes vont la puiser. Ces canaux servent aussi à abreuver des jardins d’un sol médiocre, où l’on cultive des mûriers et des limoniers.

20
   Tout pacha à trois queues est titré vizir.


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   C’est effectivement la prononciation du grec, Βηρυτ.


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22
  1. Mizân el Zâman.
  2. Abâtil el Aâlam.
  3. Morched el Kâti.
  4. Morched el Kâhen.
  5. Morched el Masihi.
  6. Qoût el Nafs.
  7. Taammol el Asboué.
  8. Tââlim el Masihi.
  9. Tafsir el Sabât.
  10. El Mazâmir.
  11. El Onbouât.
  12. El Endjîl oua el Rasâiel.
  13. El Souèïât.


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23
  1. Taqlîd el Masîh.
  2. Bestân el Rohobân.
  3. Elm el Niè l’Bouzembaoûm.
  4. Maouâèz Sainari.
  5. Lâhoût Mar Touma.
  6. Maouâèz Fomm el Dahab.
  7. Qaouâèd el Naouamis l’Qloud Firtiou.
  8. Madjâdalat el Anba Djordji.
  9. El Manteq.
  10. Noûr el Albâb.
  11. El Mataleb oua el Mebâhes.
  12. Diouân Djermanôs.
  13. Diouân Anqoula.
  14. Moktasar el Qâmoûs.


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24
  1. El Qôran.
  2. El Qâmous l’Firouz-àbâdi.
  3. El Alf bait l’Ebn-el-malek.
  4. Tafsïr el Alf bait.
  5. El Adjroumîé.
  6. Elm el Baïân l’Taftazâni.
  7. Maqâmât el Hariri.
  8. Diouân Omar Ebn el Fârdi.
  9. Fapâh el Logat.
  10. El tob l’Ebn Sina.
  11. El Mofradât.
  12. Dâouàt el Otobba.
  13. Abârât el Motakallamin.
  14. Nadim el Ouahid.
  15. Târik el Yhoud, l’Yousefous.


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25
   Ces vins sont de trois espèces: savoir, le rouge, le blanc et le jaune: le blanc, qui est le plus rare, est amer à un point qui le rend désagréable. Par un excès contraire, les deux autres sont trop doux et trop sucrés. La raison en est qu’on les fait bouillir, en sorte qu’ils ressemblent au vin cuit de Provence. L’usage de tout le pays est de réduire le moût aux deux tiers de sa quantité. On ne peut en boire pendant le repas sans s’exposer à des aigreurs, parce qu’ils développent leur fermentation dans l’estomac. Cependant il y a quelques cantons où l’on ne cuit pas le rouge, et alors il acquiert une qualité presque égale au Bordeaux. Le vin jaune est célèbre chez nos négociants, sous le nom de vin d’or, qu’il doit à sa belle couleur de topaze. Le plus estimé se cueille sur les coteaux du Zoûq ou village de Masbeh près d’Antoura. Il n’est pas nécessaire de le cuire, mais il est trop sucré. Voilà ces vins du Liban vantés des anciens gourmets grecs et romains. C’est à nos Français à essayer s’ils seraient du même avis; mais ils doivent observer que dans le passage de la mer, les vins cuits fermentent une seconde fois, et font crever les tonneaux. Il est probable que les habitants du Liban n’ont rien changé à l’ancienne méthode de faire le vin, ni à la culture des vignes. Elles sont disposées par échalas de six à huit pieds de hauteur. On ne les taille point comme en France, ce qui nuit sûrement beaucoup à la quantité et à la qualité de la récolte. La vendange se fait sur la fin de septembre. Le couvent de Mar-hanna cueille environ cent cinquante kâbié ou jarres de terre, qui tiennent à peu près cent dix pintes. Le prix courant dans le pays peut s’évaluer à sept ou huit sous notre pinte.


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26
   Le nom de Sidon subsiste encore dans un petit village à une demi-lieue de Saide.


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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2018
Объем:
391 стр. 20 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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