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Читать книгу: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2», страница 2

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Après ce dernier triomphe, il semblait que Dâher dût respirer, et vaquer sans distraction aux préparatifs d’une défense qui chaque jour devenait plus pressante; mais la fortune avait décidé qu’il ne jouirait plus d’aucun repos jusqu’à la fin de sa carrière. Depuis plusieurs années des troubles domestiques se joignaient à ceux de l’extérieur; ce n’était même que par la distraction de ceux-ci qu’il parvenait à calmer ceux-là. Ses enfants, qui étaient déja des vieillards, s’ennuyaient d’attendre si long-temps son héritage. Outre cette disposition qu’ils avaient eue de tout temps à la révolte, il leur était survenu des griefs qui l’avaient rendue plus dangereuse en la rendant plus légitime. Depuis plusieurs années, le chrétien Ybrahim, ministre du chaik, avait envahi toute sa confiance, et il en faisait un abus criant pour assouvir son avarice. Il n’osait pas exercer ouvertement les tyrannies des Turks; mais il ne négligeait aucun moyen, même malhonnête, d’amasser de l’argent. Il s’emparait de tous les objets de commerce; lui seul vendait le blé, le coton et les autres denrées de sortie; lui seul achetait les draps, les indigos, les sucres et les autres marchandises d’entrée. Avec une pareille avidité, il avait souvent choqué les prétentions et même les droits des chaiks; ils ne lui pardonnaient pas cet abus de puissance, et chaque jour, en amenant de nouveaux sujets de plaintes, portait à de nouveaux troubles. Dâher, dont la tête commençait à se ressentir de son extrême vieillesse, n’usait pas des moyens propres à le calmer. Il appelait ses enfants des ingrats et des rebelles; il ne trouvait de serviteur fidèle et désintéressé qu’Ybrahim; cet aveuglement ne servit qu’à détruire le respect pour sa personne, et à justifier leurs mécontentemens. L’année 1774 développa les fâcheux effets de cette conduite. Depuis la mort d’Ali-bek, Ybrahim trouvant que la balance des craintes devenait plus forte que celle des espérances, avait rabattu de sa hauteur. Il ne voyait plus autant de certitude à amasser de l’argent par la guerre. Ses alliés, les Russes, sur lesquels il fondait sa confiance, commençaient eux-mêmes à parler de paix. Ces motifs le déterminèrent à la conclure; il en traita avec un capidji que la Porte entretenait à Acre. L’on convint que Dâher et ses enfans mettraient bas les armes; qu’ils conserveraient le gouvernement de leur pays; qu’ils recevraient les queues, qui en sont le symbole. Mais en même temps, on stipula que Saide serait restituée, et que le chaik paierait le miri comme par le passé. Ces conditions mecontentèrent d’autant plus les enfants de Dâher, qu’elles furent accordées sans leur avis. Ils trouvèrent honteux de redevenir tributaires. Ils furent encore plus choqués de voir que l’on n’eût passé à aucun d’eux le titre de leur père; en conséquence, ils se révoltèrent tous. Ali s’en alla dans la Palestine, et se cantonna à Habroun; Ahmad et Seïd se retirèrent à Nâblous; Otman, chez les Arabes de Saqr; et le reste de l’année se passa dans ces dissensions. Les choses étaient à ce point, lorsqu’au commencement de 1775, Mohammad-bek parut en Palestine avec toutes les forces dont il pouvait disposer. Gaze se trouvant dépourvue de munitions n’osa résister. Yâfa, fière d’avoir joué un rôle dans tous les événements précédents, fut plus hardie; ses habitants s’armèrent, et peu s’en fallut que leur résistance ne fît échouer la vengeance du Mamlouk; mais tout conspira à la perte de Dâher. Les Druzes n’osèrent remuer; les Motouâlis étaient mécontents. Ybrahim appelait tout le monde, mais comme il n’offrait d’argent à personne, personne ne remuait: il n’eut pas même la prudence d’envoyer des provisions aux assiégés. Ils furent contraints de se rendre, et la route d’Acre resta ouverte. Aussitôt que l’on y apprit le désastre d’Yâfa, Ybrahim prit la fuite avec Dâher dans les montagnes du Safad. Ali-Dâher, qui comptait sur des conventions passées entre lui et Mohammad-bek, prit la place de son père; mais bientôt reconnaissant qu’il était trompé, il prit la fuite à son tour, et les Mamlouks furent maîtres d’Acre. Il était difficile de prévoir les bornes de cette révolution, lorsque la mort inopinée de son auteur vint tout à coup la rendre nulle et sans effet. La fuite des Égyptiens ayant laissé libres à Dâher sa ville et son pays, il ne tarda pas d’y reparaître; mais il s’en fallait beaucoup que l’orage fût apaisé. Bientôt on apprit qu’une flotte turke assiégeait Saide sous les ordres de Hasan, capitan pacha. Alors on reconnut trop tard la perfidie de la Porte, qui avait endormi la vigilance du chaik par des démonstrations d’amitié, dans le même temps qu’elle combinait avec Mohammad-bek les moyens de le perdre. Depuis un an qu’elle s’était débarrassée des Russes, il avait été facile de prévoir ses intentions par ses mouvements. Ne l’ayant pas fait, il restait encore à tenter d’en prévenir les effets; et l’on négligea cette dernière ressource. Degnizlé, bombardé dans Saide, sans espoir de secours, se vit contraint d’évacuer la ville; le capitan pacha se porta sur-le-champ devant Acre. A la vue de l’ennemi, l’on délibéra sur les moyens d’échapper au danger; et il arriva à ce sujet une querelle dont l’issue décida du sort de Dâher. Dans un conseil général qui se tint, l’avis d’Ybrahim fut de repousser la force par la force; il allégua pour ses raisons que le capitan pacha n’avait que trois grosses voiles; qu’il ne pouvait attaquer par terre, ni rester sans danger à l’ancre en face du château; que l’on avait assez de cavaliers et de Barbaresques pour empêcher une descente, et qu’il était presque certain que les Turks s’en iraient sans rien tenter. Contre cet avis, Degnizlé opina qu’il fallait faire la paix, parce qu’en résistant, l’on ne ferait que prolonger la guerre; il soutint qu’il n’était pas raisonnable d’exposer la vie de beaucoup de braves gens, quand on pouvait y suppléer par un moyen moins précieux; que ce moyen était l’argent; qu’il connaissait assez l’avidité du capitan pacha, pour assurer qu’il se laisserait séduire; qu’il était certain de le renvoyer, et même de s’en faire un ami, en lui comptant deux mille bourses. C’était là précisément ce que craignait Ybrahim; aussi se récria-t-il contre cet avis, en protestant qu’il n’y avait pas un médin dans les coffres. Dâher vint à l’appui de son assertion: «Le chaik a raison,» reprit Degnizlé; «il y a long-temps que ses serviteurs savent que sa générosité ne laisse point son argent croupir dans ses coffres; mais l’argent qu’ils tiennent de lui n’est-il pas à lui-même? et croira-t-on qu’à ce titre nous ne sachions pas trouver deux mille bourses?» A ce mot, Ybrahim interrompant encore, s’écria que pour lui il était le plus pauvre des hommes. «Dites le plus lâche,» reprit Degnizlé transporté de colère. «Qui ne sait, parmi les Arabes, que depuis quatorze ans vous entassez des trésors énormes? Qui ne sait que vous avez envahi tout le commerce; que vous vendez tous les terrains, que vous retenez les soldes; que dans la guerre de Mohammad-bek, vous avez dépouillé tout le pays de Gaze de ses blés, et que les habitants de Yâfa ont manqué du nécessaire?» Il allait continuer, quand le chaik lui imposant silence, protesta de l’innocence de son ministre, et l’accusa, lui, Degnizlé, d’envie et de trahison. Outré de ce reproche, Degnizlé sortit à l’instant du conseil, et rassemblant ses compatriotes les Barbaresques, qui faisaient la principale force de la place, il leur défendit de tirer sur le capitan. Dâher, décidé à soutenir l’attaque, fit tout préparer en conséquence. Le lendemain, le capitan s’étant approché du château, commença de le canonner. Dâher lui fit répondre par les pièces qui étaient sous ses yeux; mais malgré ses ordres réitérés, les autres ne tirèrent point. Alors se voyant trahi, il monta à cheval, et sortant par la porte qui donne sur ses jardins dans la partie du nord, il voulut gagner la campagne; mais pendant qu’il marchait le long des murs de ses jardins, un Barbaresque lui tira un coup de fusil dans les reins; à ce coup, il tomba de cheval, et sur-le-champ les Barbaresques environnant son corps, lui coupèrent la tête; elle fut portée au capitan pacha, qui, selon l’odieuse coutume des Turks, la contempla en l’accablant d’insultes, et la fit saler pour l’emporter à Constantinople, et en donner le spectacle au sultan et au peuple.

Telle fut la fin tragique d’un homme digne, à bien des égards, d’un meilleur sort. Depuis long-temps la Syrie n’a point vu de commandants montrer un aussi grand caractère. Dans les affaires militaires, personne n’avait plus de courage, d’activité, de sang-froid, de ressources. Dans les affaires politiques, sa franchise n’était pas altérée même par son ambition. Il n’aimait que les moyens hardis et découverts; il préférait les dangers des combats aux ruses des intrigues. Ce ne fut que depuis qu’il eut prit Ybrahim pour ministre, que l’on vit dans sa conduite une duplicité que ce chrétien appelait prudence. L’opinion de sa justice avait établi dans ses états une sécurité inconnue en Turkie; elle n’était point troublée par la diversité des religions; il avait pour cet article la tolérance, ou, si l’on veut, l’indifférence des Arabes-Bedouins. Il avait aussi conservé leur simplicité, leurs préjugés, leurs goûts. Sa table ne différait pas de celle d’un riche fermier; le luxe de ses vêtements ne s’étendait pas au delà de quelques pelisses, et jamais il ne porta de bijoux. Toute sa dépense consistait en juments de race, et il en a payé quelques-unes jusqu’à 20,000 livres. Il aimait aussi beaucoup les femmes; mais en même temps il était si jaloux de la décence des mœurs, qu’il avait décerné peine de mort contre toute personne surprise en délit de galanterie, et contre quiconque insulterait une femme; enfin, il avait saisi un milieu difficile à tenir, entre la prodigalité et l’avarice; et il était tout à la fois généreux et économe. Comment avec de si grandes qualités n’a-t-il pas plus étendu ou affermi sa puissance? C’est ce que la connaissance détaillée de son administration rendrait facile à expliquer; mais il suffira d’en indiquer trois causes principales.

1º Cette administration manquait d’ordre intérieur et de principes: par cette raison, les améliorations ne se firent que lentement et confusément.

2º Les concessions qu’il fit de bonne heure à ses enfants, introduisirent une foule de désordres qui arrêtèrent les progrès des cultures, énervèrent les finances, divisèrent les forces et préparèrent sa ruine.

3º Enfin une dernière cause, plus active que les autres, fut l’avarice d’Ybrahim Sabbâr. Cet homme, abusant de la confiance de son maître et de la faiblesse qu’amenait l’âge, aliéna de lui, par son esprit de rapine, et ses enfants, et ses serviteurs, et ses alliés. Ses concussions même pesèrent assez sur le peuple dans les derniers temps, pour lui rendre indifférent de rentrer sous le joug des Turks. Sa passion pour l’argent était si sordide, qu’au milieu des trésors qu’il entassait, il ne vivait que de fromage et d’olives; et pour épargner encore davantage, il s’arrêtait souvent à la boutique des marchands les plus pauvres, et partageait leur frugal repas. Jamais il ne portait que des habits sales et déchirés. A voir ce petit homme maigre et borgne, on l’eût plutôt pris pour un mendiant que pour le ministre d’un état considérable. Le succès de ces viles pratiques fut d’entasser environ vingt millions de France, dont les Turks ont profité. A peine sut-on dans Acre la mort de Dâher, que l’indignation publique éclatant contre Ybrahim, on le saisit et on le livra au capitan pacha. Nulle proie ne pouvait lui être plus agréable. La réputation des trésors de cet homme était répandue dans toute la Turkie; elle avait contribué à animer le ressentiment de Mohammad-bek; elle était le principal motif des démarches du capitan. Il ne vit pas plus tôt son prisonnier, qu’il se hâta d’en exiger la déclaration du lieu et de la quantité des sommes qu’il recélait. Ybrahim se montra ferme à en nier l’existence. Le pacha employa en vain les caresses, puis les menaces puis les tortures: tout fut inutile; ce ne fut que par d’autres renseignements, qu’il parvint à découvrir chez les pères de Terre-Sainte, et chez deux négociants français, plusieurs caisses, si grandes et si chargées d’or, qu’il fallut huit hommes pour porter la principale. Parmi cet or, on trouva aussi divers bijoux, tels que des perles, des diamants, et entre autres, le kandjar d’Ali-bek, dont la poignée était estimée plus de 200,000 livres. Tout cela fut transporté à Constantinople avec Ybrahim, que l’on chargea de chaînes. Les Turks, féroces et insatiables, espérant toujours découvrir de nouvelles sommes, lui firent souffrir les tortures les plus cruelles pour en obtenir l’aveu; mais on assure qu’il maintint constamment la fermeté de son caractère, et qu’il périt avec un courage qui méritait une meilleure cause. Après la mort de Dâher, le capitan pacha établit Djezzâr pacha d’Acre et de Saide, et lui confia le soin d’achever la ruine des rebelles. Fidèle à ses instructions, Djezzâr les attaqua par la ruse et par la force, et réussit au point d’amener Otmân, Seïd et Ahmad à se rendre en ses mains. Ali seul résista; et c’était lui qu’on désirait davantage. L’année suivante (1776), Hasan revint; et de concert avec Djezzâr, il assiégea Ali dans Daîr-Hanna, lieu fort, à une journée d’Acre; mais il leur échappa. Pour terminer leurs inquiétudes, ils employèrent un moyen digne de leur caractère. Ils apostèrent des Barbaresques, qui, prétextant d’avoir été congédiés de Damas, vinrent dans le canton où Ali se tenait campé. Après avoir raconté leur histoire à ses gens, ils lui demandèrent l’hospitalité. Ali, à titre d’Arabe et d’homme qui n’avait jamais connu la lâcheté, les accueillit; mais ces misérables fondant sur lui pendant la nuit, le massacrèrent, et vinrent demander leur récompense, sans cependant avoir pu s’emparer de sa tête. Le capitan se voyant délivré d’Ali, fit égorger ses frères, Seïd, Ahmad et leurs enfants. Le seul Otmân fut conservé en faveur de son rare talent pour la poésie, et on l’emmena à Constantinople. Le Barbaresque Degnizlé, que l’on renvoya de cette capitale à Gaze avec le titre de gouverneur, périt en route avec soupçon de poison. L’émir Yousef effrayé, fit sa paix avec Djezzâr; et depuis ce moment la Galilée, rentrée aux mains des Turks, n’a conservé de la puissance de Dâher qu’un inutile souvenir.

CHAPITRE II

Distribution de la Syrie par pachalics, selon l’administration turke

Après que le sultan Sélim Ier se fut emparé de la Syrie sur les Mamlouks, il y établit, comme dans le reste de l’empire, des vice-rois ou pachas9, revêtus d’un pouvoir illimité et absolu. Pour s’assurer de leur soumission et faciliter leur régie, il divisa le pays en cinq gouvernements ou pachalics, dont la distribution subsiste encore. Ces pachalics sont celui d’Alep, celui de Tripoli, celui de Saide, récemment transféré à Acre, celui de Damas, et enfin celui de la Palestine, dont le siége a été tantôt à Gaze et tantôt à Jérusalem. Depuis Sélim, les débornements de ces pachalics ont souvent varié; mais la consistance générale s’est maintenue à peu près la même. Il convient de prendre des notions un peu détaillées des objets les plus intéressants de leur état actuel, tels que les revenus, les productions, les forces et les lieux remarquables.

CHAPITRE III

Pachalic d’Alep

LE pachalic d’Alep comprend le terrain qui s’étend de l’Euphrate à la Méditerranée, entre deux lignes tirées, l’une de Skandaroun à Bir, par les montagnes, l’autre de Bèles à la mer, par Marra et le pont de Chogr. Cet espace est en grande partie formé de deux plaines; l’une, celle d’Antioche, à l’ouest, et l’autre, celle d’Alep, à l’est: le nord et le rivage de la mer sont occupés par d’assez hautes montagnes, que les anciens ont désignées sous les noms d’Amanus et de Rhosus. En général, le sol de ce gouvernement est gras et argileux. Les herbes hautes et vigoureuses qui croissent partout après les pluies, en attestent la fécondité; mais elle y est presque sans fruit. La majeure partie des terres est en friche; à peine trouve-t-on des cultures aux environs des villes et des villages. Les produits principaux sont le froment, l’orge et le coton, qui appartiennent spécialement au pays plat. Dans les montagnes l’on préfère la vigne, les mûriers, les olives et les figues. Les coteaux maritimes sont consacrés aux tabacs à pipe, et le territoire d’Alep aux pistaches. Il ne faut pas compter les pâturages, qui sont abandonnés aux hordes errantes des Turkmans et des Kourdes.

Dans la plupart des pachalics, le pacha est, selon la valeur de son titre, vice-roi et fermier-général du pays. Dans celui d’Alep, ce second emploi lui manque. La Porte l’a confié à un mehassel ou collecteur, avec qui elle compte immédiatement. Elle ne lui donne de bail que pour l’année seulement. Le prix actuel de la ferme est de 800 bourses, qui font un million de notre monnaie; mais il faut y joindre un prix de babouche10 ou pot-de-vin, de 80 à 100,000 francs, dont on achète la faveur du vizir et des gens en crédit. Moyennant ces deux sommes, le fermier est substitué à tous les droits du gouvernement, qui sont, 1º les douanes ou droits d’entrée et de sortie sur les marchandises venant de l’Europe, de l’Inde ou de Constantinople, et sur celles que le pays rend en échange; 2º les droits de passage sur les troupeaux que les Turkmans et les Kourdes amènent chaque année de l’Arménie et du Diarbekr, pour vendre en Syrie; 3º le cinquième de la saline de Djeboul; enfin le miri ou impôt établi sur les terres. Ces objets réunis peuvent rendre 15 à 1,600,000 fr.

Le pacha, privé de cette régie lucrative, reçoit un traitement fixe de 80,000 piastres (c’est-à-dire de 200,000 livres) seulement. L’on a de tout temps reconnu ce fonds insuffisant à ses dépenses; car outre les troupes qu’il doit entretenir, et les réparations des chemins et des forteresses qui sont à sa charge, il est obligé de faire de grands présents aux ministres, pour obtenir ou garder sa place; mais la Porte fait entrer en compte les contributions qu’il tirera des Kourdes et des Turkmans, les avanies qu’il fera aux villages et aux particuliers; et les pachas ne restent pas en arrière de leurs intentions. Abdi, pacha, qui commandait il y a 12 ou 13 ans, enleva dans 15 mois plus de 4,000,000 de livres, en rançonnant tous les corps de métiers, jusqu’aux nettoyeurs de pipes. Récemment un autre du même nom vient de se faire chasser pour les mêmes extorsions. Le divan récompensa le premier d’un commandement d’armée contre les Russes; mais si celui-ci est resté pauvre, il sera étranglé comme concussionnaire. Telle est la marche ordinaire des affaires.

Selon un usage général, la commission du pacha n’est que pour 3 mois; mais souvent on le proroge jusqu’à 6 mois, et même un an. Il est chargé de maintenir les sujets dans l’obéissance, et de veiller à la sûreté du pays contre tout ennemi domestique ou étranger. Pour cet effet, il entretient cinq à six cents cavaliers, et à peu près autant de gens de pied. En outre, il a le droit de disposer des janissaires, qui sont une espèce de milice nationale classée. Comme nous retrouverons le même état militaire dans toute la Syrie, il est à propos de dire deux mots de sa constitution.

Les janissaires dont je viens de parler, sont, dans chaque pachalic, un certain nombre d’hommes classés, qui doivent se tenir prêts à marcher toutes les fois qu’on les appelle. Comme il y a des priviléges et des exemptions attachés à ce titre, il y a concurrence à l’obtenir. Jadis cette troupe était astreinte à une discipline et à des exercices réglés; mais depuis 60 à 80 ans, l’état militaire est tombé dans une telle décadence, qu’il ne reste aucune trace de l’ancien ordre. Ces prétendus soldats ne sont plus que des artisans et des paysans aussi ignorans que les autres, mais beaucoup moins dociles. Lorsqu’un pacha commet des abus d’autorité, ils sont toujours les premiers à lever l’étendard de la sédition. Récemment ils ont déposé et chassé d’Alep Abdi pacha, et il a fallu que la Porte en envoyât un autre. Elle s’en venge en faisant étrangler les plus mutins des opposans; mais à la première occasion, les janissaires se font d’autres chefs, et les affaires suivent toujours la même route. Les pachas se voyant contrariés par cette milice nationale, ont eu recours à l’expédient usité en pareil cas; ils ont pris pour soldats des étrangers, qui n’ont dans le pays ni famille ni amis. Ces soldats sont de deux espèces, cavaliers et piétons.

Les cavaliers, les seuls que l’on répute gens de guerre, s’appellent à ce titre Daoulé ou Deleti, et encore Delibaches et Laouend, dont nous avons fait Leventi. Leurs armes sont le sabre court, le pistolet, le fusil et la lance. Leur coiffure est un long cylindre de feutre noir, sans bords, élevé de 9 à 10 pouces, très-incommode, en ce qu’il n’ombrage point les yeux, et qu’il tombe aisément de dessus ces têtes rasées. Leurs selles sont formées à la manière anglaise, et d’un cuir tendu sur un châssis de bois; elles sont rases, mais elles n’en sont pas moins incommodes, en ce qu’elles écartent le cavalier, au point de lui ôter l’usage des aides; pour le reste de l’équipage et du vêtement, ces cavaliers ressemblent aux Mamlouks, à cela près qu’ils sont moins bien tenus. Avec leurs habits déchirés, leurs armes rouillées, et leurs chevaux de toute taille et de toute couleur, on les prendrait plutôt pour des bandits que pour des soldats. La plupart ont commencé par le premier métier, et n’ont pas changé en prenant le second. Presque tous les cavaliers en Syrie sont des Turkmans, des Kourdes ou des Caramanes, qui, après avoir fait le métier de voleurs dans leur pays, viennent chercher auprès des pachas un asile et du service. Dans tout l’empire, ces troupes sont ainsi formées de brigands qui passent d’un lieu à l’autre. Faute de discipline, ils gardent partout leurs premières mœurs, et sont le fléau des campagnes qu’ils dévastent, et des paysans qu’ils pillent souvent à force ouverte.

Les gens de pied sont une troupe encore inférieure en tout genre. Jadis on les tirait des habitants même du pays par des enrôlements forcés; mais depuis 50 à 60 ans, les paysans des royaumes de Tunis, d’Alger et de Maroc, se sont avisés de venir chercher en Égypte et en Syrie une considération qui leur est refusée dans leur patrie. Eux seuls, sous le nom de Magarbé, c’est-à-dire, hommes du couchant, composent l’infanterie des pachas; en sorte qu’il arrive, par un échange bizarre, que la milice des Barbaresques est formée de Turks, et la milice des Turks formée de Barbaresques. L’on ne peut être plus leste que ces piétons; car tout leur équipage et leur bagage se bornent à un fusil rouillé, un grand couteau, un sac de cuir, une chemise de coton, un caleçon, une toque rouge, et quelquefois des pantoufles. Chaque mois ils reçoivent une paye de 5 piastres (12 liv. 10 s.), sur laquelle ils sont obligés de s’entretenir d’armes et de vêtements. Ils sont d’ailleurs nourris aux dépens du pacha; ce qui ne laisse pas de former un traitement assez avantageux; la paye est double pour les cavaliers, à qui l’on fournit en outre le cheval et sa ration, qui est d’une mesure de paille hachée, et d’une mesure d’orge, que j’ai trouvée de six pouces et demi de diamètre intérieur, sur quatre pouces et demi de profondeur, valant environ sept livres deux ou trois onces d’orge. Ces troupes sont divisées à l’ancienne manière tartare, par bairâqs ou drapeaux; chaque drapeau est compté pour dix hommes, mais rarement s’en trouve-t-il six effectifs; la raison en est que les agas ou commandants de drapeau étant chargés du paiement des soldats, en entretiennent le moins qu’ils peuvent, afin de profiter des payes vides. Les agas supérieurs tolèrent ces abus, parce qu’ils en partagent les fruits; enfin les pachas eux-mêmes entrent en connivence, et pour se dispenser de payer les soldes entières, ils ferment les yeux sur les pillages et l’indiscipline de leurs troupes.

C’est par les désordres d’un tel régime, que la plupart des pachalics de l’empire se trouvent ruinés et dévastés. Celui d’Alep en particulier est dans ce cas; sur les anciens deftar ou registres d’impôts, on lui comptait plus de 3200 villages; aujourd’hui le collecteur en réalise à peine 400. Ceux de nos négocians qui ont 20 ans de résidence, ont vu la majeure partie des environs d’Alep se dépeupler. Le voyageur n’y rencontre de toutes parts que maisons écroulées, citernes enfoncées, champs abandonnés. Les cultivateurs ont fui dans les villes, où leur population s’absorbe, mais où du moins l’individu échappe à la main rapace du despotisme qui s’égare sur la foule.

Les lieux de ce pachalic qui méritent quelque attention, sont, 1º la ville d’Alep, que les Arabes appellent Halab11. Cette ville est la capitale de la province, et la résidence ordinaire du pacha. Elle est située dans la vaste plaine qui s’étend de l’Oronte à l’Euphrate, et qui se confond au midi avec le désert. Le local d’Alep, outre l’avantage d’un sol gras et fertile, possède encore celui d’un ruisseau d’eau douce qui ne tarit jamais; ce ruisseau, assez semblable pour la largeur à la rivière des Gobelins, vient des montagnes d’Aêntâb, et se termine à six lieues au-dessous d’Alep, en un marécage peuplé de sangliers et de pélicans. Près d’Alep, ses bords, au lieu des roches nues qui emprisonnent son cours supérieur, se couvrent d’une terre rougeâtre excellente, où l’on a pratiqué des jardins, ou plutôt des vergers, qui dans un pays chaud, et surtout en Turkie, peuvent passer pour délicieux. La ville elle-même est une des plus agréables de la Syrie, et est peut-être la plus propre et la mieux bâtie de tout l’empire. De quelque côté que l’on y arrive, la foule de ses minarets et de ses dômes blanchâtres flatte l’œil ennuyé de l’aspect brun et monotone de la plaine. Au centre est une montagne factice, environnée d’un fossé sec, et couronnée d’une forteresse en ruines. De là l’on domine à vue d’oiseau sur la ville, et l’on découvre au nord les montagnes neigeuses du Bailan; à l’ouest, la chaîne qui sépare l’Oronte de la mer, pendant qu’au sud et à l’orient, la vue s’égare jusqu’à l’Euphrate. Jadis ce château arrêta plusieurs mois les Arabes d’Omar, et ne fut pris que par trahison; mais aujourd’hui, il ne résisterait pas au moindre coup de main. Sa muraille mince, basse et sans appui, est écroulée. Ses petites tours à l’antique ne sont pas en meilleur état. Il n’a pas quatre canons de service, sans en excepter une couleuvrine de neuf pieds de long, que l’on a prise sur les Persans au siége de Basra. Trois cent cinquante janissaires qui devraient le garder, sont à leurs boutiques, et l’aga trouve à peine de quoi loger ses gens. Il est remarquable que cet aga est nommé par la Porte qui, toujours soupçonneuse, divise le plus qu’elle peut les commandements. Dans l’enceinte du château, est un puits qui, au moyen d’un canal souterrain, tire son eau d’une source distante de cinq quarts de lieue. Les environs de la ville sont semés de grandes pierres carrées, surmontées d’un turban de pierre, qui sont la marque d’autant de tombeaux. Le terrain a des élévations qui, dans un siége, rendraient les approches très-faciles: telle est, entre autres, la maison des derviches, d’où l’on commande au canal et au ruisseau. Alep ne mérite donc, comme ville de guerre, aucune considération, quoiqu’elle soit la clef de la Syrie du côté du nord; mais comme ville de commerce, elle a un aspect imposant; elle est l’entrepôt de toute l’Arménie et du Diarbekr; elle envoie des caravanes à Bagdad et en Perse; elle communique au golfe Persique et à l’Inde par Basra, à l’Égypte et à la Mekke, par Damas, et à l’Europe, par Skandaroun (Alexandrette) et Lataqîé. Le commerce s’y fait presque tout par échange. Les objets principaux sont les cotons en laine ou filés du pays; les étoffes grossières qu’en fabriquent les villages; les étoffes de soie ouvrées dans la ville; les cuivres; les bourres; les poils de chèvre qui viennent de la Natolie; les noix de galle du Kourdestan; les marchandises de l’Inde, telles que les châles12 et les mousselines; enfin les pistaches du territoire. Les marchandises que fournit l’Europe, sont les draps de Languedoc, les cochenilles, l’indigo, le sucre et quelques épiceries. Le café d’Amérique, quoique prohibé, s’y glisse, et sert à mélanger celui de Moka. Les Français ont à Alep un consul et sept comptoirs; les Anglais et les Vénitiens en ont deux; les Livournais et les Hollandais, un; l’empereur y a établi un consulat en 1784, et il y a nommé un riche négociant juif, qui a rasé sa barbe pour prendre l’uniforme et l’épée. La Russie vient aussi récemment d’y en établir un. Alep ne le cède pour l’étendue qu’à Constantinople et au Kaire, et peut-être encore à Smyrne. On veut y compter 200,000 ames, et sur cet article de la population on ne sera jamais d’accord. Cependant, si l’on observe que cette ville n’est pas plus grande que Nantes ou Marseille, et que les maisons n’y ont qu’un étage, l’on trouvera peut-être suffisant d’y compter cent mille têtes. Les habitants musulmans ou chrétiens passent avec raison pour les plus civilisés de toute la Turkie: les négociants européens ne jouissent dans aucun autre lieu d’autant de liberté et de considération de la part du peuple.

L’air d’Alep est très-sec et très-vif, mais en même-temps très-salubre pour quiconque n’a pas la poitrine affectée; cependant la ville et son territoire sont sujets à une endémie singulière, que l’on appelle dartre ou bouton d’Alep; c’est en effet un bouton qui, d’abord inflammatoire, devient ensuite un ulcère de la largeur de l’ongle. La durée fixe de cet ulcère est d’un an; il se place ordinairement au visage, et laisse une cicatrice qui défigure la plupart des habitants d’Alep. On prétend même que tout étranger qui fait une résidence de trois mois, en est attaqué: l’expérience a enseigné que le meilleur remède est de n’en point faire. On ne connaît aucune cause à ce mal; mais je soupçonne qu’il vient de la qualité des eaux, en ce qu’on le retrouve dans les villages voisins, dans quelques lieux du Diarbekr, et même en certains cantons près de Damas, où le sol et les eaux ont les mêmes apparences.

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   Le terme turk pacha est formé des deux mots persans pa-châh, qui signifient littéralement vice-roi.


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   Pantoufles turkes.


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   C’est le nom dont les anciens géographes ont fait Xalibon; l’x représente ici le jota espagnol; et il est remarquable que les Grecs modernes rendent encore le arabe par ce même son de jota; ce qui cause mille équivoques dans leur discours, attendu que les Arabes ont le jota dans une autre lettre.


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12
   Les châles sont des mouchoirs de laine, larges d’une aune, et longs de près de deux. La laine en est si fine et si soyeuse, que tout le mouchoir pourrait être contenu dans les deux mains jointes: l’on n’y emploie que celle des chevreaux, ou plus exactement que le duvet des chevreaux naissants. Les plus beaux châles viennent du Cachemire: il y en a depuis cinquante écus jusqu’à 1200 et même 2400 livres.


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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2018
Объем:
391 стр. 20 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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