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Читать книгу: «Les grandes espérances», страница 38

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«Je vous assure, Pip, disait-il souvent, pour expliquer cette liberté de sa part, que je l'ai trouvée en train de percer, comme un tonneau de bière, le lit de plume du lit inoccupé, et occupée à mettre les plumes dans un panier pour aller les vendre. Elle aurait ensuite percé le vôtre, et elle l'aurait vidé, vous dessus, et elle aurait emporté le charbon peu à peu dans la soupière et dans le plat aux légumes, et le vin et les liqueurs dans vos bottes à la Wellington.»

Nous attendions avec impatience le jour où je sortirais pour faire une promenade, comme nous avions attendu autrefois le jour où je devais entrer en apprentissage; et quand ce jour arriva, et qu'on eût fait venir une voiture découverte, Joe m'enveloppa, me prit dans ses bras, me descendit et me mit dans la voiture, comme si j'étais encore la pauvre créature débile sur laquelle il avait si abondamment répandu les richesses de sa grande nature.

Joe monta à côté de moi, et nous nous dirigeâmes ensemble vers la campagne, où la végétation était déjà luxuriante, et où l'air était tout rempli des douces senteurs du printemps. C'était un dimanche. En contemplant la belle nature qui m'entourait, je pensais combien elle était embellie et changée, et combien les petites fleurs des champs avaient poussé, et combien les voix des oiseaux avaient pris de force pendant les jours et pendant les nuits, sous le soleil et sous les étoiles, pendant que j'étais resté fiévreux et brûlant sur mon lit et le souvenir d'avoir été brûlant et fiévreux vint tout à coup troubler le calme que je goûtais. Mais, quand j'entendis les cloches du dimanche, et que je regardai avec plus d'attention les splendeurs étalées autour de moi, je sentis que je n'étais pas assez reconnaissant, et que j'étais encore trop faible pour éprouver même ce sentiment, et j'appuyai ma tête sur l'épaule de Joe, comme je l'avais appuyée autrefois, quand il me conduisait à la foire ou n'importe où, et que mes impressions étaient trop fortes pour mes jeunes sens.

Après un moment je devins plus calme, et nous causâmes comme nous avions coutume de causer autrefois, couchés sur l'herbe de la vieille batterie. Il n'y avait pas le moindre changement en Joe. Ce qu'il avait été à mes yeux alors, il l'était exactement à mes yeux aujourd'hui: aussi simplement fidèle et aussi simplement droit.

Quand nous rentrâmes, et qu'il me prit et me porta si facilement à travers la cour et l'escalier, je pensai à cette soirée de Noël, si fertile en événements, où il m'avait porté à travers les marais. Nous n'avions pas encore fait la moindre allusion à mon changement de fortune, et j'ignorais aussi ce qu'il savait de ma vie dans ces derniers temps. Je doutais tant de moi-même en ce moment, et j'avais une telle confiance en lui, que je ne savais pas si je devais lui en parler, quand il ne le faisait pas.

«Avez-vous appris, Joe, lui demandai-je ce soir-là, après mûre considération, pendant qu'il fumait sa pipe à la fenêtre, avez-vous appris qui était mon protecteur?

– J'ai entendu dire quelque chose, répondit Joe, comme si ce n'était pas miss Havisham, mon vieux camarade.

– Vous a-t-on dit qui c'était, Joe?

– Mais j'ai entendu dire quelque chose comme si c'était la personne qui avait envoyé la personne qui vous a donné les banknotes aux Trois jolis bateliers, Pip.

– C'était bien cela, en effet.

– C'est surprenant! dit Joe du ton le plus placide du monde.

– Avez-vous entendu dire qu'il était mort, Joe? demandai-je ensuite avec une défiance croissante.

– Qui?.. Celui qui vous a envoyé les banknotes, Pip?..

– Oui.

– Je pense, dit Joe, après avoir réfléchi longtemps, et en regardant d'une manière évasive l'appui de la fenêtre, que j'ai entendu dire d'une manière ou d'une autre qu'il lui était arrivé quelque chose comme cela.

– Avez-vous appris quelque chose de sa vie, Joe?

– Rien de particulier, Pip.

– S'il vous plaisait d'en apprendre, Joe… commençai-je à dire, quand Joe se leva et vint à mon sofa.

Voyez-vous, Pip, mon vieux camarade, dit-il, nous sommes toujours les meilleurs amis, n'est-ce pas, Pip?»

J'étais gêné pour lui répondre.

«Très bien, alors, dit Joe, comme si j'avais répondu, tout est pour le mieux, c'est convenu; pourquoi entrer dans des explications qui, entre deux personnes comme nous, sont des sujets inutiles! Dieu! pensez à votre pauvre sœur et à ses colères, et ne vous souvenez-vous plus de son bâton?

– Si fait, je m'en souviens, Joe.

– Voyez-vous, Pip, mon vieux camarade, dit Joe, je faisais tout ce que je pouvais pour mettre une séparation entre vous et le bâton; mais mon pouvoir n'était pas toujours égal à mes intentions, car lorsque votre pauvre sœur avait dans la tête l'idée de tomber sur vous, il était assez dans son habitude favorite de tomber sur moi, si je faisais de l'opposition, et de retomber ensuite encore plus lourdement sur vous; j'ai souvent remarqué cela. Ce n'est pas en tiraillant la barbe d'un homme, ni en le secouant deux ou trois fois (ce dont votre sœur ne se privait pas) qu'on empêche un homme de se mettre entre un pauvre petit enfant et un châtiment; mais quand ce pauvre petit enfant n'en est que plus sévèrement châtié, parce qu'on a secoué l'autre et tiré sa barbe, alors cet homme se dit naturellement à lui-même: «Où est le bien que tu as voulu faire? Je t'avoue, se dit l'homme, que je vois le mal, mais que je ne vois pas le bien, je m'en rapporte à vous, monsieur, pour m'en montrer le bien.»

– L'homme dit cela? observai-je, en voyant que Joe attendait ma réponse.

– Oui, l'homme dit cela, reprit Joe. Et a-t-il raison, cet homme, de dire cela?

Cher Joe, il a toujours raison.

Bien, mon vieux camarade, dit Joe; alors je m'en rapporte à vos paroles. S'il a toujours raison (quoiqu'en général il ait plutôt tort), il a raison quand il dit ceci: – Supposant que lorsque vous gardiez quelque petite affaire pour vous seul, alors que vous étiez petit, vous la gardiez parce que vous saviez que le pouvoir de Gargery à tenir le bâton à distance n'était pas égal à ses intentions. Donc, qu'il n'en soit plus question entre gens comme nous, et ne laissons pas échapper de remarques sur des sujets inutiles. Biddy s'est donné bien de la peine avant mon départ (car cela a été horriblement dur à me faire comprendre) pour que je visse clair dans tout ceci, et que, voyant clair, je lui donne un coup d'épaule. Ces deux choses, étant convenues, un ami véritable vous dit: N'allez à l'encontre de rien; mangez votre souper, buvez votre eau rougie, et allez-vous mettre entre vos draps.»

La délicatesse avec laquelle Joe débita ce discours et le tact charmant et la bonté avec laquelle Biddy, dans sa finesse de femme, m'avait deviné si vite et l'avait préparé à comprendre tout cela, firent une profonde impression sur mon esprit. Mais Joe connaissait-il combien j'étais pauvre, et comment mes grandes espérances s'étaient toutes dissipées au soleil comme le brouillard de nos marais, c'est ce que j'ignorais.

Une autre chose en Joe que je ne pouvais comprendre, mais qui me peinait beaucoup, était celle-ci: à mesure que je devenais plus fort et mieux portant, Joe se montrait moins à l'aise avec moi. Pendant que j'étais faible et dans son entière dépendance, le cher homme s'était laissé aller à ses anciennes habitudes et m'avait donné tous les noms d'autrefois: «cher petit Pip; mon vieux camarade,» qui alors étaient une délicieuse musique à mes oreilles. Moi aussi, je m'étais laissé aller à nos anciennes manières, heureux et reconnaissant de ce qu'il me laissait faire; mais imperceptiblement, à mesure que j'y tenais davantage, Joe y tenait moins, et il commença à s'en déshabituer; tout en m'en étonnant d'abord, j'arrivai bientôt à comprendre que la cause était en moi, et que la faute en était toute à moi.

Ah! n'avais-je donné à Joe aucune raison de douter de ma constance et de penser que, dans la prospérité, je deviendrais froid avec lui, et que je le repousserais! N'avais-je donné au cœur innocent de Joe aucun motif de sentir instinctivement, qu'à mesure que je reprenais des forces, son pouvoir sur moi s'affaiblirait, et qu'il ferait mieux de me lâcher à temps, et de me laisser aller avant que je ne m'affranchisse moi-même?

C'était en allant promener dans les jardins du Temple, pour la troisième ou quatrième fois, appuyé sur le bras de Joe, que je vis bien clairement le changement qui s'était opéré en lui. Nous nous étions assis sous la chaude lumière du soleil, regardant la rivière, et il m'arriva de dire au moment où nous nous levions:

«Voyez, Joe, je puis très bien marcher maintenant; vous allez me voir rentrer seul.

– Il ne faudrait pas vous forcer pour cela, Pip, dit Joe; mais je serais heureux de vous en voir capable, monsieur.»

Le dernier mot me choqua. Pourtant, comment me plaindre? Je n'allai pas plus loin que la grille du jardin; alors je prétendis être plus faible que je ne l'étais réellement, et je demandai à Joe de me donner le bras. Joe me le donna, mais il était pensif.

De mon côté, j'étais pensif aussi, car comment arrêter ce changement naissant en Joe? C'était une grande perplexité pour mes pensées déchirées de remords, que j'eusse honte de lui dire exactement dans quel état je me trouvais et où j'en étais arrivé, je ne cherche pas à le cacher; mais j'espère que les motifs de mon hésitation n'étaient pas tout à fait indignes. Il aurait voulu m'aider à sortir de tous ces petits tracas; je le savais, et je savais qu'il ne devait pas m'aider, et que je ne devais pas souffrir qu'il m'aidât.

Ce fut une triste soirée pour tous deux; mais, avant d'aller nous coucher, j'avais résolu d'attendre jusqu'au lendemain. Le lendemain était un dimanche, je commencerais une nouvelle vie avec la nouvelle semaine. Le lundi matin, je parlerais à Joe de son changement, je mettrais de côté ce dernier vestige de réserve, je lui dirais ce que j'avais dans la pensée (ce second point n'était pas encore tout à fait résolu), et pourquoi je ne m'étais pas décidé à aller retrouver Herbert, et alors la confiance de Joe serait reconquise pour toujours. À mesure que je me rassérénais, Joe se rassérénait aussi, et il me sembla qu'il avait pris aussi sympathiquement une résolution.

Nous passâmes tranquillement la journée du dimanche, et nous gagnâmes la campagne en voiture, pour nous promener à pied dans les champs.

«Je remercie le ciel d'avoir été malade, Joe, dis-je.

– Cher vieux Pip, mon vieux camarade; vous en êtes maintenant presque revenu, monsieur.

– Ç'a été un temps mémorable pour moi, Joe.

– Comme pour moi, monsieur, répondit Joe.

– Nous avons passé ensemble un temps que je n'oublierai jamais, Joe. Il y a eu des jours, je le sais, que j'ai oubliés pendant un certain temps, mais jamais je n'oublierai ceux-ci.

– Pip, dit Joe paraissant un peu ému et troublé, il y a eu quelques bons moments, et, cher monsieur, ce qui a été entre nous, a été.»

Le soir, quand je fus au lit, Joe vint dans ma chambre, comme il y était venu pendant tout le temps de ma convalescence. Il me demanda si j'étais sûr d'être aussi bien portant que le matin.

«Oui, cher Joe, parfaitement.

– Et vous vous sentez toujours plus fort, mon vieux camarade?

– Oui, cher Joe, toujours.»

Joe mit sur la couverture, à l'endroit de mon épaule, sa large et bonne main, et dit d'une voix qui me sembla étouffée:

«Bonsoir!»

Quand je me levai le lendemain matin, reposé et plus fort, j'avais pris la pleine résolution de tout dire à Joe sans délai. Je voulais lui parler avant déjeuner. Je m'habillai aussitôt pour me rendre dans sa chambre et le surprendre; car c'était le premier jour que je me levais matin. Je fus à sa chambre. Il n'y était pas. Non seulement il n'y était pas, mais sa malle n'y était pas non plus.

Je gagnai aussitôt la table où le déjeuner était servi, j'y trouvai une lettre. Voici les quelques mots qu'elle contenait:

«Ne voulant pas être importun, je suis parti; car vous voilà bien rétabli, mon cher Pip, et vous serez beaucoup mieux sans

«JO.»

«P. S. Toujours les meilleurs amis.»

Inclus dans la lettre, je trouvai un reçu du montant de la dette et des frais pour lesquels j'avais été arrêté. Jusqu'à ce moment, j'avais supposé que mon créancier avait arrêté ou au moins suspendu ses poursuites pour me permettre de me rétablir complètement. Je n'avais jamais songé que Joe eût payé la somme; mais Joe l'avait payée, et le reçu était à son nom.

Que me restait-il à faire maintenant, si ce n'est de le suivre à la chère vieille forge, et là de m'ouvrir à lui, de lui montrer mon repentir, et de soulager mon esprit et mon cœur d'un second point réservé, qui planait sur ma pensée?

Mon idée était d'aller à Biddy, de lui montrer combien je revenais humble et repentant, de lui dire comment j'avais perdu tout ce que j'avais autrefois espéré, de lui rappeler mes anciennes confidences dans les premiers temps où je m'étais trouvé malheureux puis de lui dire enfin:

«Biddy, je crois que tu m'aimais bien autrefois, alors même que mon cœur vagabond s'écartait de toi. Si tu peux m'aimer seulement la moitié de ce que tu m'aimais autrefois; si tu peux me prendre avec toutes mes fautes et toutes les désillusions qui sont tombées sur ma tête, et si tu peux me recevoir comme un enfant auquel on pardonne (et vraiment je suis bien chagrin, Biddy, et j'ai bien besoin d'une voix douce et d'une main consolatrice), j'espère être maintenant un peu plus digne de toi que je ne l'étais alors, pas beaucoup: mais un peu. Biddy, c'est à toi de dire si je travaillerais à la forge avec Joe, ou si j'essayerai une occupation différente dans ce pays, ou si nous irons dans quelque ville lointaine, où m'attend une situation que je n'ai point acceptée quand on me l'a offerte, car je voulais auparavant connaître ta réponse. Et maintenant, Biddy, si tu peux me dire que tu m'accompagneras en ce monde, tu en feras assurément un meilleur monde pour moi, et de moi un meilleur homme pour lui, et je ferai tous mes efforts pour en faire un meilleur monde pour toi.»

Tel était mon projet. Après trois jours de plus de convalescence, je partis pour notre vieil endroit, afin de le mettre à exécution. Tout ce qu'il me reste à dire, c'est comment j'y réussis.

CHAPITRE XXVIII

La nouvelle de la lourde chute que ma haute fortune avait éprouvée, était arrivée avant moi dans mon pays natal et dans ses environs. Je trouvai le Cochon bleu au courant de la nouvelle, et je trouvai même qu'il en résultait un grand changement dans sa conduite à mon égard. Autant le Cochon avait recherché mon estime avec une chaleureuse assiduité, quand j'étais en possession de mes espérances, autant le Cochon était froid, maintenant que la fortune m'abandonnait.

Il faisait nuit quand j'arrivai très fatigué de ce voyage, que j'avais fait si souvent et si facilement autrefois. Le Cochon bleu ne put me donner ma chambre accoutumée, laquelle était occupée (sans doute par quelqu'un qui avait des espérances) et ne put m'assigner qu'une retraite des plus humbles parmi les pigeons et les chaises de poste de la cour; mais je goûtai un aussi profond sommeil dans ce logement que dans le plus bel appartement que le Cochon aurait pu me donner, et la qualité de mes rêves fut à peu près la même qu'elle aurait été dans la meilleure chambre à coucher.

De grand matin, pendant qu'on préparait mon déjeuner, j'allai faire un tour du côté de Satis House. Il y avait des affiches collées sur la porte et des morceaux de tapis pendus hors des fenêtres, annonçant la vente à la criée des articles de ménage, meubles et effets, pour la semaine suivante. La maison elle-même devait être vendue comme vieux matériaux et abattue. Lot 1er était écrit en grosses lettres au blanc d'Espagne sur la brasserie. Lot 2ème, sur cette partie du bâtiment principal qui était restée fermée si longtemps. D'autres lots étaient marqués sur différentes parties des constructions, et le lierre avait été arraché pour faire place aux écriteaux, et il y en avait déjà beaucoup traînant dans la poussière, et tout flétri. Entrant un instant par la porte ouverte, et regardant autour de moi de l'air maussade d'un étranger qui n'a rien à faire dans l'endroit où il se trouve, je vis le commis du commissaire-priseur se promener sur les fûts et les désigner à haute voix à un rédacteur du catalogue qui, plume en main, se faisait un pupitre provisoire du fauteuil à roues que j'avais si souvent poussé en chantant le vieux Clem.

Quand je revins au Cochon bleu pour déjeuner, je trouvai Pumblechook causant avec l'aubergiste. M. Pumblechook (qui ne paraissait pas avoir gagné depuis sa dernière aventure nocturne) m'attendait, et m'adressa la parole dans les termes suivants:

«Jeune homme, je suis fâché de vous voir tomber; mais pouvait-on s'attendre à autre chose… pouvait-on s'attendre à autre chose… pouvait-on s'attendre à autre chose?..»

Comme il étendait la main avec le geste magnifique d'un homme qui pardonne, et comme j'étais brisé et accablé par la maladie, et peu porté à quereller, je le laissai faire.

«William, dit M. Pumblechook au garçon, mettez un muffin sur la table. En sommes-nous vraiment là?.. en sommes-nous vraiment arrivés là?..»

Je m'assis de mauvaise humeur devant mon déjeuner. M. Pumblechook se tint devant moi, et, avant que je n'eusse eu le temps de toucher la théière, il me versa du thé de l'air d'un bienfaiteur qui avait résolu de me rester fidèle jusqu'au dernier jour.

«William, dit M. Pumblechook avec tristesse, servez le sel; dans des temps plus heureux, dit-il, en s'adressant à moi, je crois que vous preniez du sucre? Preniez-vous du lait? Oui, n'est-ce pas? Du sucre et du lait? William, apportez du cresson.

– Merci! dis-je brièvement, mais je ne mange pas de cresson.

– Vous ne mangez pas de cresson! répondit M. Pumblechook en soupirant et en agitant sa tête à plusieurs reprises, comme s'il s'y fut attendu, et comme si cette abstinence de cresson avait le moindre rapport avec ma chute. Vraiment! les plus simples produits de la terre, vous n'en mangez pas, décidément?.. N'en apportez pas, William!..»

Je continuai mon déjeuner, et M. Pumblechook continua à rester près de moi avec son regard de poisson et sa respiration bruyante comme toujours.

«Il ne lui reste plus que la peau et les os! pensa Pumblechook à haute voix; et cependant, quand il partait d'ici (avec ma bénédiction, je puis le dire), quand j'étalais devant lui mon humble repas, comme l'abeille, il était frais comme une pêche.»

Cela me fit penser à la différence surprenante qu'il y avait entre la manière servile avec laquelle il m'avait offert sa main dans ma nouvelle prospérité, en disant: «Permettez… permettez…» et la clémence fastueuse avec laquelle il venait d'exhiber ces mêmes cinq gros doigts.

«Ah! continua-t-il, en me passant le pain et le beurre, allez-vous chez Joseph?

– Au nom du ciel! dis-je en éclatant malgré moi, que vous importe où je vais? laissez la théière tranquille.»

C'était la plus mauvaise voie que je pouvais prendre, parce que cela donna à Pumblechook l'occasion qu'il cherchait.

«Oui, jeune homme, dit-il en lâchant le manche de l'objet en question, et en se reculant d'un ou deux pas de ma table, parlant de manière à être entendu de l'aubergiste et du garçon qui étaient à la porte; je laisserai cette théière tranquille, vous avez raison, jeune homme; une fois par hasard, vous avez raison. Je m'oublie moi-même quand je prends intérêt à votre déjeuner, au point de vouloir rendre des forces à votre corps épuisé par les effets débilitants de la prodigalité, et le stimuler par la nourriture saine de vos ancêtres… Et pourtant, dit Pumblechook en se tournant vers l'aubergiste et le garçon, et en m'indiquant en allongeant le bras, voilà celui que j'ai constamment fait jouer dans les heureux jours de son enfance. Ne me dites pas que cela ne se peut pas; je vous assure que c'est lui!»

Un murmure étouffé des deux individus interpellés servit de réponse. Le garçon semblait même particulièrement affecté.

«C'est lui, dit Pumblechook, que j'ai promené dans ma voiture; c'est lui que j'ai vu élever à la main; c'est lui de la sœur duquel j'étais l'oncle par alliance. Qu'il le nie, s'il le peut!»

Le garçon semblait convaincu que je ne pouvais pas le nier, et que cela donnait un mauvais air à l'affaire.

«Jeune homme, dit Pumblechook en me jetant sa tête en avant comme autrefois, vous allez chez Joseph… Que m'importe, me demandez-vous, où vous allez? Je vous dis, monsieur, que vous allez chez Joseph.»

Le garçon toussa comme pour m'inviter modestement à passer là-dessus.

«Maintenant, dit Pumblechook, et tout cela avec l'air exaspéré d'un homme qui aurait défendu la cause de la vertu, et qui était parfaitement convaincant et concluant, je vous dirai ce qu'il faut dire à Joseph. Voici présent le propriétaire du Cochon bleu, qui est connu et respecté dans cette ville, et voici William, dont le nom de famille est Potkins, si je ne me trompe.

– Vous ne vous trompez pas, monsieur, dit William.

En leur présence, continua Pumblechook, je vais vous dire, jeune homme, ce que vous direz à Joseph. Vous direz: «Joseph, j'ai vu aujourd'hui mon premier bienfaiteur et le fondateur de ma fortune; je ne dirai pas ses noms, Joseph, c'est inutile; mais c'est ainsi qu'on veut bien l'appeler dans la ville, et j'ai vu cet homme.»

– Je jure que je ne le vois pas ici, dis-je.

– Dites cela encore! repartit Pumblechook. Dites que vous avez dit cela, et Joseph lui-même trahira probablement sa surprise.

– Ici, vous vous méprenez sur son compte, dis-je; je le connais mieux que vous.

– Dites, continua Pumblechook, Joseph, j'ai vu cet homme; et cet homme ne vous veut pas de mal et ne me veut pas de mal. Il connaît votre caractère, et il sait combien vous êtes brute et ignorant, il connaît mon caractère, et il connaît mon ingratitude. Oui, Joseph, direz-vous, et ici Pumblechook agita sa tête et sa main. Il connaît mon manque total de reconnaissance, il le connaît comme personne ne peut le connaître; vous ne le connaissez pas, vous, Joseph n'étant pas appelé à le connaître, mais cet homme le connaît.»

Tout en le reconnaissant vain et impudent, j'étais réellement abasourdi de voir qu'il avait l'aplomb de me parler ainsi.

«Joseph, direz-vous, il m'a donné le petit message que je vous répète maintenant. C'est que, dans mon abaissement, il a vu le doigt de Dieu; il a reconnu ce doigt en le voyant, Joseph, il l'a vu distinctement. Le doigt de Dieu a tracé ces lignes: Il a payé d'ingratitude son premier bienfaiteur et le fondateur de sa fortune. Mais cet homme a dit qu'il ne se repentait pas de ce qu'il avait fait, Joseph, pas du tout; que c'était juste, que c'était bon, que c'était bienveillant, et que si c'était à recommencer il le ferait encore.

– Il est dommage, dis-je d'un ton dédaigneux en terminant mon déjeuner interrompu, que cet homme n'ait pas énuméré ce qu'il avait fait et ce qu'il ferait encore.

– Propriétaire du Cochon bleu! s'écria Pumblechook en s'adressant au maître de l'auberge et à William, je ne m'oppose pas à ce que vous disiez par la ville, si tel est votre désir, qu'il était juste, bon et bienveillant, et que je le ferais encore si c'était encore à faire.»

Sur ces mots, l'imposteur leur serra la main à tous deux d'un air particulier et sortit de la maison, me laissant plus étonné qu'enchanté de cette chose indéfinie qu'il soutenait, à savoir, qu'il était juste, bon et bienveillant, qu'il avait tout fait et qu'il était disposé à tout faire encore. Bientôt après lui, je quittai aussi la maison, et quand je descendis la Grand'Rue, je le vis devant sa boutique haranguer, sans doute sur le même sujet, un groupe choisi qu'il m'honora de certains coups d'œil peu favorables, quand je passai de l'autre côté de la rue.

Mais il ne fut que plus agréable pour moi de me rendre près de Biddy et de Joe, dont j'entrevoyais la grande indulgence, qui brillerait plus éclatante que jamais, en opposition avec la rudesse de cet imposteur éhonté. Je me dirigeai donc vers eux lentement, car mes jambes étaient encore bien faibles, mais avec un sentiment de contentement toujours croissant, à mesure que je m'approchais d'eux, et j'avais la conviction que je laissais l'arrogance et le manque de franchise de plus en plus loin derrière moi.

La température de juin était délicieuse, le ciel était bleu, les alouettes planaient bien haut sur les blés verts; je trouvais ce pays bien plus beau que je ne l'avais encore trouvé. Bien des images agréables de la vie que j'aurais voulu y mener et l'idée du changement avantageux qui s'opérait dans mon caractère, quand j'aurais auprès de moi un guide dont je connaissais la foi naïve et la sagesse simple m'accompagnaient en chemin. Elles éveillaient en moi une douce émotion, car mon cœur était adouci par mon retour, et il était survenu de tels changements que j'étais comme quelqu'un qui reviendrait de lointains voyages et qui rentrerait nu-pieds dans ses foyers après avoir erré pendant plusieurs années.

La maison d'école où Biddy était maîtresse m'était inconnue: mais la petite ruelle détournée par laquelle j'entrai dans le village me fit passer devant. Je fus désappointé de trouver que c'était jour de congé: il n'y avait pas d'enfants, et la maison de Biddy était fermée. J'avais nourri l'espoir que je la verrais dans l'exercice de ses fonctions journalières avant qu'elle m'aperçût, et cet espoir était déçu.

Mais la forge n'était pas loin, et je m'y rendis en passant sous l'allée verte des beaux tilleuls, écoutant le bruit du marteau de Joe. Longtemps après que j'aurais dû l'entendre, et longtemps après que je m'étais imaginé l'entendre, je vis que ce n'était qu'une idée: tout était calme, les tilleuls étaient là comme autrefois, les aubépines et les châtaigniers y étaient aussi, et leurs fouilles faisaient entendre un harmonieux frémissement quand je m'arrêtais pour écouter; mais les coups de marteau de Joe ne se mêlaient pas à la brise de l'été. Effrayé sans savoir pourquoi d'arriver en vue de la forge, je la vis enfin, et je vis aussi qu'elle était fermée. Pas de réverbération de feu, pas de pluie d'étincelles, pas de ronflements des soufflets, tout était fermé et tranquille.

Mais la maison n'était pas déserte et le petit salon semblait être occupé, car ses rideaux voltigeaient à la fenêtre, qui était ouverte et égayée par les fleurs. Je m'en approchai sans bruit, avec l'intention de regarder par-dessus les fleurs, quand je vis Joe et Biddy devant moi, bras dessus bras dessous.

Biddy poussa d'abord un cri comme si elle pensait que c'était mon esprit; mais un moment après elle était dans mes bras. Je pleurais de la voir, et elle pleurait de me voir: moi parce qu'elle avait l'air si frais et charmant; elle parce que j'avais l'air si fatigué et si pâle.

«Chère Biddy, comme tu es contente!

– Oui, cher Pip.

– Et Joe, comme vous êtes heureux!

– Oui, cher vieux Pip, mon bon camarade!»

Je portais mes yeux de l'un à l'autre, et puis…

«C'est aujourd'hui le jour de mon mariage! s'écria Biddy dans un transport de bonheur, et je suis la femme de Joe!..»

Ils m'avaient porté dans la cuisine, et j'avais la tête posée sur la vieille table de sapin. Biddy tenait une de mes mains sur ses lèvres, et je sentais sur mon épaule le contact bienfaisant de Joe.

«C'est qu'il n'était pas assez fort, ma chère, pour supporter la surprise, dit Joe.

– J'aurais dû y penser, cher Joe, dit Biddy, mais j'étais trop heureuse.»

Il étaient tous deux si transportés et si fiers de me voir, si touchés que je fusse revenu à eux, si enchantés que je fusse arrivé par hasard pour compléter la journée!..

Ma première pensée fut de remercier le ciel de n'avoir pas soufflé mot à Joe de ce dernier espoir perdu. Combien de fois, lorsqu'il était près de moi pendant ma maladie, cet aveu était-il venu sur mes lèvres! Combien la reconnaissance de ce fait eût été irrévocable s'il était resté une heure de plus avec moi.

«Chère Biddy, dis-je, vous avez le meilleur mari qui soit dans le monde entier, et si vous aviez pu le voir auprès de mon lit, vous l'auriez… mais non, vous ne pourriez l'aimer plus que vous ne le faites.

– Non, je ne le pourrais point vraiment, dit Biddy.

– Et vous, cher Joe, vous avez la meilleure femme qui soit dans le monde entier, et elle vous rendra aussi heureux que vous méritez de l'être, cher et noble Joe.»

Joe me regarda les lèvres tremblantes, et tout franchement il porta sa manche sur ses yeux.

«Allons, Joe et Biddy, puisque vous avez été tous deux à l'église aujourd'hui, et que vous êtes en dispositions charitables et affectueuses envers le genre humain, recevez mes humbles remerciements pour tout ce que vous avez fait pour moi, et que j'ai si mal reconnu! Je vous préviens que je vais vous quitter dans une heure, car je vais bientôt partir, et je vous promets que je ne prendrai pas de repos avant d'avoir gagné l'argent que vous m'avez donné pour empêcher qu'on me conduisît en prison, et avant de vous l'avoir envoyé. Ne pensez pas, mon cher Joe, et vous, ma bonne Biddy, que si je pouvais vous le rendre mille fois, je pourrais m'imaginer retrancher un seul liard de ce que je vous dois, ni que je le ferais si je le pouvais.»

Ils furent tous deux attendris par ces paroles, et me supplièrent de n'en pas dire davantage.

«Mais je dois en dire davantage, mon cher Joe; j'espère que vous aurez des enfants à aimer, et qu'un jour quelque petit garçon s'assoira dans ce coin de la cheminée pendant les soirées d'hiver, et vous fera souvenir d'un autre petit garçon qui l'a quitté pour toujours. Ne lui dites pas, Joe, que j'ai été ingrat; ne lui dites pas, Biddy, que j'ai été injuste et sans générosité. Dites-lui seulement que je vous ai honorés tous deux, parce que vous avez été tous deux bien bons et bien sincères, et dites-lui que je souhaite qu'il soit un meilleur homme que je ne l'ai été.

– Je ne lui dirai, fit Joe derrière sa manche, rien de la sorte, Pip, ni Biddy non plus, ni personne non plus.

– Et maintenant, bien que je sache que vous l'ayez déjà fait tous deux, du fond de vos excellents cœurs, je vous en prie, dites-moi tous les deux que vous me pardonnez! Je vous en prie, laissez-moi entendre ces paroles; que je puisse en emporter le son avec moi, et alors je pourrai croire que vous pourrez avoir confiance en moi, et avoir une meilleure opinion de moi avec le temps.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
700 стр. 1 иллюстрация
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