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Читать книгу: «Les grandes espérances», страница 37

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«Ah! voici un anneau.»

J'assistais le fiancé en qualité de témoin ou de garçon d'honneur, tandis qu'une petite ouvreuse de bancs faisait semblant d'être l'amie de cœur de miss Skiffins. La responsabilité de conduire la demoiselle à l'autel était échue au vieux, ce qui amena le ministre officiant à être involontairement scandalisé. Voici ce qui arriva quand le ministre dit:

«Qui donne cette femme en mariage à cet homme?»

Le vieux gentleman, ne sachant pas le moins du monde à quel point de la cérémonie nous étions arrivés, continua à répéter d'un air aimable et rayonnant les dix commandements, sur quoi le clergyman répéta:

«Qui donne cette femme en mariage à cet homme?»

Le vieux gentleman n'ayant pas la moindre idée de ce qu'on lui demandait, le jeune marié s'écria de sa voix ordinaire:

«Allons, vieux père, vous savez… qui donne?»

À quoi le vieux répliqua avec une grande volubilité, avant de répondre que c'était lui qui donnait:

«Très bien! John, très bien! mon garçon.»

Le ministre fit alors une pause de si mauvais augure, que je me demandai si nous serions complètement mariés ce jour-là.

Le mariage fut consommé cependant, et quand nous sortîmes de l'église, Wemmick ouvrit le couvercle des fonts baptismaux, y déposa ses gants blancs et le referma. Mrs Wemmick, plus prévoyante, mit ses gants blancs dans sa poche et remit ses verts.

«Maintenant, monsieur Pip, dit Wemmick en plaçant triomphalement sa ligne à pécher sur son épaule à la sortie de l'église, dites-moi si quelqu'un supposerait en nous voyant que c'est une noce.»

On avait commandé à déjeuner à une jolie petite taverne, à un mille ou deux sur le coteau, au-delà de la prairie, et il y avait une table de jeu dans la chambre, pour le cas où nous aurions voulu nous délasser l'esprit après la solennité. Il était amusant de voir que Mrs Wemmick ne repoussait plus le bras de Wemmick quand il entourait sa taille; elle se tenait sur une chaise adossée contre la muraille, comme un violoncelle dans sa caisse, et se soumettait à se laisser embrasser comme aurait pu le faire ce mélodieux instrument.

Nous eûmes un excellent déjeuner, et toutes les fois que quelqu'un refusait quelque chose à table, Wemmick disait:

«C'est fourni par le contrat, vous savez, il ne faut pas vous effrayer.»

Je bus au nouveau couple, au vieux, au château; je saluai la mariée, et je me rendis en un mot aussi agréable qu'il me fût possible.

Wemmick me conduisit jusqu'à la porte, et je lui serrai la main en lui souhaitant beaucoup de bonheur.

«Merci! dit Wemmick en se frottant les mains. Elle sait si bien élever les poules! vous n'en avez pas idée. Nous vous enverrons des œufs, et vous en jugerez par vous-même. Dites donc, monsieur Pip, dit-il en me rappelant et en me parlant à voix basse, ceci est tout à fait un de mes sentiments de Walworth, je vous prie de le croire.

«Je comprends, dis-je, il ne faut pas en parler dans la Petite Bretagne.»

Wemmick fit un signe de tête.

«Après ce que vous avez laissé échapper l'autre jour, j'aime autant que M. Jaggers ne le sache pas. Il pourrait croire que mon cerveau se dérange, ou quelque chose de la sorte.»

CHAPITRE XXVI

Magwitch resta en prison très malade, pendant tout le temps qui s'écoula entre son arrestation et l'ouverture des assises. Il s'était brisé deux côtes, ce qui avait endommagé un de ses poumons. Il respirait avec la plus grande difficulté et une douleur qui augmentait chaque jour. C'était par suite de cette blessure qu'il parlait si bas, que c'est à peine si l'on pouvait l'entendre. Il parlait donc fort peu, mais il était toujours prêt à m'écouter, et ma première occupation fut désormais de lui dire et de lui lire ce que je savais qu'il devait entendre.

Étant beaucoup trop malade pour rester dans la prison commune, il fut transporté, après deux ou trois jours, à l'infirmerie. Cette circonstance me permit de rester souvent près de lui, ce que je n'aurais jamais pu faire autrement. En effet, sans sa maladie, il eût été mis aux fers, car il était regardé comme passé maître en évasions, et je ne sais plus quoi encore.

Bien que je le visse chaque jour, ce n'était jamais que pour quelques instants. Nos heures de séparation étaient assez longues pour que je pusse m'apercevoir des légers changements survenus sur son visage et dans son état physique. Je ne me rappelle pas y avoir vu le moindre indice favorable; il s'usait lentement et devenait plus faible et plus malade de jour en jour, depuis celui où la porte de la prison s'était refermée sur lui.

L'espèce de soumission ou de résignation qu'il montrait était celle d'un homme épuisé. À ses manières, ou à un ou deux mots qui lui échappaient tout bas, de temps en temps, je pus soupçonner qu'il se demandait souvent s'il aurait pu être meilleur, placé dans de meilleures circonstances; mais il n'essayait jamais de se justifier, et de faire du passé autre chose que ce qu'il avait été.

Il arriva, en deux ou trois occasions, en ma présence, qu'une des personnes chargées de le garder parla de sa détestable réputation. Un sourire passait alors sur son visage, et il tournait les yeux de mon côté d'un air confiant, comme pour me prendre à témoin que j'avais reconnu en lui quelques qualités compensatrices, même dans le temps où je n'étais encore qu'un petit garçon. Pour tout le reste, il se montra humble et repentant, et je ne l'entendis jamais se plaindre.

Quand arriva l'époque de la session des assises, M. Jaggers demanda que son jugement fût remis à la session suivante, ayant l'assurance intime qu'il ne vivrait pas jusque là, mais on le refusa. Le jour du jugement arriva, et quand il fut amené à la barre, on l'assit sur une chaise, et on ne m'empêcha pas de me placer derrière lui, et de tenir la main qu'il me tendait.

Les débats furent très courts et très précis, tout ce qu'on put dire en sa faveur fut dit: comment il avait pris goût aux habitudes de travail, et comment il avait réussi légalement et honorablement. Mais rien ne pouvait atténuer le fait qu'il avait rompu son ban, et qu'il était là pour en répondre devant le juge et le jury. Il était impossible, une fois le fait prouvé, de faire autrement que de le déclarer coupable.

À cette époque, on avait coutume (ainsi que j'en fis la terrible expérience dans cette session) de consacrer le dernier jour des assises au prononcé des peines et de faire un dernier effort en formulant les sentences de mort. Mais sans le spectacle ineffaçable que mon souvenir me représente encore aujourd'hui, je croirais à peine, même en écrivant ces lignes, avoir vu trente-deux hommes et femmes amenés devant le juge pour s'entendre tous condamner ensemble. Magwitch était le seul, parmi les trente-deux, qui fût assis, afin qu'il pût respirer suffisamment pour conserver un peu de vie.

Cette scène m'apparaît encore tout entière avec ses vives couleurs: je vois les gouttes d'une pluie d'avril rouler sur les fenêtres de la cour et briller aux rayons du soleil; les trente-deux hommes et femmes entassés sur le banc des accusés, derrière lequel je me tenais, avec sa main dans la mienne, les uns arrogants, les autres frappés de terreur, quelques uns soupirant et pleurant, d'autres se couvrant la face de leurs mains, la plupart regardant tristement autour d'eux. Il y avait eu quelques cris poussés par les femmes condamnées, mais on les avait fait taire, et un grand silence s'était établi. Les sheriffs, avec leurs grandes chaînes et leurs bouquets et autres monstrueuses babioles civiques, les crieurs, les huissiers et cette grande galerie toute pleine de monde, et cette grande audience théâtrale, tous regardaient attentivement les trente-deux accusés et le juge, mis solennellement en présence. Alors le juge leur adressa la parole. Parmi les misérables amenés devant lui, dit-il, auxquels il devait s'adresser spécialement, il y en avait un qui, dès son enfance, avait bravé les lois, et qui, après des condamnations et des emprisonnements répétés, avait enfin été condamné à la déportation pour un nombre d'années limité, et qui, avec des circonstances extrêmement audacieuses et coupables, s'était évadé et avait été repris et condamné à la déportation à vie. Ce misérable avait semblé, pendant un certain temps, être revenu de ses erreurs, tant qu'il avait été loin du théâtre de ses anciens forfaits, et il avait vécu d'une manière honnête et paisible; mais à un moment fatal, cédant aux inclinations perverses et aux passions violentes qui l'avaient si longtemps rendu redoutable à la société, il avait quitté son asile de repos et de repentir, et était revenu dans la contrée d'où il avait été proscrit. Dénoncé bientôt, il avait réussi, pendant un certain temps, à dépister les agents de police; mais il avait été enfin saisi au moment où il allait fuir; il avait opposé une vive résistance, et avait causé la mort de son dénonciateur, auquel toute sa carrière était connue. Mieux que personne, il savait si c'est avec dessein et préméditation ou dans l'aveuglement de la passion. La peine prévue pour la rupture de ban et la rentrée dans le pays d'où il avait été chassé étant la peine de mort, et sa cause présentant des circonstances aggravantes, il devait se préparer à mourir.

Le soleil pénétrait par les hautes fenêtres du tribunal, à travers les brillantes gouttes de pluie qui étaient restées sur les carreaux, et étendait une large ligne de lumière entre les trente-deux coupables et le juge, et semblait, en les réunissant, rappeler à ceux qui étaient à l'audience que juges et accusés étaient absolument égaux devant celui qui sait tout et ne peut se tromper. Se levant un instant et paraissant comme un point noir dans ce rayon de lumière, le prisonnier dit:

«Milord, j'ai reçu ma sentence de mort du Tout-Puissant, et je m'incline devant la vôtre.»

Puis il se rassit. Il y eut quelques chuts, et le juge se mit à continuer ce qu'il avait à dire aux autres. Puis ils se trouvèrent tous jugés avec toutes les formalités voulues; et il fallut en soutenir quelques-uns, tandis que certains autres sortirent du tribunal en lançant un regard hagard et méprisant. Plusieurs firent des signes à la galerie; deux ou trois échangèrent des poignées de main; enfin quelques-uns sortirent en mâchant des fragments d'herbe qu'ils avaient arrachés à des plantes qui se trouvaient là. Il partit le dernier de tous, parce qu'il fallut l'aider à se lever et le faire marcher lentement, et il me tint la main pendant que tous les autres sortaient, et pendant que l'auditoire se levait et mettait de l'ordre dans ses vêtements, comme on fait à l'église ou ailleurs, et se montrait du doigt un criminel ou un autre, et presque toujours lui et moi.

Je souhaitais vivement et je priai qu'il mourût avant que le rapport du recorder ne fût terminé; mais dans la crainte qu'il ne vécût, je commençai à écrire cette nuit même une pétition au secrétaire d'État de l'intérieur, lui déclarant ce que je savais de lui, et comment il se faisait qu'il était revenu pour moi. Je la rédigeai aussi pathétiquement et avec autant de ferveur qu'il me fut possible, et quand je l'eus finie et envoyée, j'écrivis d'autres pétitions aux hommes sur l'autorité miséricordieuse desquels je comptais. J'en rédigeai même une pour la Couronne. Pendant plusieurs des jours et des nuits qui suivirent sa condamnation, je ne pris aucun repos, excepté quand je m'endormais malgré moi sur ma chaise; j'étais complètement absorbé par ces pétitions, et quand je les eus envoyées, je ne pouvais m'éloigner des endroits où elles étaient, et je sentais que plus j'en étais près, moins je désespérais et plus j'avais d'espoir qu'elles réussiraient.

Dans cette inquiétude déraisonnable et dans ce trouble d'esprit, je rôdais dans les rues le soir, autour des bureaux et des maisons où j'avais déposé ces pétitions. Aujourd'hui encore, les rues tumultueuses de l'ouest de Londres, par une nuit poussiéreuse du printemps, avec leurs rangées de sévères hôtels fermés et leurs longues files de candélabres, me remplissent de tristesse en me rappelant ce souvenir.

Les visites quotidiennes que je pouvais faire à Magwitch étaient maintenant plus courtes, et on le gardait plus strictement. Voyant ou m'imaginant qu'on me soupçonnait d'avoir l'intention de lui porter du poison, je demandai à être fouillé avant de m'asseoir à côté de lui, et je dis à l'officier qui était toujours présent que j'étais disposé à faire tout ce qui pourrait le convaincre de la sincérité de mes desseins. Personne ne se montrait dur, ni avec lui, ni avec moi. Il y avait un devoir à remplir, et on le remplissait, mais sans dureté. L'officier me donnait toujours l'assurance que le condamné était plus mal, et quelques prisonniers malades qui étaient dans la chambre, et d'autres prisonniers qui remplissaient auprès d'eux les fonctions d'infirmiers (c'étaient des malfaiteurs, mais qui n'étaient pas pour cela, Dieu merci! incapables de bons sentiments), me faisaient toujours les mêmes rapports.

Plus les jours s'écoulaient, et plus je remarquai qu'il restait couché tranquillement, regardant le plafond blanc, avec un visage sans aucune animation, jusqu'à ce que quelques mots prononcés par moi l'illuminassent un instant, et alors il revenait à la vie. Quelquefois il lui était presque tout à fait impossible de parler; alors il me répondait en me pressant légèrement la main, et je commençais à comprendre très bien ce langage.

Le nombre de jours écoulés s'était élevé à dix, quand je remarquai en lui un changement plus grand que de coutume. À mon entrée, ses yeux étaient fixés vers la porte et brillaient.

«Mon cher enfant, dit-il quand je fus assis à son chevet, je pensais que vous étiez en retard, mais je savais que vous ne pouviez pas l'être.

– Il est juste l'heure, dis-je, j'attendais à la porte.

– Vous attendez toujours à la porte, mon cher enfant, n'est-il pas vrai?

– Oui, pour ne pas perdre une minute.

– Merci, mon cher enfant, merci; Dieu vous bénisse! Vous ne m'avez jamais abandonné, mon cher enfant.»

Je lui serrai la main en silence, car je ne pouvais oublier que j'avais eu la pensée de l'abandonner.

«Et ce qu'il y a de mieux, dit-il, c'est que vous avez été meilleur pour moi depuis que je suis entouré d'un sombre nuage que lorsque le soleil était brillant; voilà le mieux de tout.»

Il était couché sur le dos et respirait avec beaucoup de difficulté. Quoi qu'il pût faire et bien qu'il m'aimât tendrement, la lumière quittait son visage de plus en plus, un voile tombait sur ses yeux fixés tranquillement au plafond.

«Souffrez-vous beaucoup aujourd'hui?

– Je ne me plains pas, cher enfant!

– Vous ne vous plaignez jamais.»

Après avoir dit ces derniers mots, il sourit, et je compris à son toucher qu'il voulait lever ma main et la porter à sa poitrine. Je la lui donnai, et il sourit encore une fois et la couvrit avec les siennes.

Le temps accordé s'écoula pendant que nous étions ainsi, mais en regardant autour de moi, je vis le gouverneur de la prison, et il me dit tout bas:

«Vous pouvez rester encore.»

Je le remerciai avec effusion et lui demandai:

«Pourrais-je lui parler, s'il peut encore m'entendre?»

Le gouverneur s'éloigna et renvoya l'officier. Ce changement, quoique fait sans bruit, souleva le voile qui recouvrait ses yeux, et il me regarda de la façon la plus affectueuse:

«Cher Magwitch, je dois vous dire enfin… vous comprenez, n'est-ce pas, ce que je dis?..»

Et je sentis une douce pression sur ma main.

«Vous avez eu une fille autrefois, que vous avez aimée et perdue?..»

Une pression plus forte sur ma main.

«Elle a vécu et trouvé de puissants amis; elle vit encore; c'est une vraie dame; elle est très belle, et je l'aime!»

Avec un dernier effort qui eût été insensible, si je ne m'y étais prêté en l'aidant, il porta ma main à ses lèvres, puis il la laissa retomber sur sa poitrine en y appuyant les deux siennes; le regard placide levé au plafond reparut et disparut, et sa tête retomba doucement sur sa poitrine.

Me rappelant alors ce que nous avions lu ensemble, je pensais aux deux hommes qui entrèrent dans le Temple pour prier, et je ne trouvai rien de mieux à dire à son chevet que de répéter ces paroles:

«Ô Seigneur, ayez pitié de lui, c'est un pauvre pécheur.»

CHAPITRE XXVII

Maintenant que je restais livré tout à fait à moi-même, j'annonçai mon intention de quitter l'appartement du Temple aussitôt que mon bail serait terminé, et en attendant, de le sous-louer. Je mis aussitôt des écriteaux aux fenêtres, car j'étais endetté et je n'avais que très peu d'argent. Je commençais même sérieusement à m'alarmer de l'état de mes affaires, je devrais dire plutôt que j'aurais dû m'alarmer, si j'avais eu assez d'énergie et de calme dans l'esprit pour voir clairement la vérité au-delà de l'impression du moment, et cette impression était que je tombais sérieusement malade. La dernière secousse que j'avais éprouvée avait retardé la maladie, mais n'avait pu la chasser complètement. Je voyais qu'elle me revenait maintenant; en dehors de cela, je ne savais pas grand'chose, et je ne m'en inquiétais même pas.

Un jour ou deux je restai étendu sur le sofa ou sur le plancher, n'importe où, selon qu'il m'arrivait de me laisser tomber, la tête lourde, les jambes affaiblies, sans idée et sans force. Puis arriva une nuit qui me parut éternelle et peuplée d'inquiétudes et d'horreurs; et quand le matin j'essayai de m'asseoir sur mon lit et de penser à mes rêves, je vis qu'il m'était impossible de le faire.

Étais-je réellement descendu dans la Cour du Jardin, au milieu du silence de la nuit, cherchant à tâtons le bateau que je supposais y être? Étais-je revenu à moi deux ou trois fois sur l'escalier, avec grande terreur, ne sachant pas comment j'étais sorti de mon lit? M'étais-je trouvé en train d'allumer la lampe, poursuivi par l'idée que Provis montait l'escalier et que les lumières étaient éteintes? Avais-je été énervé d'une manière ou d'une autre, par les discours incohérents, le rire ou les gémissements de quelqu'un, et avais-je soupçonné en partie que ces sons venaient de moi-même? Y avait-il eu une fournaise en fer placée dans un des coins noirs de la chambre, et une voix avait-elle crié sans cesse que miss Havisham y brûlait? C'était là autant de choses que je me demandais et que j'essayais de m'expliquer en mettant un peu d'ordre dans mes idées tout en restant étendu sur mon lit. Mais il me semblait que la vapeur d'un four à chaux arrivait entre mes idées et moi et y mettait le désordre et la confusion; c'est à travers cette vapeur qu'à la fin je vis deux hommes me regarder.

– Que voulez-vous? demandai-je en tressaillant; je ne vous connais pas.

– Mais, monsieur, répondit l'un d'eux en s'inclinant et en me touchant l'épaule, c'est une affaire qui sans doute sera bientôt arrangée, mais vous êtes arrêté.

– Pour quelle dette?

– Pour cent vingt-trois livres, quinze shillings et six pence. C'est pour le compte du bijoutier, je crois.

– Que faut-il faire?

– Le mieux serait de venir chez moi, dit l'homme; je tiens une maison très convenable.»

J'essayai de me lever et de m'habiller; puis, quand je levai les yeux sur eux, je vis qu'ils se tenaient à quelque distance de mon lit et me regardaient. Je restai à ma place.

«Vous voyez mon état, dis-je, j'irais avec vous si je le pouvais; mais, en vérité, j'en suis tout à fait incapable. Si vous m'enlevez d'ici, je crois que je mourrai en chemin.»

Peut-être répondirent-ils ou discutèrent-ils sur la situation; autant qu'il m'en souvient, ils essayèrent de m'encourager à croire que j'étais moins mal que je ne pensais; mais je ne sais pas ce qu'ils firent, si ce n'est qu'ils s'abstinrent de m'emmener.

Ce qui n'était que trop certain, c'est que j'avais la fièvre, que j'étais anéanti, que je souffrais beaucoup, que je perdais souvent la raison, que le temps me semblait d'une longueur démesurée, que je confondais des existences impossibles avec la mienne propre, que j'étais une des briques de la muraille, et que je suppliais qu'on m'ôtât de la place gênante où l'on m'avait mis, que j'étais l'arbre d'acier d'une vaste machine, tournant avec fracas sur un abîme, et encore que j'implorais pour mon compte personnel qu'on arrêtât la machine, et qu'à coups de marteau on séparât la part que j'y avais. Que j'aie passé par ces phases de la maladie, je le sais, parce que je m'en souviens et qu'en quelque sorte je le savais au moment même. Que j'aie lutté avec des personnes réelles, croyant avoir affaire à des assassins, et que j'aie compris tout d'un coup qu'elles me voulaient du bien, après quoi je tombais épuisé dans leurs bras et les laissais me remettre au lit, je le savais aussi en revenant à la connaissance de moi-même. Mais, par-dessus tout, je savais que chez tous ceux qui m'avaient entouré pendant ma maladie, et que j'avais cru voir passer par toutes sortes de transformations, se dilater dans des proportions infinies, il y avait eu une tendance extraordinaire à prendre plus ou moins la ressemblance de Joe.

Après avoir passé le plus mauvais moment de ma maladie, je remarquai que, tandis que tous ses autres signes caractéristiques changeaient, ce seul trait ne changeait pas. Quiconque m'approchait, prenait l'apparence de Joe. J'ouvrais les yeux dans la nuit, et qui voyais-je dans le grand fauteuil, au chevet du lit? Joe. J'ouvrais les yeux dans le jour, et, assis sur l'appui de la fenêtre, fumant sa pipe à l'ombre de la fenêtre ouverte, qui voyais-je encore? Joe. Je demandais une boisson rafraîchissante, et quelle était la main chérie qui me la donnait? Celle de Joe. Je retombais sur mon oreiller après avoir bu, et quel était le visage qui me regardait avec tant d'espoir et de tendresse, si ce n'est celui de Joe!

Enfin un jour je pris courage et je dis:

«Est-ce vous, Joe?»

Et la chère et ancienne voix de chez nous répondit:

«Quel autre pourrait-ce être, mon vieux camarade?

– Ô Joe! vous me brisez le cœur! Regardez-moi avec colère, Joe… Frappez-moi, Joe… Reprochez-moi mon ingratitude… ne soyez pas si bon pour moi…»

Car Joe venait de poser sa tête sur l'oreiller, à côté de la mienne, et de passer son bras autour de mon cou, dans la joie qu'il éprouvait de me voir le reconnaître.

«Mais, oui, mon cher Pip! mon vieux camarade, dit Joe. Vous et moi, nous avons toujours été bons amis, et quand vous serez assez bien pour sortir faire un tour de promenade… ah! quel plaisir!..»

Après quoi Joe se retira à la fenêtre et se tint le dos tourné vers moi, en train de s'essuyer les yeux; et comme mon extrême faiblesse m'empêchait de me lever et d'aller à lui, je restai là, murmurant ces mots de repentir:

«Ô mon Dieu! bénissez-le, bénissez cet excellent homme et ce bon chrétien!»

Les yeux de Joe étaient rouges quand il se retourna; mais je tenais sa main, et nous étions heureux tous les deux.

«Combien de temps, cher Joe?

– Vous voulez dire, Pip, combien de temps a duré votre maladie, mon cher camarade?

– Oui, Joe.

– Nous sommes à la fin de mai, demain c'est le 1er juin.

– Êtes-vous resté ici tout le temps, cher Joe?

– À peu près, mon vieux camarade.

– Car comme je le dis à Biddy quand la nouvelle de votre maladie nous fut apportée par une lettre venue par la poste; il a été longtemps seul; il est maintenant probablement marié, quoique mal récompensé des pas et des démarches qu'il a faites. Mais la richesse n'a jamais été un but pour lui, et le mariage fut toujours le plus grand désir de son cœur…

– Il est bien doux de vous entendre, Joe! mais je vous interromps dans ce que vous disiez à Biddy…

– C'est que, voyez-vous, vous pouviez être au milieu d'étrangers, et comme vous et moi avons toujours été amis, une visite dans un pareil moment pouvait ne pas vous être désagréable, et voici les paroles de Biddy:

«Allez le trouver sans perdre de temps.» Voilà, dit Joe, en prenant un air grave, quelles furent les paroles de Biddy. Allez le trouver, a dit Biddy, sans perdre de temps. En un mot, je ne vous tromperais pas beaucoup, ajouta Joe après quelques moments de réflexion, si je vous assurais que les paroles véridiques de cette jeune femme furent: «sans perdre une seule minute de temps.»

Ici, Joe s'arrêta court, et m'apprit qu'il ne fallait me parler qu'avec une grande modération, et que je devais prendre un peu de nourriture à des intervalles fréquents, que j'y fusse ou non disposé, et que je devais me soumettre à ses ordres. Je lui baisai donc la main, et me tins tranquille pendant qu'il s'occupait à rédiger une lettre à Biddy, dans laquelle il lui envoyait mes amitiés.

Évidemment, Biddy avait appris à écrire à Joe. Dans l'état de faiblesse où je me trouvais, couché dans mon lit et le regardant, cela me fit encore pleurer de plaisir, de voir avec quel orgueil il se mit à écrire sa lettre. Mon lit, privé de ses rideaux, avait été transporté, moi dedans, dans le salon, comme la pièce la plus vaste et la mieux aérée; on avait retiré le tapis, et la chambre était maintenue, nuit et jour, fraîche et salubre. Joe était assis devant mon bureau, relégué dans un coin, et encombré de petites bouteilles, et il était occupé à son grand travail. Il commença d'abord par choisir une plume sur le porte-plume, qu'il mania comme si c'était un coffre à gros outils; puis il releva ses manches, comme s'il allait manœuvrer un levier ou un marteau de forge. Avant de commencer, il se mit en position, c'est-à-dire qu'il s'appuya solidement sur la table avec son coude gauche, et tint sa jambe droite bien en arrière; et quand il commença, il fit des gros jambages, en descendant si lentement qu'on aurait pu croire qu'il leur donnait six pieds de longueur, tandis qu'à chacun des déliés qu'il faisait en remontant, j'entendais sa plume cracher énormément. Il avait la singulière idée que l'encrier était du côté où il n'était pas, et trempait constamment sa plume dans l'espace, paraissant très satisfait du résultat. Il commit quelques lourdes fautes d'orthographe, mais, en somme, il s'acquitta très bien de tout, et quand il eut signé son nom, et qu'avec ses deux doigts, il eu transporté un pâté final du papier sur le sommet de sa tête, il plana en quelque sorte sur la table pour juger de l'effet de son œuvre de points de vue différents, avec une satisfaction sans bornes.

Pour ne pas contrarier Joe en parlant trop, je me serais tu, même si j'avais été capable de parler beaucoup. Je remis donc au lendemain pour lui parler de miss Havisham. Il secoua la tête, quand je lui demandai si elle était rétablie:

«Elle est morte, Joe?

– Mais c'est que, mon vieux camarade, dit Joe, d'un ton de reproche et pour y arriver, par degrés, je n'aurais pas voulu dire cela; car ce n'est pas peu de chose à dire, mais elle n'est pas…

– … Vivante, Joe?

– Ça c'est plus près de la vérité, dit Joe; elle n'est pas vivante.

– A-t-elle souffert beaucoup, Joe?

– Après que vous êtes tombé malade, environ ce que vous pourriez appeler une semaine.

– Cher Joe, avez-vous entendu dire ce qu'est devenue sa fortune?

– Mais, mon vieux camarade, dit Joe, il me semble qu'elle avait disposé de la plus grande partie, c'est-à-dire qu'elle l'avait transmise à miss Estelle; mais elle avait écrit de sa main un petit codicille, un jour où deux avant l'accident, par lequel elle laissait une froide somme de quatre mille livres à M. Mathieu Pocket. Et pourquoi supposez-vous, par-dessus toutes les autres raisons, Pip, qu'elle lui ait laissé ces froides quatre mille livres? À cause du rapport de Pip sur ledit Mathieu. Biddy m'a dit que c'était écrit comme ça, dit Joe en répétant la formule légale: «Rapport de Pip sur ledit Mathieu.» Quatre froides mille livres, Pip!»

Je n'ai jamais pu découvrir sur quoi Joe fondait la température qu'il attribuait à ces quatre mille livres; mais cela lui paraissait augmenter la somme, et il éprouvait un plaisir manifeste à répéter qu'elles étaient froides.

Cette nouvelle me causa une grande joie: elle mettait le sceau sur le seul bien que j'eusse jamais fait. Je demandai à Joe s'il avait entendu dire que quelques-uns des autres parents eussent eu des legs.

«Miss Sarah, dit Joe, a vingt-cinq livres par an pour acheter des pilules, parce qu'elle est bilieuse; miss Georgiana a eu vingt livres.

– Mistress… Comment appelez-vous ces bêtes sauvages qui ont des bosses sur le dos, mon vieux camarade?

– Camels?15 «dis-je en me demandant à quoi il pouvait vouloir en venir.

Joe fit un signe.

«Mistress Camels.»

Je sus bientôt qu'il voulait parler de Camille. Elle a eu vingt livres pour acheter des veilleuses pour ranimer ses esprits quand elle se réveille la nuit.

L'exactitude de ces rapports était suffisamment évidente pour me donner une grande confiance dans les informations de Joe.

«Et maintenant, dit Joe, vous n'êtes pas encore assez fort, mon vieux camarade, pour ramasser plus d'une pelletée additionnelle de nouvelles aujourd'hui. Le vieil Orlick s'est introduit avec effraction dans une maison habitée.

– Chez qui? dis-je.

– Non… mais je vous avoue que ses manières sont devenues très bruyantes, dit Joe en forme d'excuses. Cependant la maison d'un Anglais est son château, et les châteaux ne doivent pas être forcés, excepté en temps de guerre; et quels qu'aient été ses défauts, il était bon marchand de blé et de graines.

– C'est donc la maison de Pumblechook qui a été forcée?

– C'est elle, Pip, dit Joe, et on a pris son tiroir, et on a pris sa caisse, et on a bu son vin, et on a mangé ses provisions, et on l'a souffleté, et on lui a tiré le nez, et on l'a attaché à son bois de lit, et on lui a donné une douzaine de coups de poing, et on lui a rempli la bouche de graines pour l'empêcher de crier; mais il a reconnu Orlick, et Orlick est dans la prison du comté.»

Peu à peu nous pûmes causer sans restriction. Je recouvrais mes forces lentement, mais je les recouvrais, et Joe restait avec moi, et il me semblait que j'étais encore le petit Pip.

Car la tendresse de Joe était si admirablement proportionnée à mes besoins, que j'étais comme un enfant entre ses mains. Il lui arrivait de s'asseoir près de moi, et de me parler avec son ancienne confiance, son ancienne simplicité, et son ancienne protection paternelle, de sorte que j'étais tenté de croire que toute ma vie, depuis le temps où j'avais vécu dans la vieille cuisine, était une invention de la fièvre qui était partie. Il faisait tout pour moi, excepté le ménage, pour lequel il avait pris une femme très convenable, après avoir réglé le compte de l'autre, le jour même de son arrivée.

15.Camels, veut dire chameaux, et en anglais Camels et Camille ayant à peu près la même consonance: il y a là un jeu de mots absolument impossible à rendre.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
700 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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