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Читать книгу: «Les grandes espérances», страница 35

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Il approcha encore une fois la chandelle sur moi, enfuma mon visage et mes cheveux, et, pendant un instant, m'aveugla; puis il me tourna son large dos, et replaça la chandelle sur la table. J'avais fait mentalement ma prière, et j'étais avec Joe, Biddy et Herbert avant qu'il se retournât vers moi.

Il y avait un espace vide de quelques pieds entre la table et le mur opposé. Dans cet espace, il allait et venait continuellement. Sa grande force semblait redoubler pendant qu'il se mouvait ainsi, avec ses mains pendantes, lâches et lourdes à ses côtés, et avec ses yeux furieux fixés sur moi. Il ne me restait pas le moindre espoir. Malgré la violence de mon agitation intérieure et la vigueur surprenante des images qui surgissaient en moi au milieu de pensées tumultueuses, je pouvais cependant comprendre clairement que, s'il n'avait pas été bien résolu à me faire périr dans quelques moment, à l'insu de tout être humain, il ne m'aurait jamais dit ce qu'il venait de me dire.

Tout à coup, il s'arrêta, ôta le bouchon de sa bouteille et le jeta au loin. Tout léger qu'il était, je l'entendis tomber comme un plomb; il avala lentement, en soulevant la bouteille par degrés, et alors il ne me regarda plus; puis il versa les quelques dernières gouttes de liqueur dans le creux de sa main, et les absorba avec une violence saccadée et en jurant horriblement; il jeta ensuite la bouteille loin de lui, se baissa, et je vis dans sa main un maillet à manche long et lourd.

La résolution que j'avais prise ne m'abandonna pas; sans lui adresser un seul mot d'inutile prière, je me mis à crier de toutes mes forces. Je ne pouvais remuer que ma tête et mes jambes; mais je me débattais avec toute la force que j'avais en moi, et qui m'était jusque là inconnue. Au même instant, j'entendis des cris répondant aux miens, je vis des figures et un rayon de lumière se précipiter par la porte, et je vis Orlick se dégager du milieu d'un amas d'hommes, franchir la table d'un bond, comme une trombe, et disparaître dans l'obscurité.

Après un certain temps, je revins à moi, et je me trouvai couché, dégagé de mes liens, sur le plancher, la tête appuyée sur les genoux de quelqu'un. Mes yeux étaient fixés sur l'échelle dressée contre le mur. Ainsi en reprenant connaissance, j'appris que j'étais encore à l'endroit où je l'avais perdue.

Trop indifférent d'abord, même pour regarder qui me soutenait, je restais étendu regardant l'échelle, quand une figure vint se placer entre elle et moi. C'était la figure du garçon de Trabb.

«Je crois qu'il est mieux, dit le garçon de Trabb d'une voix douce. Mais comme il est encore pâle, hein!»

À ces mots, le visage de celui qui me soutenait vint se placer devant le mien, et je vis que celui qui me soutenait était mon ami.

«Herbert!.. bon Dieu?

– Doucement, dit Herbert, doucement, Haendel, ne vous agitez pas.

– Et notre vieux camarade Startop! m'écriai-je, comme lui aussi se penchait sur moi.

– Souvenez-vous de l'affaire pour laquelle il va nous aider, dit Herbert, et soyez calme.»

Cette allusion me fit redresser; mais la douleur que me causa mon bras me fit retomber.

«Le moment n'est pas passé, Herbert, n'est-ce pas? Quel jour sommes-nous? Depuis combien de temps suis-je ici?»

Car j'avais l'étrange et fatal sentiment que j'étais resté étendu là pendant longtemps: un jour et une nuit, deux jours et deux nuits, peut-être plus.

«Le moment n'est pas passé, nous sommes encore à lundi soir.

– Dieu soit béni!..

– Et vous avez toute la journée de demain mardi pour vous reposer, dit Herbert. Mais vous ne cessez pas de gémir, mon cher Haendel, quelle blessure avez-vous? Pouvez-vous vous tenir debout?

– Oui, oui, dis-je, je puis marcher, je n'ai d'autre blessure que la douleur que me cause ce bras.»

Ils le mirent à nu, et firent tout ce qui était en leur pouvoir pour me soulager. Mon bras était considérablement enflé et enflammé, je pouvais à peine supporter qu'on y touchât, mais ils déchirèrent leurs mouchoirs pour me faire de nouveaux bandages, et le replacèrent soigneusement dans l'écharpe, jusqu'à ce que nous puissions gagner la ville et nous procurer une lotion calmante pour mettre dessus. En peu de temps, nous eûmes fermé la porte de la maison de l'écluse, que nous laissions sombre et déserte, et nous repassions par la carrière pour rentrer en ville. Le garçon de Trabb, maintenant le commis de Trabb, marchait en avant avec une lanterne. C'était sa lumière que j'avais vu paraître à la porte, mais la lune était beaucoup plus haute que la dernière fois que je l'avais vue; le ciel et la nuit, bien que pluvieuse, étaient beaucoup plus clairs. La vapeur blanche de la chaux passait devant nous. Pendant que nous marchions, et comme auparavant j'avais mentalement fait une prière, je fis alors une action de grâces.

Suppliant Herbert de me dire comment il était venu à mon secours, ce que d'abord il avait positivement refusé de faire en me recommandant de rester tranquille, j'appris que, dans ma précipitation, j'avais laissé tomber la lettre anonyme dans notre appartement, où en rentrant avec Startop, qu'il avait rencontré dans la rue, il l'avait trouvée très peu de temps après mon départ. Le ton de la lettre l'avait inquiété, surtout à cause du peu de rapport qu'il y avait entre ce qu'elle disait et les quelques lignes que je lui avais laissées. Son inquiétude croissant, au lieu de céder après un quart d'heure de réflexion, il était parti pour le bureau des voitures avec Startop, qui n'avait pas mieux demandé que de l'accompagner pour demander à quelle heure partait la première voiture. Voyant que la voiture de l'après-midi était partie et trouvant que son inquiétude se changeait positivement en alarme à mesure qu'il rencontrait des obstacles, il avait résolu de partir en poste. Donc Startop et lui étaient arrivés au Cochon bleu comptant m'y trouver, ou au moins avoir quelques nouvelles de moi. Mais ne trouvant rien du tout, ils s'étaient rendus chez miss Havisham, où ils avaient perdu mes traces. Après cela, ils étaient retournés à l'hôtel (au moment sans doute où j'écoutais la version locale et populaire de mon histoire) pour prendre quelques rafraîchissements, et se procurer quelqu'un qui pût les guider dans les marais. Parmi les personnes qu'ils trouvèrent sous la porte du Cochon bleu se trouvait justement le garçon de Trabb, fidèle à son ancienne coutume de se trouver partout où il n'avait pas besoin d'être; et le garçon de Trabb m'avait vu partir de chez miss Havisham dans la direction de mon auberge. Le garçon de Trabb s'était donc fait leur guide et ils étaient partis avec lui pour la maison de l'écluse, mais par le chemin de la ville aux marais que j'avais évité. Tout en marchant, Herbert avait réfléchi que je pouvais, après tout, avoir été appelé là dans un but qui importait à la sûreté de Provis, et pensant que, dans ce cas, il ferait peut-être mal de me déranger, il avait laissé son guide et Startop au bord de la carrière et s'était approché seul et sans bruit de la maison, deux ou trois fois, cherchant à s'assurer si tout se passait bien à l'intérieur. Comme il ne pouvait rien entendre que les sons indistincts d'une voix rude (ceci se passait pendant que mon esprit était tant occupé), il avait même fini par douter que je fusse là, quand tout à coup il m'avait entendu crier de toutes mes forces. Il avait alors répondu à mes cris, et s'était précipité dans la cabane, suivi de près par les deux autres.

Quand je dis à Herbert ce qui s'était passé dans la maison, il voulut aller immédiatement à la ville trouver un magistrat, malgré l'heure avancée, et obtenir un ordre d'arrestation; mais j'avais déjà songé qu'une pareille démarche, en nous retenant et en nous empêchant de revenir pourrait être fatale à Provis. Il n'y avait pas à contester cette difficulté, et nous abandonnâmes toute pensée de poursuivre Orlick pour le moment. Dans ces circonstances, nous crûmes prudent de traiter légèrement la chose aux yeux du garçon de Trabb qui, j'en suis convaincu, aurait été fortement désappointé s'il avait appris que son intervention m'avait sauvé du four à chaux; non pas que le garçon de Trabb fût d'une mauvaise nature, mais parce qu'il avait trop de vivacité non employée, et qu'il était dans sa constitution de chercher de la variété et de l'excitation aux dépens des autres.

En le quittant, je lui fis présent de deux guinées (qui semblaient faire son affaire), et je lui dis que j'étais fâché d'avoir jamais eu une mauvaise opinion de lui (ce qui ne lui fit pas la moindre impression).

Le mercredi était si près de nous, nous prîmes le parti de retourner à Londres le soir même tous les trois dans la chaise de poste, afin d'être déjà loin si l'aventure de la nuit venait à s'ébruiter. Herbert se procura une bouteille de mixture calmante pour mon bras, et, à force d'en verser sur ma blessure, pendant toute la nuit, il me fut possible de supporter la douleur pendant le voyage. Il faisait jour quand nous arrivâmes au Temple; je me mis au lit immédiatement, et j'y restai tout le jour.

Je tremblais de tomber malade et d'être impotent pour le lendemain, et je m'étonne que cette crainte seule ne m'ait pas rendu incapable de rien faire. Cela fût arrivé sûrement, avec la fatigue et la torture morale que j'avais endurées, sans la force surnaturelle avec laquelle agissait sur moi l'idée du lendemain de ce jour, considéré avec tant d'inquiétudes, chargé de telles conséquences et de résultats impénétrables quoique si proches! Aucune précaution ne pouvait être plus utile que d'éviter de communiquer avec Provis ce jour-là; cependant cela augmentait encore mon inquiétude. Je tressaillais à chaque pas, à chaque bruit, croyant que Provis était découvert et arrêté, et que c'était un messager qui arrivait pour m'en informer. Je me persuadais à moi-même que je savais qu'il était arrêté; qu'il y avait sur mon esprit quelque chose de plus qu'une crainte ou un pressentiment; que le fait était arrivé, et que j'en avais une mystérieuse certitude. La journée se passa, et aucune mauvaise nouvelle n'arriva. Comme le jour touchait à sa fin, et que l'obscurité tombait, ma crainte vague d'être retenu par ma maladie le lendemain, s'empara de moi tout à fait; je sentais battre mon bras brûlant et ma tête brûlante, et il me semblait que je commençais à divaguer. Je comptais jusqu'à des nombres élevés pour m'assurer de moi-même, et je répétais des fragments d'ouvrages que je savais, en prose et en vers. Il arrivait quelquefois que, pendant un court répit de mon esprit fatigué, je m'assoupissais quelques instants et que j'oubliais; alors je me disais en me réveillant en sursaut:

«Allons! m'y voilà, le délire s'empare de moi.»

On me laissa très tranquille tout le jour; on tint mon bras constamment bandé et l'on me fit prendre des calmants. Toutes les fois que je m'endormais, je me réveillais avec l'idée que j'avais eue dans la cabane de l'Écluse, qu'un long espace de temps s'était écoulé, et que l'occasion de sauver Provis était passée. Vers minuit, je me jetai en bas de mon lit, et fus trouver Herbert avec la conviction que j'avais dormi pendant vingt-quatre heures, et que le mercredi était passé. C'était le dernier effort de mon excitation épuisée; après cela, je dormis profondément.

Le mercredi matin commençait à poindre, quand je regardai par la fenêtre. Les lumières qui vacillaient sur les ponts avaient déjà pâli, le soleil levant était comme un lac de feu à l'horizon; le fleuve, encore sombre et mystérieux, était coupé par les ponts, qui prenaient une teinte grise et froide, et çà et là, à la partie supérieure, une touche chaude renvoyée par le ciel en feu. Comme je regardais cet amas de toits, de tours d'églises et de flèches, s'élevant dans l'air, plus clairs que de coutume, le soleil se leva, un voile parut tout à coup être enlevé de dessus la rivière, et des millions d'étincelles parurent à sa surface. De moi aussi, il me semblait qu'on avait tiré un voile, et je me sentais vaillant et fort.

Herbert était endormi dans son lit, et notre vieux camarade d'études était endormi sur le sofa. Je ne pouvais pas m'habiller sans l'aide de quelqu'un, mais je ranimai le feu qui brûlait encore et je leur préparai du café. Bientôt mes compagnons se levèrent, vaillants et forts aussi; et nous laissâmes entrer par les fenêtres l'air vif du matin, et nous regardâmes la marée qui montait encore vers nous.

«Quand l'aiguille sera sur neuf heures, dit Herbert avec entrain, attention à nous! et tenez-vous prêts, vous, là-bas, au Moulin du Bord de l'Eau!»

CHAPITRE XXIV

C'était un des ces jours de mars, où le soleil brille chaud et où le vent souffle froid, où l'on trouve l'été sous le soleil et l'hiver à l'ombre. Nous avions nos paletots avec nous, et je pris un sac de voyage. De tout ce que je possédais sur terre, je ne pris que les quelques objets de première nécessité qui remplissaient le sac. Où allais-je? qu'allais-je faire? et quand reviendrais-je? étaient autant de questions auxquelles je ne pouvais répondre. Je n'en troublai pas mon esprit, car tout cela reposait sur la sûreté de Provis. Je me demandai seulement, au moment où je m'arrêtai à la porte pour jeter un dernier regard dans l'appartement, dans quelles circonstances différentes je devais revoir ces chambres, si jamais je les revoyais.

Nous descendîmes sans nous presser l'escalier du Temple, et nous y restâmes pendant quelque temps, comme si nous n'étions pas encore tout à fait décidés à tenter l'aventure. J'avais, bien entendu, veillé à ce que le bateau se trouvât prêt et tout en ordre. Après avoir montré un peu d'indécision, dont personne ne fut témoin, que les deux ou trois créatures amphibies appartenant à notre escalier du Temple, nous nous embarquâmes et prîmes le large, Herbert à l'avant, moi au gouvernail. La marée était haute, car alors il était huit heures et demie.

Voici quel était notre plan: la marée commençant à baisser à neuf heures, et nous emmenant jusqu'à trois heures, notre intention était de continuer quand elle remonterait, et de ramer contre elle jusqu'à la nuit. Nous serions bien alors arrivés dans ces grandes largeurs au-delà de Gravesend, entre Kent et Essex, où la rivière est large et solitaire, où les habitants riverains sont peu nombreux, et où il y a des auberges éparses, çà et là, parmi lesquelles nous pourrions facilement en choisir une pour nous reposer. Nous avions l'intention d'y rester toute la nuit. Le paquebot pour Hambourg et celui pour Rotterdam devaient quitter Londres vers neuf heures, le jeudi matin, nous savions à quelle heure l'attendre, selon l'endroit où nous serions, et nous hélerions d'abord le premier, de sorte que si, par hasard, on ne pouvait nous prendre à bord, nous aurions une seconde chance. Nous connaissions les marques distinctives de chaque vaisseau.

Le soulagement que j'éprouvais en commençant enfin l'exécution de notre entreprise était si grand, qu'il m'était difficile de croire à l'état dans lequel je m'étais trouvé quelques heures auparavant. L'air vif, le soleil, le mouvement sur la rivière et le mouvement dans la rivière elle-même, l'eau qui courait avec nous, paraissant sympathiser avec nous, nous animer, nous encourager, me rafraîchissaient d'un nouvel espoir. Je me sentais intérieurement humilié d'être si peu utile dans le bateau, mais il y avait peu de meilleurs rameurs que mes deux amis, et ils ramaient avec une régularité qui devait durer tout le jour.

À cette époque, la navigation à vapeur sur la Tamise était bien loin d'être ce qu'elle est aujourd'hui, et les bateaux à rames étaient bien plus nombreux. Il y avait peut-être autant de barques houillères à voiles et de bateaux côtiers qu'à présent; mais les vaisseaux à voiles, grands et petits, n'étaient pas la dixième ou la vingtième partie aussi nombreux. De bonne heure comme il était, il y avait déjà beaucoup de bateaux à rames allant et venant, beaucoup de barques descendant avec la marée; la navigation sur la rivière entre les ponts, en bateaux découverts, était chose plus commode et plus commune dans ce temps-là qu'aujourd'hui, et nous avancions lentement, au milieu d'un grand nombre d'esquifs et de péniches.

Nous eûmes bientôt franchi le vieux pont de Londres et le vieux marché de Billingsgate, et la Tour Blanche, et la Porte des Traîtres, et nous passâmes entre les rangées de vaisseaux. Voici les bateaux à vapeur de Leith, d'Aberdeen et de Glascow, chargeant et déchargeant des marchandises; ils paraissent énormément élevés au-dessus de l'eau quand nous passons le long de leurs flancs; voici les houillers par vingtaines et vingtaines, et les déchargeurs de charbon qui épongent les planches des ponts des navires, en compensation des mesures de charbon qu'ils enlèvent et qu'ils versent ensuite dans des barques. Ici est amarré le steamer qui part demain pour Rotterdam, nous en prenons bonne note; et là, le steamer qui part demain pour Hambourg, sur le beaupré duquel nous passons; et maintenant, assis à l'arrière, je peux voir, et mon cœur en bat plus vite, le Moulin et les escaliers du Moulin.

«Est-il là? dit Herbert.

– Pas encore.

– C'est juste, il ne devait pas descendre avant de nous voir. Pouvez-vous voir le signal?

– Pas bien d'ici, mais je crois le voir lui… maintenant je le vois! Ensemble, doucement, Herbert, rentrez vos rames.»

Pendant une seule minute, nous touchons légèrement l'escalier; Provis saute à bord, et nous reprenons le large. Il avait un manteau de matelot avec lui, une malle en toile noire, et il ressemblait autant à un pilote de rivière que mon cœur pouvait le désirer.

«Mon cher ami, dit-il, en mettant son bras sur mon épaule pendant qu'il prenait sa place, cher et fidèle enfant, c'est bien, merci, merci!»

Nous traversons encore une rangée de vaisseaux, nous en sortons; nous évitons les chaînes rouillées, les câbles de chanvre, les grelins et les bouées; nous dispersons les copeaux et les éclats de bois flottants, nous fendons les amas de scories de charbon flottantes. Nous passons sous la figure de la proue du John de Sunderland, adressant un discours aux vents (comme font bien des Johns), et sous la Betzy de Yarmouth, avec sa gorge ferme et ses yeux protubérants sortant de deux pouces hors de sa tête; nous passons devant des marteaux qui fonctionnent dans les chantiers de construction; devant des scies qui pénètrent dans le bois; devant des machines qui frappent à grand bruit sur des choses inconnues; des pompes jouent dans les vaisseaux qui prennent eau, les cabestans tournent, les vaisseaux gagnent la mer, et des créatures marines échangent des jurons impossibles par-dessus les bords avec des débardeurs qui leur répondent; nous passons… nous passons enfin sur une eau plus claire dans laquelle les mousses pourraient prendre leurs ébats, sans pécher plus longtemps dans les eaux troubles qui sont de l'autre côté, et où les voiles festonnées peuvent se gonfler au vent.

À l'escalier où nous avions pris Provis à bord, et, toujours depuis, j'avais cherché vainement une preuve que nous étions soupçonnés, je n'en avais pas vu. Certainement nous ne l'avions pas été à ce moment-là, et certainement nous n'étions ni précédés ni suivis d'aucun bateau. Si nous avions été surveillés par quelque bateau, j'aurais nagé vers lui et je l'aurais obligé à continuer ou à déclarer son projet; mais nous continuâmes notre route, sans la moindre apparence d'être molestés.

Provis avait mis son manteau de matelot, et semblait, comme je l'ai dit, un personnage approprié au milieu dans lequel nous nous trouvions. Il était remarquable (mais peut-être la vie misérable qu'il avait menée pouvait l'expliquer) qu'il n'était pas le moins du monde inquiet pour aucun de nous. Il n'était pas indifférent, car il me disait qu'il espérait vivre pour voir son gentleman devenir un des gentlemen les plus parfaits en pays étranger; il n'était pas disposé à être passif ou résigné, ainsi que je le compris, mais il ne se doutait aucunement qu'on pût rencontrer le danger à moitié route. Quand le danger fondait sur lui, il lui tenait tête, mais il fallait qu'il vînt avant qu'il s'en occupât.

«Si vous saviez, mon cher ami, me dit-il, ce que c'est que d'être ici, à côté de mon cher enfant, et de fumer ma pipe après avoir passé des jours entre quatre murailles, vous m'envieriez… mais vous ne savez pas ce que c'est.

– Je crois connaître les délices de la liberté, répondis-je.

– Ah! dit-il en secouant gravement la tête, il faut avoir été sous clefs et verrous, mon cher enfant, pour le savoir comme moi… mais je ne vais pas montrer de petitesse.»

Je ne pouvais concevoir comment, pour une idée fixe comme celle de me voir gentleman, il avait pu risquer sa liberté et même sa vie. Mais je réfléchis que peut-être la liberté sans danger était trop en dehors de toutes les habitudes de sa vie pour être pour lui ce qu'elle serait pour un autre homme. Je n'étais pas trop loin du vrai; car il dit, après avoir fumé un peu:

«Écoutez-moi, cher ami: quand j'étais là-bas, de l'autre côté du monde, je regardais toujours de ce côté, et il me devint insipide d'y rester, car je devenais riche. Tout le monde connaissait Magwitch, et Magwitch pouvait aller et Magwitch pouvait venir, et personne ne s'occupait de lui. Ils ne sont pas aussi coulants avec moi, ici, mon cher enfant, ou du moins ils ne le seraient pas, s'ils savaient où je suis.

– Si tout va bien, dis-je, vous serez, dans quelques heures, tout à fait libre et en sûreté.

– Eh bien! reprit-il en poussant un long soupir, je l'espère.

– Et le croyez-vous?»

Il trempa sa main dans l'eau, par-dessus le plat bord du bateau, et dit en souriant de cet air doux, qui n'était pas nouveau pour moi:

«Oui, je suppose que je le crois, cher enfant. Il serait difficile d'être plus tranquilles et plus à notre aise que nous ne le sommes maintenant. Mais… c'est peut-être cette brise si douce et si agréable sur l'eau, qui me le fait croire… je songeais tout à l'heure, en regardant la fumée de ma pipe, que nous ne pouvons pas plus voir au-delà de ces quelques heures, que nous ne pouvons voir au fond de cette rivière dont j'essaye de saisir l'eau; et nous ne pouvons pas retenir davantage le cours du temps que je ne puis retenir cette eau; et voyez… elle a passé à travers mes doigts, et est partie! dit-il en levant sa main mouillée.

– Mais à votre visage, j'aurais pensé que vous étiez un peu abattu, dis-je.

– Pas le moins du monde, mon cher enfant! Cela vient des flots qui sont si calmes, et qui murmurent si doucement à l'avant du bateau une espèce de psalmodie du dimanche. Sans compter que peut-être je deviens un peu vieux.»

Il remit sa pipe dans sa bouche avec une expression impassible et se tint calme et content, comme si nous eussions été hors d'Angleterre. Cependant il se soumettait aussi facilement, au moindre mot d'avis, que s'il eût été dans une constante terreur; lorsque nous abordâmes pour nous procurer quelques bouteilles de bière, il allait sauter à terre, quand je lui fis comprendre que je croyais qu'il serait plus en sûreté où il était, et il dit:

«Vous croyez, mon cher enfant?»

Et il se rassit tranquillement.

L'air était froid sur la rivière, mais c'était une belle journée, et le soleil nous envoyait des rayons joyeux. La marée descendait vite; je prenais soin d'en profiter, et nos rames nous menaient bon train. Imperceptiblement, avec la marée qui se retirait, nous nous éloignâmes de plus en plus des bois et des coteaux, et nous nous approchâmes des bancs de vase; mais la marée ne nous avait pas encore quittés quand nous eûmes passé Gravesend. Comme l'objet de nos soins était enveloppé dans son manteau, je passai avec intention, à une ou deux longueurs de bateau de la douane flottante, et un peu plus loin, pour reprendre le courant, le long de deux vaisseaux d'émigrants, et sous l'avant d'un gros navire de transport sur le gaillard d'avant duquel il y avait des troupes qui nous regardaient passer. Bientôt le courant se mit à faiblir et les radeaux à l'ancre à balancer, et bientôt tout balança à l'entour; et les vaisseaux qui voulaient profiter de la nouvelle marée pour remonter le fleuve commencèrent à passer en flottes autour de nous, qui nous tenions, autant que possible, près du rivage, hors du courant, évitant avec soins les bas-fonds et les bancs de vase.

Nos rameurs s'étaient si bien reposés, en laissant de temps à autre le bateau suivre le courant, pendant une minute ou deux, qu'un quart d'heure de halte leur suffit grandement. Nous nous abritâmes au milieu de pierres limoneuses, pour manger et boire ce que nous avions avec nous, tout en veillant avec attention. Cet endroit me rappelait mon pays de marais, plat et monotone, avec son horizon triste et morne; la rivière, en serpentant, tournait et tournait, et les grandes bouées flottantes tournaient et tournaient, et tout le reste semblait calme et arrêté. Le dernier essaim de vaisseaux avait doublé la dernière basse pointe que nous avions franchie; la dernière barque verte, chargée de paille, avec une voile brune, l'avait suivie; quelques bateaux de ballast, construits comme la première imitation grossière d'un bateau, faite par un enfant, étaient enfoncés profondément dans la vase; le petit phare trapu construit sur pilotis se montrait désemparé sur ses échasses et ses supports; les pieux gluants sortaient de la vase, les bornes rouges sortaient de la vase, les signaux de marée sortaient de la vase, et une vieille plate-forme et une vieille construction sans toit, reposaient sur la vase; enfin, tout, autour de nous, n'était que vase et stagnation.

Nous reprîmes le large, et fîmes le plus de chemin qu'il nous fut possible. C'était bien plus dur à manœuvrer maintenant; mais Herbert et Startop furent persévérants, et ils ramèrent, ramèrent, ramèrent, jusqu'au coucher du soleil. À ce moment, la rivière nous soulevait un peu, de sorte que nous pouvions planer au-delà des rives. Nous voyions le soleil rouge au fond de l'horizon, colorant la terre d'un bleu empourpré qui noircissait à vue d'œil, et les marais solitaires et plats, et au loin les montagnes, entre lesquelles et nous il ne semblait y avoir rien de vivant, si ce n'est çà et là, sur le premier plan, une mouette mélancolique.

Comme la nuit tombait vite et que la pleine lune étant passée, la lune ne devait pas se lever de bonne heure, nous tînmes un petit conseil: il fut de courte durée, car il était clair que ce que nous avions à faire, c'était de nous arrêter à la première taverne isolée que nous pourrions trouver. On mit de nouveau les rames en mouvement, et je cherchai au loin quelque chose comme une maison. Nous continuâmes ainsi, parlant peu, pendant quatre ou cinq longs milles. Il faisait très froid, et un bateau de charbon, venant sur nous avec son feu brillant et fumant, nous parut un intérieur confortable. La nuit était aussi sombre à ce moment qu'elle devait le rester jusqu'au jour, et le peu de lumière que nous avions semblait venir plutôt de la rivière que du ciel, quand les rames, en plongeant, reflétaient quelques étoiles.

À ce moment lugubre, nous nous sentions tous obsédés de l'idée qu'on nous suivait. La marée, en montant, battait lourdement, et à des intervalles irréguliers, contre le rivage, et toutes les fois que ce bruit nous arrivait, l'un ou l'autre d'entre nous ne manquait jamais de faire un mouvement et de regarder dans cette direction. Çà et là, le courant avait creusé dans la rive une petite crique. Nous redoutions ces sortes d'endroits, et nous les observions avec anxiété. Quelquefois l'un de nous s'écriait à voix basse:

«Qu'est-ce que ce bruit?

– Est-ce un bateau que l'on voit là-bas?» demandait un autre.

Puis nous retombions dans un silence de mort, et je ne cessais de penser avec impatience au bruit inaccoutumé que les rames faisaient dans les anneaux où elles étaient retenues.

À la fin, nous découvrîmes une lumière et un toit; bientôt après, nous glissions le long d'une petite digue, faite avec des pierres qui avaient été ramassées tout près de là. Laissant les autres dans le bateau, je sautai à terre, et je trouvai que la lumière se voyait à travers la fenêtre d'une taverne. C'était un endroit assez sale et, j'ose le dire, très connu des contrebandiers, mais il y avait un bon feu dans la cuisine, des œufs et du jambon à manger, et diverses liqueurs à boire. Il y avait aussi deux chambres à deux lits, telles quelles, comme le dit le maître de l'établissement. Il n'y avait personne dans la maison que le propriétaire, sa femme et un individu mâle, grisonnant, le garde-pavillon du petit port, qui était aussi gluant, aussi limoneux que s'il avait été enfoncé dans l'eau pour en marquer la hauteur.

Avec cet aide, je revins au bateau, et nous retournâmes tous à terre, emportant les rames, le gouvernail, la gaffe et tout ce qu'il contenait. Nous le tirâmes de l'eau pour la nuit. Nous fîmes un très bon repas, auprès du feu de la cuisine, et nous gagnâmes les chambres à coucher. Herbert et Startop devaient en occuper une, moi et l'objet de nos soins l'autre. Nous trouvâmes l'air aussi soigneusement exclu de l'une que de l'autre, comme si l'air était fatal à la vie, et il y avait plus de linge sale et de cartons sous les lits que je n'aurais cru la famille capable d'en posséder; mais nous nous considérâmes cependant comme bien partagés, car il nous eût été impossible de trouver un lieu plus solitaire.

Tandis que nous nous réconfortions près du feu, après notre repas, le garde, qui se tenait blotti dans un coin et qui avait une énorme paire de souliers qu'il avait exhibée pendant que nous mangions notre omelette au lard, relique intéressant qu'il avait prise il y a quelques jours aux pieds d'un matelot noyé, me demanda si j'avais vu une galiote de douanier à quatre rames remonter avec la marée? Quand je lui eus répondu que non, il me dit:

«Ils doivent alors être descendus, et pourtant ils ont pris par en haut en quittant d'ici; mais ils auront réfléchi que cela valait mieux, pour une raison ou pour une autre, et ils seront descendus.

– Une galiote à quatre rames, avez-vous dit? demandai-je.

– Oui, monsieur, et il y avait dedans deux hommes assis qui ne ramaient pas.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
700 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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