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Читать книгу: «Les grandes espérances», страница 34

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CHAPITRE XXII

De la Petite Bretagne je me rendis avec son bon dans ma poche chez le frère de miss Skiffins le comptable; et le frère de miss Skiffins le comptable alla tout droit chez Clarriker et me ramena Clarriker. J'eus donc la grande satisfaction de terminer à mon gré l'affaire d'Herbert. C'était la seule bonne chose et la seule chose complète que j'avais faite depuis le jour où j'avais conçu mes grandes espérances.

Clarriker m'apprit en cette occasion que les affaires de sa maison progressaient rapidement, qu'il pouvait maintenant établir une petite succursale en Orient, ce qui était devenu très nécessaire pour l'extension des affaires, et qu'Herbert dans sa nouvelle situation d'associé, irait la surveiller. Je vis que je devais me préparer à me séparer de mon ami avant même que mes propres affaires fussent en meilleur état. Et alors je crus réellement sentir que ma dernière ancre de salut perdait de sa solidité et que j'allais bientôt devenir le jouet des vagues et des vents.

Mais je trouvai une récompense dans la joie avec laquelle Herbert rentra le soir et me fit part de son bonheur, s'imaginant peu qu'il ne m'apprenait rien de nouveau. Il esquissait des tableaux imaginaires: il se voyait conduisant Clara Barley dans le pays des Mille et une Nuits, et j'allais les rejoindre (avec une caravane de chameaux, je crois), et nous remontions le Nil en voyant des merveilles. Sans m'exagérer la part que j'avais dans ces brillants projets, je sentais qu'Herbert était en bonne voie de réussite et que le vieux Bill Barley n'avait qu'à bien s'attacher à son poivre et à son rhum pour que sa fille ne manquât bientôt plus de rien.

Nous étions maintenant en mars. Mon bras gauche, quoique ne présentant pas de mauvais symptômes, fut long à guérir; il m'était encore impossible de mettre un habit. Ma main droite était passablement rétablie, déformée il est vrai, mais faisant parfaitement son service.

Un lundi matin, pendant que Herbert et moi nous déjeunions, je reçus par la poste cette lettre de Wemmick:

«Walworth.

«Brûlez ceci dès que vous l'aurez lu. Au commencement de la semaine, mercredi, par exemple, vous pourriez faire ce que vous savez, si vous vous sentiez disposé à l'essayer. Brûlez.»

Quand j'eus montré cette lettre à Herbert, et que je l'eus mise au feu, pas avant pourtant de l'avoir tous deux apprise par cœur, nous songeâmes à ce qu'il fallait faire, car, bien entendu, on ne pouvait se dissimuler maintenant que j'étais incapable de rien faire.

«J'y ai bien réfléchi, dit Herbert, et je pense connaître un meilleur moyen que de prendre un batelier de la Tamise. Prenons Startop, c'est une main habile, il nous aime beaucoup, il est honorable et dévoué.

– J'y avais songé plus d'une fois. Mais que lui direz-vous, Herbert?

– Il n'est pas nécessaire de lui en dire beaucoup. Laissons-le supposer que c'est une simple fantaisie, mais une fantaisie secrète, jusqu'à ce que le jour arrive; alors vous lui direz qu'il y a d'urgentes raisons pour embarquer et éloigner Provis. Vous partez avec lui?

– Sans doute.

– Où cela?»

Il m'avait toujours semblé, dans les différentes réflexions inquiètes que j'avais faites sur ce point, que le port où nous devions nous diriger importait peu; que ce fut à Hambourg, Rotterdam ou Anvers, la ville ne signifiait presque rien, pourvu que nous fussions hors d'Angleterre: tout steamer étranger que nous trouverions sur notre route, qui consentirait à nous prendre, ferait l'affaire. Je m'étais toujours proposé en moi-même de lui faire descendre en toute sûreté le fleuve dans le bateau; et certainement au delà de Gravesend qui était un lieu critique pour les recherches et les questions si des soupçons s'étaient élevés. Comme les steamers étrangers quittent Londres vers l'heure de la marée, notre plan devait être de descendre le fleuve par un reflux antérieur et de nous tenir dans quelque endroit tranquille jusqu'à ce que nous puissions en gagner un. L'heure où nous serions rejoints, n'importe où cela serait, pouvait être facilement calculée en se renseignant d'avance.

Hubert consentit à tout cela, et nous sortîmes immédiatement après déjeuner, pour commencer nos investigations. Nous apprîmes qu'un steamer pour Hambourg remplirait probablement au mieux notre but, et c'est principalement sur ce vaisseau que nous reportâmes nos pensées. Mais nous prîmes note que d'autres steamers étrangers quitteraient Londres par la même marée, et nous nous félicitâmes de connaître la forme et la couleur distinctive de chacun d'eux. Nous nous séparâmes alors pour quelques heures, moi pour me procurer de suite les passeports qui seraient utiles; Herbert pour aller trouver Startop. Nous fîmes tous deux ce que nous avions à faire, sans aucun empêchement, et, quand nous nous retrouvâmes, à une heure, tout était fait. J'avais, de mon côté, fait préparer les passeports; Herbert avait vu Startop, et celui-ci était plus que prêt à se joindre à nous.

Ils devaient manœuvrer chacun avec une paire de rames, et moi je tiendrais le gouvernail. L'objet de mes soins devait rester assis et se tenir tranquille; comme la vitesse n'était pas notre but nous ferions assez de chemin. Nous convînmes qu'Herbert ne rentrerait pas dîner avant d'aller au Moulin du Bord de l'Eau, ce soir; qu'il n'irait pas du tout le lendemain soir mardi; qu'il avertirait Provis de descendre par un escalier, le plus près possible de la maison, mercredi, quand il nous verrait approcher, et pas avant; que tous les arrangements avec lui seraient terminés ce lundi soir, et qu'on ne communiquerait plus avec lui d'aucune manière, avant de le prendre à bord.

Ces précautions, bien convenues entre nous deux, je rentrai chez moi.

En ouvrant la porte extérieure de nos chambres, avec ma clef, je trouvai dans la boite une lettre à mon adresse, une lettre très sale, bien qu'elle ne fût pas mal écrite. Elle avait été apportée (pendant mon absence, bien entendu), et voici ce qu'elle contenait:

«Si vous ne craignez pas de venir aux vieux Marais, ce soir ou demain soir à neuf heures, et de venir à la maison de l'éclusier, près du four à chaux, je vous conseille d'y venir. Si vous voulez des renseignements sur votre oncle Provis, venez, ne dites rien à personne, et ne perdez pas de temps. Vous devez venir seul. Apportez la présente avec vous.»

J'avais déjà un assez grand fardeau sur l'esprit avant la réception de cette étrange missive. Que faire après? Je ne pouvais le dire. Et, le pire de tout, c'est qu'il fallait me décider promptement, ou je manquerais la voiture de l'après-midi, qui me conduirait assez à temps pour le soir. Je ne pouvais songer à y aller le lendemain soir: c'eût été trop rapproché de l'heure de notre fuite; et puis l'information promise pouvait avoir quelque importance pour notre fuite elle-même.

Si j'avais eu plus de temps pour réfléchir, je crois que je serais parti de même. Ayant à peine le temps de réfléchir, car ma montre me disait que la voiture allait partir dans une demi-heure, je résolus de quitter Londres. Je ne serais certainement pas parti sans les mots ayant rapport à mon oncle Provis; mais cette lettre étant arrivée après la lettre de Wemmick et les préparatifs du matin, je me décidai.

Il est si difficile de comprendre clairement le contenu de n'importe quelle lettre, quand on est fortement agité, que je dus relire la mienne deux fois avant que la recommandation de ne rien dire à personne pût entrer machinalement dans mon esprit. Je laissai un mot au crayon pour Herbert, où je lui disais que devant partir bientôt, et ne sachant pas pour combien de temps, j'avais décidé d'aller et de revenir en tout hâte, pour m'assurer par moi-même comment miss Havisham se trouvait. J'eus, après cela, tout juste le temps de mettre mon manteau, de fermer notre appartement et de gagner le bureau des voitures par le plus court chemin. Si j'avais pris une voiture de place et passé par les rues j'aurais manqué mon but; en allant à pied j'arrivai à la voiture au moment même où elle sortait de la cour. Quand je revins à moi je me trouvai le seul voyageur cahoté dans l'intérieur, et j'avais de la paille jusqu'aux genoux.

Je n'avais pas été réellement moi-même depuis la réception de la lettre, tant elle m'avait troublé, arrivant après la presse et les tracas du matin qui avaient été énormes, car, après avoir désiré, et longtemps attendu Herbert avec inquiétude, son avis était à la fin venu comme une surprise; et maintenant je commençais à m'étonner de me trouver dans une voiture, et à douter si j'avais des raisons suffisantes pour m'y trouver, et à considérer si je n'allais pas descendre et m'en retourner, et à trouver des arguments pour ne jamais céder à une lettre anonyme; en un mot, à passer par toutes les alternatives de contradiction et d'indécision, auxquelles, je le suppose, peu de gens agités sont étrangers. Cependant la mention du nom de Provis l'emporta sur tout. Je raisonnai comme j'avais déjà raisonné, si cela peut s'appeler raisonner, que, dans le cas où il lui arriverait malheur si je manquais d'y aller, je ne pourrais jamais me le pardonner.

Nous arrivâmes à la nuit close; et le voyage me parut long et fatigant à moi qui ne pouvais voir que peu de choses de l'intérieur où j'étais, et qui, vu mon état impotent, ne pouvais monter à l'extérieur. Évitant le Cochon Bleu, je descendis à une auberge de réputation moindre, en bas de la ville, et je commandai à dîner. Pendant qu'on préparait mon repas, je me rendis à Satis House, et m'informai de miss Havisham. Elle était encore très malade, quoique regardée comme un peu mieux.

Mon auberge avait autrefois fait partie d'un ancien couvent, et je dînai dans une petite salle commune octogone, comme celle des fonts baptismaux. Comme il m'était impossible de couper mes aliments, le vieil aubergiste le fit pour moi. Cela engagea la conversation entre nous. Il fut assez bon pour m'entretenir de ma propre histoire, en y ajoutant, bien entendu, le fait, devenu populaire, que Pumblechook avait été mon premier bienfaiteur et le fondateur de ma fortune.

«Connaissez-vous ce jeune homme? dis-je.

– Si je le connais! répéta l'aubergiste, depuis le temps où il était tout petit.

– Revient-il quelquefois dans le pays?

– Oui, il revient, dit l'hôtelier, chez ses grands amis, de temps en temps, et il est froid pour l'homme qui l'a fait ce qu'il est.

– Pour quel homme?

– Celui dont je veux parler, dit l'hôtelier, M. Pumblechook.

– Est-il ingrat pour d'autres?

– Sans doute! il le serait s'il le pouvait, répondit l'hôtelier. Mais il ne le peut pas… Et pourquoi? Parce que Pumblechook a tout fait pour lui.

– Est-ce que Pumblechook dit cela?

– S'il dit cela! répéta l'hôtelier, il n'a pas besoin de le dire.

– Mais le dit-il?

– C'est à faire devenir le sang d'un homme blanc comme du vinaigre, de l'entendre le raconter, monsieur!» dit l'aubergiste.

Et pourtant, pensais-je en moi-même, «Joe, cher Joe, tu n'en parles jamais, toi! Joe, affectueux et indulgent; tu ne te plains jamais, toi! Ni toi non plus, charmante et bonne Biddy!

– Votre appétit se ressent de votre accident, dit l'aubergiste en jetant les yeux sur le bras qui était bandé sous mon paletot. Essayez d'un morceau plus tendre.

– Non, merci, répondis-je en quittant la table pour m'approcher du feu; je ne puis manger davantage; veuillez enlever tout cela.»

Je n'avais jamais été frappé d'une manière plus sensible de mon ingratitude envers Joe, que par l'imposture effrontée de Pumblechook. Le faux, c'était lui; le vrai, c'était Joe. Le plus vil, c'était lui; le plus noble, c'était toujours Joe.

Je me sentis profondément et très injustement humilié, quand je songeai devant le feu, pendant une heure et plus. Le bruit de l'horloge me réveilla, mais non de mon abattement et de mes remords. Je me levai, fis agrafer mon manteau sous mon cou, et sortis. J'avais d'abord cherché dans ma poche la lettre, afin de m'y reporter de nouveau, mais je ne pus la trouver. J'étais contrarié de penser qu'elle avait dû tomber dans la paille de la voiture; je savais cependant très bien que le lieu indiqué était la petite maison de l'éclusier, près du four à chaux, dans les marais, et à neuf heures. C'est donc vers les marais que je me dirigeai directement, car je n'avais pas de temps à perdre.

CHAPITRE XXIII

Il faisait nuit noire, quoique la pleine lune commençât à se lever, au moment où je quittais les terrains cultivés pour entrer dans les marais. Au-delà de leur ligne sombre, il y avait un ruban de ciel clair, à peine assez large pour contenir la pleine lune rouge de feu. En quelques minutes, la lune avait disparu de ce champ clair, derrière des montagnes de nuages amoncelés les uns sur les autres.

Il soufflait un vent mélancolique, et les marais étaient impossibles à voir. Un étranger les eût trouvés horribles, et même pour moi, ils étaient si navrants, que j'hésitai, et que je me sentis à demi disposé à retourner sur mes pas. Mais je les connaissais bien, et j'y aurais trouvé mon chemin par une nuit encore plus noire; d'ailleurs, étant venu jusque là, je n'avais vis-à-vis de moi-même nulle excuse pour retourner sur mes pas. J'étais venu contre mon gré, je continuai même presque involontairement.

Le chemin que je pris n'était pas celui où se trouvait notre ancienne demeure, ni celui par lequel nous avions poursuivi les forçats. En marchant, je tournais le dos aux pontons lointains, et bien que je pusse voir les vieilles lumières au loin sur les bancs de sable, je les voyais par-dessus mon épaule. Je connaissais le four à chaux, aussi bien que le Vieille Batterie, mais ils étaient éloignés de plusieurs milles l'un de l'autre; de sorte que, si l'on avait allumé une lumière à chacun de ces points, il y aurait eu un long espace noir entre les deux clartés.

D'abord j'eus à fermer quelques clôtures après moi, et, de temps à autre, à m'arrêter, pendant que les bestiaux, couchés dans le sentier à talus, se levaient et se jetaient tout effarés parmi les herbes et les roseaux; mais peu après, il me sembla que j'avais toute la plaine à moi seul.

Il se passa encore une demi-heure avant que j'arrivasse au four à chaux. La chaux brûlait avec une odeur lourde et étouffante, mais les feux étaient éteints et abandonnés, et l'on ne voyait aucun ouvrier. Tout près de là était une petite carrière. Elle se trouvait sur mon chemin; on y avait travaillé dans la journée, ainsi que je le vis aux brouettes et aux outils disséminés çà et là.

En me retrouvant au niveau des marais, hors de cette excavation que le sentier traversait, je vis une lumière dans la vieille maison de l'éclusier. Je hâtai le pas, et frappai à la porte. En attendant une réponse, je regardai autour de moi, et je remarquai que l'écluse avait été abandonnée et brisée, et que la maison, qui était en bois, avec un toit en tuiles, ne supporterait pas longtemps les injures du temps, si même elle les supportait encore, et que la boue et la vase étaient recouvertes de chaux, et que la vapeur étouffante du four m'arrivait sous des formes étranges. Cependant on ne répondait pas. Je frappai de nouveau. Pas de réponse.

J'essayai le loquet. Il se baissa sous ma main et la porte céda. En regardant à l'intérieur, je vis une chandelle allumée sur la table, un banc et un matelas sur un bois de lit à roulettes. Comme il y avait un grenier au-dessus, j'appelai et je criai:

«Y a-t-il quelqu'un ici?»

N'obtenant pas encore de réponse, je revins à la porte ne sachant que faire.

Il commençait à pleuvoir très fort. Ne voyant rien, que ce que j'avais déjà vu, je rentrai dans la maison, et me tins à l'abri sous la porte, regardant au dehors, dans l'obscurité. Tandis que je me disais que quelqu'un avait dû venir ici récemment, et devait bientôt y revenir, sans quoi la chandelle ne brûlerait pas, il me vint à l'idée de regarder si la mèche était longue; je me tournai pour m'en assurer, et j'avais pris la chandelle dans ma main, quand elle fut éteinte par une violente secousse; et la première chose que je compris, c'est que j'avais été pris dans un fort nœud coulant, jeté de derrière par-dessus ma tête.

«Maintenant, dit en jurant une voix comprimée, je le tiens!

– Qu'est-ce! m'écriai-je, en me débattant. Qui est-ce! Au secours!.. au secours!.. au secours!..»

Non seulement j'avais les bras serrés contre mon corps, mais la pression sur mon bras malade me causait une douleur infinie. Parfois une forte main d'homme, d'autre fois une forte poitrine d'homme était posée contre ma bouche pour étouffer mes cris, et toujours une haleine chaude était près de moi. Je luttai sans succès dans l'obscurité pendant qu'on m'attachait au mur.

«Et maintenant, dit la voix comprimée, avec un autre juron, appelle au secours, et je ne serai pas long à en finir avec toi!»

Faible et souffrant de mon bras malade, bouleversé par la surprise, et voyant cependant avec quelle facilité cette menace pouvait être mise à exécution, je cédai et j'essayai de dégager mon bras, si peu que ce fût, mais il était trop serré, il me semblait qu'après avoir été brûlé d'abord, on le faisait bouillir maintenant.

Des ténèbres absolues ayant succédé tout à coup à l'obscurité douteuse de la nuit, m'avertirent que l'homme avait fermé un volet. Après avoir cherché à tâtons pendant un instant, il trouva la pierre à fusil et le fer dont il avait besoin, et il commença à battre le briquet. Je fixai ma vue sur les étincelles; elles tombaient sur une mèche sur laquelle il soufflait, une allumette à la main; mais je ne pouvais voir que ses lèvres et le point bleu de l'allumette, et encore je me les figurais plus que je ne les voyais. La mèche était humide, ce qui n'était pas étonnant dans cet endroit, et les étincelles s'éteignaient les unes après les autres.

L'homme ne semblait pas pressé, et il continuait de frapper la pierre à fusil et le fer. Comme les étincelles tombaient en grand nombre autour de lui, je pus voir ses mains, qui touchaient presque sa figure, et supposer qu'il était assis et penché sur la table, mais rien de plus. Bientôt je vis ses lèvres bleues souffler de nouveau sur la mèche, et alors un éclat de lumière jaillit, et me montra Orlick.

Qui m'étais-je attendu à voir? Je ne sais pas, mais ce n'était pas lui. En le voyant, je sentis que j'étais réellement dans une passe dangereuse et je tins mes yeux fixés sur lui.

Il alluma résolûment la chandelle avec l'allumette enflammée, puis il la laissa tomber et mit le pied dessus. Ensuite il mit la chandelle à une certaine distance de lui sur la table, de sorte qu'il pouvait me voir, et il s'assit sur la table les bras croisés et me regarda. Je découvris que j'étais lié à une forte échelle perpendiculaire, placée à quelques pouces de la muraille, et fixée en cet endroit pour aider à monter au grenier.

«Maintenant, dit-il, quand nous nous fûmes regardés pendant quelque temps, je te tiens.

– Déliez-moi!.. Laissez-moi partir!

– Ah! répondit-il, je te laisserai partir! Je te laisserai partir à la lune, je te laisserai partir aux étoiles, quand il en sera temps.

– Pourquoi m'avez-vous attiré ici?

– Ne le sais-tu pas? dit-il avec un regard effrayant.

– Pourquoi vous êtes-vous jeté sur moi dans l'ombre?

– Parce que je veux faire tout par moi-même. Un seul garde mieux un secret que deux. O mon ennemi!.. mon ennemi!..»

Sa joie, au spectacle que je lui donnais, pendant qu'il était assis sur la table, les bras croisés, secouant la tête et se souriant à lui-même, montrait une méchanceté qui me faisait trembler. Pendant que je l'examinais en silence, il porta la main dans un coin à côté de lui, et prit un fusil à monture de cuivre.

«Connais-tu cela? dit-il, en faisant mine de me mettre en joue; sais-tu où tu l'as déjà vu? Parle, loup!

– Oui, répondis-je.

– Tu m'as pris ma place, tu me l'as prise! Ose donc dire le contraire!..

– Pouvais-je faire autrement?

– Tu as fait cela, et cela serait assez, sans plus. Comment as-tu osé te mettre entre moi et la jeune femme que j'aimais?

– Quand l'ai-je fait?

– Quand ne l'as-tu pas fait? C'est toi qui, constamment devant elle, donnais un vilain renom au vieil Orlick.

– C'est vous-même, vous aviez gagné ce nom vous-même, je n'aurais pu vous faire de mal, si vous ne vous en étiez pas fait à vous-même.

– Tu es un menteur, et tu aurais pris n'importe quelles peines, et dépensé n'importe quel argent, pour me faire quitter ce pays, n'est-ce pas? dit-il en répétant les paroles que j'avais dites à Biddy la dernière fois que je l'avais vue. Maintenant, je vais t'apprendre quelque chose: tu n'aurais jamais pu prendre la peine de me faire quitter ce pays plus à propos que ce soir. Ah! quand même cela t'aurait coûté vingt fois l'argent que tu as dit, tout jusqu'au dernier liard!»

Comme il agitait vers moi sa lourde main, et qu'il montrait ses dents en grondant comme un tigre, je sentais qu'il avait raison.

«Qu'allez-vous me faire?

– Je vais, dit-il, en frappant un vigoureux coup de poing sur la table, et se levant pendant que ce coup tombait, je vais t'ôter la vie!»

Il se pencha en avant en me regardant fixement, desserra lentement son poing crispé, et le passa en travers de sa bouche comme si elle écumait pour moi, puis il se rassit.

«Tu t'es toujours retrouvé sur le chemin du vieil Orlick depuis ton enfance; tu vas cesser d'y être ce soir même. Il ne veut plus entendre parler de toi: tu es mort!»

Je sentais que j'étais sur le bord de ma tombe. Un instant, je cherchai autour de moi une chance de salut, mais il n'y en avait aucune.

«Plus que cela, dit-il en croisant encore une fois ses bras, et restant assis sur la table; je ne veux pas qu'un seul morceau de ta peau, qu'un seul de tes os reste sur la terre. Je vais mettre ton corps dans le four à chaux, je voudrais en porter deux comme cela sur mes épaules: l'on supposera, après tout, ce qu'on voudra de toi, on ne saura jamais ce que tu es devenu.»

Mon esprit suivit avec une inconcevable rapidité les conséquences d'une pareille mort: le père d'Estelle croirait que je l'avais abandonné, serait pris, et mourrait en m'accusant; Herbert lui-même douterait de moi, quand il comparerait la lettre que je lui avais laissée avec le fait que je n'étais resté qu'un moment à la porte de miss Havisham; Joe et Biddy ignoreraient toujours quel chagrin j'avais éprouvé cette nuit-ci. Personne ne saurait jamais ce que j'avais souffert… combien j'avais voulu être sincère… par quelle agonie j'avais passé. La mort qui se dressait devant moi était horrible; mais bien plus horrible que la mort était la crainte de laisser de mauvais souvenirs après ma mort; mes pensées faisaient tant de chemin, que je me croyais méprisé par les générations à naître, par les enfants d'Estelle et leurs enfants: tout cela pendant que les paroles du misérable étaient encore sur ses lèvres.

«Eh bien! loup, dit-il, avant que je te tue comme une bête, ce que j'ai l'intention de faire, et ce pourquoi je t'ai attaché, je veux encore te bien regarder et bien m'exciter, ô mon ennemi!»

Il me vint à l'idée de crier encore au secours, bien que personne ne connût mieux que moi la solitude du lieu, et le peu d'espoir qu'il y avait d'être entendu. Mais pendant qu'il se repaissait de ma vue, je me sentis soutenu par une haine et un mépris de lui, qui scellèrent mes lèvres. Tout bien considéré, je résolus de ne pas le menacer, et de mourir sans faire une dernière et inutile résistance. Calmé par la pensée que le reste des hommes est réduit à cette cruelle extrémité, demandant pardon au ciel comme je le faisais, attendri comme je l'étais par la pensée que je n'avais pas dit adieu et ne pourrais jamais, jamais dire adieu à ceux qui m'étaient chers et que je ne pourrais jamais leur donner d'explication ni réclamer leur compassion pour mes misérables erreurs, et cependant si j'avais pu le tuer, même en ce moment, je l'aurais fait.

Il avait bu, et ses yeux étaient rouges et sanglants. À son cou pendait une grande boite en fer-blanc, dans laquelle je l'avais souvent vu autrefois prendre sa nourriture et sa boisson. Il porta la bouteille à ses lèvres et but un long coup, et je sentais que la liqueur que je voyais filtrer sous son visage.

«Loup! dit-il, en se croisant encore les bras, le vieil Orlick va te dire quelque chose. C'est toi qui as tué ta mégère de sœur.»

De nouveau, mon esprit, avec son inconcevable rapidité de tout à l'heure, avait épuisé tout ce qui se rapportait à l'attentat commis sur ma sœur, à sa maladie et à sa mort, avant que sa parole lente et hésitante eût formé ces mots.

«C'est vous, scélérat! dis-je.

– Je te dis que c'est toi… je te dis que c'est toi qui as été cause de tout, répondit-il, en prenant le fusil et donnant un coup de crosse dans l'espace vide qui se trouvait entre nous. Je suis arrivé sur elle par derrière, comme je suis arrivé sur toi ce soir. Je l'ai frappée! Je l'ai laissée pour morte, et s'il y avait eu un four à chaux tout près, comme il y en a un près de toi, elle ne serait pas revenue à la vie. Mais ce n'est pas le vieil Orlick qui a fait tout cela, c'est toi: on t'a favorisé, et on l'a maltraité et battu! Ah! tu vas me le payer. Tu l'as fait, maintenant tu vas le payer.»

Il but encore, et devint plus furieux: je voyais à l'inclinaison qu'il donnait à la bouteille, qu'il n'y restait presque rien. Je comprenais distinctement qu'il s'excitait avec son contenu à en finir avec moi. Je savais que chaque goutte qu'elle contenait était une goutte de ma vie; je savais que lorsque je serais changé en une partie de cette vapeur, qui arrivait peu à peu jusqu'à moi comme un dernier avertissement, il ferait comme il avait fait pour ma sœur; puis il se rendrait en toute hâte à la ville, où on le verrait se dandiner et boire dans les tavernes. Ma pensée rapide le poursuivait jusqu'à la ville, et se formait un tableau des rues où il se promenait, et comparait leurs lumières et leur animation avec les marais solitaires, et avec la blanche vapeur dans laquelle j'avais été dissous et qui s'étendait sur eux.

Non seulement j'aurais pu compter des années, des années et des années pendant qu'il disait une douzaine de mots; mais ce qu'il me disait me représentait des images et non de simples mots. Dans la surexcitation et l'exaltation de mon cerveau, je ne pouvais penser à un endroit sans le voir, ni à n'importe quelles personnes sans les voir. Il est impossible de peindre la vivacité de ces images, et cependant je suivais Orlick des yeux avec autant d'attention pendant tout ce temps que le tigre prêt à s'élancer sur sa proie! Je voyais jusqu'aux plus légers mouvements de ses doigts.

Quand il eut bu cette seconde fois, il se leva du banc sur lequel il était assis, et poussa la table de côté; puis il prit la chandelle, et se formant un abat-jour avec sa main meurtrière, de manière à renvoyer la lumière sur moi, il se tint debout devant moi, me regarda, et parut se repaître de ma vue.

«Loup! je vais te dire quelque chose de plus. C'est le vieil Orlick que tu as heurté sur ton escalier, l'autre nuit, dans le Temple.»

Je vis l'escalier avec ses lampes éteintes; je vis l'ombre de la massive rampe projetée sur la muraille par la lanterne du veilleur de nuit; je vis les chambres que je ne devais jamais plus revoir: ici une porte entr'ouverte, là une porte fermée, tous les meubles çà et là.

«Et pourquoi le vieil Orlick était-il là? Je vais te dire quelque chose de plus, loup. Toi et elle m'avez si bien chassé de ce pays, en m'empêchant d'y gagner ma vie, que j'ai choisi de nouveaux compagnons et de nouveaux maîtres. Les uns écrivent mes lettres quand j'en ai besoin, entends-tu? écrivent mes lettres, loup, écrivent cinquante écritures! Ce n'est pas comme ton faquin d'individu, qui n'en sait écrire qu'une. J'ai eu la ferme intention et la ferme volonté de t'ôter la vie, depuis que tu es venu ici à l'enterrement de ta sœur; je n'ai pas trouvé le moyen de me saisir de toi, et je t'ai suivi pour connaître tes allées et tes venues; car, s'est dit le vieil Orlick en lui-même, d'une manière ou d'une autre, je l'attraperai! Eh! quoi! en te cherchant, j'ai trouvé ton oncle Provis. Hé!..»

Le Moulin du Bord de l'Eau, le Bassin aux Écus et la Vieille Corderie, le tout si clair et si net! Provis dans sa chambre et le signal convenu, la jolie Clara, la bonne femme si maternelle, le vieux Bill Barley sur son dos, le tout passa devant moi comme le cours rapide de ma vie, en descendant promptement vers la mer!

«Mais je te tiens et ton oncle aussi! Quand je t'ai connu chez Gargery, tu étais un loup si petit que j'aurais dû te prendre le cou entre ce doigt et le pouce, et t'étrangler (comme j'ai pensé souvent à le faire), quand je te voyais flâner parmi les joncs, le dimanche, et tu n'avais pas encore trouvé d'oncle, toi, dans ce temps-là!.. Mais pense à ce que le vieil Orlick a éprouvé, lorsqu'il a entendu dire que ton oncle Provis avait probablement traîné le fer que le vieil Orlick avait ramassé, limé en deux dans ces marais, il y a tant d'années, et qu'il a gardé jusqu'au jour où il s'en est servi pour assommer ta sœur comme un bœuf, et comme il entend t'assommer… Hein!.. quand il a entendu cela… Hein?..»

Dans sa sauvage raillerie, il approcha la chandelle si près de moi, que je tournai la tête de côté pour me garantir de la flamme.

«Ah! s'écria-t-il en riant, après avoir recommencé cette cruelle plaisanterie, les enfants brûlés craignent le feu. Le vieil Orlick a su que tu avais été brûlé. Le vieil Orlick a appris que tu voulais faire partir ton oncle Provis en contrebande, et le vieil Orlick, qui est un second toi-même, a su que tu viendrais ce soir! Maintenant je vais te dire quelque chose de plus, loup! et ce sera tout. Il y a des gens qui ont été pour ton oncle Provis ce que le vieil Orlick a été pour toi. Qu'ils prennent donc garde à eux, quand il aura perdu son neveu, quand personne ne pourra trouver une seule loque des vêtements de son cher parent, ni un seul os de son corps! Il y en a qui ne veulent pas et ne peuvent pas souffrir que Magwitch – oui, je sais son nom – vive sur la même terre qu'eux, et qui l'ont connu quand il vivait dans un autre pays, qu'il ne devait pas et ne pouvait pas quitter à leur insu sans les mettre en danger. Peut-être ce sont eux qui écrivent cinquante écritures. Ce n'est pas comme ton faquin d'individu, qui n'en écrit qu'une! Oui, nous connaissons Compeyson, Magwitch et les galères!»

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12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
700 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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