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Читать книгу: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I», страница 8

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– Ce jeu doit être bien échauffant dans un pareil climat! fit observer M. Pickwick.

– Échauffant? Dites brûlant! grillant! dévorant! Un jour, je jouais un seul guichet contre mon ami le colonel sir Thomas Blazo, à qui ferait le plus de points. Jouant à pile ou face qui commencera, je gagne: sept heures du matin: six indigènes pour ramasser les balles. Je commence. Je renvoie toutes les balles du colonel. Chaleur intense! Les indigènes se trouvent mal. On les emporte. Une autre demi-douzaine les remplace; ils se trouvent mal de même. Blazo joue, soutenu par deux indigènes. Moi, infatigable, je lui renvoie toujours ses balles. Blazo se trouve mal aussi. Enfoncé le colonel! Moi, je ne veut pas cesser. Quanko Samba restait seul. Le soleil était rouge, les crosses brûlaient comme des charbons ardents, les balles avaient des boutons de chaleur. Cinq cent soixante-dix points! Je n'en pouvais plus. Quanko recueille un reste de force. Sa balle renverse mon guichet; mais je prends un bain, et vais dîner.

– Et que devint ce monsieur… Chose? demanda un vieux gentleman.

– Qui? Le colonel Blazo?

– Non, l'autre gentleman.

– Quanko Samba?

– Oui, monsieur.

– Pauvre Quanko! n'en releva jamais, quitta le jeu, quitta la vie, mourut, monsieur!» En prononçant ces mots, l'étranger ensevelit son visage dans un pot d'ale. Mais était-ce pour en savourer le contenu, ou pour cacher son émotion? C'est ce que nous n'avons jamais pu éclaircir. Nous savons seulement qu'il s'arrêta tout à coup, qu'il poussa un long et profond soupir, et qu'il regarda avec anxiété deux des principaux membres du club de Dingley-Dell qui s'approchaient de M. Pickwick, et qui lui disaient:

«Nous allons faire un modeste repas au Lion bleu. Nous espérons, monsieur, que vous voudrez bien y prendre part, avec vos amis.

– Et naturellement, dit M. Wardle, parmi nos amis nous comptons monsieur… et il se tourna vers l'étranger.

– Jingle, répondit cet universel personnage. Alfred Jingle, esquire, de Sansterre.

– J'accepte avec grand plaisir, dit M. Pickwick.

– Et moi aussi, cria M. Alfred Jingle en prenant d'un côté le bras de M. Wardle, et, de l'autre, celui de M. Pickwick, et en murmurant à l'oreille de celui-ci:

– Fameux dîner! froid, mais bon. J'ai lorgné dans la chambre, ce matin: volailles et pâtés, et le reste. Charmantes gens, et polis par-dessus le marché, très-polis.»

Comme il n'y avait point d'autres préliminaires à arranger, la compagnie traversa le bourg en petits groupes, et un quart d'heure après elle était tout entière assise dans la grande salle du Lion bleu de Muggleton.

M. Dumkins remplit les fonctions de président, et M. Luffey celles de vice-président.

Il y eut un grand cliquetis de paroles et d'assiettes, de fourchettes et de couteaux. Trois garçons couraient de tous côtés, et les mets substantiels disparaissaient rapidement. Le facétieux M. Jingle contribuait, au moins comme une demi-douzaine d'hommes ordinaires, à chacune de ces causes de confusion. Lorsque tous les convives eurent mangé autant qu'ils purent, la nappe fut enlevée; des bouteilles, des verres et le dessert furent placés sur la table, et les garçons se retirèrent pour débarrasser, en d'autres termes pour s'approprier tous les restes mangeables ou buvables sur lesquels il leur fut possible de mettre la main.

Bientôt on n'entendit plus dans la salle qu'un vaste murmure de conversations et d'éclats de rire. Il se trouvait là un petit homme bouffi, qui avait un air de «ne-me-dites-rien, ou-je-vous-contredirai,» et qui jusqu'alors était demeuré fort tranquille. Seulement, lorsque, par accident, la conversation se ralentissait, il regardait autour de lui, comme s'il avait eu envie de dire quelque chose de remarquable, et de temps en temps il faisait entendre une sorte de toux sèche d'une inexprimable dignité. A la fin, pendant un instant de silence comparatif, le petit homme s'écria d'une voix haute et solennelle: «Monsieur Luffey!»

Tout le monde se tut, et l'individu interpellé répliqua, au milieu d'un profond silence: «Monsieur?»

«Je désire vous adresser quelques paroles, monsieur, si vous voulez engager ces messieurs à remplir leurs verres.»

M. Jingle, d'un ton protecteur, s'écria: «Écoutez! écoutez!» et ces paroles furent répétées en chœur par toute la compagnie. Le vice-président prit un air de gravité attentive et dit: «Monsieur Staple?»

«Monsieur! dit le petit homme en se levant, je désire adresser ce que j'ai à dire à vous et non pas à notre digne président, parce que notre digne président est en quelque sorte, et je puis dire en grande partie, le sujet de ce que j'ai à dire, et je puis dire à… à…

– A démontrer, suggéra M. Jingle.

– Oui, à démontrer, reprit le petit homme; je remercie mon honorable ami, s'il veut me permettre de l'appeler ainsi (quatre écoutez! et un certainement de M. Jingle) pour la suggestion. Monsieur, je suis un Dellois, un Dingley-Dellois. (Applaudissements.) Je ne puis réclamer l'honneur d'ajouter une unité au chiffre de la population de Muggleton. Et je l'avouerai franchement, monsieur, je ne désire point cet honneur. Je vous dirai pourquoi, monsieur. (Écoutez!) Je reconnaîtrai volontiers à Muggleton toutes les distinctions, tous les honneurs qu'il peut réclamer; ils sont trop nombreux et trop bien connus pour qu'il soit nécessaire que je les récapitule. Mais, monsieur, tandis que nous nous rappelons que Muggleton a donné naissance à un Dumkins, à un Podder, n'oublions jamais que Dingley-Dell peut se vanter d'avoir produit un Luffey et un Struggles! (Applaudissements tumultueux.) Qu'on ne me croie pas désireux d'obscurcir la gloire des gentlemen que j'ai nommés en premier lieu, monsieur, je leur envie les jouissances qu'ils ont dû ressentir dans cette mémorable journée. (Applaudissements.) Vous connaissez tous, messieurs, la réplique faite à l'empereur Alexandre par un individu qui, pour me servir d'une expression vulgaire, faisait sa tête dans un tonneau: Si je n'étais pas Diogène, je voudrais être Alexandre. Je m'imagine que ces messieurs doivent dire: Si je n'étais pas Dumkins, je voudrais être Luffey; si je n'étais pas Podder, je voudrais être Struggles! (Enthousiasme.) Mais, gentlemen de Muggleton, est-ce seulement à la crosse que vos compatriotes sont remarquables? N'avez-vous jamais entendu citer Dumkins comme un exemple de persévérance? N'avez-vous jamais appris à associer Podder et la propriété? (Grands applaudissements.) En luttant pour vos droits, pour votre liberté, pour vos privilèges, n'avez-vous jamais été réduits, ne fût-ce que pour un instant, au doute et au désespoir? et, quand vous étiez ainsi découragés, le nom de Dumkins n'a-t-il pas ranimé dans votre cœur le feu de l'espérance? Une seule parole de cet homme colossal ne l'a-t-elle pas fait briller avec plus d'éclat que s'il ne s'était jamais éteint? (Grands applaudissements.) Gentlemen, je vous prie d'entourer d'une riche auréole d'applaudissements frénétiques les noms unis de Dumkins et de Podder!»

Ici le petit homme se tut, et la compagnie commença un tapage de cris, de coups frappés sur la table, qui dura, avec peu d'interruptions, pendant le reste de la soirée. D'autres toasts furent portés. M. Luffey et M. Struggles, M. Pickwick et M. Jingle, furent, chacun à son tour, le sujet d'éloges sans mélange; et chacun à son tour exprima ses remercîments pour cet honneur.

Enthousiaste comme nous le sommes pour la noble entreprise à laquelle nous nous sommes dévoué, nous aurions éprouvé une inexprimable sensation d'orgueil, nous nous serions cru certain de l'immortalité dont nous sommes privé actuellement, si nous avions pu mettre sous les yeux de nos ardents lecteurs le plus faible compte rendu de ces discours. Comme à l'ordinaire, M. Snodgrass prit une grande quantité de notes, et sans doute nous y aurions puisé les renseignements les plus importants, si l'éloquence brûlante des orateurs ou l'influence fébrile du vin n'avait point fait trembler la main du gentleman, au point de rendre son écriture presque inintelligible et son style complétement obscur. A force de patience, nous sommes parvenu à reconnaître quelques caractères qui ont une faible ressemblance avec les noms des orateurs. Nous avons pu distinguer aussi le squelette d'une chanson (probablement chantée par M. Jingle), dans laquelle les mots vin et divin, rubis et ravis, sont répétés à de courts intervalles. Nous nous imaginons aussi pouvoir déchiffrer à la fin de ces notes quelques allusions à des restes de gigot ou de volaille braisée. Puis ensuite nous distinguons les mots de grog froid et d'ale; mais comme les hypothèses que nous pourrions bâtir sur ces indices n'auraient jamais d'autre fondement que nos conjectures, nous ne voulons nous permettre d'exprimer aucune des suppositions nombreuses qui se présentent à notre esprit.

C'est pourquoi nous allons retourner à M. Tupman, nous contentant d'ajouter que, peu de minutes avant minuit, les sommités réunies de Dingley-Dell et de Muggleton furent entendues, chantant avec enthousiasme cet air si poétique et si national:

 
Nous ne rentrerons que demain matin,
Nous n'irons coucher qu'au jour!
Nous ne rentrerons que demain matin,
Nous n'irons coucher qu'au jour!
Demain matin au point du jour,
Nous n'irons coucher qu'au jour!10
 

CHAPITRE VIII.
Faisant voir clairement que la route du véritable amour n'est aussi unie qu'un chemin de fer

La tranquille solitude de Dingley-Dell, la présence de tant de personnes du beau sexe, la sollicitude et l'anxiété qu'elles témoignaient à M. Tupman, étaient autant de circonstances favorables à la germination et à la croissance des doux sentiments que la nature avait semés dans son sein, et qui paraissaient maintenant se concentrer sur un aimable objet. Les jeunes demoiselles étaient jolies, leurs manières engageantes, leur caractère aussi aimable que possible, mais à leur âge elles ne pouvaient prétendre à la dignité de la démarche, au noli me tangere (ne me touchez pas) du maintien, à la majesté du regard, qui, aux yeux de M. Tupman, distinguaient la tante demoiselle de toutes les femmes qu'il avait jamais lorgnées. Il était évident que leurs âmes étaient parentes, qu'il y avait un je ne sais quoi sympathique dans leur nature, une mystérieuse ressemblance dans leurs sentiments. Son nom fut le premier qui s'échappa des lèvres de M. Tupman, lorsqu'il était étendu blessé sur la terre; le cri déchirant de miss Wardle fut le premier qui frappa l'oreille de M. Tupman, lorsqu'il fut rapporté à la maison. Mais cette agitation avait-elle été causée par une sensibilité aimable et féminine, qui se serait également manifestée pour tout autre; ou bien avait-elle été enfantée par un sentiment plus passionné, plus ardent, que lui seul, parmi tous les mortels, pouvait éveiller dans son cœur? Tels étaient les doutes qui tourmentaient l'esprit de M. Tupman, tandis qu'il gisait étendu sur le sofa; tels étaient les doutes qu'il se décida à résoudre sur-le-champ et pour toujours.

Le soleil venait de terminer sa carrière: MM. Pickwick, Winkle et Snodgrass étaient allés avec leur joyeux hôte assister à la fête voisine de Muggleton; Isabella et Émily se promenaient avec M. Trundle; la vieille dame sourde s'était endormie dans sa bergère; le ronflement du gros joufflu arrivait, lent et monotone, de la cuisine lointaine. Les servantes réjouies, flânant sur le pas de la porte, jouissaient des charmes de la brune, et du plaisir de coqueter, d'une façon toute primitive, avec certains animaux lourds et gauches attachés à la ferme. Le couple intéressant était assis dans le salon, négligés de tout le monde, ne se souciant de personne, et rêvant seulement d'eux-mêmes. Ils ressemblaient, en un mot, à une paire de gants d'agneau, repliés l'un dans l'autre et soigneusement serrés.

«J'ai oublié mes pauvres fleurs, murmura la tante demoiselle.

– Arrosez-les maintenant, répliqua M. Tupman avec l'accent de la persuasion.

– L'air du soir vous refroidirait peut-être, chuchota tendrement miss Rachel.

– Non, non, s'écria M. Tupman en se levant, cela me fera du bien au contraire. Laissez-moi vous accompagner.»

L'intéressante lady ajusta soigneusement l'écharpe qui soutenait le bras gauche du jouvenceau, et, prenant son bras droit, elle le conduisit dans le jardin.

A l'une des extrémités, on voyait un berceau de chèvrefeuille, de jasmin et d'autres plantes odoriférantes; une de ces douces retraites que les propriétaires compatissants élèvent pour la satisfaction des araignées.

La tante demoiselle y prit, dans un coin, un grand arrosoir de cuivre rouge, et se disposa à quitter le berceau. M. Tupman la retint et l'attira sur un siége à côté de lui.

«Miss Wardle,» soupira-t-il.

La tante demoiselle fut saisie d'un tremblement si fort que les cailloux, qui se trouvaient par hasard dans l'arrosoir, se heurtèrent contre les parois de zinc, et produisirent un bruit semblable à celui que ferait entendre le hochet d'un enfant.

«Miss Wardle, répéta M. Tupman, vous êtes un ange.

– Monsieur Tupman? s'écria Rachel en devenant aussi rouge que son arrosoir.

– Oui, poursuivit l'éloquent pickwickien. Je le sais trop… pour mon malheur!

– Toutes les dames sont des anges, à ce que disent les messieurs, rétorqua Rachel d'un ton enjoué.

– Qu'est-ce donc que vous pouvez être alors; à quoi puis-je vous comparer? Où serait-il possible de rencontrer une femme qui vous ressemblât? Où pourrais-je trouver une aussi rare combinaison d'excellence et de beauté? Où pourrais-je aller chercher… Oh!» Ici M. Tupman s'arrêta et serra la blanche main qui tenait l'anse de l'heureux arrosoir.

La timide héroïne détourna un peu la tête. «Les hommes sont de si grands trompeurs, objecta-t-elle faiblement.

– Oui, vous avez raison, exclama M. Tupman; mais ils ne le sont pas tous… Il existe au moins un être qui ne changera jamais! Un être qui serait heureux de dévouer toute son existence à votre bonheur! Un être qui ne vit que dans vos yeux, qui ne respire que dans votre sourire! Un être qui ne supporte que pour vous seule le pesant fardeau de la vie!

– Si l'on pouvait trouver un être semblable…

– Mais il est trouvé! interrompit l'ardent Tupman. Il est trouvé! Il est ici, miss Wardle! Et avant que la dame pût deviner ses intentions, il se prosterna à ses pieds.

– Monsieur Tupman, levez-vous! s'écria Rachel.

– Jamais! répliqua-t-il bravement. Oh! Rachel! Il saisit sa main complaisante, qui laissa tomber l'arrosoir, et il la pressa sur ses lèvres. Oh! Rachel! dites que vous m'aimez!

– Monsieur Tupman, murmura la ci-devant jeune personne en tournant la tête, j'ose à peine vous répondre… mais… vous ne m'êtes pas tout à fait indifférent.»

Aussitôt que M. Tupman eut entendu ce doux aveu, il s'empressa de faire ce que lui inspirait son émotion enthousiaste, et ce que tout le monde fait dans les mêmes circonstances (à ce que nous croyons du moins, car nous sommes peu familiarisé avec ces sortes de choses), il se leva précipitamment, jeta ses bras autour du cou de la tendre demoiselle, et imprima sur ses lèvres de nombreux baisers. Après une résistance convenable, elle se soumit à les recevoir si passivement qu'on ne saurait dire combien M. Tupman lui en aurait donné, si elle n'avait pas tressailli tout d'un coup, sans aucune affectation, cette fois, et ne s'était pas écriée d'une voix effrayée: «Monsieur Tupman! on nous voit! Nous sommes perdus!»

M. Tupman se retourna. Le gros joufflu était derrière lui, parfaitement immobile, braquant sur le berceau ses gros yeux circulaires, nais avec un visage si dénué d'expression, que le plus habile physionomiste n'aurait pu y découvrir de traces d'étonnement, de curiosité, ni d'aucune des passions connues qui agitent le cœur humain. M. Tupman regarda le gros joufflu, et le gros joufflu regarda M. Tupman; et plus M. Tupman étudiait la complète torpeur de sa physionomie, plus il demeurait convaincu que le somnolent jeune homme n'avait pas vu ou n'avait pas compris ce qui s'était passé. Dans cette persuasion il lui dit avec une grande fermeté: «Que venez-vous faire ici?

– Le souper est prêt, monsieur, répliqua Joe sans hésiter.

– Arrivez-vous à l'instant? lui demanda M. Tupman, en le transperçant du regard.

– A l'instant,» répondit-il.

M. Tupman le considéra de nouveau très-fixement, mais ses yeux ne clignèrent pas; il n'y avait pas un pli sur son visage.

M. Tupman prit le bras de la tante demoiselle, et marcha avec elle vers la maison; le jeune homme les suivit par derrière.

«Il ne sait rien de ce qui vient de se passer, dit tout bas l'heureux pickwickien.

– Rien,» répliqua la dame.

Un bruit se fit entendre derrière eux, semblable à un ricanement étouffé. M. Tupman se retourna vivement. Non… ce ne pouvait pas être le gros joufflu: on ne distinguait pas sur son visage le moindre rayon de gaieté; on n'y voyait que de la gloutonnerie.

«Il dormait sans doute tout en marchant, chuchota M. Tupman.

– Je n'en ai pas le moindre doute,» répartit la tante demoiselle; et alors ils se mirent à rire tous les deux.

Ils se trompaient, cependant. Une fois en sa vie le léthargique jeune homme n'était pas endormi. Il était éveillé, bien éveillé, et il avait tout remarqué.

Le souper se passa sans que personne fit aucun effort pour rendre la conversation générale. La vieille lady était allée se coucher; Isabella Wardle se dévouait exclusivement à M. Trundle; les attentions de sa tante étaient réservées pour M. Tupman, et les pensées d'Émily paraissaient occupées de quelque objet lointain; peut-être étaient-elles errantes autour de M. Snodgrass.

Onze heures, minuit, une heure avaient sonné successivement, et les gentlemen n'étaient pas revenus de Muggleton. La consternation était peinte sur tous les visages. Avaient-ils été attaqués et volés? Fallait-il envoyer des hommes et des lanternes sur tous les chemins qu'ils avaient pu prendre? Fallait-il… Écoutez… Les voilà! – Qui peut les avoir tant attardés? – Une voix étrangère? à qui peut-elle appartenir? Tout le monde se précipita dans la cuisine où les truands étaient débarqués, et l'on reconnut au premier coup d'œil le véritable état des choses.

M. Pickwick, avec ses mains dans ses poches et son chapeau complétement enfoncé sur un œil, était appuyé contre le buffet, et, balançant sa tête de droite à gauche, produisait une constante succession de sourires, les plus doux, les plus bienveillants du monde, mais sans aucune cause ou prétexte appréciable. Le vieux M. Wardle, dont le visage était prodigieusement enflammé, serrait les mains d'un visiteur étranger en bégayant des protestations d'amitié éternelle. M. Winkle, se soutenant à la boîte d'une horloge à poids, appelait, d'une voix faible, les vengeances du ciel sur tout membre de la famille qui lui conseillerait d'aller se coucher. Enfin M. Snodgrass s'était affaissé sur une chaise, et chaque trait de son visage expressif portait l'empreinte de la misère la plus abjecte et la plus profonde que se puisse figurer l'esprit humain.

«Est-il arrivé quelque chose? demandèrent les trois dames.

– Rien du tout, répondit M. Pickwick. Nous… sommes… tous… en bon état… Dites donc… Wardle… nous sommes… tous… en bon état… N'est-ce pas?

– Un peu, répliqua le joyeux hôte. Mes chéries… voici mon ami, M. Jingle… l'ami de M. Pickwick… M. Jingle… venu… pour une petite visite…

– Monsieur, demanda Émily avec anxiété, est-il arrivé quelque chose à M. Snodgrass?

– Rien du tout, madame, répliqua l'étranger. Dîner de Club, – joyeuse compagnie, – chansons admirables, – vieux porto, – vin de Bordeaux, – bon, – très-bon. – C'est le vin, madame, le vin.

– Ce n'est pas le vin, bégaya M. Snodgrass d'un ton grave. C'est le saumon. (Remarquez qu'en pareille circonstance ce n'est jamais le vin.)

– Ne feraient-ils pas mieux d'aller se coucher, madame? demanda Emma. Deux des gens pourraient porter ces messieurs dans leur chambre.

– Je n'irai pas me coucher! s'écria M. Winkle avec fermeté.

– Aucun homme vivant ne me portera! dit intrépidement M. Pickwick; et il continua de sourire comme auparavant.

– Hourra! balbutia faiblement M. Winkle.

– Hourra! répéta M. Pickwick, et prenant son chapeau il l'aplatit sur la terre, saisit ses lunettes et les fit voler à travers la cuisine; puis, ayant accompli cette heureuse plaisanterie, il recommença à rire comme un insensé.

– Apportez-nous une… une autre… bouteille! cria M. Winkle en commençant sur un ton très-élevé et finissant sur un ton très-bas. Mais peu après sa tête tomba sur sa poitrine; il murmura encore son invincible détermination de ne pas s'aller coucher, bégaya un regret sanguinaire de n'avoir pas, dans la matinée, fait l'affaire du vieux Tupman, puis il s'endormit profondément. En cet état il fut transporté dans sa chambre par deux jeunes géants, sous la surveillance immédiate du gros joufflu. Bientôt après M. Snodgrass confia sa personne aux soins protecteurs du jeune somnambule. M. Pickwick accepta le bras de M. Tupman et disparut tranquillement, en souriant plus que jamais. M. Wardle fit ses adieux à toute sa famille d'une manière aussi tendre, aussi pathétique, que s'il l'avait quittée pour monter sur l'échafaud, accorda à M. Trundle l'honneur de lui faire gravir les escaliers, et s'éloigna en faisant d'inutiles efforts pour prendre un air digne et solennel.

«Quelle scène choquante! s'écria la tante demoiselle.

– Dégoûtante! répondirent les deux jeunes ladies.

– Terrible! terrible! dit M. Jingle d'un air très-grave. (Il était en avance sur tous ses compagnons d'au moins une bouteille et demie.) Horrible spectacle! Très-horrible.

– Quel aimable homme! dit tout bas la tante demoiselle à M. Tupman.

– Et joli garçon par-dessus le marché, murmura Émily Wardle.

– Oh! tout à fait, observa la tante demoiselle.»

M. Tupman pensa à la petite veuve de Rochester, et son esprit fut troublé. La demi-heure de conversation qui suivit n'était pas de nature à le rassurer. Le nouveau visiteur parla beaucoup, et le nombre de ses anecdotes fut pourtant moins grand que celui de ses politesses. M. Tupman sentit que sa faveur décroissait à mesure que celle de M. Jingle devenait plus grande. Son rire était forcé, sa gaieté était feinte, et lorsqu'à la fin il posa sur son oreiller ses tempes brûlantes, il pensa, avec une horrible satisfaction, au plaisir qu'il aurait à tenir en ce moment la tête de M. Jingle entre son lit de plumes et son matelas.

L'infatigable étranger se leva le lendemain de bonne heure, et tandis que ses compagnons demeuraient dans leur lit, accablés par les débauches de la nuit précédente, il s'employa avec succès à égayer le déjeuner. Ses efforts, à cet égard, furent tellement heureux que la vieille dame sourde se fit répéter, à travers son cornet, deux ou trois de ses meilleures plaisanteries, et poussa même la condescendance jusqu'à dire tout haut à la tante demoiselle que c'était un charmant mauvais sujet. Les autres membres présents de la famille partageaient complétement cette opinion.

Dans les belles matinées d'été, la vieille dame avait l'habitude de se rendre sous le berceau où M. Tupman s'était si bien signalé. Les choses se passaient ainsi: d'abord le gros joufflu prenait sur un champignon, dans la chambre à coucher de la vieille lady, un chapeau ou plutôt un capuchon de satin noir, un châle de coton bien chaud, puis une solide canne, ornée d'une poignée commode. Ensuite, la vieille dame ayant mis posément le capuchon et le châle, s'appuyait d'une main sur la canne, de l'autre sur l'épaule de son page bouffi, et marchait lentement jusqu'au berceau, où Joe la laissait jouir de la fraîcheur de l'air pendant une demi-heure: après quoi il retournait la chercher et la ramenait à la maison.

La vieille dame aimait la précision et la régularité, et, comme depuis trois étés successifs cette cérémonie s'était accomplie sans la plus légère infraction aux règles établies, elle ne fut pas légèrement surprise, dans la matinée en question, lorsqu'elle vit le gros joufflu, au lieu de quitter le berceau d'un pas lourd, en faire le tour avec précaution, regarder soigneusement de tous cotés, et se rapprocher d'elle sur la pointe du pied, avec l'air du plus profond mystère.

La vieille dame était poltronne; – presque toutes les vieilles dames le sont; – sa première pensée fut que l'enflé personnage allait lui faire quelque atroce violence pour s'emparer de la menue monnaie qu'elle pouvait avoir sur elle. Elle aurait voulu crier au secours, mais l'âge et l'infirmité l'avaient depuis longtemps privée de la faculté de crier. Elle se contenta donc d'épier les mouvements de son page avec une terreur profonde, qui ne fut nullement diminuée lorsqu'il s'approcha tout près d'elle, et lui cria dans l'oreille d'une voix agitée, et qui lui parut menaçante: «Maîtresse!»

Or il arriva par hasard que M. Jingle se promenait dans le jardin près du berceau, dans ce même moment. Lui aussi entendit crier «Maîtresse!» et il s'arrêta pour en entendre davantage. Il avait trois raisons pour agir ainsi. Premièrement, il était inoccupé et curieux; secondement, il n'avait aucune espèce de scrupule; troisièmement, il était caché par quelques buissons. Il s'arrêta donc, et écouta.

«Maîtresse! cria le gros joufflu.

– Eh bien, Joe! dit la vieille dame toute tremblante. Vous savez que j'ai toujours été une bien bonne maîtresse pour vous. Vous avez toujours été bien traité, Joe. Vous n'avez jamais eu grand'chose à faire, et vous avez toujours eu suffisamment à manger.»

Cet habile discours ayant fait vibrer les cordes les plus intimes du gros garçon, il répondit avec expression: «Je sais ça.

– Alors, pourquoi m'effrayer ainsi? Que voulez-vous me faire? continua la vieille dame en reprenant courage.

– Je veux vous faire frissonner!»

C'était là une cruelle manière de prouver sa gratitude, et, comme la vieille dame ne comprenait pas bien clairement comment ce résultat serait obtenu, elle sentit renaître toutes ses terreurs.

«Savez-vous ce que j'ai vu dans ce berceau, hier au soir? demanda le gros joufflu.

– Dieu nous bénisse! Quoi donc? s'écria la vieille lady, alarmée par l'air solennel du corpulent jeune homme.

– Le gentleman au bras en écharpe qui embrassait…

– Qui? Joe, qui? aucune des servantes, j'espère?

– Pire que ça!» cria le jeune homme dans l'oreille de la vieille dame.

– Aucune de mes petites-filles?

– Pire que ça!

– Pire que cela, Joe! s'écria la vieille dame, qui avait pensé que c'était là la plus grande des atrocités humaines. Qui était-ce, Joe? Je veux absolument le savoir.»

Le délateur regarda soigneusement autour de lui, et, ayant terminé son inspection, cria dans l'oreille de la vieille lady:

«Miss Rachel!

– Quoi? dit-elle d'une voix aiguë. Parlez plus haut!

– Miss Rachel! hurla le gros joufflu.

– Ma fille!»

Joe répondit par une succession de signes affirmatifs, qui imprimèrent à ses joues un mouvement ondulatoire semblable à celui d'un plat de blanc-manger.

«Et elle l'a souffert! s'écria la vieille dame.

– Elle l'a embrassé à son tour! Je l'ai vue!» répondu le gros joufflu en ricanant.

Si M. Jingle, de sa cachette, avait pu voir l'expression du visage de la vieille dame, à cette communication, il est probable qu'un soudain éclat de rire aurait trahi sa présence auprès du berceau. Mais il recueillit seulement des fragments de phrases irritées, telles que:

«Sans ma permission!.. A son âge!.. Misérable vieille que je suis!.. Elle aurait pu attendre que je fusse morte!..»

Puis, ensuite, il entendit les pas pesants du gros garçon qui s'éloignait et laissait la vieille lady toute seule.

C'est un fait remarquable, peut-être, mais néanmoins c'est un fait, que M. Jingle, cinq minutes après son arrivée à Manoir-ferme, avait résolu, dans son for intérieur, d'assiéger sans délai le cœur de la tante demoiselle. Il était assez bon observateur pour avoir remarqué que ses manières dégagées ne déplaisaient nullement au bel objet de ses attaques, et il la soupçonnait fortement de posséder la plus désirable de toutes les perfections: une petite fortune indépendante. L'impérative nécessité de débusquer son rival d'une manière ou d'une autre s'offrit donc immédiatement à son esprit, et il résolut de prendre sans délai des mesures à cet égard. Fielding nous dit quo l'homme est de feu, que la femme est d'étoupe, et que le prince des ténèbres se plaît à les rapprocher. M. Jingle savait que les jeunes gens sont aux tantes demoiselles comme le gaz enflammé à la poudre fulminante, et il se détermina à essayer sur-le-champ l'effet d'une explosion.

Tout en réfléchissant aux moyens d'exécuter cette importante résolution, il se glissa hors de sa cachette, et, protégé par les buissons susmentionnés, regagna la maison sans être aperçu. La fortune semblait déterminée à favoriser ses desseins. Il vit de loin M. Tupman et les autres gentlemen s'enfoncer dans le jardin; il savait que les jeunes demoiselles étaient sorties ensemble après le déjeuner: la côte était donc libre.

La porte du salon se trouvant entr'ouverte, M. Jingle allongea la tête et regarda. La tante demoiselle était en train de tricoter. Il toussa, elle leva les yeux et sourit. Il n'existait aucune dose d'hésitation dans le caractère de M. Jingle; il posa mystérieusement son doigt sur sa bouche, entra dans la chambre et ferma la porte.

«Miss Wardle, dit-il avec une chaleur affectée, pardonnez cette témérité… courte connaissance… pas de temps pour la cérémonie… Tout est découvert.

– Monsieur! s'écria la tante demoiselle fort étonnée, et doutant presque que M. Jingle fût dans son bon sens.

– Silence! dit M. Jingle d'une voix théâtrale. Gros enflé… face de poupard… les yeux ronds… canaille!..»

Ici il secoua la tête d'une manière expressive, et la tante demoiselle devint toute tremblante d'agitation.

«Je présume que vous voulez parler de Joseph, monsieur? dit-elle en faisant effort pour paraître calme.

– Oui, madame. Damnation sur votre Joe!.. Chien de traître que ce Joe!.. A instruit la vieille dame… la vieille dame furieuse… enragée… délirante!.. Berceau… Tupman… caresses… baisers et tout le reste… Eh! madame, eh!

– M. Jingle, s'écria la tante demoiselle, si vous êtes venu ici pour m'insulter…

– Pas du tout; pas le moins du monde. Entendu l'histoire, venu pour vous avertir du danger, offrir mes services, prévenir les cancans. Tout est dit. Vous prenez cela pour une insulte… je quitte la place…»

10.Refrain d'une chanson bachique.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
01 ноября 2017
Объем:
590 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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