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Читать книгу: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I», страница 7

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Les derniers et doux rayons du soleil avaient jeté sur la terre une riche teinte de pourpre, donnant un éclat doré aux épis jaunis et allongeant l'ombre des arbres, lorsqu'il arriva devant la vieille maison, la maison de son enfance, après laquelle son cœur avait soupiré si souvent, si ardemment, durant de longues et pénibles années de captivité et de douleur. La palissade était basse, quoiqu'il se rappelât le temps où elle lui paraissait gigantesque; il regarda par-dessus dans le jardin. Il y vit beaucoup plus de fleurs qu'il n'y en avait autrefois, mais les vieux arbres y étaient encore. Il reconnut celui sous lequel il s'était couché mille fois lorsqu'il était fatigué de jouer au soleil, laissant doucement aller ses sens au léger sommeil d'une enfance heureuse. Il entendit des voix dans l'intérieur de la maison, mais elles affectèrent péniblement son oreille, car il ne les connaissait point, et elles exprimaient la gaieté. Or il savait bien que sa pauvre vieille mère ne pouvait pas être gaie, lui absent. La porte s'ouvrit et il en vit sortir une troupe de petits enfante riant et gambadant.

Le père, avec un marmot dans ses bras, parut sur le seuil et les enfants se pressèrent autour de lui, frappant joyeusement des mains, et le tirant de toutes leurs forces pour lui faire prendre part à leurs jeux. Le convict se rappela combien de fois, à la même place, il s'était dérobé aux regards de son père; il se rappela combien de fois il avait caché sous ses draps sa tête tremblante, en entendant les sanglote étouffés de sa malheureuse mère quand elle avait été injuriée et battue par son mari furieux. Il se détourna, et ses poings étaient crispés, ses dents étaient serrées avec rage, lorsqu'il s'éloigna de la maison paternelle.

Tel était donc le retour qui avait occupé son esprit pendant un si grand nombre d'années pénibles, et pour lequel il avait supporté tant de souffrances! Pas un visage ami, pas un regard de pardon, pas une main pour l'aider, pas une maison pour l'accueillir; et cela dans le village où il était né! Quel abandon! quelle solitude! plus amère mille fois que celle des contrées sauvages où il avait été exilé!

Il reconnut alors que, sur la terre lointaine de l'infamie et de la servitude, il s'était représenté les lieux de sa naissance tels qu'il les avait laissés, non pas tels qu'il devait les retrouver. La triste réalité se dévoila tout d'un coup à son esprit, et abattit son courage. Il n'eut pas la force de prendre des informations ni de se présenter à la seule personne qui devait le recevoir avec compassion. Il marcha lentement devant lui, évitant la grande route, comme un coupable, entra dans une prairie qu'il avait parcourue jadis dans tous les sens, couvrit son visage de ses mains, et se laissa tomber sur l'herbe.

Un homme, qu'Edmunds n'avait point aperçu, était assis tout auprès de lui sur la terre. Il se retourna pour regarder le nouveau venu, et Edmunds entendant le frôlement de ses habits releva la tête.

Cet homme portait le costume du Work-House; son corps était courbé, sa face jaune et ridée. Il paraissait très-vieux, mais plutôt par l'effet destructeur de l'intempérance et des maladies que par le résultat graduel des années. Ses yeux étaient lourds et ternes, mais quand ils eurent contemplé Edmunds pendant quelques instants, ils s'animèrent d'une étrange expression d'alarme, et s'ouvrirent si horriblement qu'ils semblaient près de sortir de leur orbite.

Le convict, se levant peu à peu sur ses genoux, examinait avec une anxiété toujours croissante le visage du vieillard. Ils s'observèrent ainsi en silence durant assez longtemps.

Tout à coup le vieillard tressaillit, devint affreusement pâle, se leva en chancelant et recula quelques pas, en voyant qu'Edmunds se levait aussi.

«Parlez-moi! que j'entende le son de votre voix! s'écria le libéré palpitant d'émotion.

– N'avance pas!» s'écria le vieillard en blasphémant.

Mais Edmunds ne l'écoutait point et continuait à s'approcher de lui.

«N'avance pas! répéta-t-il en frémissant de rage et de terreur; et en même temps, levant son bâton, il en frappa violemment le libéré au visage.

– Mon père!.. Misérable!..» murmura celui-ci entre ses dents serrées; puis, s'élançant avec fureur, il saisit le vieillard à la gorge; mais il se souvint que c'était son père, et ses mains retombèrent sans force à ses côtés.

Le vieillard jeta un cri perçant, qui retentit à travers les champs déserts comme les hurlements d'un mauvais esprit. Sa face devint livide, le sang jaillit de sa bouche et de son nez, il chancela et tomba en arrière. Il s'était rompu un vaisseau, et lorsque son fils le releva de la mare de sang noir et épais qu'il avait vomie, il était mort.

Dans un coin de notre cimetière, repose un homme que j'ai employé à mon service pendant trois années, après cet événement. Il était réellement repentant et corrigé. Personne n'a su durant sa vie qui il était, ni d'où il venait. C'était Edmunds le convict libéré.»

CHAPITRE VII.
Comment M. Winkle, au lieu de tirer le pigeon et de tuer la corneille, tira la corneille et blessa le pigeon. Comment le club de la Crosse de Dingley-Dell lutta contre celui de Muggleton, et comment Muggleton dîna aux dépens de Dingley-Dell. Avec diverses autres matières également instructives et intéressantes

Les fatigantes aventures de la journée, ou peut-être l'influence somnifère de l'histoire racontée par le ministre, opérèrent si fortement sur les nerfs de M. Pickwick qu'il était à peine au lit depuis cinq minutes, lorsqu'il s'endormit d'un sommeil profond. Il n'en fut tiré que le lendemain matin par les brillants rayons du soleil levant, qui pénétraient dans sa chambre, et qui semblaient lui adresser des reproches.

M. Pickwick n'était pas paresseux: comme un vaillant guerrier, il s'élança hors de sa tente… je veux dire à bas de son lit.

«Quel délicieux pays! s'écria-t-il avec enthousiasme en ouvrant sa jalousie. Ah! lorsqu'on a senti l'influence d'un semblable paysage, pourrait-on consentir à vivre pour n'apercevoir chaque jour que des briques et des ardoises? Pourrait-on continuer d'exister dans un lieu où l'on ne voit pas de foin, excepté dans les écuries; pas de plantes fleuries excepté des joubarbes sur les toits; pas de vaches, excepté celles de l'impériale des voitures? Rien qui rappelle le dieu Pan, excepté des pans de muraille. Pourrait-on consentir à traîner sa vie dans un tel séjour? je le demande, pourrait-on endurer une semblable existence?»

Après avoir ainsi, durant longtemps, interrogé la solitude, suivant l'usage des plus grands poëtes, M. Pickwick allongea la tête hors de la croisée, et regarda autour de lui.

La douce et pénétrante odeur des foins qu'on venait de faucher montait jusqu'à lui. Les mille parfums des petites fleurs au jardin embaumaient l'air d'alentour; la verte prairie brillait sous la rosée matinale, et chaque brin d'herbe étincelait agité par un doux zéphyr. Enfin les oiseaux chantaient, comme si chacune des larmes de l'aurore avait été pour eux une source d'inspiration. En contemplant ce spectacle, M. Pickwick tomba dans une douce et mystérieuse rêverie.

«Ohé!» tels furent les sons qui le rappelèrent à la vie réelle.

Sa vue se porta rapidement sur la droite; mais il ne découvrit personne. Ses yeux s'égarèrent vers la gauche et percèrent en vain l'étendue. Il mesura d'un regard audacieux le firmament; mais ce n'était point de là qu'on l'appelait; enfin il fit ce qu'un esprit vulgaire aurait fait du premier coup, il regarda dans le jardin et y vit M. Wardle.

«Comment ça va-t-il? lui demanda son joyeux hôte. Belle matinée, n'est-ce pas? Charmé de vous voir levé de si bonne heure. Dépêchez-vous de descendre, je vous attendrai ici.»

M. Pickwick n'eut pas besoin d'une seconde invitation. Dix minutes lui suffirent pour compléter sa toilette, et à l'expiration de ce terme, il était à côté du vieux gentleman.

«Qu'est-ce qu'il y a? demanda M. Pickwick en voyant que son hôte était armé d'un fusil et qu'il y en avait un second près de lui, sur le gazon.

– Votre ami et moi, répliqua M. Wardle, nous allons tirer des corneilles avant déjeuner. Il est très-bon tireur, n'est-il pas vrai?

– Je le lui ai entendu dire, mais je ne lui ai jamais vu ajuster la moindre chose.

– Je voudrais bien qu'il se dépêchât, murmura M. Wardle; et il appela: Joe! Joe!»

Peu de temps après on vit sortir de la maison le gros joufflu, qui, grâce à l'influence excitante de la matinée, n'était guère assoupi qu'aux trois quarts.

«Allez appeler le gentleman, lui dit son maître, et prévenez-le qu'il me trouvera avec M. Pickwick, dans le bois. Vous lui montrerez le chemin, entendez-vous?»

Joe s'éloigna pour exécuter cette commission, et M. Wardle, portant les deux fusils, conduisit M. Pickwick hors du jardin.

«Voici la place,» dit-il au bout de quelques minutes en s'arrêtant dans une avenue d'arbres. C'était un avertissement inutile, car le croassement continuel des pauvres corneilles indiquait suffisamment leur domicile.

Le vieux gentleman posa l'un des fusils sur la terre et chargea l'autre.

«Voilà nos gens, dit M. Pickwick. Et en effet on aperçut au loin M. Tupman, M. Snodgrass et M. Winkle, car Joe ne sachant pas, au juste, lequel de ces messieurs il devait amener, avait jugé, dans sa sagacité profonde, que pour prévenir toute erreur, le meilleur moyen était de les convoquer tous les trois.

«Arrivez! arrivez! cria le vieux gentleman à M. Winkle. Un fameux tireur comme vous aurait dû être prêt depuis longtemps, même pour si peu de chose.»

M. Winkle répondit par un sourire contraint, et ramassa le fusil qui lui était destiné, avec l'expression de physionomie qui aurait pu convenir à une corneille métaphysicienne, tourmentée par le pressentiment d'une mort prochaine et violente. C'était peut-être de l'indifférence, mais cela ressemblait prodigieusement à de l'abattement.

Le vieux gentleman fit un signe, et deux gamins déguenillés commencèrent à grimper lestement sur deux arbres.

«Pourquoi faire ces enfants?» demanda brusquement M. Pickwick.

Son bon cœur s'était alarmé, car il avait tant entendu parler de la détresse des laboureurs, qu'il n'était pas éloigné de croire que leurs enfants pussent être forcés par la misère, à s'offrir eux-mêmes pour but aux chasseurs, afin d'assurer ainsi à leurs parents une chétive subsistance.

«Seulement pour faire lever le gibier, répondit en riant M. Wardle.

– Pour faire quoi?

– Pour effrayer les corneilles.

– Ah! voilà tout?

– Oui. Vous voilà entièrement tranquille?

– Tout à fait.

– Très-bien! Commencerai-je? ajouta le vieux gentleman en s'adressant à M. Winkle.

– Oui, s'il vous plaît, répondit celui-ci, enchanté d'avoir un moment de répit.

– Reculez-vous un peu. Allons! voilà le moment!»

L'un des enfants cria en secouant une branche, sur laquelle était un nid, et aussitôt une douzaine de jeunes corneilles, interrompues au milieu d'une très-bruyante conversation, s'élancèrent au dehors pour demander de quoi il s'agissait. Le vieux gentleman fit feu, par manière de réplique. L'un des oiseaux tomba et les autres s'envolèrent.

– Ramassez-le Joe,» dit le vieux gentleman.

Le corpulent jeune homme s'avança, et ses traits s'épanouirent en guise de sourire: des visions indistinctes de pâtés de corneilles flottaient devant son imagination. En emportant l'oiseau, il riait, car la victime était grasse et tendre.

«Maintenant, à votre tour, monsieur Winkle, dit le vieux gentleman en rechargeant son fusil. Allons! tirez!»

M. Winkle s'avança, et épaula son fusil. M. Pickwick et ses compagnons se reculèrent involontairement, pour éviter la pluie de corneilles qu'ils étaient sûrs de voir tomber sous le plomb dévastateur de leur ami. Il y eut une pose solennelle, un grand cri, un battement d'ailes, un léger clic…

«Oh! oh! fit le vieux gentleman.

– Il ne veut pas partir? demanda M. Pickwick.

– Il a raté, répondit M. Winkle, qui était fort pâle, probablement de désappointement.

– C'est étrange, dit le vieux gentleman en prenant le fusil. Cela ne lui est jamais arrivé.

– Comment? je ne vois aucun reste de la capsule.

– En vérité? répartit M. Winkle: j'aurai complétement oublié la capsule.»

Cette légère omission fut réparée; M. Pickwick s'abrita de nouveau, et M. Tupman se mit derrière un arbre. M. Winkle fit un pas en avant, d'un air déterminé, en tenant son fusil à deux mains. L'enfant cria; quatre oiseaux s'envolèrent; M. Winkle leva son arme; on entendit une explosion, puis un cri d'angoisse; mais ce n'était pas le cri d'une corneille. M. Tupman avait sauvé la vie à beaucoup d'innocents oiseaux, en recevant dans son bras gauche une partie de la charge.

Il serait impossible d'exprimer la confusion qui s'en suivit; de dire comment M. Pickwick, dans les premiers transports de son émotion, appela M. Winkle, misérable! comment M. Tupman était étendu sur le gazon; comment M. Winkle, frappé d'horreur, s'était agenouillé auprès de lui; comment M. Tupman, dans le délire, invoquait plusieurs noms de baptême féminins, puis ouvrait un œil, puis l'autre, et retombait en arrière, en les fermant tous les deux. Une telle scène serait aussi difficile à décrire, qu'il le serait de peindre le malheureux blessé revenant graduellement à lui-même, voyant bander ses plaies avec des mouchoirs, et regagnant lentement la maison, appuyé sur ses amis inquiets.

Les dames étaient sur le seuil de la porte, attendant le retour de ces messieurs pour déjeuner. La tante demoiselle brillait entre toutes; elle sourit et leur fit signe de venir plus vite. Il était évident qu'elle ne savait point l'accident arrivé. Pauvre créature! Il y a des moments où l'ignorance est véritablement un bienfait.

On approchait de plus en plus.

«Qu'est-il donc arrivé au vieux petit monsieur? dit à demi-voix miss Isabella Wardle. La tante demoiselle ne fit pas attention à cette remarque. Elle crut qu'il s'agissait de M. Pickwick; car à ses yeux, Tracy Tupman était un jeune homme: elle voyait ses années à travers un verre rapetissant.

– Ne vous effrayez point! cria M. Wardle à ses filles; et la petite troupe était tellement pressée autour de M. Tupman, qu'on ne pouvait pas encore distinguer clairement la nature de l'événement.

– Ne vous effrayez point, répéta M. Wardle quelques pas plus loin.

– Qu'y a-t-il donc! s'écrièrent les dames horriblement alarmées par cette précaution.

– IL est arrivé un petit accident à M. Tupman; voilà tout.»

La tante demoiselle poussa un cri perçant, ferma les yeux et se laissa tomber à la renverse dans les bras des deux jeunes personnes.

«Jetez-lui de l'eau froide au visage, s'écria le vieux gentleman.

– Non! Non! murmura la tante demoiselle. Je suis mieux maintenant, Bella… Émily… Un chirurgien… Est-il blessé? est-il mort? est-il… Ah! ah! ah!..» Et la tante demoiselle, poussant de nouveaux cris, eut une attaque de nerfs n° 2.

«Calmez-vous, dit M. Tupman affecté presque jusqu'aux larmes de cette expression de sympathie pour ses souffrances. Chère demoiselle, calmez-vous!

– C'est sa voix! s'écria la tante demoiselle; et de violents symptômes d'une attaque n° 3 se manifestèrent aussitôt.

– Ne vous tourmentez pas, je vous en supplie, très-chère demoiselle, reprit M. Tupman d'une voix consolante. Je suis fort peu blessé, je vous assure.

– Vous n'êtes donc pas mort? s'écria la nerveuse personne. Oh! dites que vous n'êtes pas mort.

– Ne faites pas la folle, Rachel, interrompit M. Wardle, d'une manière plus brusque que ne semblait le comporter la nature poétique de cette scène. Quelle diable de nécessité y a-t-il, qu'il vous dise lui-même qu'il n'est pas mort?

– Non! je ne le suis pas, reprit M. Tupman; je n'ai pas besoin d'autres secours que les vôtres. Laissez-moi m'appuyer sur votre bras…» Et il ajouta à son oreille: «O miss Rachel!» Pleine d'agitation, la dame de ses pensées s'avança et lui offrit son bras. Ils entrèrent ensemble dans le salon. M. Tracy Tupman pressa doucement sur ses lèvres une main qu'on lui abandonna, et se laissa tomber ensuite sur un canapé.

«Vous trouvez-vous mal? demanda Rachel avec anxiété.

– Non, ce n'est rien; je serai mieux dans un instant, répondit M. Tupman en fermant les yeux.

– Il dort! murmura la tante demoiselle (il avait clos ses paupières depuis près de vingt secondes). Il dort! cher M. Tupman!»

M. Tupman sauta sur ses pieds. Oh! répétez ces paroles! s'écria-t-il.

La dame tressaillit. «Sûrement vous ne les avez pas entendues, dit-elle avec pudeur.

– Oh! si, je les ai entendues, répliqua chaleureusement M. Tupman. Répétez ces paroles, si vous voulez que je guérisse! répétez-les.

– Silence! dit la dame! voilà mon frère!»

M. Tracy Tupman reprit sa première position, et M. Wardle entra dans la chambre, accompagné d'un chirurgien.

Le bras fut examiné; la blessure pansée, et déclarée fort légère; et l'esprit des assistants se trouvant ainsi rassuré ils procédèrent à satisfaire leur appétit. La gaieté brillait de nouveau sur leurs visages. M. Pickwick seul restait silencieux et réservé; la doute et la méfiance se peignaient sur sa physionomie expressive, car sa confiance en M. Winkle avait été ébranlée, grandement ébranlée par les aventures du matin.

«Jouez-vous à la crosse? demanda M. Wardle au chasseur.

Dans tout autre temps M. Winkle aurait répondu d'une manière affirmative, mais il sentit la délicatesse de sa position, et répliqua modestement: «Non monsieur.

– Et vous, monsieur? demanda M. Snodgrass au joyeux vieillard.

– J'y jouais autrefois, répliqua celui-ci; mais j'y ai renoncé désormais. Cependant je souscris au club, quoique je ne joue plus.

– N'est-ce pas aujourd'hui qu'a lieu la grande partie entre les camps opposés de Muggleton et de Dingley-Dell? demanda M. Pickwick.

– Oui, répliqua leur hôte: vous y viendrez, n'est-ce pas?

– Oui, monsieur, répondit M. Pickwick: j'ai grand plaisir à voir des exercices auxquels on peut se livrer sans danger, et dans lesquels la maladresse des gens ne met pas en péril la vie de leurs semblables.» En prononçant ces mots M. Pickwick fit une pause expressive, et regarda fixement M. Winkle, qui ne put soutenir sans frémir le coup d'œil pénétrant de son mentor. Celui-ci ajouta alors: «Ne serait-il pas convenable de confier notre ami blessé aux soins de ces dames?

– Vous ne pouvez pas me placer dans de meilleures mains, murmura M Tupman.

– Ce serait impossible,» ajouta M. Snodgrass.

Il fut donc convenu que M. Tupman resterait à la maison sous la surveillance des dames, et que la portion masculine de la société, conduite par M. Wardle, irait juger des coups dans ce combat d'habileté qui avait tiré Muggleton de sa torpeur, et inoculé à Dingley-Dell une excitation fébrile.

Il n'y avait guère qu'une demi-lieue de distance à parcourir, et le sentier couvert de mousse passait par des allées ombragées. La conversation roula principalement sur les délicieux paysages qui se découvraient tour à tour, et M. Pickwick regretta presque d'avoir été si vite, lorsqu'il se trouva dans la grande rue de Muggleton.

Toutes les personnes dont le génie est doué de la moindre propension géographique savent, nécessairement, que la ville de Muggleton jouit d'une corporation, qu'elle possède un maire, des bourgeois, des électeurs: et quiconque consultera les Adresses du maire aux freemen, ou celles des freemen au maire, ou celles du maire et des freemen à la corporation, ou celles du maire, des freemen et de la corporation au Parlement, apprendra par là ce qu'il aurait dû connaître auparavant: à savoir, que Muggleton est un bourg ancien et loyal, unissant une ferveur zélée pour les principes du christianisme à un attachement solide aux droits commerciaux. En preuve de quoi, le maire, la corporation et divers habitants, ont présenté à différentes reprises soixante-huit pétitions pour qu'on permit la vente des bénéfices dans l'église, quatre-vingt-six pétitions pour qu'on défendît la vente dans les rues le dimanche, mille quatre cent vingt pétitions contre la traite des noirs en Amérique, avec un nombre égal de pétitions contre toute espèce d'intervention législative, au sujet du travail exagéré des enfants, dans les manufactures anglaises.

Lorsque M. Pickwick se trouva dans la grande rue de cet illustre bourg, il contempla la scène qui s'offrit à ses yeux avec une curiosité mélangée d'intérêt.

La place du marché avait la forme d'un carré au centre duquel s'était érigée une vaste auberge. Son enseigne énorme étalait un objet fort commun dans les arts, mais qu'on rencontre rarement dans la nature, c'est-à-dire un lion bleu, ayant trois pattes en l'air et se balançant sur l'extrémité de l'ongle central de la quatrième. On voyait aux environs un bureau d'assurance contre l'incendie et celui d'un commissaire-priseur, les magasins d'un marchand de blé et d'un marchand de toile, les boutiques d'un sellier, d'un distillateur, d'un épicier et d'un cordonnier, lequel cordonnier faisait également servir son local à la diffusion des chapeaux, des bonnets, des hardes de toute espèce, des parapluies et des connaissances utiles. Il y avait en outre une petite maison de briques rouges, précédée d'une sorte de cour pavée, et que tout le monde, à la première vue, reconnaissait pour appartenir à un avoué. Il y avait encore une autre maison en briques rouges sur la porte de laquelle s'étalait une large plaque de cuivre annonçant, en caractères très-lisibles, que cette maison appartenait à un chirurgien. Quelques jeunes gens se dirigeaient vers le jeu de crosse, et deux ou trois boutiquiers, se tenant debout sur le pavé de leur porte, avaient l'air fort désireux de se rendre au même endroit, comme ils auraient pu le faire, selon toutes les apparences, sans perdre un grand nombre de chalands.

M. Pickwick s'était déjà arrêté pour faire ces observations qu'il se proposait de noter à son aise, mais comme ses amis avaient quitté la grande rue, il se hâta de les rejoindre et les retrouva en vue du champ de bataille.

Les barres que les joueurs doivent conquérir ou défendre étaient déjà placées, aussi bien qu'une couple de tentes pour servir au repos et au rafraîchissement des parties belligérantes. Mais le jeu n'était pas encore commencé. Deux ou trois Dingley-Dellois ou Muggletoniens s'amusaient d'un air majestueux à jeter négligemment leur balle d'une main dans l'autre. Ils avaient des chapeaux de paille, des jaquettes de flanelle et des pantalons blancs, ce qui leur donnait tout à fait la tournure d'amateurs tailleurs de pierre. Quelques autres gentlemen, vêtus de la même manière, étaient éparpillés autour des tentes, vers l'une desquelles M. Wardle conduisit sa société.

Plusieurs douzaines de «Comment vous portez-vous?» saluèrent l'arrivée du vieux gentleman, et il y eut un soulèvement général de chapeaux de paille, avec une inclinaison contagieuse de gilets de flanelle, lorsqu'il introduisit ses hôtes comme des gentlemen de Londres, qui désiraient vivement assister aux agréables divertissements de la journée.

«Je crois, monsieur, que vous feriez mieux d'entrer dans la marquise, dit un très-volumineux gentleman, dont le corps paraissait être la moitié d'une gigantesque pièce de flanelle, perchée sur une couple de traversins.

– Vous y seriez beaucoup mieux, monsieur, ajouta un autre gentleman aussi volumineux que le précédent, et qui ressemblait à l'autre moitié de la susdite pièce de flanelle.

– Vous êtes bien bon, répondit M. Pickwick.

– Par ici, reprit le premier gentleman; c'est ici que l'on marque, c'est la place la meilleure;» et il les précéda en soufflant comme un cheval poussif.

Jeu superbe, – noble occupation, – bel exercice, – charmant! Telles furent les paroles qui frappèrent les oreilles de M. Pickwick en entrant dans la tente, et le premier objet qui s'offrit à ses regards fut son ami de la voiture de Rochester. Il était en train de pérorer, à la grande satisfaction d'un cercle choisi des joueurs élus par la ville de Muggleton. Son costume s'était légèrement amélioré. Il avait des bottes neuves, mais il était impossible de le méconnaître.

L'étranger reconnut immédiatement ses amis. Avec son impétuosité ordinaire et en parlant continuellement, il se précipita vers M. Pickwick, le saisit par la main et le tira vers un siége, comme si tous les arrangements du jeu avaient été spécialement sous sa direction.

«Par ici! – par ici! – ça sera fièrement amusant, – muids de bière, – monceaux de bœuf, – tonneaux de moutarde, – glorieuse journée, – asseyez-vous, – mettez-vous à votre aise, – charmé de vous voir, très-charmé.»

M. Pickwick s'assit comme on le lui disait, et MM. Winkle et Snodgrass suivirent également les indications de leur mystérieux ami. M. Wardle l'examinait avec un étonnement silencieux.

– M. Wardle, un de mes amis, dit M. Pickwick à l'étranger.

– Un de vos amis? s'écria celui-ci. Mon cher monsieur, comment vous portez-vous? – Les amis de nos amis sont… – Votre main, monsieur.»

En enfilant ces phrases, l'étranger saisit la main de M. Wardle avec toute la chaleur d'une vieille intimité, puis se recula de deux ou trois pas, comme pour mieux voir son visage et sa tournure, puis secoua sa main de nouveau plus chaudement encore que la première fois, s'il est possible.

«Et comment êtes-vous venu ici? demanda M. Pickwick avec un sourire où la bienveillance luttait contre la surprise.

– Venu? – Je loge à l'auberge de la Couronne, à Muggleton. – Rencontré une société. – Jaquettes de flanelle, – pantalons blancs, – sandwiches aux anchois, – rognons braisés, – fameux gaillards, – charmant!»

M. Pickwick connaissait assez le système sténographique de l'étranger pour conclure de cette communication rapide et disloquée que, d'une manière ou d'une autre, il avait fait connaissance avec les Muggletoniens, et que, par un procédé qui lui était particulier, il était parvenu à en extraire une invitation générale. La curiosité de M. Pickwick ainsi satisfaite, il ajusta ses lunettes et se prépara à considérer le jeu qui venait de commencer.

Les deux joueurs les plus renommés du fameux club de Muggleton, M. Dumkins et M. Podder, tenant leurs crosses à la main, se portèrent solennellement vers leurs guichets respectifs. M. Luffey, le plus noble ornement de Dingley-Dell, fut choisi pour bouler contre le redoutable Dumkins, et M. Struggles fut élu pour rendre le même office à l'invincible Podder. Plusieurs joueurs furent placés pour guetter les balles en différents endroits de la plaine, et chacun d'eux se mit dans l'attitude convenable, en appuyant une main sur chaque genou et en se courbant, comme s'il avait voulu offrir un dos favorable à quelque apprenti saute-mouton. Tous les joueurs classiques se posent ainsi, et même on pense généralement qu'il serait impossible de bien voir venir une balle dans une autre attitude.

Les arbitres se placèrent derrière les guichets et les compteurs se préparèrent à noter les points. Il se fit alors un profond silence. M. Luffey se retira quelques pas en arrière du guichet de l'immuable Podder, et, durant quelques secondes, il appliqua sa balle à son œil droit. Dumkins, les yeux fixés sur chaque mouvement de Luffey, attendait l'arrivée de la balle avec une noble confiance.

«Attention, s'écria soudain le bouleur, et en même temps la balle s'échappe de sa main, rapide comme l'éclair, et se dirige vers le centre du guichet. Le prudent Dumkins était sur ses gardes; il reçut la balle sur le bout de sa crosse et la fit voler au loin par-dessus les éclaireurs, qui s'étaient baissés justement assez pour la laisser passer au-dessus de leur tête.

– Courez! courez! – Une autre balle! – Maintenant! – Allons! – Jetez-la! – Allons! – Arrêtez-la! – Une autre! – Non! – Oui! – Non! – Jetez-la! – Jetez-la.» Telles furent les acclamations qui suivirent ce coup, à la conclusion duquel Muggleton avait gagné deux points.

Cependant Podder n'était pas moins actif à se couvrir de lauriers, dont l'éclat rejaillissait également sur Muggleton. Il bloquait les balles douteuses, laissait passer les mauvaises, prenait les bonnes et les faisait voler dans tous les coins de la plaine. Les coureurs étaient sur les dents. Les bouleurs furent changés et d'autres boulèrent jusqu'à ce que leur bras en devinssent roides; mais Dumkins et Podder restèrent invaincus. Vainement la balle était lancée droit au centre du guichet, ils y arrivaient avant elle et la repoussaient au loin. Un gentleman d'un certain âge s'efforçait-il d'arrêter son mouvement, elle roulait entre ses jambes ou glissait entre ses doigts; un mince gentleman essayait-il de l'attraper, elle lui choquait le nez et rebondissait plaisamment avec une nouvelle force, pendant que les yeux du joueur maladroit se remplissaient de larmes et que son corps se tordait par la violence de ses angoisses. Enfin, quand on fit le compte de Dumkins et de Podder, Muggleton avait marqué cinquante-quatre points, tandis que la marque des Dingley-Dellois était aussi blanche que leurs visages. L'avantage était trop grand pour être reconquis. Vainement l'impétueux Luffey, vainement l'enthousiaste Struggles firent-ils tout ce que l'expérience et le savoir pouvaient leur suggérer pour regagner le terrain perdu par Dingley-Dell, tout fut inutile, et bientôt Dingley-Dell fut obligé de reconnaître Muggleton pour son vainqueur.

Cependant l'étranger à l'habit vert n'avait fait que boire, manger et parler à la fois et sans interruption. A chaque coup bien joué, il exprimait son approbation d'une manière pleine de condescendance et qui ne pouvait manquer d'être singulièrement flatteuse pour les joueurs qui la méritaient. Mais aussi, chaque fois qu'un joueur ne pouvait saisir la balle ou l'arrêter, il fulminait contre le maladroit. Ah! stupide! – Allons, maladroit! – Imbécile! – Cruche! etc. Exclamations au moyen desquelles il se posait aux yeux des assistants, comme un juge excellent, infaillible dans tous les mystères du noble jeu de la crosse.

«Fameuse partie! bien jouée! Certains coups admirables! dit l'étranger à la fin du jeu, au moment où les deux partis se pressaient dans la tente.

– Vous y jouez, monsieur? demanda M. Wardle qui avait été amusé par sa loquacité.

– Joué? parbleu! Mille fois. Pas ici; aux Indes occidentales. Jeu entraînant! chaude besogne, très-chaude!

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
01 ноября 2017
Объем:
590 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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