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Читать книгу: «Des homicides commis par les aliénés», страница 2

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Signé: A. MOTET, É. BLANCHE.

Dans ce fait significatif, deux crises plus manifestes et des accès de moindre intensité attirent l'attention. La fille C… est prise d'une impulsion au vol qui contraste avec sa conduite habituelle. Les détails de cette poussée impulsive ne nous sont pas assez connus pour que nous y insistions. La vie ultérieure de la malade se passe dans une sorte de vagabondage moral familier aux aliénés de cette catégorie, interdit aux persécutés passifs qui sont exempts d'attaques congestives et qui ne commettent pas d'actes dangereux. À en croire son récit, le découragement moral, l'impossibilité de trouver du secours, l'abandon du clergé auquel elle s'était adressée, expliquent et justifient la diversité de ses états psychologiques: si on rédige les observations des maladies mentales sous la dictée des malades raisonneurs, la formule est toujours la même; il est naturel que de telles causes provoquent de tels effets, et la folie devient la résultante logique des événements.

En réalité, il n'en est pas ainsi, et ce qui le prouve, c'est que les impulsions violentes naissent sans provocation, lentes ou instantanées, passant ou non de la pensée à l'acte, suivant que l'excitation cérébrale varie de degré.

Chez la fille C… aucun incident exceptionnel ne s'est produit. À ses périodes multiples d'excitations physico-morales, tantôt elle part en voyage à la recherche d'un parent, tantôt elle fuit au hasard pour se soustraire aux persécutions; plus calme, elle revient et se rassérène. Comment a-t-elle pu suffire, avec ses ressources plus que restreintes, à cette vie errante, nul ne le sait.

Un jour, pendant la messe, ayant hésité si longtemps, elle tire deux coups de pistolet sur le curé de sa paroisse. L'accès s'épuise rapidement, comme il arrive presque toujours en pareil cas.

La fille C… arrêtée sans résistance, plaide les circonstances plus qu'atténuantes qui ont motivé sa violence. Elle se fait, à l'usage des juges, le roman psychologique qu'elle s'est répété tant de fois. Un élément nouveau vient cependant s'y ajouter: ce n'est pas pour elle, c'est pour le droit qu'elle a combattu. À la fois héroïne et victime, elle témoigne par le mélange des aspirations vaniteuses avec la dépression mélancolique, qu'elle appartient au type des persécutés à crises impulsives.

Dans la prison, nouvelle attaque d'excitation cérébrale, sans résultat cette fois, mais qui se traduit par la terreur intermittente des religieuses qui la surveillent. On voit ainsi l'appétit du meurtre et du vol éclater comme par hasard, au cours d'un délire continu mais inoffensif dans ses phases de mélancolie.

DÉLIRE DE PERSÉCUTION. – HALLUCINATIONS. – ILLUSIONS DES SENS. – ACCÈS D'AGITATION MANIAQUE AIGUË. – GUÉRISON DE L'ACCÈS MANIAQUE. – PERSISTANCE DE CONCEPTIONS DÉLIRANTES ET DES HALLUCINATIONS. – MÉGALOMANIE. – MEURTRE. – IRRESPONSABILITÉ

B… Jean, âgé de 30 ans, né à Metz (Moselle), terrassier, est un homme d'une haute stature, et qui a toutes les apparences d'une grande force physique. La physionomie a une expression étrange et qui annonce des préoccupations incessantes; il parle avec lenteur, avec hésitation même, non comme s'il cherchait à dissimuler, mais comme s'il craignait de révéler des secrets qui ne lui appartiennent pas; il a même un accent de parfaite sincérité et des formules de politesse naïve qui font contraste avec son aspect grossier. Sa tête, mal conformée, est garnie d'une chevelure épaisse, inculte, mal plantée, qui contribue encore à donner à l'ensemble de sa personne un air sauvage.

B… d'une santé habituellement bonne, n'avait pas d'habitudes d'ivrognerie. Il était seulement sujet à des érysipèles de la face et du cuir chevelu, et c'est à la suite du dernier, dont il a été atteint dans le courant du mois de juin 1869, qu'il a présenté les symptômes, d'abord d'une affection cérébrale aiguë, puis d'une aliénation mentale avec accès de fureur. Conduit au dépôt de la Préfecture de police, il est déclaré atteint de mélancolie anxieuse, et envoyé d'abord à Sainte-Anne, puis dans un autre asile où il entre le 15 juin, et d'où il sort le 10 juillet suivant, avec la mention qu'il est actuellement guéri de l'aliénation mentale qui avait motivé sa séquestration, et qu'il y a lieu de le mettre en liberté. B… revient chez lui. Depuis ce moment jusqu'au 4 septembre, il ne semble pas que B… ait attiré l'attention par des allures et des actes excentriques. Nous nous l'expliquons d'ailleurs par les manières réservées et discrètes de l'inculpé qui paraît sans cesse absorbé dans ses réflexions, et qui ne parle que difficilement et peu.

Mais si l'enquête ne nous apprend rien de positif sur ce qui s'est passé dans ce laps de temps, B… nous le fait savoir par ce qu'il raconte de tout ce qu'il a souffert depuis son retour chez lui. Nous allons reproduire textuellement le récit de B… récit qui a été fait en plusieurs fois, sans que jamais aucune trace de simulation ait pu nous inspirer le moindre doute sur sa sincérité, récit dans lequel il n'a jamais varié, et qui montre à quel point B… a la raison troublée:

Voici ce que B… nous a dit: «Il s'est marié il y a 13 ans; il a toujours aimé sa femme; c'est elle qui n'était pas bonne pour lui; elle voulait se remarier; si elle avait pensé à la Providence divine, elle n'aurait pas fait ce qu'elle a fait; elle n'aurait pas débauché autant de peuple; il ne l'a jamais surprise, mais il l'a su tout de même par beaucoup de monde; il a trouvé des signalements contre elle qui lui faisaient des injustices.

«Elle ne le trouvait pas assez bel homme. Il ne veut pas parler; ce serait trop long; il faut connaître la manière de comprendre le secret; c'est un secret qu'il a dans l'estomac. Il faut qu'il parle lentement; c'est la Providence qui le protège.

«Il entend bien le secret, lui, mais il ne peut pas le dire; il pourrait bien le faire entendre d'ici au Palais-Royal à quelqu'un qu'il voudrait; mais il ne le dirait pas à son frère: il ne peut pas le dire; c'est pour la vie; ce doit être la Providence qui lui a donné cela. Il y a au moins deux mois qu'il a vécu de poison, du verre pilé que sa belle-soeur mettait dans son vin; ses cousins étaient complices; il a été averti par des personnages somnambules; il avait tout cela sur les épaules, ils l'ont assez travaillé; il croit qu'il en est débarrassé; il a découvert et ôté les secrets aux somnambules; il croit qu'ils n'embarrasseront plus beaucoup Paris en ce moment. Il est arrivé beaucoup de choses par lui dans ces derniers temps; nous devons le savoir, ça doit être connu; il doit y avoir de l'argent de rentré par son ordre, parce que la Providence le protège; l'argent appartient à la France; dans une cellule il ne peut pas savoir la somme; il peut éteindre les incendies dans toutes les villes d'Europe; il peut se promener partout sans quitter l'endroit où il est; il ne peut pas rester en cellule; la Providence lui annonce qu'il va être empereur; avant-hier il a arrêté la colère de Dieu qui voulait punir le peuple pour ses méchancetés; il serait bien content de connaître l'empereur de France. Sa femme vit; ce n'est pas elle qui a été tuée; ils disent que c'est la femme d'un des hommes qui sont dans la cellule; c'est une somnambule qui a tué la femme; elle a voulu le tuer aussi; il a reçu quatre coups de poignard.

(Il nous montre les cicatrices sur son ventre, et nous ne voyons qu'une très-ancienne et très-petite cicatrice, produite probablement par une piqûre de sangsue.)

«C'est une nommée Françoise qui a fait tuer la femme par un homme; il se souvient que la femme a été prise par le col, et ensuite on lui a coupé le col avec un rasoir; elle n'était pas encore étranglée; il était couché dans le même lit, il n'a pas pu l'empêcher; il ne peut pas couvrir tout contre les somnambules; il en a eu jusqu'à vingt après lui, mais ils n'étaient pas assez forts, c'étaient surtout des femmes. On lui mouillait son pantalon, on voulait l'enlever pour le conduire dans son pays. On l'a fait passer pour fou; on l'a fait mener à Sainte-Anne, de là dans un autre asile; sa femme est venue le chercher en pleurant. Sa femme l'a fait sortir pour le faire assassiner par les somnambules; elle a pleuré devant les pieds de ces messieurs qu'elle avait besoin de lui.

«Après son retour chez lui, les somnambules ont commencé à le tourmenter; sa femme et ses complices ont commencé à lui donner du verre pilé; elle mangeait au dehors avec ses compagnons, et lui, mangeait son pain sec; c'était dans le vin qu'était le poison.»

Tel a été le récit de B… Dans toutes les visites que nous lui avons faites, il a constamment répété les mêmes phrases en se servant des mêmes expressions. Il lui est arrivé parfois de nous éconduire, toujours avec les mêmes formes de politesse, assurant qu'il ne pouvait pas parler. Cependant il a fini par nous avouer que les somnambules continuaient à le tourmenter; que la nuit on l'empêchait de dormir, qu'on le soulevait dans son lit, que le matelas lui donnait des secousses; et, en effet, le surveillant nous apprend que B… a rejeté le matelas tout neuf sur lequel il couchait, se plaignant qu'il avait une mauvaise odeur et qu'il contenait du poison; il a également rendu les draps, il s'enveloppe dans une couverture et s'étend sur la paillasse. On nous informe aussi qu'un jour il a eu un accès d'emportement; il menaçait de tout briser si on ne voulait pas laisser venir sa femme qu'il entendait l'appeler; il murmure des mots inintelligibles et il semble écouter des voix qui lui parlent; quand il se décide à répondre, il tient les discours les plus incohérents et les plus insensés; il croit que tout est détruit dans Paris, que la colonne de Juillet est renversée; il nous dit tantôt que la Seine est gelée, tantôt que l'eau est changée en sang; il voit Dieu et cause avec lui; il a vu aussi la sainte Vierge et l'enfant Jésus dans sa maison; Dieu lui parle et lui fait connaître ses volontés; c'est lui, B… qui doit sauver le monde.

Il dit tantôt que c'est sa femme qui a été tuée, tantôt que c'est une inconnue; il accuse toujours les somnambules de le travailler; B… est tellement dominé par ses hallucinations, qu'il ne prend aucun soin de sa personne, qu'il satisfait ses besoins personnels dans son lit ou dans ses vêtements, et qu'il résiste quand on veut le nettoyer; il est constamment absorbé dans ses pensées; il passe ses journées entières à écouter les voix qui lui parlent.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, rien dans la tenue, ni dans l'accent de B… n'annonce la moindre idée de simulation; toute sa personne, au contraire, l'expression de sa physionomie, sa voix, tout est marqué au sceau de la plus parfaite sincérité. D'ailleurs, la forme même des conceptions délirantes que l'on trouve chez B… est caractéristique, et ne pourrait être imaginée et réalisée par un homme sain d'esprit qui voudrait en imposer et simuler la folie. Pour aller au-devant de l'objection de la simulation, nous avons soumis B… à une très-longue observation, et, dans les nombreuses visites que nous lui avons faites, nous n'avons jamais surpris le moindre indice qui pût nous faire douter de la réalité de l'aliénation mentale dont il présente les symptômes.

À l'appui de cette opinion, nous pouvons encore invoquer la tenue et la conduite de B… pendant et après le meurtre de sa femme. Un enfant déjà d'un certain âge, un témoin, par conséquent, est là dans la même chambre; il dort, il est vrai, mais il peut se réveiller, et, en effet, il se réveille, puisqu'il demande à B… ce qu'il scie pendant que celui-ci coupe le col de sa femme avec le rasoir; eh bien, B… ne choisit pas un moment où l'enfant serait absent, et la présence de cet enfant ne l'arrête pas. Le meurtre accompli, il recouvre le corps de sa femme avec le drap, et il reste paisiblement à côté du lit; le matin, il emmène l'enfant faire une promenade, après lui avoir dit que sa mère dormait; il rentre avec l'enfant, puis il l'envoie déjeuner au dehors, et lui, reste là, dans la chambre, et le soir, quand les voisins arrivent avec le commissaire de police, il ne paraît pas ému, il montre où est sa femme, et il se laisse emmener, sans avoir pendant toute la journée fait aucune tentative pour se soustraire aux conséquences de son action.

Ce n'est certes pas ainsi que se conduisent les criminels, et la manière d'être de B… dans la matinée et dans la journée du 5 septembre est certainement celle d'un homme qui n'a pas conscience de ses actes. De tout ce qui précède, nous concluons que:

1° B… (Jean) est atteint d'aliénation mentale, et le début de sa maladie remonte probablement à une époque déjà assez éloignée;

2° Au moment où il a commis le meurtre dont il est inculpé, B… était dominé par des conceptions délirantes et des hallucinations qui lui ôtaient la conscience de ses actes;

3° B… ne saurait être déclaré responsable du meurtre qui lui est imputé;

4° B… (Jean) est un aliéné des plus dangereux, et il y a nécessité de le séquestrer dans un asile spécial, où il devra être entouré de la surveillance la plus rigoureuse.

À Paris, le 18 octobre 1869.

Signé: G. BERGERON, É. BLANCHE.

J'ai reproduit entièrement ce rapport, parce que le cas de B… me paraît offrir plusieurs points intéressants. Les renseignements sur les antécédents héréditaires manquent, mais B… a une malformation congénitale de la tête. B… n'a pas d'habitudes d'ivrognerie; il est habituellement d'une très-bonne santé, sauf qu'il est sujet à des érysipèles de la face et du cuir chevelu. La crise d'agitation maniaque aiguë qui a nécessité son placement dans un asile est survenu vers la fin d'un érysipèle. Cette crise n'a été que de courte durée, et B… est redevenu promptement calme, d'un caractère concentré, taciturne, ne communiquant pas ses pensées, régulier dans sa tenue, bref, mais correct dans ses réponses, il a pu dissimuler le véritable état de son esprit, et sur les instances de sa femme, il a été remis en liberté.

À peine rentré chez lui, B… est retombé sous l'empire de conceptions délirantes et d'hallucinations qui ne lui ont presque plus laissé de répit; il a lutté pendant quelques semaines contre les suggestions de son délire; puis, une nouvelle crise de surexcitation cérébrale s'est produite, et B… a tué sa femme; le meurtre accompli, il est demeuré absolument tranquille, et s'est laissé arrêter sans résistance.

Ainsi qu'on l'observe ordinairement, B… a éprouvé comme un soulagement après avoir commis l'acte qu'il considérait comme le châtiment mérité de ses justes griefs; mais le délire a persisté, et dans la prison, il y a eu un nouvel accès de surexcitation maniaque.

B… déclaré irresponsable, a été placé de nouveau dans un asile; j'ai eu occasion de l'y voir plusieurs fois, et à une de mes visites je l'ai trouvé très-excité et très-irrité, et on a dû prendre à son égard des mesures exceptionnelles de surveillance; il était certainement sollicité par une nouvelle impulsion à des actes de violence.

DÉBILITÉ INTELLECTUELLE CONGÉNITALE. – DÉLIRE DE PERSÉCUTION. – ILLUSIONS DES SENS. – IDÉES DE SUICIDE. – ACCÈS D'EMPORTEMENT. – MEURTRE. – IRRESPONSABILITÉ

Nous, soussignés, É. Blanche et A. Motet, docteurs en médecine de la Faculté de Paris, commis le 20 novembre 1871, par ordonnance de M. Perrot de Chezelles, juge d'instruction près le tribunal de première instance du département de la Seine, à l'effet de constater l'état mental du nommé L… Antoine, âgé de 53 ans, inculpé d'assassinat commis le 7 octobre sur la personne du sieur M…; après avoir prêté serment, pris connaissance du dossier, visité le prévenu, et recueilli tous les renseignements de nature à nous éclairer, avons consigné dans le présent rapport les résultats de notre examen:

L… est un homme de 53 ans, bien constitué, qui n'a jamais présenté d'autres troubles dans sa santé que des accidents fébriles à forme intermittente, sans caractère pernicieux d'ailleurs. Son existence a été assez aventureuse. Jeune, il est allé en Californie avec M… alors son ami, plus tard son associé; il ne fit pas aux placers une brillante fortune, mais il en revint avec une vingtaine de mille francs. Après avoir passé quelque temps dans sa famille, il se maria, revint à Paris, et s'associa avec M… pour l'exploitation d'une maison de commerce: les affaires furent assez prospères pour qu'à la fin de son contrat, L… put aller vivre à E… de ses revenus, laissant M… continuer la gestion de la maison de commerce.

Nous insistons sur ces détails; ils ont une importance sérieuse pour nous; les mobiles du crime dont L… est inculpé, doivent être recherchés jusque dans les relations qui existaient à cette époque et qui se sont maintenues depuis entre les deux associés.

Tant qu'ils vécurent l'un près de l'autre, L… et M… n'eurent pas de difficultés. La maison marchait bien, et les discussions qui pouvaient naître au sujet des affaires, étaient vite apaisées. Cependant, dès cette époque, on reconnaissait à L… un caractère méfiant, soupçonneux; comme il n'avait pas de sujet sérieux de plaintes, qu'il pouvait facilement contrôler lui-même la gestion de la maison, la tenue des livres, comme d'un autre côté il trouvait dans ses occupations au dehors une diversion assez puissante, il n'y eut jamais de scènes de violences, ni même de récriminations très-vives. Il n'en fut plus ainsi quand L… quitta la maison de commerce, laissant M… seul à la tête des affaires. Sa situation avait été nettement établie, la liquidation s'était faite régulièrement; les termes de paiement des sommes et des intérêts dus à L… avaient été convenus, rien, en un mot, n'avait été négligé, et il eût dû trouver dans l'exactitude avec laquelle ces conventions furent exécutées en 1800 et 1870 une sécurité entière. Il n'en fut rien.

Il se produisit chez lui ce qui se voit trop fréquemment chez les hommes qui passent tout à coup d'une vie laborieuse et active à une vie oisive. Il prit ombrage de tout. Il se figura que son associé ne lui rendait pas de comptes fidèles, il vécut avec cette idée, sans cesse présente à son esprit, assez inquiet pour en parler souvent à sa femme, assez maître encore de lui, dans les premiers temps, pour ne pas venir lui-même à Paris, pour y envoyer sa femme à l'époque des échéances. Peu à peu les préoccupations, de vagues qu'elles étaient, prennent une forme plus précise: «Il a entendu dire que son associé M… prétendait que lui, L… était mort dans une maison de fous.»

Par qui a-t-il entendu tenir ce propos? «C'est un homme âgé qu'il ne connaît pas, qui doit demeurer dans un village voisin, qui est venu pour l'avertir; il a d'autres indices: M… lui a écrit une lettre à laquelle il ne comprend rien, on lui a dit d'apporter du papier timbré, qu'est-ce que cela veut dire? Ce sont des énigmes pour lui.» Jusque-là encore L… reste dans cet état d'indécision, d'incertitude, qui appartient aux périodes initiales des délires; mais il y apporte un caractère particulier qui nous semble important à signaler. Il oublie pendant de longs mois ses inquiétudes; il vit, calme en apparence, partage entre des occupations d'une extrême simplicité, il va à la pêche tous les jours, rentre paisiblement chez lui, n'a pas d'habitudes alcooliques, est, en un mot, pour tout le monde, un de ces hommes inoffensifs qui ne donnent aucun prétexte à la malignité publique de s'occuper d'eux. Et cependant, en y regardant d'un peu plus près, on trouve dans le dossier même des renseignements curieux: le brigadier du gendarmerie, le maire de la commune déclarent que L… est très faible d'esprit, que ses idées sont souvent décousues, qu'il n'a pas toujours la tête à lui, que du reste, il n'a jamais donné lieu à des plaintes, que, s'il a parfois le caractère emporté, il ne s'est livré sur personne à des violences. Le rapport ajoute qu'il parlait volontiers de ses affaires et de l'irrégularité avec laquelle M… tenait ses engagements vis-à-vis de lui.

Son départ pour Paris dans les premiers jours d'octobre ne fut pas annoncé. Sa femme était venue comme d'habitude, quelques jours auparavant, elle n'avait pas terminé le règlement des comptes.

L… mécontent, résolut de faire lui-même le voyage, et sans laisser soupçonner qu'il eût de mauvais desseins, il s'exprima, cependant, dès ce moment, sur le compte de M… avec une vive animosité.

Arrivé à Paris, il visite quelques personnes; partout il se montre excité contre M… on prévoit une discussion, on ne prévoyait pas cependant qu'un meurtre en serait la conséquence dernière. Le troisième jour de son arrivée, L… se présente le matin chez son associé; ne le trouvant pas, il va déjeuner; ce déjeuner n'est pour lui l'occasion d'aucun excès, et vers deux heures de l'après-midi, il se présente de nouveau chez M… qui l'attendait. Là, sans discussion, sans provocation d'aucune sorte, comme l'affirment les témoins. L… frappe M… d'un coup de couteau dans le ventre, en présence du caissier, de deux jeunes gens, employés de la maison, qui se trouvaient à quelques pas de lui dans le magasin.

Tel est l'acte sur le caractère duquel nous avons à nous prononcer.

A-t-il été commis avec conscience, avec une entière liberté morale?

Est-ce au contraire un acte qui ne saurait être considéré comme entraînant la responsabilité du prévenu?

C'est dans l'examen attentif de L… dans l'observation prolongée à laquelle nous l'avons soumis, dans les réponses qu'il a faites à nos questions, dans les pièces même du dossier, que nous trouvons les éléments d'une conviction absolue, et les conclusions qui nous sont demandées. L… est détenu depuis le 7 octobre; nous le trouvons à la prison de Mazas, et dès notre première visite, nous pouvons constater combien son intelligence est peu active, combien sa mémoire est affaiblie. Il a peine à se souvenir du nombre de jours écoulés depuis son arrivée à la prison, et nos tentatives pour l'amener à faire un calcul d'une extrême simplicité n'aboutissent qu'à cette réponse: «Voyez-vous, messieurs, les chiffres, ce n'est pas mon fort.» Nous l'avons visité un grand nombre de fois, et voici le résumé de nos longues entrevues avec lui. Il nous est impossible de laisser aux discours de L… leur physionomie réelle; avec quelque soin que nous ayons cherché à les reproduire, ils sont tellement diffus, incohérents même, que rien n'est plus difficile que de les fixer, et, involontairement nous leur donnons une suite qu'ils n'ont pas, et qui ne peut manquer de les faire considérer comme moins déraisonnables qu'ils ne le sont en réalité.

Cependant, il y a, dans le courant de ces récits, qui nous transportent tout à coup de Paris jusqu'en Californie, des expressions caractéristiques, des phrases qui traduisent un état mental tout spécial, et qui ont été pour nous une nouvelle source de convictions.

D. Depuis combien de temps êtes-vous ici?

R. Je suis à la préfecture depuis le 7 octobre.

D. Combien cela fait-il de temps?

R. Je ne sais pas, un mois et quelques jours.

D. De quel mois?

R. (Avec hésitation), de décembre, non, de novembre.

D. Pourquoi avez-vous été arrêté?

R. J'ai eu des disputes avec mon associé, il m'a tendu des guet-apens, c'est à propos de nos affaires, quand je me suis retiré, il me devait de l'argent; je n'ai pas d'instruction, je ne savais pas bien faire les comptes, notre dernier inventaire n'avait pas été fait comme il faut. Ma femme a fait venir une demoiselle qui connaît très-bien la tenue des livres, elle m'a dit, mais est-ce que les créances mauvaises ou douteuses ne sont pas comptées? Je lui ai dit que si, mais je me doutais de quelque chose, parce que j'avais trouvé dans le coffre à bois du magasin une feuille de papier où il y avait une signature. On m'avait fait signer un soir, je n'avais pas fait attention, mais ce n'est pas comme cela qu'on fait un inventaire.

Moi, je suis très-bon commerçant; je faisais la place avec le cheval et la voiture. J'avais toujours mes factures prêtes, dans cette poche là, par ici l'argent, et puis dans les poches de mon pantalon; je les faisais faire en cuir, c'est plus solide. J'allais chez un client M. B… facteur d'orgues, je lui disais: Monsieur, c'est moi j'ai de bonnes marchandises à vous offrir; et nous nous entendions sur le prix; j'achetais des peaux, du côté de la rue Montorgueil. J'arrive un jour chez M. L… il me dit: «Est-ce que vous êtes bien avec votre associé? Mais oui, lui répondis-je, c'est un très-bon garçon.

– Ah bien! tant mieux pour vous.»

M… ne lui revenait pas; il ne connaissait pas bien la peau, il a vendu une fois pour quatre francs du maroquin qui valait dix francs.

Moi, c'était mon affaire, – par exemple je ne suis pas fort sur les chiffres, mais on ne m'attrape pas facilement, un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche, l'oeil américain, je vois tout, et malheur à qui me tromperait, je lui ferais sortir les boyaux du ventre pour les jeter aux vautours du la Californie.

(À ces paroles, L… qui jusque-là s'était tenu tranquillement assis près de nous, se lève, la physionomie altérée, menaçante, le bras étendu, comme s'il eût devant lui un ennemi.) Nous le laissons se calmer, et nous essayons encore de le ramener aux jours qui ont précédé le meurtre.

Il nous répond en ces termes:

«Je n'étais pas mal avec M… c'était un vieux camarade, nous étions ensemble en Californie, c'est là que nous avons été malheureux; pas de pain à se mettre sous la dent, le blé valait 500 francs le sac, et avec cela, il fallait toujours se défier. Les Indiens étaient là qui nous guettaient, j'ai reçu une flèche ici dans la joue, mais je crois bien que j'ai démoli celui qui me l'a envoyée.»

D. Avez-vous cherché à vous en assurer?

R. Vous savez, on ne s'aventure pas; quand on en tue, on les laisse là, les bêtes les dévorent, mais quand vous tombez, vous les blancs, vous êtes sûrs d'être mangés. Une fois nous étions partis une douzaine, ils voulaient aller trop avant, moi je n'ai pas voulu, je suis revenu au placer.

D. Laissons un moment la Californie. Quand vous êtes revenu à Paris, le 5 octobre, êtes-vous allé chez M… dès votre arrivée?

B. Non, j'avais des écrevisses dans mon panier, je suis allé les porter chez Mme T… mais il m'est arrivé en y allant une drôle d'affaire; je rencontre en face du jardin du Temple un jeune homme que je ne connaissais pas, et qui me dit: Bonjour, M. L… vous voilà? – Oui monsieur. Vous allez bien, M. L…? Pas mal, merci. Vous allez chez M…; – et puis il se met à ricaner, et il me dit: «Eh bien, méfiez-vous, ils vont vous faire votre affaire.» «C'est drôle, que je me dis, est-ce qu'il y a un guet-apens, ouvrons l'oeil.»

À partir de ce moment, tout lui est suspect.

Dans le café où on ne l'a pas vu depuis longtemps, l'accueil d'anciennes connaissances excite sa méfiance, il est en garde contre tout le monde, et sans faire part à personne de ses soupçons, il observe; il trouve extraordinaires les choses les plus simples; cependant il n'est pas menaçant encore pour M…; il parle de lui avec une évidente animosité, mais si l'on craint une discussion un peu vive, rien ne fait prévoir la scène violente, le meurtre du 7 octobre.

Ce jour-là L… arrive vers onze heures au magasin, M… est absent; Mme M… reçoit l'ancien associé de son mari, et lui donne rendez-vous pour deux heures.

L… va déjeuner au café T… le repas est sobre; vers une heure et demie M… de retour à son magasin, envoie prévenir L…; ici se place un détail qui dans l'appréciation des faits nous paraît avoir la plus sérieuse importance.

L'employé de M… par un mouvement tout naturel d'ailleurs, regarda peut-être à travers les vitres du café avant d'entrer; ce qu'il y a de certain, c'est que L… vit dans cet acte si simple, un espionnage, «ils me guettaient, nous dit-il, car je n'avais pas bu la dernière goutte de mon café que Mme T… me dit: «M. L… on vous demande au magasin,» – et en disant cela, elle avait un air triste comme je ne lui avais jamais vu. Elle n'est pas gaie de caractère, mais jamais je ne lui avais vu une figure comme cela. Ce n'était pas naturel.

Je me lève, je prends mon chapeau, et je vais chez M… J'arrive. Il était dans le magasin, – je lui dis bonjour, il me dit, que me veux-tu? – Autrefois, s'il m'avait dit cela, comme cela, j'aurais pris mon chapeau, et je lui aurais répondu, prends le cheval et la voiture, fais la place si tu veux, moi, je m'en vais, parce que cela ne me va pas qu'on me parle comme cela.

Je lui réponds, je viens régler nos comptes, et nous passons dans le bureau. J'étais du côté de la porte du couloir; aussitôt je reçois un coup de poing là, sur le derrière de la tête, et je me sens empoigné par les deux commis, je me débats, et j'envoie à M… qui était devant moi, un coup de couteau; je ne sais pas où je l'ai attrapé.»

D. Vous aviez donc votre couteau ouvert sur vous?

R. Oui, je le portais toujours dans la poche de ma redingote.

D. Pourquoi était-il enveloppé avec du papier?

R. C'était pour ne pas me couper, et pour ne pas couper ma poche.

D. Mais on ne porte pas un couteau ouvert dans sa poche.

R. C'était pour me défendre si on m'attaquait. Je ne sortais pas sans cela, on ne peut pas savoir; il y a des communeux qui rôdent le soir, et qui vous attaqueraient très-bien.

D. Mais enfin, M… ne vous avait rien fait?

R. C'était un coup monté: je l'ai bien vu quand on est venu me chercher au café. Je ne me suis défendu qu'après le coup du guet-apens de la porte du couloir de la cuisine.

D. Avez-vous vu quoiqu'un?

R. Non. Quand je me suis retourné, je n'ai vu personne, c'est un peu sombre, mais j'ai bien senti le coup de poing sur le derrière de la tête: ça m'a fait baisser. C'est terrible d'être comme cela!

À partir de ce moment, L… entre dans une phase d'excitation violente, il se frappe la tête en disant: «Il y a des moments où je n'ai plus ma tête à moi.» Il pleure; il n'exprime pas de regrets, cependant, au sujet du meurtre qu'il a commis; au contraire, au souvenir des injures qu'il est convaincu qu'on lui a faites, de sa haine contre M… il en arrive à un état d'extrême agitation, que nous avons beaucoup de peine à calmer, et qui nous inspire de telles craintes que L… ne se livre soit contre lui-même à quelque acte de désespoir, soit contre ses codétenus à des violences, qu'un mot, une plaisanterie auraient pu provoquer, que nous nous rendons auprès du directeur de la prison pour le prévenir de l'état dans lequel nous laissons L… et pour lui recommander de redoubler de surveillance.

Dans toutes nos visites, nous avons toujours insisté près de L… pour savoir quels étaient au juste ses griefs contre M…; nous croyons devoir reproduire encore quelques-unes de ses réponses sur ce sujet.

D. Pendant que vous étiez l'associé de M… avez-vous eu avec lui des discussions un peu vives?

R. Je n'ai pas eu un mot avec lui pendant onze ans, nous étions très-bien ensemble.

D. Vous n'avez jamais pensé qu'il voulût vous faire du mal?

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
190 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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