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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 3

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Ainsi, si la réforme du régime hypothécaire parvenait à attirer une plus grande portion du capital national vers l'agriculture, ce ne pourrait être qu'en le détournant de l'industrie proprement dite, des prêts à l'État, des chemins de fer, des canaux, de la colonisation d'Alger, des hauts-fourneaux, des mines de houille, des grandes filatures, en un mot des diverses issues ouvertes à son activité.

Avant donc d'imaginer des moyens artificiels pour lui faire faire cette évolution, ne serait-il pas bien naturel de rechercher si une cause, également artificielle, n'a pas déterminé en lui l'évolution contraire?

Eh bien! oui, il y a une cause qui explique comment certaines entreprises ont aspiré le capital agricole.

Cette cause, je l'ai déjà dit, c'est l'imitation mal entendue du régime économique de l'Angleterre, c'est l'ambition, favorisée par la loi, de devenir, avant le temps, un peuple éminemment manufacturier, en un mot, c'est le système protecteur.

Si le travail, les capitaux, les facultés eussent été abandonnés à leur pente naturelle, ils n'auraient pas déserté prématurément l'agriculture, alors même que chaque Français eût été saisi de l'anglomanie la plus outrée. Il n'y a pas d'anglomanie qui détermine, d'une manière permanente, un homme à ne gagner qu'un franc au lieu de deux, un capital à se placer à 10 pour 100 de perte, au lieu de 10 pour 100 de profit. Sous le régime de la liberté, le résultat est là qui avertit à chaque instant si l'on fait ou non fausse route13.

Mais quand l'État s'en mêle, c'est tout différent; car quoiqu'il ne puisse pas changer le résultat général et faire que la perte soit bénéfice, il peut fort bien altérer les résultats partiels et faire que les pertes de l'un retombent sur l'autre. Il peut, par des taxes plus ou moins déguisées, rendre une industrie lucrative aux dépens de la communauté, attirer vers elle l'activité des citoyens, par un déplorable déplacement du capital, et, les forçant à l'imitation, réduire l'anglomanie en système.

L'État donc, voulant implanter en France, selon l'expression consacrée, certaines industries manufacturières, a été conduit à prendre les mesures suivantes:

1o Prohiber ou charger de forts droits les produits fabriqués au dehors;

2o Donner de fortes subventions ou primes aux produits fabriqués au dedans;

3o Avoir des colonies et les forcer à consommer nos produits, quelque coûteux qu'ils soient, sauf à forcer le pays à consommer, bon gré mal gré, les produits coloniaux.

Ces moyens sont différents, mais ils ont ceci de commun qu'ils soutiennent des industries qui donnent de la perte, perte qu'une cotisation nationale transforme en bénéfice. – Ce qui perpétue ce régime, ce qui le rend populaire, c'est que le bénéfice crève les yeux, tandis que la cotisation qui le constitue passe inaperçue14.

Les publicistes, qui savent que l'intérêt du consommateur est l'intérêt général, proscrivent de tels expédients. Mais ce n'est pas sous ce point de vue que je les considère dans cet article; je me borne à rechercher leur influence sur la direction du capital et du travail.

L'erreur des personnes (et elles sont nombreuses) qui soutiennent de bonne foi le régime protecteur, c'est de raisonner toujours comme si cette portion d'industrie que ce système fait surgir était alimentée par des capitaux tombés du ciel. Sans cette supposition toute gratuite, il leur serait impossible d'attribuer à des mesures restrictives aucune influence sur l'accroissement du travail national.

Quelque onéreuse que soit sous un régime libre la production d'un objet, dès qu'on le prohibe, elle peut devenir une bonne affaire. Les capitaux sont sollicités vers ce genre d'entreprise par la hausse artificielle du prix. Mais n'est-il pas évident qu'au moment où le décret est rendu il y avait dans le pays un capital déterminé? Une partie de ce capital était employée à produire la chose qui s'échangeait contre l'objet exotique. Qu'arrive-t-il? Ce produit national est moins demandé, son prix baisse, et le capital tend à déserter cet emploi. Au contraire, le produit similaire à l'objet exotique renchérit, et le capital se trouve poussé vers cette nouvelle voie. Il y a évolution, mais non création de capital; évolution, et non création de travail. L'un entraîne l'autre du champ à l'atelier, du labour à l'usine, de France en Algérie. Entre les partisans de la liberté et ceux de la protection, la question se réduit donc à ceci: la direction artificielle, imprimée au capital et au travail, vaut-elle mieux que leur direction naturelle?

Un agriculteur de mes amis, sur la foi d'un prospectus qui promettait monts et merveilles, prit cinq actions dans une filature de lin à la mécanique. Certes, on ne prétendra pas que ces 5,000 francs, il les avait tirés du néant. Il les devait à ses sueurs et à ses épargnes. Il aurait pu certainement les employer sur sa ferme, et, de quelque manière qu'il l'eût fait, ils auraient, en définitive, payé de la main-d'œuvre; car je défie qu'on me prouve qu'une dépense quelconque soit autre chose que le salaire d'un travail actuel ou antérieur.

Ce qui est arrivé à mon ami est arrivé à tous ceux qui se sont lancés dans les industries privilégiées; et il me semble impossible qu'on se refuse à reconnaître qu'il ne s'agit pas, en tout ceci, de création, mais de direction de capital et de travail.

Or, en supposant (ce qui n'est pas) que la filature eût tenu ses promesses, ces 5,000 francs ont-ils été plus productifs qu'ils ne l'eussent été sur la ferme?

Oui, si l'on ne voit que le capitaliste; non, si l'on considère l'ensemble des intérêts nationaux.

Car, si mon ami a tiré 10 pour 100 de ses avances, c'est que la force est intervenue pour contraindre le consommateur à lui payer un tribut. Ce tribut entre peut-être pour les deux tiers ou les trois quarts dans ces 10 pour 100. Sans l'intervention de la force, ces 5,000 francs auraient donné et au delà de quoi payer à l'étranger le filage exécuté en France. Et la preuve, c'est le fait même qu'il a fallu la force pour en déterminer la déviation.

Il me semble qu'on doit commencer à entrevoir comment le régime protecteur a porté un coup funeste à notre agriculture.

Il lui a nui de trois manières:

1o En forçant les agriculteurs à surpayer les objets de consommation, fer, instruments aratoires, vêtements, etc., et en empêchant ainsi la formation de capitaux au sein même de l'industrie agricole;

2o En lui retirant ses avances pour les engager dans les industries protégées;

3o En décourageant la production agricole dans la mesure de ce qu'elle eût dû produire pour acquitter les services industriels que, sous le régime de la liberté, la France eût demandés au dehors.

La première proposition est évidente de soi; je crois avoir insisté assez sur la seconde; la troisième me paraît présenter le même degré de certitude.

Lorsqu'un homme, un département, une province, une nation, un continent, un hémisphère même, s'abstiennent de produire une chose parce que les frais de création dépassent ceux d'acquisition, il ne s'ensuit nullement, comme on le répète sans cesse, que le travail de cet homme ou de cette circonscription territoriale diminue de tout ce qu'eût exigé cette création; il s'ensuit seulement qu'une part de ce travail est consacrée à produire les moyens d'acquisition, et une autre, restée disponible, à satisfaire d'autres besoins. Cette dernière est le profit net de l'échange15.

Un tailleur donne tout son temps à la confection des vêtements. Il serait bien mauvais praticien, s'il en détachait trois heures pour faire des souliers, et plus mauvais théoricien, s'il s'imaginait avoir par là allongé sa journée.

Il en est de même d'un peuple. Quand le Portugal veut à toute force faire des mouchoirs et des bonnets de coton, il se trompe assurément, s'il ne s'aperçoit pas qu'il appauvrit la culture de la vigne et de l'oranger, qu'il se prive des moyens d'améliorer le lit et de défricher les rives du Tage. D'un autre côté, si l'Angleterre, par des mesures coercitives, force les capitaux à élever la vigne et l'oranger en serre chaude, elle amoindrit d'autant des ressources qui seraient mieux employées dans ses fabriques. Encore une fois, il y a là évolution, et non accroissement des moyens de production.

Ainsi, en même temps que le régime prohibitif a enlevé à l'agriculture la faculté de s'améliorer, il lui en a ôté l'occasion; car à quoi bon produire les objets, céréales, vins, fruits, soies, lins, etc., pour acquitter des services étrangers qu'il n'est pas permis d'acheter?

Si le régime protecteur ne nous eût pas entraînés à imiter les Anglais, il est possible que nous ne les égalerions pas dans ces industries qui ont pour agents le fer et le feu; mais il est certain que nous aurions développé, bien plus que nous ne l'avons fait, celles qui ont pour agents la terre et l'eau. En ce moment nos montagnes seraient reboisées, nos fleuves contenus, notre sol sillonné de canaux et soumis à l'irrigation, la jachère aurait disparu, des récoltes variées se succéderaient sans interruption sur toute la surface du pays; les campagnes seraient animées, les villages offriraient à l'œil le doux aspect du contentement, de l'aisance et du progrès. Le travail et l'intelligence auraient suivi le capital dans la voie des améliorations agricoles; des hommes de mérite auraient tourné vers les champs l'activité, les lumières et l'énergie que d'injustes faveurs ont attirées vers les manufactures. Il y aurait peut-être quelques ouvriers de moins au fond des galeries d'Anzin, ou dans les vastes usines de l'Alsace, ou dans les caves de Lille. Mais il y aurait de vigoureux paysans de plus dans nos plaines et sur nos coteaux, et, sous quelque rapport que ce soit, pour la force défensive, pour l'indépendance, pour la sécurité, pour le bien-être, pour la dignité, pour la sécurité de notre population, je ne pense pas que nous eussions rien à envier à nos voisins.

On objectera peut-être que, dans ce cas, la nation française eût été purement agricole: je ne le crois pas; pas plus que la nation anglaise n'eût été exclusivement manufacturière. Chez l'une, le grand développement de la fabrication eût encouragé l'agriculture. Chez l'autre, la prospérité de l'agriculture eût favorisé la fabrication; car malgré la liberté la plus complète dans les relations des peuples, il y a toujours des matières premières qu'il est avantageux de mettre en œuvre sur place. On peut même concevoir (et pour moi du moins c'est un phénomène qui n'a rien d'étrange) que, produisant beaucoup plus de matières premières, la France en envoyât une grande partie se manufacturer en Angleterre, et en eût encore assez à fabriquer chez elle pour que son industrie manufacturière dépassât l'activité que nous lui voyons aujourd'hui; à peu près comme Orléans a probablement plus d'industrie, malgré tout ce qui lui arrive de Paris, que si Paris n'existait pas.

Mais ces manufactures, nées à l'air de la liberté, auraient le pied sur un terrain solide, inébranlable, et elles ne seraient pas à la merci d'un article d'un des cent tarifs de l'Europe.

8. – INANITÉ DE LA PROTECTION DE L'AGRICULTURE

31 Janvier 1847.

Si les agriculteurs, que le passé a si peu instruits, ne commencent pas à ouvrir les yeux sur l'avenir, il faut qu'ils soient étrangement séduits par ce que semble renfermer de promesses ce mot même, protection. —Être protégé!– Et pourquoi pas, quand on le peut? Pourquoi refuserions-nous des faveurs, des mesures qui améliorent nos prix de vente, écartent des rivaux redoutables, et, si elles ne nous enrichissent guère, retardent au moins notre ruine? – Voilà ce qu'ils disent; mais ne nous laissons pas tromper par un mot, et allons au fond des choses.

La protection est une mesure par laquelle on interdit au producteur national les marchés étrangers, au moins dans une certaine mesure, lui réservant en compensation le marché national.

Qu'on lui ferme, dans une certaine mesure, les marchés extérieurs, cela est évident de soi. Pour s'en convaincre, il suffît de se demander ce qui arriverait si la protection était poussée jusqu'à sa dernière limite. Supposons que tous les produits étrangers fussent prohibés. En ce cas, nous n'aurions aucun payement à exécuter au dehors, et, par conséquent, nous n'exporterions rien. Sans doute, l'étranger pourrait encore, pendant quelque temps, venir nous acheter quelques objets contre des écus. Mais bientôt l'argent abonderait chez nous, il y serait déprécié; en d'autres termes, nos produits seraient chers et nous ne pourrions plus en vendre. La défense de rien importer équivaudrait à celle de rien exporter.

Dans aucun pays, le système protecteur n'a été poussé jusque-là. Par cela seul qu'il est irrationnel, on ne l'adopte jamais complétement. On y fait de nombreuses exceptions, et il est tout naturel, comme on va le voir, que l'on place dans l'exception, avant tout et principalement, le produit agricole.

Le système protecteur repose sur cette méprise: il considère dans chaque produit, non point son utilité pour la consommation, mais son utilité pour le producteur. Il dit: le fer est utile en ce qu'il procure du travail aux maîtres de forges, le blé est utile en ce qu'il procure du travail au laboureur, etc. C'est là une absurde pétition de principe. Mais cette absurdité, fort difficile à démêler à l'égard de beaucoup de produits, saute aux yeux, quant aux produits agricoles, quand le besoin s'en fait sentir. Dès que la disette arrive, les esprits les plus prévenus comprennent parfaitement que le blé est fait pour l'estomac, et non l'estomac pour le blé. – Et voilà pourquoi, aux premiers symptômes de famine, la théorie protectrice s'évanouit, et la porte s'ouvre aux blés étrangers.

Ainsi, la protection à la plus importante des productions agricoles, celle des céréales, est complétement illusoire; car elle ne manque jamais d'être retirée, précisément aux époques où elle aurait quelque efficacité. – Quand la récolte est bonne, il n'y a pas à craindre l'invasion des blés étrangers, et notre loi stipule la protection, mais ne l'opère pas. Quand la récolte manque, c'est alors que l'introduction du blé étranger est provoquée par la différence des prix; c'est alors aussi que le principe de la protection, qui consiste à voir l'utilité des choses au point de vue du producteur national, c'est alors; disons-nous, que ce principe devrait dominer notre législation. – Et c'est précisément alors qu'il la déserte. Pourquoi? Parce que ce principe est faux, et que le cri de la faim fait bientôt prévaloir la vérité du principe contraire, l'intérêt du consommateur.

Aussi, le blé est la seule chose qui soit soumise au jeu de l'échelle mobile, parce que c'est la seule chose où la vérité des principes ait surmonté les préjugés protectionnistes. La cherté du fer et du drap est certainement de la même nature que la cherté du blé. Elle produit des inconvénients, sinon égaux, au moins du même ordre, et qui ne diffèrent que par le degré. Mais la loi maintient la cherté du fer et du drap envers et contre tous, parce que la population laisse faire, parce qu'elle peut se passer de fer et de drap sans mourir. En fait de blé, elle ne laisse pas faire. Aussi le blé n'est protégé que dans les années d'abondance, c'est-à-dire qu'il n'est pas protégé du tout.

Car si le tarif, en fait de blé, eût été conséquent à son principe et fidèle à l'intérêt producteur, voici comment il eût raisonné (puisqu'il raisonne ainsi en toute autre matière):

«Je dois assurer à l'agriculteur le prix de revient de son blé. L'année dernière, l'agriculteur a labouré, hersé, ensemencé et sarclé son champ, qui lui a donné 10 hectolitres de blé. Ses avances et sa juste rémunération s'élèvent à 180 fr. – Il a vendu son blé à 18 fr. Il doit être satisfait. – Cette année il a fait les mêmes avances en labours, hersages, semailles, etc.; – Mais la moisson a trompé son attente, et il n'a que 5 hectolitres de blé. Il faut donc qu'il le vende à 36 fr., sans quoi il perd, et j'ai été décrété précisément pour le garantir de cette perte, pour lui assurer son prix de revient.»

Or, c'est justement cette année-là que le tarif déserte son principe et dit: L'intérêt des estomacs est l'intérêt dominant. – Il embrasse ainsi involontairement le principe de la liberté, le seul principe vrai et raisonnable, et il ouvre les portes.

Le tarif trompe donc l'agriculteur. Il lui assure le prix de revient quand ce prix est assuré par la nature des choses, et ne s'en mêle plus quand son intervention serait efficace.

Mais ce n'est pas tout. – Une législation basée sur un principe faux s'arrête toujours avant les dernières conséquences, parce que les dernières conséquences d'un faux principe sont elles-mêmes d'une absurdité qui saute aux yeux. Aussi voyons-nous qu'il est de nombreux produits auxquels on n'accorde la protection qu'en tremblant; ce sont ceux dont l'utilité, pour le consommateur, est tellement palpable, qu'à leur égard le vrai principe se fait jour malgré qu'on en ait. Pour tâcher de réconcilier ici les principes, on a fait de ces produits une classe qu'on appelle matières premières; et puis on a dit que la protection sur ces produits avait de grands dangers16. Or, qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire: L'utilité de ces choses, relativement au consommateur, est telle qu'ici du moins nous sommes forcés, sinon de rendre hommage explicitement à la vérité des principes, du moins d'agir comme si nous les reconnaissions, sauf à mettre nos doctrines, à l'abri, en entassant subtilités sur subtilités.

Mais si les agriculteurs voulaient y voir un peu plus loin que le bout de leur nez, ils sauraient à quoi cela mène. Car une chose est bien claire: c'est que le régime restrictif, après leur avoir donné, quant aux céréales, une protection inefficace et illusoire, abandonnera aussi en première ligne, grâce à la fameuse théorie des matières premières, la laine, le lin, le chanvre et tous les produits agricoles.

Et quand les agriculteurs auront livré leurs produits aux manufacturiers au prix fixé par l'universelle concurrence, ils rachèteront ces mêmes produits façonnés en toile et en drap, aux prix du monopole. En d'autres termes, il y aura deux classes de travail en France: le travail agricole non privilégié, et le travail manufacturier privilégié. – L'effet de ce régime sera de faire sortir de plus en plus les hommes et les capitaux de l'agriculture pour les pousser vers les fabriques, jusqu'à ce que ces deux grands effets définitifs se produisent:

1o La concurrence intérieure, parmi les fabricants, leur arrachera les profits que la protection avait prétendu leur conférer;

2o Un grand déplacement se sera opéré, une grande déperdition de forces se sera accomplie; pendant que les débouchés extérieurs seront fermés à nos fabriques, la ruine, au dedans, du public consommateur, dont la classe agricole forme les deux tiers, leur fermera aussi les débouchés intérieurs; et l'industrie manufacturière portera le double châtiment de ses prétentions injustes et de ses funestes erreurs.

On a beau dire et beau faire. Il n'y a qu'une bonne politique: c'est celle de la Justice.

Certainement, nous ne chercherons pas à nous concilier la classe agricole par de trompeuses promesses. Nous lui disons tout net qu'elle ne doit pas être, qu'elle ne peut pas être et qu'elle n'est pas protégée; que la protection dont elle croit jouir, quant aux céréales, est illusoire; que celle qu'elle retient encore sur les matières premières va lui échapper. Mais nous ajoutons: si l'on ne peut pas donner aux agriculteurs des suppléments de prix, au moyen de taxes (qu'ils payent eux-mêmes pour les deux tiers), il ne faut pas du moins les forcer, au moyen d'autres taxes, de donner des suppléments de prix aux maîtres de forges, aux manufacturiers, aux armateurs, aux actionnaires de mines. Liberté, justice, égalité pour tout le monde.

9. – L'ÉCHELLE MOBILE

24 Janvier 1847.

Le gouvernement a demandé que le jeu de l'échelle mobile fût suspendu pendant les huit mois qui sont devant nous. Hélas! que n'a-t-il la puissance de donner à cette mesure un effet rétroactif et de faire que l'échelle mobile ait été suspendue pendant les huit mois qui viennent de s'écouler! Nous n'en serions pas où nous en sommes; la crise des subsistances et la crise financière auraient probablement passé inaperçues.

Notre loi céréale séduit beaucoup d'esprits par son air de bonhomie et d'impartialité.

Quoi de plus simple! Y a-t-il abondance? La porte d'entrée se ferme d'elle-même et l'agriculteur n'est pas ruiné. – Y a-t-il disette? La porte s'ouvre naturellement, et le consommateur n'est pas affamé. Ainsi un niveau salutaire est toujours maintenu par une loi si prévoyante, et personne n'a à se plaindre.

Mais, dans l'application, ce nivellement si désiré rencontre des difficultés qu'on n'avait pas prévues et qu'on n'a pas assez étudiées. D'abord, comment se reconnaît l'abondance ou la disette? par le prix. Et comment signifier à la douane, à chaque instant donné, le prix réel, afin qu'elle sache si elle doit renforcer ou relâcher ses exigences? Évidemment cela n'est pas possible. Ce n'est donc jamais le prix réel qui sert de règle, mais un prix ancien, fictif, résultat de moyennes fort difficiles à constater, en sorte que l'action de la loi n'a de relations qu'avec un état de choses passé, que l'on suppose fort gratuitement durer encore quand elle opère.

Nous ne parlerons pas ici des zones qu'il a fallu créer, des marchés qu'il a fallu prendre pour types, des prix régulateurs, des prix moyens, des relations entre le prix du froment et celui des autres grains, toutes choses qui ne constituent qu'une série de fictions, modifiées par d'autres fictions, le tout érigé chaque mois en corps de système.

Et voilà sur quelles bases on veut que le commerce établisse ses opérations! Le commerce a bien assez des chances que lui présentent les variations naturelles des prix, sans s'exposer à toutes celles qui résultent de ces combinaisons factices. Quand on fait venir du blé, on consent à s'exposer à perdre sur la vente, mais non à ce que la vente elle-même soit défendue au moment de l'arrivage. Ainsi, dans l'état actuel des choses, il n'y a aucune régularité dans les opérations commerciales relatives au blé, et, par conséquent, aucune fixité dans le taux de la subsistance.

La question est de savoir si, avec une entière liberté d'importation et d'exportation, on n'approcherait pas plus sûrement de ce nivellement si recherché, de cette régularité des prix si précieuse.

Supposons que la liberté commerciale fût le droit des nations, et cherchons à nous rendre compte de ce qui serait arrivé cette année.

Certes, nous ne dirons pas qu'il n'y eût pas eu une crise des subsistances. Sous quelque régime que ce soit, la perte d'une récolte ne saurait être une chose indifférente. Il aurait fallu, pour vivre, avoir recours aux blés étrangers et, par conséquent, les payer. Il y aurait donc eu probablement un dérangement dans l'alimentation du peuple, et un dérangement corrélatif dans la circulation monétaire.

Mais combien l'une et l'autre de ces crises n'eussent-elles pas été adoucies et affaiblies!

Dès les premiers symptômes du déficit de la récolte, la spéculation eût commencé son œuvre. Elle aurait préparé ses moyens dans tous nos ports de l'Océan et de la Méditerranée. On n'aurait pas vu des grains devant être consommés à Bayonne aller se dénationaliser à Gênes et acquitter les droits à Cherbourg. On aurait fait des achats considérables dans la mer Noire, dans la Baltique, aux États-Unis, en temps opportun. Ces approvisionnements se seraient présentés, par arrivages successifs, dans chacun de nos ports et en proportion du besoin qui s'y serait manifesté. Les moyens de transport pour l'intérieur se seraient organisés avec ensemble. On n'aurait pas vu des masses énormes arriver le même jour, sans savoir comment se faire interner, mais soumises à une hâte fiévreuse par la crainte de quelque dérangement dans le jeu de notre échelle mobile. La hausse eût été moins brusque, moins sensible, moins effrayante, moins propre à frapper et à exalter les imaginations.

Il est permis de croire que l'ensemble des achats à l'étranger se fût fait à des prix moins élevés. Nous ne savons pas ce qui se passe dans les ports de la mer Noire; mais nous serions bien trompés si des ordres considérables, plus ou moins imprévus, se manifestant subitement, n'y ont pas produit de la confusion et une hausse anormale des prix. Probablement ce qui est arrivé ici, pour le transport du point de débarquement au lieu de consommation, a dû se répéter là-bas pour le transport du lieu de production au port d'embarquement. Probablement les détenteurs de blés, les entrepreneurs de charrois, les capitaines de navires ont tiré parti de l'empressement convulsif que chacun mettait à parcourir vite, coûte que coûte, le cercle de la spéculation. Quand on peut être accueilli en France par une loi qui vous dit: la porte est close, – on ne regarde pas à quelques frais.

Si donc le grain fût arrivé successivement, depuis l'instant où le besoin s'est fait sentir, s'il eût coûté moins cher de prix d'achat, s'il eût occasionné moins de frais, soit pour le transport par mer, soit pour les deux transports par terre en Russie et en France, le résultat évident est que nous aurions été mieux approvisionnés et à un taux moins élevé.

En outre, nous aurions eu moins d'argent à payer aux étrangers, soit pour le blé lui-même, soit pour les frais accessoires. L'exportation du numéraire eût été moindre et répartie sur un temps plus long. En d'autres termes, la crise monétaire eût été moins sensible.

Ce n'est pas tout encore; sous un régime de liberté commerciale établi de longue main, les peuples qui nous envoient des céréales se seraient accoutumés à consommer des produits de notre travail et de notre industrie. Nous les payerions en grande partie en étoffes, en instruments aratoires, en vins, en soieries; et notre exportation de métaux précieux aurait été neutralisée dans la même proportion.

La loi actuelle n'a donc rien fait pour diminuer les souffrances du peuple, les embarras commerciaux et financiers de notre situation. Elle a, au contraire, beaucoup fait pour aggraver tous les effets de cette crise. – Or, et il faut bien remarquer ceci, cette loi dont les malheurs publics révèlent le vice, puisqu'on la met de côté, n'a pourtant agi que dans le sens de ses propres tendances. Donc ces tendances sont mauvaises. Elles le sont en temps d'abondance comme en temps de disette. Seulement ce n'est que lorsque le malheur arrive que nous ouvrons les yeux, et nous nous figurons alors qu'il suffit de suspendre momentanément la loi. Comme ce malade à qui l'on dit: Ce qui aggrave vos souffrances, c'est que vous suivez un mauvais régime hygiénique. – Eh bien! répondit-il je vais le suspendre… tant que je souffrirai.

13
  V. Harmonies, chap. XX.
(Note de l'éditeur.)

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14
  V. le chap. VII de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 363.
(Note de l'éditeur.)

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15
  V. le chap. Échange, tome VI.
(Note de l'éditeur.)

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16
  V. au tome IV, le chap. XXI, page 105.
(Note de l'éditeur.)

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12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
545 стр. 9 иллюстраций
Правообладатель:
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