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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 2

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5. – D'UN PLAN DE CAMPAGNE PROPOSÉ À L'ASSOCIATION DU LIBRE-ÉCHANGE

14 Novembre 1847.

Quelques-uns de nos amis, dans un but louable, nous avertissent que, selon eux, nous manquons de tactique et de savoir-faire.

«Nous pensons comme vous, disent-ils, que les produits s'échangent contre des produits; qu'on ne doit d'impôt qu'à l'État, etc., etc.» Mais, en poursuivant ces idées générales, pourquoi provoquer à la fois toutes les résistances et la coalition de tous les abus? Que ne profitez-vous du grand exemple de la Ligue anglaise? Elle s'est bien gardée de sonner l'alarme et d'ameuter contre elle tous les intérêts, en menaçant le principe même de la protection; elle a sagement fait un choix et appelé au combat un seul champion, clef de voûte du système, et, cette pièce une fois tombée, l'édifice a été ébranlé.

Voilà bien, ce nous semble, ce que répétait dernièrement encore, dans une occasion solennelle, l'honorable président de la chambre de commerce du Havre. Peut-être aussi est-ce la pensée de quelques hommes d'État, gémissant en secret dans leur servitude, dont ils ne seraient pas fâchés d'être affranchis par une concentration des forces de notre association contre un des monopoles les plus décriés.

Il vaut donc la peine de répondre.

Que nous conseille-t-on?

Selon la chambre de commerce du Havre, nous eussions dû attaquer corps à corps la seule industrie des producteurs de fer.

Eh bien, plaçons-nous dans cette hypothèse. Nous voilà associés dans un but spécial; nous voilà essayant de démontrer aux consommateurs de fer qu'il serait de leur avantage d'avoir du fer à bon marché.

Nul ne contesterait cela, et les consommateurs de fer moins que personne. Ils font souvent des pétitions dans ce but; mais les chambres, dominées par les intérêts coalisés, passent à l'ordre du jour motivé sur la nécessité de protéger le travail national; à quoi le gouvernement ne manque jamais d'ajouter que le travail national doit être protégé.

Nous voilà, dès le début, amenés à discuter cette théorie du travail national; à prouver qu'il ne peut jamais être compromis par l'échange, parce que celui-ci implique autant d'exportations que d'importations. Nous voilà alarmant, par notre argumentation contre le monopole des fers, tous les monopoles qui vivent du même sophisme. Nos honorables conseillers voudraient-ils bien nous enseigner les moyens d'éviter cet écueil?

Est-ce qu'on peut tromper ainsi la sagacité de l'égoïsme? Est-ce que les privilégiés n'étaient pas coalisés longtemps avant notre association? Est-ce qu'ils n'étaient pas bien convenus entre eux de se soutenir mutuellement, de ne pas permettre qu'on touchât une pierre de l'édifice, de ne se laisser entamer par aucun côté? Est-ce que d'ailleurs le système tout entier, aussi bien que chacune de ses parties, n'a pas sa base dans une opinion publique égarée? N'est-ce pas là qu'il faut l'attaquer, et peut-on l'attaquer là autrement que par des raisonnements qui s'appliquent à chaque partie comme à l'ensemble?

Mais, dit-on, la Ligue anglaise a bien fait ce que nous conseillons.

La réponse est simple: c'est qu'il n'en est rien.

Il est bien vrai que l'anti-corn-law-league, comme son titre l'indique, a d'abord concentré ses efforts contre la loi céréale. Mais pourquoi?

Parce que le monopole des blés était, dans le régime restrictif de la Grande-Bretagne, la part des mille législateurs anglais.

Dès lors, les Ligueurs disaient avec raison: Si nous parvenons à soustraire à nos mille législateurs leur part de monopole, ils feront bon marché du monopole d'autrui. Voilà pourquoi, quand la loi-céréale a été vaincue, M. Cobden a quitté le champ de bataille; et quand on lui disait: Il reste encore bien des monopoles à abattre, il répondait: The landlords will do that, les landlords feront cela.

Y a-t-il rien de semblable en France? Les maîtres de forges sont-ils seuls législateurs et le sont-ils par droit de naissance? Ont-ils, en cette qualité, accordé quelques bribes de priviléges aux autres industries pour justifier les priviléges énormes qu'ils se seraient votés eux-mêmes?

Si cela est, la tactique est tout indiquée. Forçons ceux qui font la loi de ne pas la faire à leur profit, et rapportons-nous-en à eux pour ne pas la faire à leur préjudice.

Mais puisque notre position n'est pas celle de la Ligue, qu'on nous permette, tout en admirant ses procédés, de ne pas les prendre pour modèle.

Qu'on ne perde pas de vue d'ailleurs qu'il est arrivé aux manufacturiers anglais précisément ce qui nous arriverait, disons-nous, à nous-mêmes, si nous appelions à notre aide toutes les classes de monopoleurs, hors une, pour attaquer celle-là.

L'aristocratie anglaise n'a pas manqué de dire aux manufacturiers: Vous attaquez nos monopoles, mais vous avez aussi des monopoles; et les arguments que vous dirigez contre nos priviléges se tournent contre les vôtres.

Qu'ont fait alors les manufacturiers? Sur la motion de M. Cobden, la chambre de commerce de Manchester a déclaré qu'avant d'attaquer la protection à l'agriculture, elle renonçait solennellement à toute protection en faveur des manufactures.

En mai 1843, le grand conseil de la Ligue formula ainsi son programme: «Abolition totale, immédiate et sans attendre de réciprocité, de tous droits protecteurs quelconques en faveur de l'agriculture, des manufactures, du commerce et de la navigation8

Maintenant, nous le demandons, pour suivre la même stratégie, sommes-nous dans la même situation? Les industriels privilégiés; qu'on nous conseille d'enrôler dans une campagne contre les maîtres de forges, sont-ils préparés, dès la première objection, à faire le sacrifice de leurs propres priviléges? Les fabricants de drap, les éleveurs de bestiaux, les armateurs eux-mêmes sont-ils prêts à dire: Nous voulons soumettre les maîtres de forges à la liberté; mais il est bien entendu que nous nous y soumettons nous-mêmes. – Si ce langage leur convient, qu'ils viennent, nos rangs leur sont ouverts9. Hors de là comment pourraient-ils être nos auxiliaires? – En ayant l'air de les ménager, vous les amènerez à se fourvoyer, dit-on. Mais, encore une fois, la ruse ne trompe pas des intérêts aussi bien éveillés sur la question, des intérêts qui étaient éveillés, associés et coalisés avant notre existence.

Nous ne pouvons donc accepter de tels conseils. Notre arme n'est pas l'habileté, mais la raison et la bonne foi. Nous attaquons le principe protecteur, parce que c'est lui qui soutient tout l'édifice; et nous l'attaquons dans l'opinion publique, parce que c'est là qu'il a sa racine et sa force. – La lutte sera longue, dit-on; cela ne prouve autre chose, sinon que ce principe est fortement enraciné. En ce cas, la lutte serait bien plus longue encore, et même interminable, si nous évitions de le toucher.

Hommes pratiques qui nous offrez ce beau plan de campagne, qui nous conseillez d'appeler à notre aide les monopoleurs eux-mêmes, dites-nous donc comment libre-échangistes et protectionnistes pourraient s'entendre et marcher ensemble seulement pendant vingt-quatre heures? Ne voyez-vous pas qu'à la première parole, au premier argument, l'association serait rompue? Ne voyez-vous pas que les concessions de principe, par lesquelles nous aurions dû nécessairement passer pour maintenir un moment cette monstrueuse alliance, nous feraient bientôt tomber, aux yeux de tous, au rang des hommes sans consistance et sans dignité? Qui resterait alors pour défendre la liberté? D'autres hommes, direz-vous. – Oui, d'autres hommes, qui auraient appris par notre exemple le danger des alliances impossibles, et qui feraient précisément ce que vous nous reprochez de faire.

On voudrait encore que nous indiquassions, dans les moindres détails, la manière dont il faut opérer la réforme, le temps qu'il y faut consacrer, les articles par lesquels il faut commencer.

Véritablement ce n'est pas notre mission.

Nous ne sommes pas législateurs.

Nous ne sommes pas le gouvernement.

Notre déclaration de principes n'est pas un projet de loi, et notre programme se borne à montrer, en vue d'éclairer l'opinion publique, le but auquel nous aspirons, parce que sans le concours de l'opinion publique il n'y a pas de réforme possible, ni même désirable10. Or ce but est bien défini:

Ramener la douane au but légitime de son institution; ne pas tolérer qu'elle soit, aux mains d'une classe de travailleurs, un instrument d'oppression et de spoliation à l'égard de toutes les autres classes.

Quant au choix et à la détermination des réformes, nous attendrons que le gouvernement, à qui appartient l'action, prenne l'initiative; et alors nous discuterons ses projets, et, autant qu'il est en nous, nous nous efforcerons d'éclairer sa marche, toujours en vue du principe dont nous sommes les défenseurs.

Et quand nous disons à nos amis qu'il ne nous appartient pas d'isoler un monopole pour le combattre corps à corps, il est bon d'observer que la chambre du Havre, qui n'est pourtant pas une association enchaînée à un principe, mais qui, dans son caractère officiel, est un des rouages du gouvernement du pays, a été entraînée, à son insu peut-être, à agir comme nous; car elle réclame à la fois, et tout d'abord, la réforme des tarifs sur les céréales, sur le fer, la fonte, la houille, le sucre, le café, le bois d'ébénisterie, et jusque sur les bois de construction équarris à la hache, etc., etc. – Sans doute, elle n'entend pas nous conseiller une autre conduite que la sienne; et pourtant, loin de concentrer ses efforts sur un seul point, elle se montre disposée à n'en exclure guère qu'un seul, celui qui a été déjà réduit à si peu de chose par nos traités de réciprocité.

Nous avons appris sans étonnement l'accueil que la chambre de commerce du Havre a fait aux avances du comité Odier-Mimerel11. En fait de liberté commerciale, elle avait fait ses preuves longtemps avant la naissance de notre Association. Nous ne renions certes pas nos parrains; si nous allons plus loin qu'eux, dans le sens des mêmes principes, sur la question des sucres ou sur celle des lois de navigation, nous n'en resterons pas moins unis de vues générales ainsi que de cœur avec nos honorables devanciers.

6. – RÉFLEXIONS SUR L'ANNÉE 1846

30 Janvier 1847.

L'année 1846 sera pour l'économiste et l'homme d'État un précieux sujet d'étude. En France et en Angleterre dans les deux pays les plus éclairés, toutes les lois restrictives, qui devaient amener l'abondance, tombent devant la disette. Chose étonnante! on a recours, pour nourrir le peuple, à cette même liberté qui, disait-on, est un principe de souffrance et de ruine. Il y a là une contradiction flagrante, et s'il est dans la nature de la restriction d'assurer des prix de revient aux industries agricole et manufacturière, et, par suite, des salaires aux ouvriers, c'était le cas plus que jamais de renforcer le système restrictif, alors que les prix de revient échappaient aux agriculteurs, et, par suite, les salaires aux ouvriers; mais si on eût été assez fou, on n'eût pas été assez fort.

En France comme en Angleterre, les mesures qu'on a décrétées pour ramener l'abondance sont provisoires, comme si l'on voulait que la subsistance du peuple ne fût assurée que provisoirement. Car, enfin, les régimes opposés de la restriction, et de la liberté ont chacun leurs tendances. Lequel des deux tend à accroître les moyens de subsistance et de satisfaction? Si c'est le régime restrictif, il le faut conserver en tout temps, et surtout quand les causes d'un autre ordre menacent nos approvisionnements. Si c'est le régime libre, acceptons donc la liberté, non pas d'une manière transitoire, mais permanente.

Un trait fort caractéristique de notre époque, c'est que sous l'empire de la nécessité, on a eu recours, des deux côtés de la Manche, à des mesures libérales, tout en déclamant contre la liberté. On s'est beaucoup élevé au Parlement et dans nos Chambres contre l'avidité des spéculateurs. On leur reproche les bénéfices qu'ils font, soit sur le blé, soit sur les transports; et l'on ne prend pas garde que c'est précisément ce bénéfice qui est le stimulant de l'importation, et qui fait surgir, quand le besoin s'en manifeste, des moyens de transport.

Ces moyens ont manqué entre Marseille et Lyon; et l'on reproche, d'une part, aux voituriers d'avoir haussé le prix de leurs services, et, de l'autre, au gouvernement de n'être pas intervenu pour forcer les entrepreneurs de charrois à travailler sur le principe de la philanthropie12.

Supposons qu'il y ait 100 tonneaux à transporter d'un point à un autre, et qu'il n'y ait de ressources que pour porter 10 tonneaux. Si l'intervention du gouvernement, ou même le sentiment philanthropique empêche le prix de transport de s'élever, qu'arrivera-t-il? 10 tonneaux seront transportés à Lyon, et les consommateurs de ces 10 tonneaux, s'ils n'ont point un excédant de prix à payer pour le transport, auront cependant à surpayer le blé, précisément parce que 10 tonneaux seulement seront arrivés. En définitive, Lyon aura 90 tonneaux de déficit et Marseille 90 tonneaux d'excédant. Il y aura perte pour tout le monde, perte pour le spéculateur marseillais, perte pour le consommateur lyonnais, perte pour l'entrepreneur de transport. Si, au contraire, la liberté est maintenue, le transport sera cher, nous en convenons, puisque, dans l'hypothèse, il n'y a de ressources que pour le transport de 10 tonneaux quand il y a 100 tonneaux à transporter. Mais c'est cette cherté même qui fera affluer de tous les points les voitures vers Marseille, en sorte que la concurrence rétablira le prix du fret à un taux équitable, et les 100 tonneaux arriveront à leur destination.

Nous comprenons que, lorsqu'un obstacle se présente, la première pensée qui vienne à l'esprit, c'est de recourir au gouvernement. Le gouvernement dispose de grandes forces; et, dès lors, il peut presque toujours vaincre l'obstacle qui gêne. Mais est-il raisonnable de s'en tenir à cette première conséquence et de fermer les yeux sur toutes celles qui s'ensuivent? Or, si le premier effet de l'action gouvernementale est de vaincre l'obstacle présent, le second effet est d'éloigner et de paralyser toutes les forces individuelles, toute l'activité commerciale. Dès lors pour avoir agi une fois, le gouvernement se voit dans la nécessité d'agir toujours. Il arrive ce que nous voyons en Irlande, où l'État a insensiblement accepté la charge impossible de nourrie, vêtir et occuper la population tout entière.

Un autre trait fort remarquable, c'est l'accès inattendu de philanthropie qui a saisi tout à coup les monopoleurs. Eux, qui pendant tant d'années ont opéré systématiquement la cherté du blé à leur profit, ils se révoltent maintenant avec une sainte ardeur contre tout ce qui tend à renchérir le blé, notamment contre les profits du commerce et de la marine. À la Chambre des lords, le fameux protectionniste lord Bentinck a fait une violente sortie contre les spéculateurs; et rappelant que Nadir Shah avait fait pendre un Arménien pour avoir accumulé du blé et créé ainsi une hausse artificielle: «Je suivrais volontiers cette politique, a-t-il ajouté, seulement en modifiant la forme du châtiment.» Hélas! si depuis 1815 on avait pendu tous ceux qui ont causé artificiellement une hausse du prix des produits, toute l'Angleterre y aurait passé, à commencer par l'aristocratie, et lord Bentinck en tête. En France, il faudrait pendre les trois quarts de la nation, et notamment tous les pairs et tous les députés, puisqu'ils viennent de voter qu'au mois d'août prochain la cherté artificielle recommencerait par la résurrection de l'échelle mobile.

7. – DE L'INFLUENCE DU RÉGIME PROTECTEUR SUR LA SITUATION DE L'AGRICULTURE EN FRANCE

(Journal des Économistes, Décembre 1846.)

Il n'est certainement aucun peuple qui se brûle à lui-même autant d'encens que le peuple français, quand il se considère en masse, et, pour ainsi dire, en nation abstraite. «Notre terre est la terre des braves; notre pays, le pays de l'honneur et de la loyauté par excellence; nous sommes généreux et magnifiques; nous marchons à la tête de la civilisation, et ce qu'ont de mieux à faire tous les habitants de cette planète, c'est de recevoir nos idées, d'imiter nos mœurs et de copier notre organisation sociale.»

Que si nous venons, hélas! à nous considérer classe par classe, fraction par fraction, non-seulement ces puissantes vibrations du dithyrambe n'arrivent plus à notre oreille, mais elles font place à une clameur d'accusations, à un feu croisé de reproches, qui, s'ils étaient vrais, nous réduiraient à accepter humblement la terrible condamnation de Rousseau. «Peuple français, tu n'es peut-être pas le plus esclave, mais tu es bien le plus valet de tous les peuples.»

Écoutez, en effet, ce que disent les Députés des Ministres, les Électeurs des Députés, les Prolétaires des Électeurs! Selon le Commerce, le temple de Thémis est une forêt noire; suivant la Magistrature, le Commerce n'est plus que l'art de la fraude. Si l'esprit d'association ne se développe que lentement, le faiseur d'entreprises s'en prend à la défiance qu'éprouve l'actionnaire, et l'actionnaire à la défiance qu'inspire le faiseur d'entreprises. Le paysan est un routinier; le soldat, un instrument passif prêt à faire feu sur ses frères; l'artisan, un être anormal qui n'est plus retenu par le frein des croyances sans l'être encore par celui de l'honneur. Enfin, si la moitié ou le quart seulement de ces récriminations étaient fondées, il faudrait en conclure que le misanthrope de Genève nous a traités avec ménagement.

Ce qu'il y a de singulier, c'est que nous en usons d'une façon tout opposée envers nos voisins d'outre-Manche. En masse, nous les accablons de nos mépris. «Méfiez-vous de l'Angleterre, elle ne cherche que des dupes, elle n'a ni foi ni loi; son Dieu est l'intérêt, son but l'oppression universelle, ses moyens l'astuce, l'hypocrisie et l'abus de la force.» – Mais, en détail, nous lui élevons un piédestal afin de la mieux admirer. «Quelle profondeur de vues dans ses hommes d'État! quel patriotisme dans ses représentants quelle habileté dans ses manufacturiers! quelle audace dans ses négociants! Comment l'association mettrait-elle en œuvre dans ce pays trente milliards de capitaux, si elle ne marchait pas dans la voie de la loyauté? Voyez ses fermiers, ses ouvriers, ses mécaniciens, ses marins, ses cochers, ses palefreniers, ses grooms, etc., etc.»

Mais cette admiration outrée se manifeste surtout par le plus sincère de tous les hommages: l'imitation.

Les Anglais font-ils des conquêtes? Nous voulons faire des conquêtes, sans examiner si nous avons, comme eux, des milliers de cadets de famille à pourvoir. Ont-ils des colonies? nous voulons avoir des colonies, sans nous demander si, pour eux comme pour nous, elles ne coûtent pas plus qu'elles ne valent. Ont-ils des chevaux de course? nous voulons des chevaux de course, sans prendre garde que ce qui peut être recherché par une aristocratie amante de la chasse et du jeu est fort inutile à une démocratie dont le sol fractionné n'admet guère la chasse, même à pied. Voyons-nous enfin leur population déserter les campagnes pour aller s'engloutir dans les mines, s'agglomérer dans les villes manufacturières, se matérialiser dans de vastes usines? aussitôt notre législation, sans égard à la situation, à l'aptitude, au génie de nos concitoyens, se met en devoir de les attirer, par l'appât de faveurs dont ils supportent, en définitive, tous les frais, vers les mines, les grandes usines, et les villes manufacturières. – Qu'il me soit permis d'insister sur cette observation, qui me conduit d'ailleurs au sujet que j'ai à traiter.

Il est constaté que les deux tiers de la population habitent, en Angleterre, les villes, et en France, la campagne.

Deux circonstances expliquent ce phénomène.

La première, c'est la présence d'une aristocratie territoriale. Au delà du détroit, d'immenses domaines permettent d'appliquer à la culture du sol des moyens mécaniques et paraissent même rendre plus profitable l'extension du pâturage.

D'un autre côté, la situation géographique de l'Angleterre, placée entre le Midi et le Nord de l'Europe, et sur la route des deux hémisphères, la multitude et la profondeur de ses rades, le peu de pente de ses rivières qui donne tant de puissance aux marées, l'abondance de ses mines de fer et de houille, le génie patient, ordonné, mécanicien de ses ouvriers, les habitudes maritimes qui naissent d'une position insulaire, tout cela la rend éminemment propre à remplir, pour son compte et souvent pour le compte des autres peuples, à l'avantage de tous, deux grandes fonctions de l'industrie: la fabrication et le voiturage des produits.

Lors donc que la Grande-Bretagne aurait été abandonnée par le génie de ses hommes d'État au cours naturel des choses, lorsqu'elle n'aurait pas cherché à étendre au loin sa domination, lorsqu'elle n'aurait employé sa puissance qu'à faire régner la liberté du commerce et des mers, il n'est pas douteux qu'elle ne fût parvenue à une grande prospérité, et j'ajouterai, selon mes convictions profondes, à un degré de bonheur et de solide gloire qu'on peut certainement lui contester.

Mais, parce qu'ailleurs cette émigration de la campagne à la ville s'est opérée naturellement, était-ce une raison pour que la France dût chercher à la déterminer par des moyens artificiels?

À Dieu ne plaise que je veuille m'élever ici d'une manière générale contre l'esprit d'imitation. C'est le plus puissant véhicule du progrès. L'invention est au génie, l'imitation est à tous. C'est elle qui multiplie à l'infini les bienfaits de l'invention. En matière d'industrie surtout, l'imitation, quand elle est libre, a peu de dangers. Si elle n'est pas toujours rationnelle, si elle se fourvoie quelquefois, au bout de chaque expérience il y a une pierre de touche, le compte des profits et pertes, qui est bien le plus franc, le plus logique, le plus péremptoire des redresseurs de torts. Il ne se contente pas de dire: «l'expérience est contre vous.» Il empêche de la poursuivre, et cela forcément, sans appel, avec autorité; car la raison ne fût-elle pas convertie, la bourse est à sec.

Mais quand l'imitation est imposée à tout un peuple par mesure administrative, quand la loi détermine la direction, la marche et le but du travail, il ne reste plus qu'un souhait à faire: c'est que cette loi soit infaillible; car si elle se trompe, au moment où elle donne une impulsion déterminée à l'industrie, celle-ci doit suivre toujours une voie funeste.

Or, je le demande, le sol, le soleil de la France, sa position géographique, la constitution de son régime foncier, le génie de ses habitants justifient-ils des mesures coercitives, par lesquelles on pousserait la population des travaux agricoles aux travaux manufacturiers et du champ à l'usine? Si la fabrication était plus profitable, on n'avait pas besoin de ces mesures coercitives. Le profit a assez d'attrait par lui-même. Si elle l'est moins, – en déplaçant les capitaux et le travail, en faisant violence à la nature physique et intellectuelle des hommes, on n'a fait qu'appauvrir la nation.

Je ne m'attacherai pas à démontrer que la France est essentiellement un pays agricole; aussi bien, je ne me rappelle pas avoir jamais entendu mettre cette proposition en doute. Je n'entends pas dire que toutes les fabriques, tous les arts doivent en être bannis. Qui pourrait avoir une telle pensée? Je dis qu'abandonnée à ses instincts, à sa pente, à son impulsion naturelle, – les capitaux, les bras, les facultés se distribueraient entre tous les modes d'activité humaine, agriculture, fabrication, arts libéraux, commerce, navigation, exertions intellectuelles et morales, dans des proportions toujours harmoniques, toujours calculées pour faire sortir de chaque effort le plus grand bien du plus grand nombre. J'ajoute, sans crainte d'être contredit, que, dans cet ordre naturel de choses, l'agriculture et la fabrication seraient entre elles dans le rapport du principal à l'accessoire, quoiqu'il en puisse être tout différemment en Angleterre.

On nous accuse, nous partisans du libre-échange, de copier servilement un exemple venu d'Angleterre. Mais si jamais imitation a été servile, maladroite, inintelligente, c'est assurément le régime que nous combattons, le régime protecteur.

Examinons-en les effets sur l'agriculture française.

Tous les agronomes (je ne dis pas les agronomanes, ceux-ci décuplent le revenu des terres avec une facilité sans égale), tous les agronomes, dis-je, sont d'accord sur ce point, que ce qui manque à notre agriculture, ce sont les capitaux. Sans doute, il lui manque aussi des lumières; mais l'art arrive avec les moyens d'améliorer, et il n'est paysan si routinier qui ne sût fort bien placer sur sa métairie ses épargnes à bon intérêt, s'il en pouvait faire.

La plus petite amélioration de détail exige des avances; à plus forte raison une amélioration d'ensemble. Voulez-vous perfectionner vos voitures de transport? Vous êtes entraîné à élargir, niveler, et graveler les chemins de la ferme. Voulez-vous défricher? Outre qu'il y faut beaucoup de main-d'œuvre, il faut songer à augmenter les frais de semences, labours, cultures, moissons, transports, etc. Mais vous vient-il dans l'idée de faire faire à votre exploitation ce pas plus décisif, qui en change toutes les conditions, je veux dire de substituer à la culture de deux céréales avec jachère, un assolement où céréales, plantes sarclées, végétaux textiles et fourrages divers viennent occuper tour à tour chaque division du sol, dans un ordre régulier? Malheur à vous, si vous n'avez pas prévu la très-notable augmentation de capital qui vous est nécessaire? Dès qu'un tel changement s'introduit dans le domaine, une activité inaccoutumée se manifeste. La terre ne se repose plus, et ne laisse pas reposer les têtes et les bras. La jachère, les prairies permanentes, les pâturages sont soumis à l'action de la charrue. Les labours, les hersages, les semailles, les sarclages, les moissons, les transports se multiplient; et le temps est passé où l'on pouvait se contenter d'instruments grossiers fabriqués en famille. Les semences de trèfle, de lin, de colza, de betterave, de luzerne, etc., ne laissent pas que d'exiger de gros débours. Mais c'est surtout le département des étables, soit qu'on y entretienne des vaches laitières, des bœufs à l'engrais, ou des moutons de races perfectionnées, qui devient un véritable atelier industriel, fort lucratif quand il est bien conduit, mais plein de déception si on le fonde avec un capital insuffisant. Dans ce système, pour doubler le produit net, il faut, non pas doubler, mais sextupler peut-être le produit brut, en sorte qu'une exploitation qui présentait 5,000 fr. de produit net, avec un compte de 15,000 fr. en entrée et sortie, – pour être amenée à donner 10,000 fr. de profit, devra présenter un compte de dépenses et de recettes de 60 à 80,000 francs.

Les avantages de la culture perfectionnée sont tellement clairs, tellement palpables, ils ont été démontrés dans tant de livres répandus à profusion, proclamés par tant d'agronomes dont l'expérience est incontestable, confirmés par tant d'exemples, que, s'il n'a pas été fait plus de progrès, il faut bien en chercher la cause ailleurs que dans l'attachement aux vieilles coutumes et dans cette routine, que, fort routinièrement, on accuse toujours de tout. Les agriculteurs, croyez-le bien, sont un peu faits comme tout le monde; et le bien-être ne leur répugne en aucune façon. D'ailleurs, il y a partout des hommes disposés à combattre cette nature de résistance. Ce qui a manqué, ce qui manque encore, c'est le capital. C'est là ce qui a réduit les tentatives à un bien petit nombre, et, dans ce petit nombre, c'est là ce qui a entraîné tant de revers.

Les agronomes les plus renommés, les Young, les Sinclair, les Dombasle, les Pictet, les Thaër, ont recherché quel était le capital qui serait nécessaire pour amener les pratiques au niveau des connaissances agricoles. Leurs livres sont pleins de ces calculs. Je ne les produirai pas ici. Je me bornerai à dire que ces avances doivent être d'autant plus grandes que l'exploitation est plus petite, et que, pour la France, ce ne serait peut-être pas trop d'un capital égal en valeur à la valeur du sol lui-même.

Mais si un énorme supplément de capital est indispensable au perfectionnement de l'agriculture, est-il permis d'espérer qu'elle le tire de son propre sein?

Il faut bien que les publicistes ne le pensent pas, car on les voit tous à la recherche de ce problème: Faire refluer les capitaux vers l'agriculture. Tantôt on a songé à réformer notre régime hypothécaire. On devrait supposer à priori, a-t-on dit avec raison, que le prêteur sur hypothèque ne recherche pas un taux d'intérêt supérieur à la rente de la terre, puisque celle-ci sert de gage au prêt et qu'elle est même assujettie à des chances (ravages pour cause d'inondation, insolvabilité des fermiers, etc.) dont le prêt est exempt. Cependant un emprunt sur hypothèque revient à 6, 7 et 8 pour 100, tandis que la rente du sol ne dépasse pas 3 ou 4 pour 100; d'où l'on a conclu que notre système hypothécaire doit être entaché de nombreuses imperfections.

D'autres ont imaginé des banques agricoles, des institutions financières qui auraient pour résultat de mobiliser le sol et de le faire entrer, pour ainsi dire comme un billet au porteur, dans la circulation. – Il y en a qui veulent que le prêt soit fait par l'État, c'est-à-dire par l'impôt, cet éternel et commode point d'appui de toutes les utopies. Des combinaisons plus excentriques sont aussi fort en vogue sous les noms beaucoup moins clairs qu'imposants, d'organisation ou réorganisation du travail, association du travail et du capital, phalanstères, etc., etc.

Ces moyens peuvent être fort bons, on peut en attendre d'excellents effets; mais il en est un qu'ils ne parviendront jamais à produire, c'est de créer de nouveaux moyens de production. Déplacer les capitaux, les détourner d'une voie pour les attirer dans une autre, les pousser alternativement du champ à l'usine et de l'usine au champ, voilà ce que la loi peut faire; mais il n'est pas en sa puissance d'en augmenter la masse, à un moment donné; vérité bien simple et constamment négligée.

8
  V. tome III, pages 30 et suiv.
(Note de l'éditeur.)

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9.C'est l'exemple qu'ont donné M. Nicolas Kœchlin, M. Bosson de Boulogne, – M. Dufrayer, M. Duchevelard, agriculteurs, ainsi que les armateurs de Bordeaux et de Marseille.
10
  V. les chapitres Responsabilité, Solidarité, dans les Harmonies.
(Note de l'éditeur.)

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11
  Naturellement, la chambre de commerce avait repoussé de telles avances.
(Note de l'éditeur.)

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12
  Voir le chap. VI de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 356.
(Note de l'éditeur.)

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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
545 стр. 9 иллюстраций
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