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Читать книгу: «Le roi du Klondike», страница 10

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– C'est vrai: il a raison! dit Topsy. Cependant, vous me faites du bien. Vous savez, madame, je suis une geisha.

– Une?..

– Une… lady prostitute.

Aélis devint très rouge, puis regarda autour d'elle: les mineurs reculèrent. Jamais revolver ne valut deux yeux de femme pure.

– Pouvez-vous marcher? dit-elle. Oui? Eh bien, appuyez-vous sur moi. Je vous reconduirai chez vous.

– Ah! que je suis contente!

Elles partirent ensemble vers la 5e rue.

Un instant après, les portes de l'église s'ouvrirent pour laisser passer le corps du prêtre: il s'en allait au cimetière, lui; les vierges folles, les vierges sages, les mineurs, les joueurs, des ivrognes même qui titubaient un peu, l'escortaient lentement sous un ciel triste de fin d'hiver, dans la désespérance du grand Nord. Mais là-haut, bien sûr, il y avait, sur les marches d'un trône de gloire, une âme sacerdotale qui priait pour les purs, qui suppliait pour les impurs, et surtout, oh! surtout, pour le lotus rose de Yoshiwa.

XVIII
OMAÉ SHINDARA

Ceux qui n'ont jamais eu faim, celles qui n'ont jamais eu soif, ne devront pas lire ce qui suit. Car ils appartiennent, évidemment, à ce très petit nombre de privilégiés qui naissent au-dessus des misères humaines, à qui le diable ou la vie ne réserve que les tentations de l'oisiveté. Gens très bien élevés qui, d'avance, retiennent leur loge en paradis, où rien d'improper ne blessera plus leurs belles âmes, ils ne peuvent comprendre certaines fautes, ils ne sauraient les expliquer, encore moins les pardonner. Comment le pourraient-ils? Ils vivent si loin de terre! Savent-ils la frénésie de vie éclatant soudain chez ceux qui étaient perdus et qui se retrouvent? conçoivent-ils la folie de ceux qui étaient pauvres et qui, tout d'un coup, deviennent cent fois millionnaires? Ils n'ont pas vu les fonds d'abîmes, ils ne voient pas les sommets des réussites prodigieuses: ne leur confiez pas la charge de juger…

Manéki-néko est une chatte qui fait patte de velours, et s'étire langoureusement comme pour vous dire, dès le seuil de la maison ouverte: «Venez donc vous amuser!» Quoiqu'on ne le voie pas derrière elle, le dieu de la pauvreté marche à son ombre et les goules sont ses sœurs; cependant, comme elle attire la faveur des riches et la protection des puissants, c'est elle, la petite tigresse, qui est la bonne fée des geishas.

Celle que Topsy avait apportée à Dawson était en porcelaine: on la voyait, en entrant, droite sur ses pattes de derrière, sur le kamidana, l'étagère sacrée qui faisait face à la rue. À côté d'elle, il y avait l'image d'Ami-no-uzumé-no-mikoto, devant la caverne où se retira jadis la déesse du soleil: les genoux un peu fléchis, les deux mains portant au-dessus de la tête le tambourin mystique du sourou, son visage émergeait, impassible, d'un surtout rouge à mailles blanches, tandis qu'elle commençait la danse merveilleuse qui rendit au monde la chaleur, la vie, l'amour.

Entre les deux idoles brûlait une veilleuse dans une sorte de saucière en bronze, et sa lueur éclairait plusieurs idéogrammes à caractères cabalistiques. Tout en aidant Topsy à préparer une tasse de thé parfumé, Aélis s'amusa à se les faire traduire.

Le premier disait: «Adoration à la grande Kuan-zi-on, la miséricordieuse, qui regarde par-dessus le son des prières.»

Un autre: «En paradis, l'élu reposera sur les corolles du lotus d'or!»

Un troisième était orné de dessins rouges, bleu et or, sous cette légende:

 
Omaé shindara téra iva yaranou!
Yaété konishiti saki dé nomoú!
 

– Ah! celui-ci… fit la petite geisha.

– Eh bien!.. que veut dire cette lune qui décroît dans un ciel pourpre?

– L'amour est pourpre, et, comme l'astre des nuits, croît, brille et meurt… Écoutez, voici le sens de l'écriture. C'est une des plus vieilles poésies de mon pays.

Elle prit sa guitare:

Ô mon amour, si tu meurs, tu n'iras pas à la tombe,

Car je boirai plutôt tes cendres dans une coupe de nectar…

Bercée, emportée par la mélodie, la danseuse était perdue au loin, dans un rêve, à Yokohama, au pays des dieux, et ce fut presque sans surprise qu'elle entendit une belle voix, au dehors, répéter après elle:

Omaé shindara téra iva yaranou!

Topsy reprit le second vers:

Yaété konishiti saki dé…

Elle n'acheva pas: aussi blanche que la neige, Aélis venait de chanceler, puis s'était prise au kamidana pour ne pas tomber. Topsy jeta sa guitare, courut à elle, l'obligea doucement à s'asseoir dans un fauteuil. Ensuite, elle se retourna, et celui qui venait de lui donner la réplique entra sans frapper. Quoique ses visites fussent rares, elle le connaissait bien d'avance: ils n'étaient que deux, dans Dawson, à connaître le texte original de la chanson d'amour. Alors elle s'avança, les deux mains sur la poitrine, le sourire de sa race aux lèvres: en arrière, Manéki-néko tendait toujours ses pattes de velours, par-dessus la tête penchée d'Aélis. La veilleuse s'éteignit brusquement au souffle froid de la rue.

– Topsia, petite Topsia, me voilà de retour!.. Et, cette fois, j'ai trouvé plus d'or que n'en tiendrait ta maison.

Les yeux d'Orient brillèrent comme ceux d'un serpent: la geisha passa ses bras au cou de celui qui apportait ces bonnes nouvelles. À plusieurs reprises, il la baisa sur les lèvres ainsi qu'un ivrogne ou un amoureux.

– Que de fois… que de fois j'ai pensé à Dawson et à toi, pendant mon voyage!.. Un peu plus, et j'y laissais ma vie. Ah! que l'or coûte donc cher!

Comme il disait ces mots, il aperçut celle qui, assise dans un fauteuil, sous le kamidana, se cachait le visage entre les doigts, par manière de jeu, sans doute; il courut à elle, lui saisit les bras, les écarta et se pencha pour l'embrasser en disant:

– C'est une amie, Topsia? Alors il faut qu'elle aussi me donne un…

Il n'acheva pas: elle leva la tête et ils se regardèrent. Topsy le vit se redresser, lâcher les mains de la jeune fille, et, les yeux fixés sur elle, – des yeux d'homme tout à coup dégrisé, d'abord lucides et graves, et ensuite presque fous – reculer jusqu'au mur. Aélis, elle aussi, le suivait du regard, et derrière ce regard, il vit distinctement une morte. Enfin, elle se mit debout, aussi doucement qu'un fantôme, et passa devant lui. Comme la porte, en se refermant, allait cacher ce beau visage où la stupeur, le désespoir, la douleur et l'épouvante se confondaient en la plus tragique des horreurs, il fit un grand effort et dit:

– Aélis… est-ce bien vous? Que faites-vous ici?

Ah! quelle voix de perdue pour l'éternité, quelle voix lui répondit:

– Et vous?

Il leva les deux mains comme pour parer un coup, puis resta immobile.

Par la porte restée entr'ouverte on entendit le bruit lointain d'un tumulte, une clameur, des apostrophes qui se rapprochaient, s'éloignaient, se rapprochaient encore, exactement comme les cris d'une meute sur la voie d'un cerf. C'était Dawson qui revenait des obsèques d'un saint et, déjà, se remettait en quête du métal dieu.

– Il est allé dans la 5e rue! – Non, on l'a vu chez Ellis! – Est-ce vrai qu'il a trouvé la veine mère? – Oui, il est arrivé avec trois traîneaux d'or! Ses Indiens y retournent tout de suite. Où est-ce? Il nous le dira!

Tout à coup, une voix domina les autres:

– Il est dans la 5e rue! – Ce n'est pas étonnant: allons-y!

– Oui, il est chez la Japonaise… Hourra! Vive le roi du Klondike! le roi, le roi, le roi!

Aélis entendit la clameur de toutes ces poitrines haletantes: pour se sauver, elle se mit à courir; et lui, le Roi, qui entendait aussi ces cris, sur le seuil de Topsy, sans bouger, sans parler, presque sans respirer, il la regardait s'éloigner et disparaître… Derrière lui la Japonaise fredonnait:

Ô mon amour, si tu meurs, tu n'iras pas à la tombe…

XIX
LE ROI DU KLONDIKE

Écoutez, écoutez, citoyens de la Reine du Pacifique! Cortez trouva le Mexique, et Pizarre, le Pérou. Un flâneur a découvert l'or australien, comme un meunier celui de Californie; celui du Sud-Africain roula sous le pied d'un fermier; mais c'est un mineur, un vrai mineur yankee, Tom Tildenn, de New-York, qui vient de découvrir la Veine Mère d'Alaska. Il est trop tard pour raconter aujourd'hui les aventures par lesquelles il a passé avant de mettre la main sur un trésor qui laisse dans l'ombre tous ceux des Incas préhistoriques. Ce sera pour nos prochains numéros. Aujourd'hui, nous devons nous contenter de signaler son arrivée dans nos murs, par l'Excelsior, même bateau qui l'avait emmené, il y a quatre ans, au nord. Six camarades armés jusqu'aux dents accompagnent ses précieuses caisses de pépites; ils ont passé la nuit au Palace Hotel, d'où la police les escortera ce matin jusqu'à la Monnaie, à onze heures précises. Vraiment, cet homme a vécu le plus fantastique des rêves, puisque, mendiant hier, il peut aujourd'hui acheter San-Francisco, si ça lui plaît!

Le Times de «Frisco» ne mentait pas: ce qu'il imprimait en première colonne était vrai. Un nommé Tom Tildenn était arrivé la veille et quinze policemen se relayaient au Palace Hotel pour garder ses caisses d'or. Plus vite que le journal, le bruit en courut de Kearney street jusqu'à ce Cliff, sur l'Océan, où les phoques eux-mêmes, dressés sur leurs rochers, crièrent à plusieurs reprises: «Gôaout! Gôaout!» ce qui veut dire, en leur langage: «Allez-y voir! Allez-y voir!»

Les gens de New-York auraient répondu: «Nous sommes trop affairés!» Ceux de Chicago: «Zut!.. à d'autres!» Les naturels de San-Francisco, qui ont des loisirs parce que le plus beau, le plus chaud, le plus rayonnant des soleils leur apprend à aimer une vie toujours trop courte dans leur admirable Californie, les citoyens de la Reine du Pacifique se précipitèrent vers la Monnaie pour voir passer le Roi du Klondike. Ce fut donc entre deux haies vivantes, enthousiastes, qu'il mena au feu ses millions, et sa physionomie, son attitude de travailleur brisé par la vie trop dure surprit désagréablement la foule.

– Il a l'air d'un pauvre honteux: ce n'est pas lui, vous devez vous tromper!

– N'est-ce pas le premier, en tête des voitures?

– Non, celui-là, c'est un Français, un autre mineur de Dawson… Je vous dis que c'est bien lui, dans le landau qui arrive.

Il y eut une poussée: le cordon des policemen fut rompu; ceux qui accompagnaient Tildenn, assis dans sa voiture même, à côté, en face de lui, crièrent bien vite: «En arrière! pas de mains aux portes!» Et, prestement, ils tirèrent leurs courts bâtons. Un petit mendiant protesta encore:

– C'est pas vrai! C'est pas lui! Il a l'air trop malheureux!

Alors, tout le monde recula, et Tildenn sortit de sa torpeur; se dressant à son tour, il interpella le gamin:

– Et toi, petit, es-tu heureux?

– Moi?.. (Toute sa figure éclatante répondait à la question.) Moi? Oui, quand je mange à ma faim… Dites, c'est-y vous qu'êtes le Roi du Klondike?

Vraiment, sous ses haillons, l'enfant resplendissait de la joie de vivre au bon soleil. Tildenn ouvrit une caisse, y prit un sac de trente livres, et, sans arrêter la voiture, à deux mains, le lança au petit bonhomme en disant:

– Oui, c'est moi le Roi. Tiens, attrape!

Le sac creva en touchant terre: les pépites du nord roulèrent dans la poussière du sud; la foule se rua à la curée avec une ardeur qui dégénéra bientôt en demi-émeute, et les galions à roues disparurent avec leur escorte derrière les lourdes portes de la Monnaie.

*
* *

Maintenant, Tildenn se trouvait dans la chambre de fer où l'on éprouve la valeur de l'or. C'était une sorte de cage, avec, au bout, quatre fours d'acier pour les creusets d'argile qui reçoivent les morceaux de minerai ou les pépites. Les employés y déposèrent quelques échantillons des sacs apportés par Tildenn, recouvrirent les creusets d'une calotte en argile, également, et commencèrent à les chauffer.

Bientôt, on entendit le ronflement de plus en plus fort du courant d'air à haute pression: les vases se colorèrent comme aux reflets d'une lueur lointaine et, peu à peu, passèrent au rouge transparent. La chaleur devint plus intense: le rouge fit place au blanc, un blanc trop éblouissant pour être fixé par des yeux sans protection, et de petites langues verdâtres ou bleues jaillirent, puis d'autres encore, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, – tout un jardin de fleurs phosphorescentes qui s'épanouissaient autour d'une île de corail, éclataient parfois en exhalant des saphirs, des émeraudes, de merveilleuses flammes changeantes… Et c'était si féerique dans la nuit du cachot de fer, que Tildenn ne savait plus où il était quand, subitement, quelqu'un lui prit la main et dit:

– C'est fait, votre or vaut seize dollars à l'once.

– Vraiment?

Il avait peine à se réveiller; l'autre le regarda d'un air surpris:

– Oui… Comme vous avez apporté un peu plus de trois tonnes, cela vous fera un million et demi de dollars pour cette fois.

– C'est bon, faites un reçu.

– Je vais le préparer moi-même, intervint le directeur de la Monnaie en personne. – Tous mes compliments, monsieur Tildenn. Vous êtes un homme heureux.

– Très heureux. Très. Un million et demi!.. Bah! Rob, j'en donnerais dix, j'en donnerais vingt, je donnerais la Veine Mère pour l'avoir, elle… Je viens d'apprendre qu'en descendant du Pacific, qui est arrivé deux jours avant l'Excelsior, elle s'est aussitôt rendue au couvent des Ursulines. Je lui ai écrit… Robert, vous avez appris à la connaître, puisque c'est vous qui l'avez amenée de New-York à Dawson – et que Dieu vous le pardonne! Dites-moi… pensez-vous, croyez-vous qu'elle oubliera?

– Il faut l'espérer, mon vieux. Vous savez le proverbe: «Never say die! Ne dites jamais: Tout est perdu!..»

– Je vous demande une réponse catégorique. Pourquoi user de détours? Quelle est votre idée?

Tildenn était devenu très irritable; il se pencha, pour mieux examiner la physionomie du Français, et ajouta:

– Vous ne dites rien, parce que vous savez comme moi, que jamais, jamais elle ne pardonnera… Damnation sur moi! me voilà plus ruiné qu'au soir du «Vendredi noir»!.. Et vous, voulez-vous que je vous dise ce que vous pensez?..

– Calmez-vous, je vous en prie, Tom! On va entendre…

– Qu'est-ce que ça me fait?.. Ah! vous avez peur!.. Eh bien, je le dirai tout haut, votre secret, faux ami que vous êtes! Vous l'aimez, vous! Et vous n'êtes pas fâché de ce qui m'arrive, parce que…

– Tildenn, vous n'avez pas le droit de parler ainsi. Taisez-vous, au nom du ciel, ou je vous ferme la bouche!

Face à face, prêts à se jeter l'un sur l'autre, ils semblaient deux aliénés hors de cellule. Robert de Saint-Ours fit un dernier effort: sa conscience un peu troublée vint au secours de sa raison, domina ses nerfs en révolte. Il recula jusqu'à la porte et sortit, mais pas avant que son ancien ami, resté immobile, lui eût jeté cet adieu:

– Damnation sur votre tête et la mienne!.. Vous ne l'aurez pas, Robert, vous ne l'aurez pas plus que moi!

Tom, ensuite, redevint silencieux. Le directeur de la Monnaie, très ému par cette scène, l'entraîna au dehors après lui avoir remis son certificat de dépôt. Cet homme, déjà âgé, appela un fiacre, l'y poussa et, pendant que la voiture s'éloignait, ne put s'empêcher de murmurer entre ses dents:

«Quels gens bizarres que ces revenants du Nord! Ceux d'Arizona ou du Colorado chantent quand ils apportent ici leur or. Ceux-ci ne disent mot, ou n'ont plus d'énergie que pour se disputer. Il y a un ressort de cassé dans leur mécanisme… Est-ce le Klondike qui les abrutit à ce point-là?»

*
* *

Tom a perdu sa fiancée et son ami; mais il a de l'or, beaucoup d'or; et il se le répète ainsi qu'une litanie, pour ne pas penser à autre chose, et aussi parce que le cerveau lui fait encore plus mal que jadis à New-York. Le cocher qui le mène se retourne de temps à autre pour lui montrer les merveilles de San-Francisco; mais le client n'écoute pas, ou bien répond à tort et à travers, et l'automédon commence à se poser exactement la même question que le directeur de la Monnaie. – C'est pourtant une de ces journées à ciel bleu où l'on a envie de chanter à pleins poumons parce que l'air est rempli de parfums!..

Tout à coup une idée lui passe par la tête. «Comment n'y ai-je pas pensé?.. Ça doit être ça: trop de solitude…» Il rassemble ses rênes: «Allons, hop! au trot!» et se dirige vers l'est de la ville, vers le rivage où la mer caresse amoureusement les plus splendides villas du monde.

Les voilà dans un parc en miniature, pas trop loin d'une église sur laquelle brille une grande croix de cuivre; puis, c'est une longue maison basse, entourée de vérandas, où l'on cause, où l'on rit sous des touffes retombantes de jasmin. Tiens, le son d'un luth!..

– Où suis-je? demande le voyageur.

Le cocher triomphe: il a trouvé le remède de son malade.

– C'est Yoshiwa, dit-il. N'est-ce pas que c'est beau?

Une voix l'interrompt; elle s'accompagne sur ces guitares à trois cordes qui sonnent faux aux oreilles occidentales:

Omaé shindara…

– Téra iva yaranou! crie Tom, tout à fait réveillé.

Et il se met à rire si fort que le cocher recommence à l'observer du coin de l'œil.

Des exclamations à travers le jasmin, pépiements d'oiseaux effarouchés; une robe de soie arrive, une petite tête aux cheveux noirs tressés sous des peignes bizarres entremêlés d'or et de fleurs:

– Comme c'est charmant! Auguste étranger, vous parlez honorablement notre langue!

– C'est moi qui l'ai amené! fait le cocher, en se redressant.

– Oui, c'est bien toi! – fait Tildenn, qui rit toujours. – Ho! ho! Aïkichi, ou Katsuko, petite geisha, que quel soit ton nom, veux-tu me mener à ta maîtresse? À l'instant!.. Vous, cocher, attendez-moi ici.

Le voilà devant madame. «Que désire-t-il? Nous ferons certainement de notre mieux pour le satisfaire. Nous avons…»

– Je veux acheter la maison et le parc.

– Quoi! Yoshiwa!.. vous mettre à notre place!

– Oui, pourvu que tout soit évacué dans les vingt-quatre heures.

– C'est impossible! Et que deviendrait San-Francisco sans nous?

– Faites votre prix, madame. Je ne plaisante pas. Tout n'est-il pas à vendre, ici?

Madame est très agitée. Elle a visité les cinq parties du monde; elle n'a jamais rien vu de pareil. Il lui faut au moins quelques minutes pour réfléchir.

– Sans doute, monsieur ne refusera pas un verre de champagne? Je vais revenir tout de suite…

Elle sort, court au fiacre:

– Qui m'avez-vous amené là, cocher? Un prêcheur ou un fou?

– Je ne sais pas trop s'il est fou, répond l'homme, mais je sais bien qu'il est le Roi du Klondike.

– Quoi! le fameux Tildenn dont parle le Times?

– Tout juste!

Madame disparaît comme un éclair; elle court, elle tremble, elle chante. À la porte du salon, elle trouve trois geishas que cet original vient d'expulser. Il n'a pas même touché à son verre.

– Eh bien, madame?

– Mon Dieu, monsieur, vous me voyez très embarrassée. Je suis veuve, voilà vingt ans que je travaille, et je n'ai pas d'autre moyen de gagner ma vie…

– Voulez-vous cent mille dollars?

Cinq cent mille francs! de quoi vivre honnête et respectée, à Nice, dans une villa, parmi la haute société!.. Pourtant, si l'on peut avoir plus…

– Yoshiwa vaut plus cher!

– Voulez-vous cent cinquante mille? Non! Eh bien, je vous offre mille livres d'or, deux cent mille dollars comptant, mais à une condition: c'est oui ou non, tout de suite. Après, vous ne me reverrez plus jamais.

Tom se lève; madame dit oui et pleure. Lui se rassied pour signer son chèque.

– Partez toutes ce soir! Laissez la maison telle qu'elle est; mais déguerpissez avec vos Japonaises, vos Turques, vos orientales et vos occidentales, toutes vos poupées aux enchères, que le tonnerre du ciel puisse écraser!

Il se met à jurer, et madame se sauve, les mains aux oreilles. Alors il revient seul à sa voiture, et il a honte d'avoir ainsi crié sa peine, lui qui, si souvent, a méprisé l'expansion méridionale, les plaintes, les grimaces familières aux races dont la langue et le visage redisent toutes les pensées au lieu de les cacher sous un masque stoïque. Il rentre au Palace Hotel pour se coucher sans même souper, et, sur sa table, il trouve un mot apporté du couvent:

«Mademoiselle d'Auray recevra monsieur
Tildenn demain, à dix heures
»sœur saint joseph.»
*
* *

Le lendemain est arrivé: dix heures sonnent avec recueillement à l'horloge du parloir, qui, depuis un demi-siècle bientôt, répète ainsi: «Toujours… Jamais». – Et le roi du Klondike l'écoute comme écoutent ceux auxquels on va lire leur arrêt de mort. Son cœur fait trop de bruit dans sa poitrine, au milieu du silence de cette pièce lugubre. Viendra-t-elle? Ne viendra-t-elle pas?

Des pas de l'autre côté de la grille, une porte qui s'ouvre, une religieuse qui entre – avec elle; elle, Aélis!.. Tom se lève, baisse la tête, veut parler, mais n'y réussit pas, et des larmes brûlantes, rapides, pressées, lui obscurcissent la vue, tombent à terre comme une pluie d'orage. Lui, un homme, il pleure, il gémit ainsi qu'un enfant. Aélis le regarde des mêmes yeux qui le virent un jour s'en aller à la Bête, quittant le comptoir où elle était assise et traversant la corbeille, à la Bourse de New-York. Pour le sauver alors, pouvait-elle sacrifier son honneur? Et maintenant, pouvait-elle…?

Elle se retourne vers la religieuse:

– Ma Mère, quoique je sois en retraite, voulez-vous nous laisser seuls? Pas plus de cinq minutes.

Mère Saint-Joseph s'en va…

Dix minutes après, elle revient, Aélis se lève:

– Adieu, Tom Tildenn… Allez à Lui: car, seul, il ne passe pas, et, seul, il sait ce qui nous convient le mieux. Chaque jour de ma retraite, je prierai pour vous, et, si vous le priez aussi de votre côté, il nous montrera notre voie à tous deux.

Ce disant, elle chancelle un peu: son ancienne maîtresse lui passe un bras autour de la taille, et doucement l'entraîne. Tildenn prend la grille à deux mains… Donc, c'était la fin, la fin de toute sa vie d'aventurier. C'était pour aboutir à cet adieu-là qu'il avait jeté aux quatre coins de l'Alaska plus d'énergie que d'habitude n'en possède un mortel!.. Il ébranla de toute sa force la cloison à claire-voie; le bois commença à éclater:

– Aélis! vous ne me reviendrez pas, je le sens, je le devine! Aélis, dites un mot, et je brise cette odieuse grille, et je vous emporte au bout du monde, loin de mon crime et de mon agonie. Aélis, je vous veux, m'entendez-vous!

Debout, vraiment magnifique en cet élan suprême, il semblait, nouveau Samson, qu'il allait faire écrouler le couvent: est-ce que rien pouvait résister à ses bras d'athlète? Les deux femmes s'arrêtèrent éperdues, tressaillant malgré elles jusqu'au fond de l'âme. Mais voilà que l'inexorable horloge, sonnant la demie, les rappela au devoir. Aélis reprit conscience d'elle-même et sortit la première; la religieuse la suivit en laissant une aumône au désespéré.

– Monsieur, monsieur, priez du fond du cœur… Ceux qui ont la foi font des miracles!

*
* *

Or le même soir éclata cet incendie qui surexcita au plus haut point la curiosité de San-Francisco. L'alarme sonna au premier, au deuxième, au troisième districts presque en même temps: les chevaux se précipitèrent hors de leurs stalles, les harnais s'ajustèrent automatiquement sur leurs reins, les pompiers bondirent à leurs places, et ils partirent, hommes et chevaux, parmi les tintements de la cloche, entre les hoquets des machines à haute pression prêtes à vomir des torrents d'eau. Dans leur sillage, une foule se précipita qui grossissait de seconde en seconde, d'autant plus que mille rumeurs étranges exaspéraient au plus haut point la passion de la multitude pour les drames.

– Qu'est-ce qui brûle?

– On dit que c'est Yoshiwa.

– Allons donc! Ce n'est pas possible! Il y a trop de monde.

– Mais il n'y a plus personne que le Roi du Klondike! N'avez-vous pas lu les journaux?

– Le Roi? Qu'est-ce qu'il fait là dedans?

– Il a cinq cents femmes, comme son collègue Salomon!

Les rires éclatèrent, vite arrêtés par l'essoufflement de la course. D'autres reprirent:

– C'est un couvent qui brûle!

– Drôle de couvent! Je vous dis que c'est Yoshiwa!

– C'est affreux!.. Les pauvres petites!.. Courons!

Quand ils arrivèrent à Yoshiwa, – puisque c'était bien ce fameux parc aux cerfs qui brûlait – ils virent le plus étrange des spectacles. Sept pompes à feu étaient arrêtées devant les grilles, et leurs officiers discutaient avec un homme très pâle, tête nue, qui criait de l'autre côté:

– Laissez-moi tranquille! C'est moi qu'ai mis le feu! La maison est à moi et je la brûle!.. Je suis Tom Tildenn, du Klondike… Il n'y a plus personne dedans, je les ai chassées. Laissez brûler!

Une porte céda, les pompes entrèrent, s'en allèrent évoluer devant la fournaise, où, tout de suite, elles dardèrent leurs jets d'eau. Mais ils s'engouffraient d'une façon pitoyable dans l'énorme brasier dont les flammes, maintenant, illuminaient la moitié de la ville.

– Laissez brûler: il a dit de laisser brûler; ça le regarde!.. Et, du reste, il n'y a plus rien à faire.

– On disait bien qu'il était fou!

– Fou à lier: regardez sa figure!.. A-t-il des héritiers?

– C'est le feu de joie du Roi!

La foule trouva le mot si plaisant qu'elle le répéta dans une immense acclamation. Tom Tildenn l'entendit. Il revécut alors son passé. New-York, le triomphe et la débâcle, puis le Klondike et la vie sauvage, les misères, les angoisses et la réussite. Plus tard, après l'extase, le retour; au sortir du désert, une simple idée lui était venue, son imagination s'était exaltée, il y avait pris plaisir, et, au moment précis où il avait dit à la tentation: «Oui!» avant même qu'il l'eût savourée, voilà qu'un effroyable châtiment avait surgi entre lui et son péché. Vraiment oui, il lui fallait un feu de joie pour célébrer cette conquête de l'or qui salit, qui empoisonne, qui détruit tout ce qu'il touche! – Jusqu'à ce petit garçon de la veille auquel il avait jeté une poignée de pépites, et que la foule, paraît-il, avait à moitié tué en se ruant sur le trésor… Où donc était le bonheur en ce monde? Dans la richesse ou dans la pauvreté? Dans la vie ou dans la mort?

Une moitié de Yoshiwa s'écroula: des appartements éventrés apparurent avec leurs glaces qui se tordaient, qui fondaient au feu purificateur, des dorures aussitôt disparues, des marbres blancs ou roses qui éclataient, pendant qu'au-dessus des baignoires d'argent de petits filets pleuraient leurs dernières gouttes. On vit des matelas de crin qui se tordirent comme des êtres vivants, se dressèrent, retombèrent dans un enfer de flammes, et la foule cria d'horreur. Un autre écroulement se fit dans une sorte d'explosion, les curieux se reculèrent; il ne resta plus qu'un large chaos noir d'où jaillissaient des myriades d'étincelles. Puis, de gigantesques gerbes de lumière rouge s'élevèrent de nouveau vers le ciel. Un lieutenant de pompiers cria:

– Il faut protéger l'église des Franciscains: voyez, les flammèches vont par là…

Tout le monde regarda de ce côté, le Roi avec les autres. L'église apparaissait comme en plein jour, avec ses arceaux gothiques, sous lesquels, tant de fois, l'ange de la vie future était venu consoler les déshérités du siècle. Si la foule n'en eut guère l'intuition, Tom Tildenn, du moins, y pensa. Sur le faîte, très haut, la grande croix de cuivre resplendissait dans un ciel pourpre. Presque à son insu, il tomba à genoux, il tendit les bras, et ses lèvres, qui depuis l'âge d'homme ne savaient plus prier, s'ouvrirent malgré elles:

«Mon Dieu, si vous le voulez!..»

Sur terre, personne ne fit attention au cri du fou: le bruit haletant des machines dominaient tout le tumulte. Mais comme, à cette seconde, Tom Tildenn avait la foi – la vraie foi dont parlait Mère Saint-Joseph – peut-être, peut-être Dieu, qui l'entendit, fit-il un miracle au cœur d'une vierge.

FIN
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
181 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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