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Читать книгу: «Childéric, Roi des Francs, (tome premier)», страница 6

Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie
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CHILDÉRIC
LIVRE SEPTIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE SEPTIÈME

Childéric, forcé d'aller à la chasse, et inquiet de l'état dans lequel étoit plongé le vieillard, l'avoit recommandé aux soins de Viomade. Gelimer à son réveil jette un cri d'effroi, en reconnoissant le brave au lieu de son cher élève; mais il se rassure, et le retour du prince le console bientôt. Il veut s'asseoir sous les chênes. Childéric reprend son récit, et raconte avec sensibilité la rencontre qu'il fit à la pêche, d'une jeune fille nommée Talaïs, leurs jeux, leurs plaisirs, l'amour qu'elle conçut pour lui, le trouble qu'il en ressentit; les conseils de Gelimer en garantissent. Progrès de la passion de Talaïs; son désespoir; sa mort. C'est sa tombe que Viomade a aperçue, et sur laquelle il a déjà placé la guirlande funéraire. Childéric y conduit de nouveau ce brave, et dépose le tribut du regret et de la piété sur la pierre funèbre. De retour dans la grotte, le prince engage Viomade à partir promptement pour la France, afin de rassurer le roi, et le charge de lui dire qu'un serment sacré l'enchaîne dans ces lieux. Gelimer est agité. Viomade refuse de partir sans le fils du roi. Childéric ordonne. Le brave offre de remplacer le prince auprès du vieillard, qui le repousse, et promet de lui rendre réponse le lendemain. Il gémit sur sa couche; en vain le prince le rassure. Le jour renaît, Gelimer n'est plus, il s'est percé le cœur du javelot même du prince. Juste douleur. Cérémonie funèbre. Adieux éternels à la grotte, aux forêts, à la tombe de Talaïs. Childéric part suivi du brave.

LIVRE SEPTIÈME

Childéric s'étoit levé dès le point du jour pour aller à la chasse, car les provisions alloient manquer; il avoit défendu à Viomade de le suivre. Le chagrin qu'éprouvoit Gelimer l'affligeoit, il ne voulut pas le laisser seul, et recommanda au brave de ne point s'éloigner de son vieil ami, de pourvoir à ses besoins, sur-tout de ne lui rien dire qui pût exciter sa tristesse. Songe que je l'aime, disoit ce prince; que sa peine est ma peine, que le rendre malheureux, c'est me déchirer le cœur. Viomade promit d'obéir aux ordres du prince, celui-ci s'éloigna doucement pour ne pas troubler le repos de Gelimer, qui s'étoit endormi depuis quelques momens. Viomade attendit silencieusement son réveil; mais Gelimer jeta un cri d'effroi en le reconnoissant. Où est Childéric? dit-il, avec impétuosité; où est-il? A la chasse, reprit Viomade; il m'a ordonné de rester près de vous jusqu'à son retour. Gelimer parut frappé d'une vive douleur; mais revenant à lui, et étendant les bras avec passion, il s'écria: Oh! pardonne, ô toi! dont l'ame est innocente; ô toi! l'ange tutélaire de mes jours, pardonne au soupçon injurieux qui vient de s'élever dans mon cœur. Ah! je l'abjure; et plein de confiance, je t'aime et t'admire. Alors le vieillard quitta sa couche; Viomade lui présenta le repas que Childéric lui avoit préparé; il le repoussa, sortit de la grotte, se plaça sous les chênes, et tomba dans une sombre rêverie, dont rien ne put le tirer. En vain on l'auroit entrepris, ses idées s'étoient emparées de toutes ses facultés; il parloit avec lui-même, se répondoit, s'accusoit de foiblesse, cherchoit à ranimer l'étincelle de générosité qu'il sentoit dans son cœur; mais l'amour de la vie, la crainte de perdre ce qu'il aimoit, le faisoit retomber dans ses premières perplexités. Childéric ne se fit pas long-tems attendre, il revint chargé de différens gibiers. A son approche, le front sourcilleux de Gelimer s'épanouit, le sourire reparut sur ses lèvres, le bonheur rentra dans son ame. Les soins qu'exigeoient les provisions achevèrent d'employer la matinée; le jour étoit froid et pluvieux: cependant l'hiver étoit écoulé, et le printems alloit prendre lentement sa place, réparer ses ravages, et préparer les fleurs de l'été, les fruits de l'automne. Il fallut passer dans la grotte cette journée destinée à terminer le récit de Childéric: après le repas, il commença en ces termes.

J'étois depuis quatre années dans ce séjour, et rien n'avoit troublé le cours paisible de ma vie; les leçons de Gelimer avoient fortifié mon ame contre mes secrets chagrins; je m'affligeois pourtant de l'abandon dans lequel me laissoit le roi; je songeois aux larmes que répandoit sans doute ma mère; ma pensée, plus formée, me retraçoit mieux mes malheurs; mais j'avois aussi plus d'attachement pour Gelimer, plus de respect, et mes sermens me sembloient chaque jour plus sacrés. Loin de renoncer à ma patrie, je me peignois le moment où privé de mon ami, fuyant des lieux qu'il auroit cessé de me rendre chers, je volerois dans les bras de mon père. Cette pensée donnoit le change à mes désirs; heureux du présent, sûr de l'avenir, je me livrois à l'étude et à la chasse, sans négliger mes plantes, mon chemin, mes bancs de mousse, notre colline, et les soins plus utiles à notre subsistance. En chassant j'avois poursuivi près d'une journée un oiseau qui m'étoit inconnu, et que je n'avois pu atteindre; il m'avoit mené si loin, que je craignis de ne pouvoir retrouver la grotte avant la nuit; je me reprochai mon étourderie en pensant à Gelimer, à ses inquiétudes, à l'abandon où je l'avois laissé; et quoiqu'accablé de fatigue, je me condamnai moi-même à le rejoindre à quelque prix que ce fût. En vain je me hâtai, il étoit nuit quand j'arrivai, et j'entendis de loin l'instrument chinois que vous connoissez; Gelimer, qui me croyoit égaré, faisoit retentir les airs de ces sons, pour qu'ils me servissent de guide dans l'obscurité; j'arrivai hors d'haleine, ne pouvant plus me soutenir, et je tombai dans les bras de mon ami en m'accusant d'imprudence, en le suppliant de me pardonner; il m'embrassa tendrement, ne se plaignit point, m'invita au repos. Je lui contai pourtant mon aventure; après quoi nous nous mîmes à table, et la nuit je dormis profondément; le lendemain je ne le quittai point, mais il exigea que je reprisse mes exercices, me promit de ne plus s'inquiéter de mes absences prolongées; je promis de mon côté de ne plus m'écarter. Cependant la partie du bois que j'avois découverte dans ma dernière chasse m'avoit parue charmante, elle entouroit un beau lac dont les eaux paisibles offroient une pêche facile. Ce nouvel amusement me plût beaucoup, et tandis que je m'en occupois, je remarquai qu'un jeune homme, du moins je le crus d'abord, m'examinoit attentivement, et qu'il me suivit quand je m'éloignai; c'étoit une heureuse rencontre pour moi que celle d'un compagnon de mon âge; je résolus de retourner au lac et de m'approcher de lui quand il me suivroit; mais dès que je marchai vers lui, il s'enfuit rapidement, et le lendemain il en fit autant. Chaque jour je retrouvois le jeune chasseur qui m'évitoit en me cherchant, et je crus à sa taille, à sa couronne de fleurs dont depuis peu il ornoit sa chevelure, que ce n'étoit point un homme, mais une femme. J'eusse mieux aimé d'abord un compagnon de mon sexe; il me sembloit que, plus fort et plus agile, il partageroit mieux mes plaisirs; bientôt l'idée d'une femme me parut plus douce; mais surpris de son empressement à me suivre et à me fuir, je n'essayai point de la poursuivre, comme elle m'a dit depuis qu'elle l'avoit espéré. Lassé même de cette singularité, craignant de me laisser encore entraîner et d'inquiéter Gelimer, je n'allai plus au lac, je renonçai à mon nouveau plaisir, et ne m'occupai que de ma chasse. Mon indifférence l'emporta sur la ruse de la jeune fille; ne me voyant plus vers le lac, elle me chercha dans les bois, et m'ayant rencontré, elle s'avança vers moi en souriant. Elle étoit vêtue d'un habit de toile de coton d'une couleur éclatante, son corsage laissoit voir ses bras, ses épaules et son sein, ses cheveux noirs et frisés étoient mêlés de feuillages et de fleurs, ses jambes et ses pieds étoient nuds. Son teint étoit brun et animé de vives couleurs; ses yeux extrêmement noirs, ardens, et son regard audacieux, sa bouche grande, ses dents blanches et bien rangées: telle étoit Talaïs; c'est ainsi que j'appris d'elle-même qu'elle s'appeloit. Hélas! pour son malheur, l'infortunée m'avoit aperçu près de ce lac, où elle cherchoit des perles qui y sont abondantes; ma chevelure blonde l'avoit frappée, elle m'avoit suivi, entraînée par sa curiosité. Depuis elle m'avoit revu, et si elle avoit fui, c'étoit pour m'attirer jusqu'à son habitation; mais ne pouvant me décider à la suivre, elle étoit venue, disoit-elle, pour me voir. Elle parloit le même langage que Gelimer m'avoit enseigné; je l'entendis donc sans peine, je lui répondis également. L'expression de ses traits me parut vive et hardie. Talaïs ne connoissoit point l'art, et s'abandonnait à la nature; ses charmes sans pudeur, ses mouvemens sans graces, ne firent aucune impression sur mon ame. Nous chassâmes le reste du jour; le lendemain elle vint encore partager mes jeux; à la course, elle l'emporta pendant quelque tems, mais je devins plus agile qu'elle; elle m'apprit à découvrir les perles dans leur coquillage, à prendre du poisson sans le tuer à coup de flèches, comme je le faisois d'abord; j'avois fait part de cette rencontre à Gelimer; il m'avoit recommandé de ne pas m'écarter avec elle, d'éviter l'habitation de ses parens, de crainte qu'ils ne me gardassent de force parmi eux; mais il ne s'opposa pas à ce qu'elle se mêlât à mes plaisirs. L'hiver je la vis moins; cependant elle venoit quelquefois sur la colline, j'allois l'y joindre et nous courions en riant sur les neiges. Le printems revint, et tous nos jeux recommencèrent avec lui. Je m'apercevois que Talaïs devenoit rêveuse, elle tressailloit à mon approche, soupiroit, me tendoit les bras, ses regards enflammés avoient souvent une expression que je ne pouvois soutenir; je baissois les yeux en rougissant; loin d'elle, j'en étois encore troublé; mon sommeil étoit inquiet, mes songes me rendoient Talaïs. La hardiesse de ses mouvemens, l'audace de ses traits, sa parure, si contraire à celle de la chaste Aboflède, et qui d'abord m'avoient repoussé, me firent tout-à-coup une impression bien différente. Le printems, en ranimant toute la nature, offroit de nouveaux piéges à ma raison déjà troublée, et je n'abordois plus Talaïs qu'avec un cœur palpitant. Elle s'aperçut de son ouvrage et résolut de m'enchaîner pour toujours; elle ignoroit que j'avois dans mon ami une seconde prudence, qui veilloit encore quand la mienne étoit endormie; elle me proposa de la suivre, de venir habiter avec elle; enfin, d'être son époux; elle m'y invita par les plus tendres caresses; mon trouble s'en augmenta, un feu brûlant circuloit dans mes veines et me dévoroit. Pourquoi, lui dis-je, éloigner l'instant du bonheur? pourquoi te suivre? n'avons-nous pas ici un abri assez paisible et ne sommes-nous pas deux? Talaïs crut que dans ce moment je ne lui refuserois rien; elle me pressa de la suivre, et s'arracha de mes bras. Abandonner Gelimer n'étoit pas un sacrifice que l'amour même pût obtenir, et je n'avois que des désirs; je refusai Talaïs, elle devint pâle de fureur, m'accusa d'indifférence, m'accabla de reproches, m'assura de sa haine, me dit adieu et me quitta brusquement. Je m'étois calmé pendant qu'elle s'abandonnoit à la colère, je ne cherchai ni à l'appaiser ni à la suivre; content de moi, en paix avec ma conscience, je rejoignis Gelimer avec plus de plaisir encore: je lui contai ce qui venoit de se passer entre Talaïs et moi; il m'écouta attentivement. Mon ami, me dit-il, les passions sont les maladies de l'ame, la morale et la religion en sont les seuls remèdes; heureux qui y a recours avant que leurs progrès soient tels, que rien ne puisse les guérir! Talaïs, simple élève d'une nature toujours sauvage quand la raison ne l'a point adoucie, se livre sans détour et sans crainte; c'est à toi, éclairé par des principes, à l'écarter de l'erreur qui la séduit. Elle te veut pour époux; ce nœud peut-il faire ton bonheur? Le mariage, sans doute, est le lien unique de félicité pour l'homme pur et sensible; le plaisir l'enflamme, l'entraîne et l'abuse; mais il ne le satisfait que pendant sa courte durée; veux-tu faire ton épouse de Talaïs? Non, sans doute, répondis-je à Gelimer, je ne renonce point à ma patrie, je ne veux point former, loin de mon père, ces nœuds saints et éternels. Eh! que feras-tu de ton amie, me dit-il alors, si tu l'as séduite, si elle s'est donnée à toi, si tu lui as ravi sa pureté? Abandonneras-tu celle qui aura été la tienne? la laisseras-tu pleurer jusqu'à la mort, sur l'instant qui l'aura unie à toi? Je ne veux point séduire Talaïs, répondis-je; ses caresses me troublent, mais elle n'a point enflammé mon cœur. Eh bien! fuis-là, me dit Gelimer, crains la jeunesse et la nature; fuis la vierge brûlante qui fera passer dans tes veines le feu qui la consume; les dieux, l'honneur, l'humanité t'en conjurent. N'excite point son amour par ta vue, sois son défenseur contre toi-même; protège l'être foible que l'amour te livre. Gelimer continua long-tems à m'entretenir; je l'écoutois avec admiration; je sentois s'éteindre la flamme passagère des désirs; je me disois, la paix seule est un bien pur et parfait; je me promis de ne point chercher à troubler le repos qui rentroit si doucement dans mes sens, et d'éviter Talaïs. Je ne sortis point dans la matinée, et le soir je chassai d'un côté opposé à celui de nos rendez-vous. Ma chasse ne fut point heureuse, le tems étoit sombre, je rentrai plutôt que de coutume, et je parlai beaucoup moins qu'à l'ordinaire; j'écoutois même avec distraction; j'attendois impatiemment l'heure du sommeil, elle arriva sans m'apporter le repos que j'espérois; je revis le jour sans plaisir, il s'écoula comme la veille, et plus tristement encore; en vain un ciel pur et serein, le charme d'un beau jour, le chant des oiseaux, la fraîcheur des vents, le parfum des fleurs, tout m'invitoit à un doux ravissement: je ne voyois autour de moi que l'absence de Talaïs. De son côté, elle me cherchoit, l'amour l'avoit emporté, elle s'étoit reproché sa fureur, elle vouloit me trouver, m'appaiser, car elle me croyoit offensé, sur-tout ne m'ayant point trouvé à nos rendez-vous accoutumés. Elle étoit venue jusqu'à la grotte, et s'étoit enfuie en ne trouvant que Gelimer. Enfin, elle m'aperçut comme je revenois lentement et livré à une mélancolie profonde; un cri qu'elle jeta ranima en un moment toute mon ame; elle s'élança vers moi, se jeta à mes pieds, me conjura d'oublier ses emportemens, me jura de m'aimer, de m'obéir, de m'être à jamais esclave soumise. Attendri par des expressions si touchantes, je la relevai avec empressement, je la fis asseoir près de moi sur un banc de mousse. Là, sans lui avouer la grandeur de ma naissance, je lui confiai les événemens qui m'avoient conduit dans ce séjour, mon intention de m'en éloigner dès que je le pourrois, pour me réunir à mon père. J'eus le courage de lui dire que ma religion, mes devoirs, les mœurs de ma patrie, s'opposoient à mon union avec elle; je lui conseillai de me fuir et de m'oublier. Mais la crainte de l'affliger me fit mêler à mes sages discours, des expressions si tendres, des soupirs si passionnés, que Talaïs y puisa de nouvelles espérances. Nous nous séparâmes contens tous deux, moi d'avoir été sincère et de la trouver si résignée, elle de m'avoir vu si tendre. Elle me promit même de vaincre son amour, si je consentois à la revoir comme avant notre querelle; j'y consentis et elle s'éloigna; je revins dans la grotte avec toute ma sécurité. Gelimer la troubla de nouveau, et m'effraya sur le piége caché que j'étois loin d'apercevoir; cependant Talaïs remplit sa promesse, et ne prononça plus les noms d'hymen ni d'amour; ses yeux seuls m'en parloient encore, sa bouche observoit le silence, et je ne paroissois pas entendre ce qu'elle se défendoit de me dire. Mais ces efforts lui coutoient beaucoup, et insensiblement devinrent si pénibles, qu'ils altérèrent sa santé et presque sa raison; elle versoit des pleurs et sourioit tout-à-coup. A mon aspect, elle devenoit pâle et rougissoit au même moment; elle ne pouvoit ni demeurer près de moi ni me quitter; si ses regards rencontroient les miens, elle en étoit comme blessée. Elle ne chassoit plus, et négligeoit jusqu'au soin de sa vie, passoit quelquefois la nuit dans les bois, sans abri et sans nourriture; je la retrouvois le matin à la place où je l'avois laissée la veille, immobile et baignée de pleurs. Sa douleur, son abandon, un amour si vrai, si soumis, un malheur si profond et si tendrement exprimé ne pouvoient pas m'être indifférens, j'en fus ému jusqu'au désespoir. Elle se meurt! disois-je à Gelimer; hélas! elle périt comme la plante délicate exposée au soleil ardent; elle se meurt, et je pourrois lui sauver la vie; la raison doit-elle ordonner sa mort? Gelimer trouvoit dans la religion des armes puissantes contre ma foiblesse; son flambeau sacré dont il m'éclairoit, me fit voir la corruption et le vice, là où je n'avois entrevu que la tendre compassion; m'arrêta prêt à tomber, et me soutint au bord du précipice. Talaïs lassée de souffrir et de combattre, Talaïs cessa tout-à-coup de venir me joindre. Gelimer profita de cet éloignement pour me retracer mes devoirs; il ne savoit pas qu'il en existoit un encore dans ma naissance et mon glorieux espoir, dans l'image que je conservois des graces de ma mère, des vertus modestes dont elle embellissoit l'amour, l'hymen et le trône; c'étoit comme elle que devoit être mon épouse, la mère de mes fils, et non comme l'infortunée Talaïs. Sa vue me rendoit mes désirs, son absence seule me laissoit ma raison. Depuis long-tems je ne l'avois pas revue, et j'étois tranquille; mais un matin, comme j'écartois la pierre qui ferme l'entrée de la grotte, je l'aperçus assise sous ces chênes. Hélas! la malheureuse attendoit depuis long-tems mon réveil; je frissonnai à sa vue, elle me fit signe d'approcher, je courus lui dire que Gelimer avoit besoin encore de ma présence. Je t'attendrai, me répondit-elle avec un profond soupir; libre d'aller la rejoindre, je ne pouvois m'y déterminer; un secret pressentiment retenoit mes pas, et je me sentois agité de sombres pensées; enfin, je marchai vers elle, elle paroissoit tranquille; mais en l'examinant, je la trouvai languissante et abattue, sa main étoit brûlante, l'approche de la mienne la fit tressaillir, ses cheveux étoient en désordre et couvroient son visage; elle essaya de se lever et retomba sur le gazon. O ciel! je n'en puis plus, dit-elle: je l'aidai à se relever, elle pouvoit à peine se soutenir, elle s'arrêta incertaine et reprit sa marche comme par une réflexion déterminée; elle trembloit, sa respiration étoit pénible, son sein palpitant, j'étois moi-même violemment agité. Mais observant qu'elle chanceloit à chaque pas, je passai mon bras autour d'elle pour la soutenir, elle se laissa aller sur mon épaule, un froid mortel la saisit, elle demeura comme évanouie; peu-à-peu elle reprit ses sens, continua sa marche lente et dans un profond silence. Son regard austère s'élevoit jusqu'aux cieux et retomboit vers la terre; une fièvre brûlante la dévoroit; le souffle de son haleine sembloit un air embrâsé. A ces terribles effets, on reconnoissoit la passion dans toute sa violence; j'en étois effrayé autant qu'ému, et je n'osois troubler la méditation dans laquelle elle étoit plongée. Nous fîmes ainsi une assez longue route, et nous parvînmes à un charmant bocage, au milieu duquel s'élevoit une roche couverte de pampres; du sein de cette roche s'élançoit en cascade une onde abondante et limpide qui, tombant dans un bassin profond, contrastoit par le bruit de sa chûte, avec la paix de ces lieux si rians et si calmes. La fraîcheur des ondes conservoit encore au feuillage et aux gazons toute leur beauté printannière, quoique nous fussions aux premiers jours de l'automne. Arrivés sur la cime de la roche, Talaïs me fit signe de m'asseoir; elle se plaça près de moi, passa un de ses bras autour de mon col, appuya sa tête sur ma poitrine, et demeura en silence; je me sentis baigné de ses pleurs, mon agitation étoit à son comble; Talaïs sembloit réfléchir profondément. Après s'être ainsi doucement reposée, elle parut plus calme; bientôt elle releva sa tête et me regarda. Son visage pâle et décoloré étoit baigné de larmes, ses yeux remplis de tristesse, tous ses traits peignoient la désolation; je pressentois une partie de ce que préparoit si lentement son désespoir. Ah! me dit-elle, avec un accent inexprimable, et qui retentit encore autour de moi, je suis venue pour t'offrir encore l'infortunée Talaïs… Dis, oh! dis-moi que tu la veux pour épouse! O ma bien aimée, lui répondis-je, en passant mes bras autour d'elle; oh! écoute-moi, tu ne sais pas tous mes secrets; tu ignores… Barbare! me dit-elle, en m'interrompant et s'arrachant de mes bras, garde tes funestes secrets; si je n'ai pas su plaire, je sais mourir. A ces mots, plus prompte que le regard, elle s'élance du rocher dans l'abîme, j'entendis le bruit de sa chûte… Je volai à son secours, hélas! tous mes soins furent inutiles, le rocher étoit élevé et l'abîme étoit profond. En vain je m'élançai dans l'onde, en vain j'eus recours à tous les moyens que m'inspira mon cœur; la nuit et la pénible certitude de la mort de l'infortunée, m'arrachèrent de ce lieu funeste. Gelimer partagea mes justes regrets. Le lendemain je courus vers l'abîme qui renfermoit la tendre victime de l'amour; je ne m'en éloignai que le soir; j'y retournai jusqu'à ce que son corps reparut sur les ondes; alors je l'emportai jusqu'à la grotte; je lui avois destiné pour dernière demeure le lieu consacré à nos entretiens; j'y creusai une large fosse, que je remplis de fleurs et d'herbes odoriférantes; j'y plaçai le corps de Talaïs, que je recouvris de fleurs, de feuillages, de gazon; j'y plaçai une pierre gravée. Gelimer vint y chanter l'hymne de la mort; et depuis j'y retourne chaque jour gémir sur son sort et appaiser son ombre. Une perte aussi cruelle a jeté dans mon ame une profonde amertume; mes premiers plaisirs ont cessé de me plaire; ces bois sont déserts pour moi, ou ne m'offrent que Talaïs mourante; mon seul bonheur est d'écouter Gelimer, de lui prodiguer mes soins, de m'instruire à supporter les revers, à combattre, à surmonter la douleur, à triompher d'un souvenir qui a troublé mes sens et mon ame. Childéric se tut, on vit qu'il pensoit à Talaïs, chacun respecta son silence. On approchoit de l'heure destinée au sommeil; Childéric en avertit Gelimer. Ce ne fut que le lendemain qu'il conduisit Viomade sur la tombe de Talaïs; celui-ci lui raconta comment il l'avoit découverte, et montra au prince la guirlande flétrie qu'il y avoit déposée lui-même. Childéric renouvella le simple hommage qu'il avoit coutume d'offrir à la tombe de sa malheureuse amante. De retour dans la grotte, le jeune prince s'assit à table entre ses deux amis; il voyoit sur le front de Gelimer la douleur et l'inquiétude, et dans les yeux de Viomade une secrete espérance mêlée d'alarmes; il sentoit lui-même combien ces déserts alloient devenir affreux pour le vieillard; mais Childéric n'hésitoit point, il vouloit seulement rassurer Gelimer et donner ses ordres à Viomade. A peine eurent-ils achevé leur repas, que Childéric dit au brave: Je te dois, ami, une bien vive reconnoissance, tu as traversé pour moi les déserts et les sombres bois, tu as souffert, tu as exposé ta vie, et au milieu de tous les périls, tu es venu me parler de mon père… Reçois les remercîmens que je te dois, mais prépare-toi à recevoir bientôt ceux de Mérovée. Demain, dès l'aurore, tu quitteras ces lieux, et je t'enseignerai une route sûre et peu longue; le printems qui commence, embellira ton voyage, je t'armerai de mes meilleures flèches, tu porteras à mon père des tablettes sur lesquelles j'écrirai tout ce que je croirai propre à le consoler de mon absence. Mais quand il apprendra que la reconnoissance, la tendre amitié, dit-il, en se jetant dans les bras de Gelimer et le pressant sur son cœur; quand il saura que des sermens sacrés me retiennent ici, son noble cœur sera satisfait; un fils ingrat, insensible et parjure ne seroit plus digne de lui. O dieux! s'écrioit Gelimer, ne permettez pas que j'accepte son sacrifice. Viomade, emporté par son zèle et sa guerrière franchise, osa refuser de partir, représenta au jeune prince que son retour sans lui couteroit la vie au monarque; qu'Egidius, profitant de cet instant favorable, monteroit sur le trône, que la couronne seroit à jamais perdue pour lui. Viomade, lui dit le prince avec fierté, vous peignez mon père comme un roi sans courage et sans vertu. Heureusement le ciel m'a fait un plus auguste présent. Mérovée a survécu à la nouvelle de ma mort, à la perte d'Aboflède, il ne succombera point, quand il sera sûr que je vis pour l'aimer, et me rendre, s'il est possible, le digne héritier de sa valeur et de ses vertus. Viomade désolé, offrit de conduire avec eux Gelimer. Barbare! dit le prince, veux-tu donc sa mort? Comment, tu peux proposer à un vieillard aveugle et mourant de l'arracher de sa retraite, pour traverser un pays immense, accablé par l'âge, exposé à la pluie, au vent, aux ardeurs du soleil, couchant sur la terre, quand il ne peut faire un pas sans un appui! Tu veux l'entraîner des Palus dans les Gaules! Eh bien! dit Viomade, qu'il reçoive mes soins, mes services; je m'engage, par tous les sermens, à vous remplacer près de lui. Le remplacer! remplacer Tcie! ô dieux! s'écrie Gelimer, l'univers entier ne le pourroit pas. Mais, ajouta-t-il, d'un air sinistre et terrible, demain je vous répondrai. Non, mon ami, reprit le prince avec douceur, j'ai répondu et Viomade m'entend; c'est comme fils de Mérovée que je lui ordonne de renfermer à l'avenir un noble zèle que j'admire, tant qu'il ne sort pas des bornes que je dois lui prescrire. Demain il partira, il ira remplir de joie l'ame de mon père. J'ai encore des tablettes que j'ai apportées de France; je sors pour écrire plus librement sous ces chênes; venez, mon cher Gelimer, le tems est calme et doux; venez, appuyez-vous sans crainte sur le bras de votre cher Tcie, toujours votre fidèle appui. O Tcie! disoit Gelimer, que tu es beau aux yeux de la divinité! qu'ils seront heureux les peuples gouvernés par toi! Oh! si ta sensibilité ne t'égare point, si tu peux résister aux passions du monde, quel roi sera plus grand, et quels peuples seront mieux gouvernés! O mœurs pures de nos bois solitaires! ô vie simple! et qui ne laisse point d'amertume, paix de l'ame, n'abandonnez jamais celui pour qui je forme mes derniers vœux! Childéric entraîna Gelimer hors de la grotte, et s'éloigna de lui et de Viomade pour écrire au roi. Le jeune prince étoit plus ému qu'il n'avoit voulu le paroître; il chérissoit son père, et ce n'étoit pas sans effort qu'il avoit ordonné le départ du brave; il lui sembloit aussi qu'il porteroit avec gloire le sceptre des rois, et il connoissoit toute l'étendue de son sacrifice. Il se peignoit le moment où tombant aux pieds de son père, il recevroit encore ses douces caresses si chères à son souvenir; ce moment où, au milieu des siens, entouré de sujets fidèles, il verroit dans tous les yeux la joie de son retour. Il ignoroit quand un jour si beau se leveroit pour lui; il sentoit ce que le tems pouvoit lui coûter. En écrivant au roi, ses larmes coulèrent, son cœur fut déchiré; mais il ne lui vint pas même à l'esprit qu'il fût possible de changer son sort. Pendant qu'il écrit, Gelimer défend à Viomade de troubler ses méditations, et reste sous les arbres. La nuit les réunit dans la grotte, et Childéric éloigne tout entretien affligeant. Le vieillard presse sur son cœur le jeune prince, l'embrasse et gagne son lit. Childéric ferme la grotte et s'éloigne avec Viomade; il ne songe point encore au repos, et remet ses tablettes à l'ami fidèle qui les reçoit à regret; déjà il a tout préparé, jusqu'à l'arc, jusqu'aux flèches dont il doit l'armer; il se propose même de l'accompagner quelques heures, si Gelimer l'approuve. Childéric ne cesse de répéter à Viomade tout ce dont il le charge pour son père, pour Ulric, pour son fils Eginard, ami de son enfance et compagnon de ses jeux. Une partie de la nuit s'est écoulée avant qu'il cherche le sommeil; aussi étoit-il grand jour depuis long-tems lorsque les deux amis s'éveillèrent. Surpris de voir déjà la matinée si avancée, et étonnés du silence de Gelimer, ils se levèrent à la hâte; Viomade courut ouvrir l'entrée de la grotte, et le prince s'approcha doucement du vieillard; il paroissoit dormir profondément: hélas! c'étoit du sommeil de la mort. Le généreux Gelimer, ne pouvant supporter la vie loin de l'objet de sa vive et unique affection, ne voulant pas l'arracher plus long-tems au bonheur et à la gloire, s'étoit percé le cœur du javelot même du jeune prince; le trait étoit encore dans son sein. A ce spectacle, digne d'admiration et de larmes, Childéric jeta un grand cri; Viomade s'approcha avec empressement, et le prince lui montra en silence le corps glacé de son généreux ami. En vain ils retirèrent l'arme meurtrière du sein vertueux qu'elle déchiroit; la mort avoit saisi sa proie; les soins tardifs et impuissans ne rappelleront point son ame déjà parvenue aux demeures célestes. O Gelimer! disoit Childéric, tu revis encore dans mon cœur; puissent tes leçons n'en sortir jamais, et cette action sublime et cruelle m'apprendre à mourir! Triste et désolé, Childéric resta tout le jour près du corps de son ami; il y passa la nuit entière, et le lendemain il songea à lui obéir. Terribles et derniers devoirs!.. Tous deux creusent au milieu de la grotte la tombe que le sage a ordonnée. Childéric ne put l'y placer sans verser des pleurs; il contempla encore cet ami qu'il alloit cesser de voir. O mort! disoit-il, mort cruelle! déjà deux fois ma main, innocemment coupable, t'a livré deux victimes. O Gelimer! ô Talaïs! Le corps est recouvert de gazon; à mesure qu'il disparoît, la douleur du prince est plus violente. Viomade place une large pierre qu'il a trouvée près de la grotte, et qui recouvre la tombe; il y grave ces mots:

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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