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Читать книгу: «Childéric, Roi des Francs, (tome premier)», страница 5

Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie
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LIVRE SIXIÈME

Les rayons du jour pénétroient à peine dans la caverne, que déjà ses trois habitans s'étoient éveillés. Gelimer agité avoit moins dormi que les autres, il sentoit la faute qu'il avoit commise, s'affligeoit; mais il aimoit si tendrement Childéric, qu'il ne pouvoit se repentir d'une action coupable sans doute, mais autorisée par les lois de la guerre. Viomade seul réunissoit son courroux, sa haine, et tout en admirant son dévouement, il voyoit en lui la cause de son malheur; injuste comme la passion, il le charge de son infortune: un grand trouble l'agite, il est peint sur son visage décomposé. Childéric lui reproche ce qu'il prend pour un soupçon qui l'outrage. Moi t'outrager! lui dit Gelimer; ô mon cher Tcie! car tu l'es toujours pour mon cœur, ne sais-tu déjà plus lire dans mon ame? Le prince se jeta dans ses bras, et le conduisit, ainsi que Viomade, sur la colline; là, les bras élevés vers les cieux, ils implorèrent la divinité. Après ce juste hommage, auquel sembloit s'unir toute la nature, ils firent un léger repas, vinrent ensuite s'asseoir sous les chênes, et Childéric commença, à son tour, le récit des événemens qui, depuis six années, le tenoient séparé de son père et de sa patrie. Gelimer appuya tristement sa tête sur ses mains en écoutant, et Viomade, l'œil avide de voir son maître, l'oreille attentive, sembloit avoir son ame suspendue aux lèvres du prince.

Je commencerai comme toi mon récit, dit-il. A la journée de Cologne, mon père, inquiet de ma grande jeunesse, me confia à tes soins, et tu m'éloignas du danger, jusqu'au moment où tu vis le roi entouré; plus prompt que la foudre, tu cours à sa défense, les braves te suivent. Je veux me mêler à eux; le mouvement qui se fit autour de moi, fut si violent et si rapide, que j'en fus renversé; foulé aux pieds, je m'évanouis, et j'ignore ce que je devins, jusqu'à l'instant où je repris mes esprits. C'étoit au milieu de la nuit, elle étoit calme, le ciel étincelloit du feu des étoiles, et je me sentis dans une petite barque qui voguoit légèrement sur le fleuve. Le bruit des rames, cette barque, objet qui m'étoit encore inconnu, le spectacle qui s'offroit pour la première fois à ma curiosité enfantine, me causèrent une innocente joie: cependant je demandai où j'allois, avec qui j'étois; une voix étrangère me répondit dans une langue que je n'entendis pas: on me présenta du pain, des fruits, j'acceptai gaiement sans m'inquiéter. Cependant le lever du jour me faisant apercevoir que j'étois avec un de nos ennemis, et que j'abordois sur une rive opposée à la notre, je conçus quelques alarmes, et conjurai mon guide de me ramener. Je vis avec joie que je n'avois pas perdu mon javelot, et que le Hun qui étoit avec moi ne s'en étoit point emparé; j'en conclus qu'il n'étoit point méchant, et quand nous fûmes débarqués, voyant qu'il ne m'entendoit pas, je me jetai à genoux, en lui faisant signe de me ramener; je lui montrai le ciel comme récompense, mon cœur comme reconnoissant; je lui offris une pièce d'or, en lui faisant entendre que mon père lui en donneroit beaucoup. Il secoua la tête, je compris qu'il me refusoit, je me mis à pleurer; il parut ému, me tendit les bras. Je m'y jetai tout en pleurs, je le caressai d'un air suppliant, il détourna la tête, je vis qu'il hésitoit; je joignis les mains; il me regarda un moment, puis comme triomphant de sa propre émotion, m'entraîna avec rapidité loin de la rive. Ce Hun étoit le même vieillard que tu vois sous tes yeux; mais avant de continuer cette narration, je veux te faire connoître, ami, ses aventures, quoiqu'il ne me les ait confiées que plus de deux ans après notre arrivée dans ces lieux.

Gelimer est Hun d'origine; sa nation, long-tems voisine des Chinois, fit de fréquentes incursions sur leur territoire, plusieurs familles même se divisèrent, et tandis qu'une partie demeuroit attachée aux Huns, l'autre s'allioit aux Chinois, et s'établissoit dans leur pays. Ainsi s'étoit divisée la famille de Gelimer; son père même avoit été mandarin et favori de l'empereur. Gelimer s'étoit marié à Pékin; il étoit père d'un fils encore en bas âge, quand la dynastie venant à changer, il passa de l'état le plus doux et le plus fait pour son ame tendre, à l'état le plus cruel, à l'isolement le plus affreux. Pardonnez, mon ami, dit en l'interrompant Childéric à Gelimer, si je vous rappelle dans ce moment de douloureux souvenirs; mais je ne puis laisser ignorer à Viomade les vertus et les malheurs de celui que j'honore et que j'aime.

Le père de Gelimer devoit de fortes sommes au dernier empereur, qui lui avoit dit plusieurs fois qu'il les lui abandonnoit, et il en avoit disposé; son successeur, déjà prévenu contre le favori, exigea si promptement le remboursement de ces sommes, que le vieillard ne put y satisfaire; il fut d'après la loi condamné au bannissement, hors de la grande muraille qui sépare la Chine de la Tartarie. Un jugement si terrible ôta au père de Gelimer tout son courage déjà affoibli par les années; sa santé s'altéra, et l'approche du jour marqué pour son arrêt, le jetoit dans le désespoir. Gelimer ne put sans être ému et entraîné, voir couler les larmes de son père; il courut réclamer l'indulgente modification, qui permet en Chine l'échange du fils lorsqu'il s'offre volontairement pour subir la condamnation infligée à son père; cette faveur terrible lui fut accordée. Séparé d'une épouse qu'il adoroit, d'un fils qui venoit par sa naissance de resserrer d'aussi doux nœuds, et qu'il ne pouvoit entraîner l'un et l'autre dans les fatigues, la honte et la misère auxquelles il s'étoit condamné, il vit arriver l'instant de consommer son sacrifice. Conduit en coupable au-delà de la grande muraille, il sentit renaître toutes ses forces en pensant à son père; dépouillé de tous ses biens, séparé de tout ce qu'il aime, il emportoit cependant un trésor au fond de son cœur, le sentiment sublime de l'action magnanime qu'il venoit de faire, l'approbation de sa conscience! Rejeté de sa vraie patrie, car c'est où l'homme est fils, époux et père, c'est là où il a formé tous les doux liens de la nature et de l'amour, qu'il a une patrie chère à son ame, errant dans les vastes déserts de la Tartarie, il s'abandonnoit alors à des regrets trop justes pour n'être pas excusés. Cependant, relevant son ame abattue, se sentant fier de lui-même, il eut honte de son désespoir, et prenant le chemin qu'avoient jadis choisi ses aïeux, il suivit les bords du Jaïck, ceux du Palus-Méotides, et enfin se réunit à la partie de sa famille qui servoit sous les ordres d'Attila: il lui offrit son bras, qui fut accepté. Mais la barbarie de ce peuple indignoit la grande ame d'un disciple de Confucius: le meurtre de Bleda, frère d'Attila, lui fit horreur; il gémissoit de ne pouvoir faire passer au cœur de ses frères une étincelle de ce feu pur qui le brûloit. Fatigué des hommes, dégoûté de la vie, il chercha une retraite qui leur fût inconnue; il découvrit cette grotte, à laquelle il travailla avec soin; il venoit s'y dérober aux regards, quand, l'ame trop oppressée, il avoit besoin d'être seul avec son Dieu et son cœur; calmé par la méditation, il retournoit combattre pour sa patrie, jusqu'au moment où redevenu inutile, il pouvoit se dérober à elle sans lâcheté et sans ingratitude. C'étoit ici qu'il pensoit à son épouse bien-aimée, à son fils, qu'il faisoit ses meubles, ses instrumens sonores qu'il mêloit aux sons de sa voix; c'étoit ici qu'il suivoit sa religion, s'attachoit à ses principes, s'encourageoit contre les souffrances. Mais sa raison, sa piété, sa force, ne purent l'armer contre la crainte de la vieillesse abhorée des Huns: il ne pouvoit sans frémir se figurer cette époque de la vie, où déjà malheureux par les souffrances, il seroit encore méprisé et abandonné par les hommes, où foible et ayant besoin de secours, il seroit livré à lui-même et en opprobre à sa patrie. En Chine, il étoit père; dans ce pays, l'amour filial égale presque l'amour paternel; dans ce pays, l'adoption répare les erreurs de la nature, et donne au père généreux un fils sensible et tendre: mais chez les Huns barbares l'adoption ne sauve pas des cruautés, auxquelles même condamne la paternité. Insensiblement Gelimer vit s'altérer sa santé et son noble caractère; réduit à ne rien aimer, et possédant une ame de feu, il en étoit dévoré; cet asile lui devint plus cher, et la vieillesse l'inquiéta davantage. Sa religion lui défendoit de recourir à une mort volontaire; il courut la chercher dans les combats, et ne put y rencontrer que la gloire. Le tems fuyoit à pas précipités, sa marche rapide effrayoit Gelimer, et la tristesse de son cœur ajoutant au poids des années, on lui déclara, lors de la bataille de Cologne, que ce seroit le dernier jour qu'il auroit l'honneur de se mêler aux guerriers. C'étoit la seconde fois que les hommes jugeoient Gelimer, et la seconde fois qu'ils se montroient cruels et injustes. Son ame vive, expansive et tendre, en fut révoltée; elle se ferma à son tour à la douce pitié qu'elle n'avoit jamais pu attirer à elle, il se promit de devenir féroce, et s'élança dans la mêlée, plein d'une rage qu'il perdit en m'apercevant évanoui, prêt à être écrasé sous les nombreux chariots qui suivoient et embarrassoient notre armée: l'aspect de mes dangers détruisit toutes les résolutions de sa colère; plein d'une tendre compassion, il me souleva, m'entraîna hors de la mêlée, et me donna des secours. Un sentiment généreux l'avoit seul inspiré, un sentiment personnel, un retour sur lui-même lui succéda; il m'avoit vu abandonné et ne soupçonnoit guère que cet enfant, laissé sans secours sur le champ de bataille, étoit le fils du grand Mérovée. Une idée subite s'éleva dans son cœur, il y céda promptement, craignant ou, que reprenant mes sens, je ne refusasse de le suivre, ou que je ne fusse réclamé; telle fut la pensée qui le décida à s'embarquer avec moi à la hâte; il se proposoit de m'aimer, de retrouver en moi tous les objets de sa tendresse, de m'asservir d'abord, de m'enchaîner après par le sentiment. Toutes ces idées vinrent en foule s'offrir à son cœur, elles l'enivrèrent d'une délicieuse félicité; il renonça dès-lors à sa seconde patrie, au monde entier, et résolut de vivre avec moi dans cette grotte; il en prit la route secrète, m'entraînant à sa suite, soit en me montrant quelque objet nouveau, soit en me faisant entendre que si je l'abandonnois, je mourrois de faim, soit en prenant un air farouche, soit en me tendant les bras: la nuit, il me couchoit sur sa poitrine pour me garantir de l'humidité. Nous parvînmes ainsi à un souterrain; je ne voulois pas y entrer, parce qu'il étoit obscur; mais Gelimer, ayant frappé des cailloux et fait du feu, alluma une branche de pin qu'il venoit de couper, et marcha devant moi; je le suivis sans répugnance, et après avoir marché long-tems ainsi éclairés, nous nous arrêtâmes; il me donna à manger des œufs d'oiseaux, que j'aimois beaucoup, quelques fruits, et je m'endormis dans ses bras comme à l'ordinaire; mais quelle fut ma douleur le lendemain en me trouvant dans l'obscurité! je poussai des cris affreux. Gelimer me caressa, m'encouragea de la voix, reprit la route en me tenant par la main; mais je n'étois point rassuré. Nous dormîmes encore une fois dans ce souterrain; mon sommeil fut si agité, que Gelimer, qui me sentit brûlant, se décida à hâter notre marche, et à m'arracher promptement de ce séjour malsain, et qui lui parut altérer ma santé. Il m'a dit depuis que jamais il n'avoit autant souffert que cette nuit, en me voyant si inquiet, sentant sa poitrine baignée de mes pleurs, ma tête brûlante, il croyoit déjà me voir tomber mourant dans ses bras. Son cœur étoit déchiré, il s'affligeoit immodérément. Nous reprîmes notre route, il voulut me porter sur ses épaules, je ne le voulus pas, et je m'obstinai à marcher; mais bientôt quelle fut ma joie, quand j'aperçus une vive clarté paroître à l'extrémité du souterrain; j'oubliai tout-à-coup mes chagrins, mes maux, mes alarmes, et courant vers l'endroit que le jour m'indiquoit, je sortis avec une joie inexprimable de cette retraite des ténèbres, et me trouvai dans une prairie délicieuse, toute couverte de fleurs: les gouttes de rosée suspendues aux feuilles, aux brins d'herbes, aux différentes plantes des prés, brilloient de mille couleurs qu'elles recevoient du soleil; des chèvres bondissoient, mille oiseaux chantoient dans les airs: aussi innocent qu'eux même, j'avois retrouvé toute l'insouciance de mon âge, sa gaieté, sa joie; les chagrins et ma nuit étoient à un siècle de moi; je ne me lassois point d'admirer le jour et les lieux charmans qui m'environnoient; j'apercevois de loin un grand fleuve, je crus revoir le Rhin, revenir dans ma patrie, et retrouver bientôt ma mère et le roi. Gelimer jouissoit de ma joie, de ma santé, et me regardoit avec l'expression de la tendresse; j'entendois ses regards: le sentiment sait toujours s'exprimer quand il est vrai, l'ame parle à l'ame, et si l'homme n'étoit que bienfaisance et qu'amour, comme sans doute ce fut sa première destinée, il eût pu se passer du langage. Nous restâmes tout le jour dans le lieu que j'aimois tant; le lendemain je le quittai avec regret; nous marchâmes encore deux jours dans les bois, et nous parvînmes le troisième dans cette grotte, que je trouvai délicieuse. J'étois extrêmement fatigué; Gelimer tira d'une des cavités un vase rempli de vin, de fruits secs; il avoit tué plusieurs animaux à coups de flèches, il les fit cuire, et ayant paîtri une farine qu'il prit dans un vase de la même matière que celui qui contenoit le vin, il fit un espèce de gâteau; tous ces apprêts m'amusèrent beaucoup. Gelimer me fit coucher sur un lit qui se trouvoit dans une autre cavité; je dormis profondément; le lendemain il me fit baigner dans ma jolie fontaine, me mena à la chasse, et cette vie active et nouvelle m'enchantoit. Je n'oubliois pourtant ni ma mère, ni le roi, ni la France; me confiant en leur amour, je m'attendois chaque jour à voir arriver quelqu'un pour me chercher, et j'attendois sans impatience, sûr de leurs soins et de leur tendresse. Gelimer ne me laissoit jamais sortir sans lui, mais il étoit d'une complaisance infatiguable; il avoit appris à m'entendre avec une étonnante facilité, ses progrès étoient pour moi une source de plaisirs toujours nouveaux; j'attendois impatiemment qu'il pût me parler, et avant l'hiver j'eus cette satisfaction. Le changement qu'opéra cette saison ne fut pour moi qu'une variété de plaisirs. Gelimer m'avoit enseigné sa langue en apprenant la mienne, et je parlois indifféremment l'une et l'autre. Comme nous ne sortions que rarement, et seulement pour quelques heures, il profita des longues soirées pour m'apprendre à faire différens meubles, des flèches d'un bois dur et qui supplée au fer, des vases d'argile; il m'enseigna à cultiver des plantes qui fleurissent dans l'hiver, à jouer d'un instrument bizarre et sonore, que j'aimois beaucoup. Il me nomma Tcie, nom chinois, qui veut dire réunion, mélange, parce qu'il trouvoit en moi différens objets qui lui étoient chers. Le printems nous rendit nos premiers plaisirs. Gelimer étoit, quoique âgé, encore léger à la course, adroit à la chasse; mais il ne vouloit pas me confier son arc, et malgré mes prières, il ne me laissoit ni chasser ni sortir sans lui. Je voyois qu'il craignoit de me perdre, et se faisoit un bonheur de me conserver près de lui; je riois en moi-même de cette pensée, car je m'attendois toujours à voir arriver un des braves de mon père: je t'attendois surtout, mon cher Viomade, et souvent même dans mes songes, je croyois te voir, t'entendre, partir avec toi, et m'élancer dans les bras de mon père; je croyois couvrir de mes tendres baisers les mains de la reine, et me retrouver au milieu de vous. Gelimer, qui avoit rapporté de la Chine de grandes connoissances en agriculture, m'apprit à multiplier les fleurs du printems, les grains et les fruits de l'automne; il ne borna point à ces légères instructions les leçons qu'il me donna, il m'enseigna à connoître le cours des astres, la forme et la description de la terre, les maximes de Confucius; je lui communiquois ce que j'avois appris du sage Diticas; il admira sa morale, sa religion: sous d'autres noms il adoroit les mêmes dieux que moi, chérissoit et honoroit surtout la vertu, et s'efforçoit d'en remplir mon jeune cœur. Je répondois à ses soins, le tems s'écouloit sans que je m'en aperçusse, je grandissois; l'air, l'exercice, une nourriture frugale, des jours sereins, tout contribuoit à ma santé; et lorsque plus pressé de vous revoir, un léger nuage de tristesse obscurcissoit mes traits, Gelimer l'effaçoit promptement en m'enseignant une chose nouvelle, qui s'emparoit tout-à-la fois de mon tems et de mes pensées. Cependant mon ami devenoit triste, languissant, il s'affoiblissoit, je m'affligeois de ses souffrances, je cherchois à les adoucir; je le questionnois sur ce qui pouvoit les causer.

Une belle matinée de printems, après avoir salué l'aurore, invoqué les dieux, respiré l'air parfumé des bois, je conjurai Gelimer, que j'entendois soupirer, de m'ouvrir son cœur; nous nous assîmes sur ce même banc de mousse. Tcie, me dit le sage vieillard, m'aimes-tu? Je le lui jurai. Sais-tu bien que je t'ai sauvé la vie? tu périssois sans moi sous des chariots prêts à t'écraser… Je ne l'avois pas oublié, et je lui témoignai ma reconnoissance. Eh bien! me dit-il, je vais te dire tous mes secrets; mais une promesse encore, et je te rends ta liberté, je te donnerai mes armes, tu seras plus maître dans ma caverne que moi-même; tout ce que j'ai t'appartiendra; loin de me devoir encore de la reconnoissance, c'est moi qu'elle engagera à jamais. Jure moi sur l'honneur, serment si sacré dans ta patrie, jure moi à la face du ciel qui t'éclaire, de ne point m'abandonner, de protéger mes derniers jours, de me laisser mourir dans cette grotte paisible, et lorsque mon ame s'envolant vers les cieux, ou s'emparant d'un autre corps, aura quitté sa demeure passagère, promets moi d'ensevelir ma dépouille mortelle dans cette même grotte où je t'ai prodigué tant de soins. J'hésitois à prendre un tel engagement; j'avois toujours conservé le vague espoir de retourner dans ma patrie, j'allois pour ainsi dire y renoncer, j'étois ému, attendri; mais je me taisois. Eh quoi! cher Tcie, reprit Gelimer, pourrois-tu m'abandonner vieux et mourant, et me refuser quelques-uns de ces nombreux instans que te prépare la nature? A peine aux portes de la vie, une longue carrière est devant toi, tandis que je touche à ma dernière heure; bouton naissant, tu vas croître encore plus d'un printems avant de fleurir, et moi, déjà flétri, je suis penché vers la terre; demain je tomberai, demain on dira de Gelimer: Il a vécu; et j'aurai disparu comme mes ancêtres. O enfant digne d'amour! prends pitié de ma dernière heure; déjà mes yeux commencent à se fermer à la clarté du jour, déjà un voile épais s'étend pour moi sur toute la nature; ah! veux-tu donc m'abandonner! Il dit, et tendit vers moi ses mains tremblantes, quelques larmes tombèrent de ses yeux: c'en étoit trop, je me jetai à genoux, et m'écriai! O dieux! qui punissez le parjure, recevez le serment que je fais d'aimer, de servir Gelimer, et de n'abandonner ces lieux que lorsqu'il sera endormi du sommeil éternel. Gelimer me serra dans ses bras, me pressa sur son cœur, je lui rendis ses caresses. Ce jour fut un jour bien intéressant pour tous deux. Gelimer, sans crainte pour l'avenir, venoit d'acquérir un fils, et moi je venois d'assurer son bonheur. Bientôt après, il me fit part de sa naissance, et du sacrifice qu'il avoit fait à son père; enfin de tout ce que je vous ai raconté. Il m'avoua qu'après m'avoir secouru, le désir d'échapper aux lois barbares des Huns, le besoin surtout d'aimer encore, l'avoient décidé à s'emparer de moi; j'admirai son dévouement, l'essor de sa vertu éleva mon ame, je fus heureux d'embellir les jours d'un fils généreux, de consoler sa vieillesse. Il me demanda alors qui étoit mon père; jamais il ne m'avoit fait cette question, il craignoit trop de me rendre à cette idée. Je lui répondis que je devois la vie à un grand guerrier, et que je le priois de ne plus m'en rappeler le souvenir. Il se soumit, me donna un arc, des flèches, vint encore quelques fois à la chasse, plus souvent m'y laissa aller seul, et enfin n'y vint plus du tout. A force de m'exercer, mon adresse surpassa mon espérance; j'atteignois l'oiseau dans son vol, et à la course tous les animaux les plus agiles. Le soir, Gelimer continuoit à m'instruire de l'histoire des hommes, j'écoutois surtout celle des rois, la chute de Rome, la destruction des empires, les grands changemens de dominations, tous les effets immenses du génie souvent d'un seul homme, frappoient mon cœur: combien, sans se douter qu'il me parloit de mon père, Gelimer me vanta le courage et la sagesse de Mérovée! Ces entretiens chaque jour me plaisoient d'avantage; mais en revenant de la chasse une belle soirée d'automne, je trouvai Gelimer assis devant la grotte, et dans une attitude mélancolique; il me parut frappé d'une grande douleur; alarmé, je me précipitai vers lui: Qu'avez-vous, mon ami, lui dis je? O Tcie! me répondit-il, je ne verrai plus ce soleil, les fleurs ni la verdure; je ne verrai plus ton riant visage, plus doux pour moi que le printems dans toute sa pompe; c'en est fait, d'épaisses, d'éternelles ténèbres enveloppent Gelimer, je suis aveugle! Un cri m'échappa, je m'attendois chaque jour à cette nouvelle, et pourtant elle m'atteignit au cœur. Depuis ce jour, Gelimer fut l'objet de mes plus tendres soins, de mon culte, de ma vive amitié. Je l'aimai avec excès, je craignois de m'en éloigner, je ne chassois que pour nous nourrir; j'aurois juré dès-lors de ne jamais le quitter, si déjà je n'en eusse fait le serment. Il redevint calme enfin, je le consolai, et au bout de quelques mois, il s'étoit accoutumé à son sort. Mais, ajouta le prince, ce récit a r'ouvert toutes les blessures de mon ami. Interrompons-nous ici, il est tems d'ailleurs de nous reposer; ce qui me reste à dire, renferme un triste événement qui a troublé la paix de mes jours; demain je vous raconterai cette douloureuse histoire, demain nous donnerons des pleurs à la jeune Talaïs. Ce soir, retirons-nous, et cherchons à oublier dans un doux sommeil les sombres idées qu'a fait naître mon récit. O mon ami! disoit-il à Gelimer, chassez l'inquiétude empreinte sur votre front, ne gémissez point comme le font les infortunés, Childéric n'est point un parjure, et tous les trônes du monde ne peuvent le séduire ni changer son cœur. Gelimer poussa un profond soupir, et s'appuya sur le bras du prince; ils rentrèrent dans la grotte, éclairée comme la veille. Viomade regardoit avec respect le sensible Gelimer; il admiroit les soins que Childéric prenoit, soit pour rassurer son ame troublée, soit pour lui servir de guide, le nourrir, veiller sur ses jours. Cependant le serment qu'avoit prononcé le prince l'alarmoit, il ne peut le trahir; Gelimer consentiroit-il volontairement à se séparer de ce dernier objet de tendresse? Viomade ne peut le croire, il s'inquiète et n'ose exprimer son inquiétude. Gelimer, plus tourmenté par ses pensées, se taisoit également: Childéric seul ne dissimuloit rien; et soit que le souvenir d'Aboflède excitât sa tristesse, soit que la gloire dont s'étoit couvert Mérovée exaltât son ame, soit que l'ambition et l'audace d'Egidius l'enflamassent de courroux, soit qu'il parlât de sa tendresse pour Gelimer, de la joie qu'il éprouvoit d'avoir retrouvé Viomade, son cœur l'inspiroit; la vérité toute entière s'en échappoit, se peignoit sur son visage charmant, et donnoit à sa voix mélodieuse un accent plus persuasif. Après le repas, ayant fermé la grotte, et conduit Gelimer sur sa couche, Childéric et le brave se retirèrent de leur côté. Gelimer passa la nuit dans la plus terrible agitation; il chérissoit trop ardemment Childéric pour lui enlever plus long-tems le rang suprême où l'appeloit la destinée; il n'aimoit pourtant plus le monde, et n'estimoit plus les hommes; mais Childéric étoit dans l'âge des riantes pensées, des délicieuses espérances; les plaisirs alloient l'environner, l'enivrer, le ravir. Ces instans passagers dédommagent l'homme des pleurs de l'enfance, de la prévoyante inquiétude de l'âge mur, de l'infirme vieillesse, de la douloureuse mort. Doit-il lui enlever sa part des biens de la terre, et ne lui en laisser que les maux? mais peut-il vivre sans Childéric! Ces combats le déchirent, sa belle ame ne peut encore se résigner.

FIN DU LIVRE SIXIÈME
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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