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Читать книгу: «Les aventures du capitaine Corcoran», страница 6

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XII. Révélation inattendue.

«Il me tardait, dit Quarterquem, d'être seul avec toi.... Qu'as-tu donc pu faire aux Anglais pour exciter leur bile à ce point? Partout où je vais, leurs journaux te traitent comme un successeur de Cartouche et de Mandrin, leurs espions surveillent tes actions, leurs soldats vont marcher contre toi. Ce matin, en passant au-dessus de Bombay, j'ai vu des préparatifs immenses. Les canons se comptaient par centaines, les voitures de toute espèce par dizaines de mille, et, ce qui est plus significatif encore, l'armée qu'on réunit contre toi n'est composée, sauf sept régiments sikhs et gourkhas, que de troupes européennes, c'est-à-dire de l'élite de l'armée anglo-indienne. Assurément, je n'ai pas de passion pour ce peuple orgueilleux et renfrogné; mais il faut se supporter entre voisins.... Tiens, permets-moi de me citer pour exemple. J'avais autrefois, rue Mazarine, un portier de la pire espèce, bourru, grognon, malfaisant. Passé dix heures du soir il fermait sa.... c'est-à-dire ma porte. Il ne l'ouvrait pas avant sept heures du matin. Dans l'intervalle, s'il m'arrivait d'aller au spectacle ou de m'attarder dans les rues, j'étais forcé de coucher chez mes amis, et un soir, moins heureux, j'ai couché au violon....

– Mon ami, interrompit Corcoran, tu termineras demain l'histoire de ton portier. Écoute les choses sérieuses que je veux te dire et qui t'expliqueront la haine des Anglais. Tu sais ou tu dois savoir que je suis arrivé à l'empire, comme Saül, fils de Kis, qui cherchait des ânesses et qui trouva un royaume. Mes ânesses, à moi, c'était le fameux manuscrit du Gourou-Karamta, soupçonné par Wilson, signalé par Colebrooke, inutilement cherché par vingt orientalistes anglais. Sur la route j'ai rencontré Holkar et j'ai sauvé sa fille et son royaume. Jusque-là, rien que de fort ordinaire; mais voici un secret que je n'ai encore dit à personne, secret terrible, secret redoutable qui peut me coûter la vie ou me donner le plus beau trône de l'Asie. C'est Holkar mourant qui me l'a confié, en me faisant jurer que je vengerais sa mort.

«Au temps où Bonaparte, général en chef de l'armée d'Égypte, méditait la conquête de l'Inde, il fit alliance avec Tippoo-Sahib, sultan de Mysore. Celui-ci crut qu'il allait être secouru par la France; ce qui précipita sa perte. Les Anglais, avertis par leurs espions, se hâtèrent de l'attaquer dans Seringapatam, sa capitale. Il fut tué pendant l'assaut.

«Tippoo-Sahib, quoique musulman, était un esprit fort, et mettait toutes les religions au service de sa politique. Il avait eu l'adresse de créer une immense société secrète qui s'étendait dans tout l'Indoustan, et qui regardait l'extermination des Anglais comme une oeuvre divine. Sa mort arrêta une révolte générale qui était près d'éclater, et pendant quelques années l'association dont il était l'âme parut dissoute; mais un de ses serviteurs fidèles, qui voulait le venger, révéla le secret au père d'Holkar, qui dès lors devint le chef réel et l'espoir des Indous.

«Les Anglais, toujours sur leurs gardes, devinèrent ses desseins et l'attaquèrent avant qu'il fût prêt au moment où il allait conclure une alliance avec le fameux Runjeet-Sing, qui devait les aborder par le nord-ouest, pendant qu'il ferait révolter le centre et le sud de l'Inde. Le grand malheur de ce pauvre pays, c'est que, grâce à la variété des races et des religions, qui se détestent mutuellement, on y trouve facilement des traîtres. Holkar trahi fut vaincu et tué avec deux de ses fils. Runjeet-Sing reçut dix millions de roupies pour rester neutre. Mais les Indous, indignés, ne voulurent pas reconnaître d'autre chef que le jeune Holkar, troisième fils du défunt, et les Anglais, contents de ce premier succès, n'osèrent pas pousser leur ennemi au désespoir. On lui prit la moitié de ses États, cinquante millions de roupies, et on lui donna pour surveillant le colonel Barclay, celui qui vient de se signaler dans la révolte des cipayes et qu'on a fait major général.

– Oui, dit Quaterquem, et la révolte a éclaté, et les cipayes ont été pendus, et Holkar a été tué, comme l'avaient été avant lui son père et Tippoo-Sahib; et toi, Corcoran, natif de Saint-Malo, tu vas te faire trahir et tuer comme tes prédécesseurs. Mon ami, tu es fou. Viens dans mon île; il y a place pour deux. Nous y vivrons tranquillement en jouant aux quilles en été et au billard en hiver, ce qui est le vrai but de la vie. Et si mon île te déplaît, j'en ai découvert une autre dans le voisinage, presque aussi inaccessible et aussi belle que la mienne. Je te l'offre.»

Corcoran regarda quelque temps son ami sans rien dire. Puis il haussa doucement les épaules:

«Mon cher Quaterquem, quand je serais certain d'échouer et d'être fusillé dans dix jours, je n'en ferais pas moins ce que je fais. Mais ne me prends pas pour un rêveur. Connais-tu cet autographe?

– C'est la signature de Napoléon lui-même! s'écria Quaterquem étonné.

– Lis maintenant le titre de ce manuscrit.

– «Liste des étapes de l'armée française, de Strasbourg à Calcutta par voie de terre, écrite sous la dictée de Sa Majesté Napoléon Ier, Empereur des Français, Roi d'Italie, Protecteur de la confédération du Rhin, Médiateur de la confédération Helvétique, et signée de la propre main de Sa Majesté. Paris, 15 avril 1812.»

– Cette note, mon ami, est écrite de la main de M. Daru, intendant général de l'armée. Les agents de Napoléon, Lascaris3 entre autres, qui parcourait la Syrie et le désert sous le nom de Scheik Ibrahim, avaient d'avance éclairé la route et préparé les peuples à de grands événements. Dans les vastes plaines de la Mésopotamie, chez les Wahabites, dans les montagnes de la Perse, du Khoraçan et du Mazanderan, on savait que l'invincible sultan Bounaberdi, le bras droit d'Allah, allait jeter les Anglais à la mer, et tout le monde était prêt à lui fournir des vivres, des bêtes de somme et même des renforts, soit par obéissance aux décrets d'Allah, soit par haine contre les Anglais; car, il faut leur rendre cette justice, que s'ils cessaient un instant d'être les plus forts dans l'Inde, on les hacherait menu comme chair à pâté.»

Voici en résumé quel était le plan de Napoléon, dont une copie fut remise au père d'Holkar par un agent secret qui traversa toute l'Inde déguisé en fakir:

«Napoléon, partant de Dresde, alla rejoindre son armée sur le Niémen. De là, pénétrant en Lithuanie, il coupait en deux et prenait la grande armée russe. (Il s'en fallut de quelques heures de marche, comme tu sais, que ce plan ne réussît, ce qui aurait mis Pétersbourg, Moscou et le czar même à la discrétion de Napoléon). Ce premier point obtenu, le reste était facile. Le czar rendait sa part de Pologne, et l'Autriche la Gallicie. La Pologne entière, remise sur ses pieds, montait à cheval pour suivre Napoléon. Mais ne crois pas qu'on laissât le czar sans compensation. Tu vas voir quel présent on lui faisait! La Chine! Tu ouvres de grands yeux. Mon ami, rien n'était plus facile. La Chine est à qui veut la prendre. C'est un grand corps sans âme. J'ai vu et je sais des choses.... J'ai des projets pour l'avenir.... Napoléon avait fort bien discerné, malgré la distance, qu'un empire immense où tout est classé, étiqueté, parafé, enregistré, où toutes les actions de la vie sont prévues et toutes les heures du jour employées par les rites, où cent mille Tartares à cheval montent la garde autour du souverain et suffisent pour épouvanter trois cent cinquante millions d'hommes,– Napoléon, dis-je, savait bien qu'un tel empire est la proie du premier venu. C'est pourquoi il en offrait la moitié à son compère Alexandre, mais la moitié seulement, et encore était-ce le nord de l'empire, qui est froid et rempli de steppes. Sans le dire, il se réservait le reste, c'est-à-dire tout ce qui est au sud du fleuve Hoang-Ho. A la Chine méridionale il ajoutait la Cochinchine et l'Inde, de façon que tout le continent de l'Asie eût été partagé entre ces deux maîtres, Alexandre et Napoléon.

«Naturellement, les Turcs, étant sur son passage, auraient été les premiers sacrifiés. Pour apaiser l'Autriche, qui devenait vassale, et surtout pour l'opposer à la Russie, on lui faisait aussi sa part, qui était la vallée du Danube, de la source à son embouchure. Puis Napoléon, entraînant sur ses pas la cavalerie hongroise et polonaise, entrait dans Constantinople comme dans un moulin. Tu sais qu'il a rêvé toute sa vie d'être empereur de Constantinople. C'est ce qui l'a brouillé avec le czar, qui faisait juste le même rêve.

«Il avait déjà la France et l'Italie; par son frère Joseph il espérait avoir l'Espagne. Tanger, Oran, Alger et Tripoli n'auraient fait qu'une bouchée. L'Égypte l'attendait, le connaissant déjà, et l'isthme de Suez, que M. de Lesseps perce aujourd'hui avec tant de peine, eût été coupé en six mois. Déjà ses ingénieurs avaient retrouvé les traces d'un vieux canal maintenant ensablé et qui date sans doute du feu roi Sésostris. Enfin, de gré ou de force, la mer Méditerranée était à lui, et du haut de Gibraltar les Anglais auraient vu passer ses flottes sans pouvoir les arrêter au passage.

– Qui t'a révélé tous ces beaux projets de Napoléon? demanda Quaterquem, et de qui tiens-tu ces confidences, qu'il n'a sans doute faites à personne?

– Me prends-tu pour un romancier? répliqua le maharajah. T'imagines-tu que je m'amuserais à prêter à ce grand homme des idées de mon cru? Sache d'abord que Napoléon a toujours été fort mal connu jusqu'ici. Cet homme, qu'on a toujours cru si positif, n'était au fond qu'un grand poëte et un mathématicien distingué. Comme poëte, il avait des fantaisies sans limites; comme mathématicien, il enveloppait ses fantaisies d'une apparence de précision et de calcul qui éblouissait le sens commun des imbéciles.

– Tu as probablement raison, dit Quaterquem; mais encore une fois, qui t'a révélé les projets de Napoléon?

– Lui-même, mon cher ami; oui, lui-même, car, outre la note que tu viens de voir, et qui fut écrite par Daru sous la dictée du maître, il en est une plus complète encore et plus secrète, pour laquelle il n'a pas voulu emprunter la main d'un secrétaire. Tiens, lis toi-même. Voici la dépêche à Lascaris, son seul confident. M. de Lamartine, mal informé, a cru que les Anglais avaient saisi les papiers de Lascaris au Caire après sa mort. C'est le consul anglais qui répandit ce bruit à dessein, pour arrêter les recherches; mais ces papiers précieux existent encore. Les voici. Lascaris mourant avait chargé un ami de les porter au gouvernement français; mais cet ami se voyant surveillé et craignant les piéges de Mehemet-Ali, alors pacha d'Égypte, s'enfuit à Suez, s'embarqua sur un bateau ponté et, ne sachant à qui confier ce précieux dépôt, fit voile vers l'Inde et le remit aux mains d'Holkar lui-même.»

La dépêche de Napoléon est si claire, si ferme, si précise, a si bien prévu tous les incidents qui pouvaient survenir, qu'on la reconnaîtrait au style, quand la signature et l'écriture même n'indiqueraient pas le véritable auteur.

«Mais quel usage veux-tu faire des plans de Napoléon?

– Les exécuter, mon cher ami.

– As-tu comme lui douze cent mille hommes à ta disposition?

– J'ai l'Inde, qui semble assoupie, mais qui veille comme un boa constrictor, nonchalamment étendue au soleil et prête à se jeter sur sa proie. Songe que je suis aux yeux de ces pauvres gens la onzième incarnation de Vichnou. Depuis deux ans, des milliers de brahmines et de fakirs de toute espèce annoncent sous main aux Indous que Vichnou lui-même s'est incarné pour les délivrer. On fait sur moi des légendes. On dit, et je laisse croire, qu'il n'y a rien de plus utile, que les balles s'aplatissent et que les sabres s'émoussent en me touchant. Deux ou trois affaires, où j'ai payé de ma personne et dont je me suis tiré avec bonheur, m'ont fait une réputation incroyable. Tu trouveras dans Bhagavapour cent personnes qui jurent m'avoir vu, de leurs yeux vu, jeter des flammes par la bouche et brûler le camp des Anglais. D'autres m'ont vu mettre en fuite, à coups de cravache, toute la cavalerie anglaise. Plus ces histoires sont absurdes, plus on s'empresse d'y croire. Ces pauvres Indous, en quête d'un héros et d'un vengeur, se sont précipités sur moi. Enfin si les Anglais avaient attendu encore trois ou quatre ans, leur ruine était certaine, car toute l'Inde aurait été en armes et sous mes ordres.

– Oui, mais ils connaissent tes desseins, et ils vont te prévenir. Tu as vu la lettre de ce coquin de Doubleface?

– Celui-là du moins payera pour tous, dit Corcoran. Demain matin, après déjeuner, je te promets un spectacle amusant.»

XIII. De l'éducation et des manières de M. William Doubleface, esq.

Le lendemain, dès huit heures du matin, Quaterquem fut éveillé par un bruit de tambours et de trompettes. Tout le peuple remplissait les rues et les places de Bhagavapour. En même temps, dans la grande cour du palais, piaffaient d'impatience les chevaux arabes et turcs de Corcoran.

Quaterquem interrogea l'un des serviteurs.

«Seigneur, dit l'Indou, c'est le maharajah qui donne une grande fête à son peuple.

– De quelle fête veux-tu parler?

– C'est aujourd'hui que nous allons voir pendre l'Anglais.

– Pauvre Doubleface!» dit Quaterquem.

Il s'habilla en toute hâte, pour ne rien perdre du spectacle qui se préparait. Corcoran l'attendait déjà et le déjeuner était servi. Alice et Sita s'assirent en face des deux amis.

«Ne pourriez-vous pas, en ma faveur, lui faire grâce et le renvoyer à Calcutta? dit Alice. C'est un compatriote, après tout. Et vous, ma chère Sita, ne ferez-vous rien pour ce malheureux qui va périr?

– Vichnou m'est témoin, dit la douce et charmante fille d'Holkar, que j'ai le sang versé en horreur; mais je croirais trahir Corcoran lui-même si je lui demandais la vie de cet assassin.

– Pour moi, dit Quaterquem, qui voudrais voir pendre tous les traîtres de la création, je ne suis pas fâché qu'on commence par celui-là.

– Au reste, ajouta Corcoran qui s'était tu jusque-là, il lui reste encore une planche de salut. Qu'il s'y accroche, s'il le veut. Qu'il trahisse son gouvernement après m'avoir trahi; une trahison de plus ou de moins, pour un Doubleface, ce n'est rien.»

En même temps il ordonna qu'on fît venir le prisonnier.

Doubleface se présenta d'un air fier. Il était suivi de Baber. Tous deux avaient les fers aux pieds et aux mains.

«Vous savez ce qui vous attend? demanda Corcoran.

– Je m'en doute, répondit l'autre.

– Vous savez à quel prix vous pouvez sauver votre vie et même votre liberté?

– Je le sais. Pendez-moi.

– Je suis fâché, dit Corcoran, que vous ayez consenti à faire un pareil métier, car vous êtes un brave.

– Peuh! dit Doubleface, on fait le métier qu'on peut. Si j'étais né fils aîné de lord, je serais général d'armée, gouverneur de l'Inde, de Gibraltar ou du Canada; je dirais en public des choses dénuées de sens, et je serais applaudi comme un politique de la plus haute volée; je chasserais le renard avec tous les gentlemen du comté; je présiderais tous les banquets, je porterais des toasts à toutes les dames. Mais le sort ne l'a pas voulu. Personne n'a connu mon père. Ma mère m'a élevé, Dieu sait comment, dans les rues de Londres. A dix ans, j'ai été embarqué comme mousse sur un navire qui allait chercher du café et du sucre à l'île Maurice; j'ai fait cinq ou six fois le tour du monde, j'ai appris sept ou huit langues sauvages, et enfin, à bout de tout, ne sachant que faire pour devenir un gentleman, je suis devenu chef de la police à Calcutta. Lord Braddock m'a offert cette mission, je l'ai acceptée. Je savais que je courais le risque d'être pendu; j'ai joué la partie, je l'ai perdue. Faites ce qu'il vous plaira. Quant à trahir celui qui m'emploie, non! Il faut avoir la probité de son métier.

– Bien! dit Corcoran. Je suis fixé. Pour toi, ami Baber, je vais t'offrir, aussi bien qu'à cet Anglais, un moyen de n'être pas pendu. A toi d'en profiter.»

Et, se tournant vers l'escorte:

«Qu'on les conduise tous deux dans le cirque des Éléphants,» dit-il.

Cet ordre fut promptement exécuté.

Tout le monde sait que le cirque des Éléphants, de Bhagavapour, si célèbre dans tout l'Indoustan, a été construit par les ordres et sur les plans du célèbre poëte Valmiki, auteur du Ramayana, et architecte distingué.

C'est une enceinte en briques, parfaitement lisse à l'extérieur, mais qui enferme à l'intérieur un vaste amphithéâtre, assez semblable à ceux des cirques romains. Les places les plus basses et en même temps les plus recherchées du public sont élevées de dix-huit pieds au-dessus de l'arène, qui en est séparée par une seconde enceinte de poteaux énormes et si rapprochés l'un de l'autre, qu'aucun homme, si mince qu'il soit, ne pourrait se glisser dans les interstices.

C'est là que devait avoir lieu, à la grande joie du peuple de Bhagavapour, le combat de Baber et de Doubleface. Le vainqueur, suivant l'arrêt de Corcoran, devait avoir la vie sauve.

Le soleil, resplendissant dans un ciel pur, éclairait cette scène imposante. Tout le peuple de Bhagavapour, assis sur les gradins de l'amphithéâtre, attendait avec curiosité l'ouverture de la fête qui lui avait été promise. Hommes et enfants mangeaient, buvaient et riaient en pensant à la grimace que le malheureux Anglais ne pouvait manquer de faire à son dernier soupir.

Pour calmer un peu l'impatience de la foule, on lâcha d'abord un éléphant sauvage, pris l'avant-veille dans la forêt, et on le plaça entre trois éléphants apprivoisés, dont l'un à sa droite, le second à sa gauche et le troisième par derrière, le poussaient et le frappaient à coups de trompe pour lui enseigner ses nouveaux devoirs. La mine piteuse du pauvre sauvage, ainsi malmené et dressé sous les yeux de quarante mille personnes, était un spectacle étrange et réjouissant. Hélas! pauvre éléphant! il avait été, lui aussi, victime d'une trahison. Une jeune éléphante apprivoisée l'avait, par ses coquetteries, amené dans le piége, et maintenant il excitait la risée des hommes.

Mais on se lassa bientôt de ce vaudeville, et l'on commença à réclamer le drame.

«L'Anglais! l'Anglais! le traître! Baber! Baber!» demandèrent mille voix.

Enfin les trompettes retentirent, et Corcoran entra dans l'amphithéâtre à cheval. A sa droite s'avançait son ami Quaterquem. A sa gauche Louison et Moustache, Alice et Sita n'avaient pas voulu assister au combat et étaient demeurées dans le palais d'Holkar. Garamagrif, trop sauvage encore pour être lâché en public, les gardait.

Corcoran monta d'un pas lent et majestueux les trois marches qui le séparaient du trône et fit asseoir près de lui son ami. Louison s'étendit à ses pieds d'un air gracieux et ennuyé. Le jeune Moustache se coucha entre les pattes de sa mère.

Au même instant, le maharajah fit un signe, et l'on amena les deux prisonniers devant lui.

«Vous connaissez les conditions du combat, dit-il. Vous n'avez que le choix de les accepter ou d'être empalés.

– Lumière incréée des mondes, s'écria Baber en élevant vers le ciel ses mains chargées de chaînes, sublime incarnation de Vichnou, tout ce que ta bouche ordonne sera pour moi comme le Rig-Véda.»

Doubleface ne dit rien, mais fit signe qu'il consentait à tout plutôt que d'être empalé.

XIV. La mort d'un coquin.

«Monsieur Doubleface, continua Corcoran, vous avez le poignet solide?»

L'Anglais fit un signe affirmatif.

«Vous avez les reins solides?»

Même signe.

«Vous connaissez le maniement du sabre?

– Oui, dit encore Doubleface.

– Très-bien, dit Corcoran. Et toi, ami Baber, quelle est l'arme que tu préfères?

– Seigneur, répliqua Baber, ma religion me défend de verser le sang des hommes, mais elle me permet de les étrangler.

– Eh bien, homme pieux, tes désirs et ceux de ce gentleman vont être satisfait. Qu'on donne à Doubleface un sabre de Damas de la plus fine trempe, et à Baber une corde terminée par un noeud coulant, et que chacun des deux s'escrime aux dépens de son voisin! Surtout, qu'ils n'oublient pas qu'il est maintenant neuf heures du matin, et qu'à dix heures l'un des deux doit être tué, sans quoi ils seront tous deux empalés.»

Ce n'est pas sans motifs que Corcoran faisait donner aux deux combattants des armes si différentes. Si le sabre était une arme terrible dans la main de l'Anglais, le noeud coulant n'était pas moins dangereux dans les mains de l'agile et souple Baber, ancien chef des Étrangleurs de Goualior. La lutte était donc incertaine.

Enfin on mit les deux combattants en liberté.

A première vue, on aurait eu peine à deviner quel serait le vainqueur. L'Anglais, haut de cinq pieds huit pouces, robuste, osseux, solidement campé sur ses reins, ressemblait à une tour inébranlable. On lisait dans ses yeux le calme de la force et le mépris absolu de son adversaire. Évidemment il s'attendait à le couper en deux du premier coup de sabre. Ce fut l'opinion de Corcoran lui-même, et tous les Indous, qui haïssaient profondément l'Anglais, furent alarmés en voyant sa contenance impassible et pleine de confiance.

De son côté, Baber n'était pas un homme à dédaigner. Moins grand que Doubleface et plus mince, il paraissait et il était réellement très-inférieur en force physique. Ses bras et ses jambes étaient maigres, sa poitrine étroite et osseuse. Ses yeux mêmes, fauves comme ceux du léopard, exprimaient la ruse plus que le courage; sa ressource principale était une agilité prodigieuse. Il se couchait, se relevait, bondissait comme le tigre, dont on lui avait donné le nom.

Enfin Corcoran regarda sa montre et dit:

«Allez.»

A ce signal, les deux adversaires, éloignés environ de cinquante pas, s'avancèrent l'un sur l'autre.

Baber commença l'attaque. Il partit en bondissant et s'élança sur son adversaire, comme s'il eût voulu le prendre corps à corps; mais ce n'était qu'une feinte. Au moment de lancer un noeud coulant, il fit un bond de côté.

Doubleface reçut cette attaque avec sang-froid. Il pivota brusquement sur lui-même, évita le noeud coulant et assena un coup de sabre épouvantable sur la tête de l'Indou. S'il l'eût atteint, le crâne du malheureux Baber aurait été fendu en deux et, avec le crâne, le nez et le menton; mais Baber n'était pas homme à se laisser surprendre.

D'un saut en arrière il se mit hors de portée, puis il s'enfuit avec la vitesse d'un cerf poursuivi par le chasseur, et fit le tour de l'arène.

Doubleface ne douta plus de sa victoire. Il le suivait de près et allait l'atteindre, lorsqu'un obstacle imprévu l'arrêta dans sa course.

Baber, tout en feignant de fuir et de se laisser atteindre, calculait soigneusement la distance qui le séparait de son adversaire et le regardait par-dessus l'épaule.

Quand il crut le moment venu, il se retourna et lança son noeud coulant.

Doubleface vit venir le noeud et l'évita fort adroitement. La corde, qui devait le saisir et l'étrangler, manqua le but et vint s'enrouler autour de son pied droit.

Il tomba.

Aussitôt Baber s'arrêta pour dégager sa corde et la mettre autour du cou de l'Anglais; mais Doubleface se releva promptement et lui lança un second coup de sabre, aussi inutile que le premier.

L'Indou s'était déjà mis hors de portée.

Le combat dura quelque temps sans succès marqué de part et d'autre. L'Anglais, dans un combat corps à corps, eût été d'une supériorité éclatante; mais Baber était insaisissable.

Cependant une demi-heure s'était écoulée déjà. Le soleil montait rapidement sur l'horizon, et la chaleur devenait insupportable. Baber, accoutumé dès sa naissance au climat brûlant de l'Inde, ne paraissait pas en souffrir; mais Doubleface ruisselait de sueur. Évidemment, si le combat se prolongeait encore pendant un quart d'heure, il était certain de sa défaite. Il résolut donc de faire un effort suprême.

«Lâche coquin! cria-t-il, tu n'oses pas m'attendre!»

Mais cette insulte ne parut pas émouvoir beaucoup Baber.

«Qui t'empêche de courir?» répliqua-t-il.

Au même instant, Doubleface s'élança le sabre nu, l'accula, par deux ou trois feintes bien ménagées, dans un coin de l'enceinte et lui assena un tel coup de sabre, que tous les spectateurs crurent que la dernière heure de l'Indou avait sonné.

Mais le jongleur était déjà hors d'atteinte; avec la prestesse et l'agilité d'un singe, il avait grimpé le long d'un des poteaux de l'enceinte et, assis à son sommet, regardait tranquillement son adversaire.

Tous les spectateurs applaudirent à ce brillant tour de force. Doubleface, irrité et pressé de décider l'affaire, essaya d'imiter et de poursuivre Baber.

Il prit donc son sabre avec les dents et commença à grimper lui-même le long du poteau.

Mais cette idée lui fut fatale.

Baber, qui l'observait, lança, tout à coup le noeud coulant sur le malheureux Doubleface, puis tirant brusquement la corde à lui, il lui causa une si vive douleur, que l'Anglais lâcha prise et resta suspendu en l'air et étranglé.

Ce fut la fin du combat. Tout le peuple de Bhagavapour battit des mains à ce trait d'adresse et de sang-froid, et Baber, triomphant, traîna son ennemi autour de l'enceinte, comme Achille avait traîné Hector autour des remparts de Troie.

«C'est bien, dit Corcoran. Tu vas avoir ta grâce, ami Baber. Et maintenant, Sougriva, fais enterrer ce pauvre Doubleface. De son vivant, c'était un misérable traître, un espion, le rebut de l'espèce humaine. Il est mort, paix à ses cendres!»

Puis il rentra dans son palais, suivi des acclamations du peuple de Bhagavapour, qui admirait sa justice et sa clémence.

Là, sans délai, il écrivit la dépêche suivante:

A lord Henri Braddock, gouverneur général de l'Indoustan, à Calcutta.

Bhagavapour, 16 février 1860.

«Les relations de bon voisinage et d'amitié qui ont toujours subsisté et qui, je l'espère, subsisteront toujours entre mon gouvernement et celui de Votre Seigneurie, me font un devoir de vous avertir d'un incident fâcheux qui aurait pu exciter des susceptibilités réciproques; Votre Seigneurie me rendra cette justice, que je n'ai pas ajouté foi à de misérables calomnies, et que j'ai puni le calomniateur comme il le méritait.

«Un certain Scipio Ruskaërt, se disant sujet prussien et protégé anglais, muni d'une lettre de recommandation (fabriquée sans doute par un faussaire) de sir Barrowlinson, est venu me demander aide et protection, sous prétexte d'études scientifiques sur la flore et la faune des monts Vindhya.

«Sur la foi de sir John Barrowlinson, à qui le monde savant doit, je le sais, tant de reconnaissance, mais qui a été en cette occasion la dupe d'un scélérat insigne, j'ai fait à ce Ruskaërt l'accueil le plus flatteur et le plus hospitalier, qu'il a payé de la plus noire ingratitude.

«Votre Seigneurie, en lisant la copie ci-jointe de la lettre que ce Ruskaërt, dont le véritable nom est, paraît-il, Doubleface, Votre Seigneurie, dis-je, sera sans doute indignée de l'abus qu'un tel misérable a prétendu faire de son nom, et des instructions déshonorantes qu'il a osé prêter à Votre Seigneurie. Je me hâte de dire que mon indignation d'une si lâche calomnie a prévenu le mépris de Votre Seigneurie, et que ce Doubleface qui, d'ailleurs, n'a pas nié son titre de chef de la police politique de Calcutta, vient de recevoir le châtiment que méritaient son crime et l'usage qu'il faisait du nom respecté de Votre Seigneurie. En d'autres termes, il a été pendu.

«Votre Seigneurie, mylord, pourra lire dans le Moniteur de Bhagavapour, que je prends soin de lui faire adresser moi-même, tous les détails de la pendaison. La trahison de Doubleface était si odieuse, et d'ailleurs si bien prouvée par son propre aveu, que je n'ai pas cru nécessaire de suivre en cette affaire les règles ordinaires d'une lente procédure.

«Je dois prévenir Votre Seigneurie qu'on a saisi dans les papiers de Doubleface une liste fort exacte et fort bien faite de toutes les ressources financières et militaires de mon royaume.

«Naturellement je n'ai pas cru nécessaire de joindre cette note si précieuse à la présente dépêche, et je crois que Votre Seigneurie approuvera ma réserve et ma discrétion.

«Sur ce, mylord et cousin, que Dieu vous ait en sa sainte garde.

«Corcoran, maharajah.

«Donné en mon palais de Bhagavapour, ce jourd'hui, 5 février 1860 de l'ère chrétienne, l'an trois cent trente-trois mille six cent neuvième de la dixième incarnation de Vichnou, et de notre règne, la troisième.»

«C'est une déclaration de guerre, dit Quaterquem après avoir lu la dépêche, et tes préparatifs ne sont pas faits.

– De toute façon la guerre était inévitable, répliqua Corcoran. Tu l'as vu toi-même, leur armée est en marche. Il en sera ce que Dieu voudra. Pardonner à ce coquin, c'était reculer. Je ne me suis soutenu jusqu'ici qu'à force d'audace; eh bien, je continuerai.

– As-tu des alliés?

– J'aurais eu toute l'Inde pour moi dans deux ou trois ans. A présent, rien n'est prêt. La dernière révolte des cipayes a fait fusiller tout ce qu'il y avait de plus énergique et de plus résolu. Il faut attendre une génération nouvelle, ou que ce peuple amolli et épouvanté ait oublié les vieux massacres.»

Quaterquem se frappa le front.

«J'ai une idée, dit-il, qui peut te donner avant trois mois un puissant et redoutable allié. Dans ce cas, non-seulement tu seras sauvé, mais tu seras maître de l'Inde.

– Quel est cet allié?

– Parlons bas! dit Quaterquem, parlons bas; on pourrait nous entendre.»

Et il dit tout bas un nom à l'oreille de Corcoran, qui tressaillit.

«J'y ai bien pensé, répliqua le maharajah après un instant de silence; mais il y a si loin! La traversée, aller et retour, durera au moins quatre mois. Et qui envoyer d'ailleurs?

– Tu oublies mon ballon, dit Quaterquem, qui fait trois cents lieues à l'heure, et qui va tout droit comme une flèche, sans connaître les mers, les fleuves ou les montagnes. Ce soir, nous verrons représenter Guillaume Tell. Demain, tu auras une audience. Après-demain, nous serons de retour. Sougriva et Louison gouverneront le royaume en ton absence.

– Il est trop tard, dit Corcoran, mais tu peux me rendre un service signalé. Emmène-moi dans ton ballon, et montre-moi le camp anglais et le mien. Fais tes adieux à Sita; je vais faire les miens à Alice. Nous partirons dans une heure.... Qu'on appelle Acajou.

3.Tous ceux qui ont lu le Voyage en Orient de M. de Lamartine savent que Lascaris, ancien chevalier de Malte, attaché à la personne de Napoléon et envoyé par lui en Orient après le traité de Tilsit, est un personnage historique. Si Napoléon avait vaincu les Russes et les Anglais, Lascaris serait aujourd'hui plus célèbre que Talleyrand et Metternich.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
190 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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