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Читать книгу: «Les aventures du capitaine Corcoran», страница 4

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VII. Comment Yves Quaterquem, de Saint-Malo, fut présenté à Scindiah.

Scipion Ruskaert ne s'était pas trompé. C'était bien un ballon qui venait de s'abattre, comme un oiseau de proie, sur la ville de Bhagavapour, et qui excitait la rumeur publique. En un instant, malgré l'apathie invincible des Indous, tout le peuple, saisi de respect, d'admiration et de curiosité, se précipita vers le parc du maharajah, afin de contempler de plus près cet animal singulier et prodigieux.

Mais au moment où l'on allait forcer l'entrée, Louison, qui se promenait tranquillement, s'étonna de ce grand concours de peuple et s'avança vers les Indous comme pour les interroger. En un clin d'oeil, la foule disparut, refoulée par la frayeur, dans les rues environnantes, ce qui permit aux serviteurs du palais d'avertir Corcoran.

Celui-ci faisait tranquillement la sieste. A peine éveillé, il s'avança sur le perron du palais en se frottant les yeux. Il voyait descendre du ballon, qui ressemblait à une petite maison très-solide et très-légère et à un aigle aux ailes puissantes, une jeune femme d'une rare beauté et vêtue à la dernière mode de Paris. Un jeune homme de bonne mine lui donnait la main, et dans ce jeune homme Corcoran reconnut avec étonnement son cousin et son ami intime, le célèbre Yves Quaterquem1, de Saint-Malo, membre correspondant de l'Institut de France.

Le premier mouvement du maharajah fut de s'élancer dans les bras de son ami.

«Ah! l'heureux hasard! s'écria Corcoran.

– Hasard! répliqua le nouveau venu. Point du tout, mon cher.... Nous faisons des visites de noces dans la famille. Voici ma femme.»

Et de la main il désigna la jeune femme qui l'accompagnait.

«Par la déesse Lackmi, dont vous êtes la vivante image, s'écria Corcoran en s'inclinant avec respect, si ce n'était un sacrilége de dire qu'on peut être aussi belle que Sita, je le dirais de vous, ma cousine.

– Or çà, dit Quaterquem, trêve aux compliments.... Où vais-je mettre ma voiture? car il me semble, seigneur maharajah, que tu n'as pas de remise assez grande pour la loger.

– Ton ballon? dit Corcoran. Eh! parbleu! nous allons le mettre dans l'arsenal, dont j'ai seul la clef, et mon éléphant Scindiah en gardera l'entrée.

– Avant tout, mon cher ami, dit Quaterquem, sache bien que j'ai les plus fortes raisons pour cacher à tout le monde la forme et le mécanisme intérieur de mon ballon, et ne me donne que des serviteurs aveugles, sourds et muets.

– Par la barbe de mon grand-père! s'écria Corcoran, Scindiah est le serviteur qu'il te faut. Viens ici, Scindiah.»

L'éléphant, qui rôdait librement dans le parc, s'approcha d'un air curieux, regarda attentivement le ballon, parut chercher le sens de cette masse énorme, et, après un instant de réflexions stériles, éleva sa trompe vers le ciel en fixant ses yeux sur Corcoran.

«Scindiah, mon ami, dit celui-ci, tu m'écoutes, n'est-ce pas, et tu me comprends? Ce gentleman que tu vois est monsieur Yves Quaterquem, mon cousin et mon meilleur ami. Tu lui dois respect, affection, obéissance. C'est bien entendu, n'est-ce pas?… Oui.... Eh bien, il va te donner la main et tu lui donneras ta trompe en signe d'amitié.»

Scindiah obéit sans se faire prier.

«Quant à cette dame, continua Corcoran, c'est ma cousine, et, avec Sita, la plus belle personne de l'univers.»

Scindiah s'agenouilla devant la dame, lui prit la main délicatement avec sa trompe et la posa sur sa tête en signe de dévouement.

«Maintenant que la présentation est finie, relève-toi, mon ami, prends les cordes du ballon avec ta trompe, tire de toutes tes forces et amène-le dans l'arsenal.»

Ce qui fut fait en quelques minutes, car la force de l'éléphant égalait son intelligence. Puis il fut mis en faction devant la porte de l'arsenal, avec défense absolue de laisser entrer personne.

«Maintenant, dit Corcoran à ses hôtes, allons voir Sita, car je suis marié, mon cher Quaterquem, tout comme toi, et ma femme m'a apporté en dot un royaume assez joli, comme tu vois.»

VIII. Maëlstrom.

Sita s'avança au-devant de ses hôtes et leur fit l'accueil le plus gracieux. Corcoran les présenta et expliqua en peu de mots les liens de parenté qui l'unissaient à Quaterquem.

«A toi maintenant de parler, dit-il en se tournant vers lui, et de nous dire comment tu nous arrives par le chemin des airs.

– Mon histoire est un peu longue, répliqua Quaterquem, mais je l'abrégerai. La dernière fois que je t'ai vu, c'était à Paris, je crois, dans la rue des Saints-Pères, il y a quatre ans. Je cherchais alors le moyen de diriger les ballons, et j'étais un pauvre diable, vivant de peu, mangeant du pain rassis, buvant l'eau des fontaines publiques, chaussé de souliers percés et vêtu d'un habit dont les coudes riaient de misère. Cependant, à force de chercher à droite, à gauche, au nord, au sud, à l'est et à l'ouest, j'ai fini par résoudre mon fameux problème.

– O Christophe Colomb! s'écria Corcoran, le monde t'appartient! Nul homme n'a fait autant que toi pour ses semblables.

– Ne te presse pas de m'applaudir, dit Quaterquem. Je ne suis pas aussi bienfaiteur de l'humanité que tu pourrais le croire au premier abord.... Aussitôt ma découverte faite, comme la science n'avait plus besoin de moi, je devins amoureux d'Alice, que tu vois et qui nous écoute en souriant.... amoureux à en perdre la raison; j'étonnai la mère, je bravai le père, un vieil Anglais archéologue et grognon, je bousculai le rival, un M. Harrisson ou Hérisson, qui fait le commerce du coton à Calcutta; je troublai ce pauvre garçon au point qu'il tira un coup de pistolet sur mon futur beau-père, qui lui servait de témoin, croyant tirer sur moi, son adversaire; je fis tant, que miss Alice Hornsby, ici présente, est devenue ma femme, et ne s'en repent pas, je crois.

– Oh! cher bien-aimé, non! s'écria Mme Quaterquem en s'appuyant doucement sur l'épaule de son mari.

– Je pensai d'abord, continua Quaterquem, à publier ma découverte dans l'intérêt du genre humain, et, entre nous, c'était une sotte idée, car le genre humain ne vaut guère qu'on s'occupe de lui; mais j'eus le bonheur que l'Académie des sciences se moqua de ma découverte, et, sur le rapport de je ne sais quel vieux savant qui avait longtemps cherché la solution du problème sans la découvrir, déclara que j'étais fou à lier. Par bonheur, j'étais déjà marié, et le vieux Cornelius Hornsby, mon beau-père, qui ne m'avait accordé la main de sa fille qu'en échange du brevet d'invention que je devais prendre, et qu'il devait exploiter en France et en Angleterre, s'écria que je l'avais indignement trompé, me rendit ma parole, me donna sa malédiction et jura de ne plus revoir sa fille.

– Pauvre père! dit Alice.

– Cette fois, Alice et moi, nous avions la bride sur le cou. Alice, un instant ébranlée, reprit bientôt confiance, je construisis mon ballon et j'en adaptai les diverses pièces moi-même, de peur d'indiscrétion, dans un village à cent lieues de Paris; je m'approvisionnai et je partis un soir avec Alice, décidé à chercher asile dans un pays qui n'eût jamais vu l'ombre d'un académicien ou d'une société savante.

– Et tu as choisi Bhagavapour, cher ami?

– Ni Bhagavapour, ni aucune autre capitale, ni aucun pays civilisé ou peuplé, répliqua Quaterquem, et voici mes raisons. L'homme, mon cher maharajah, tu le sais mieux que moi, est un vilain animal, hargneux, envieux, gênant, avare, querelleur, poltron, gourmand, dissolu; surtout il a grand'peine à supporter son voisin. Un sage a dit: Homo homini lupus. J'ai donc cherché le moyen de n'avoir de voisin d'aucune espèce, et pour cela j'ai fait en ballon le tour du globe terrestre. Je ne m'arrêtai, comme tu peux penser, ni à la France, ni à l'Angleterre, ni à l'Allemagne, ni à aucune partie du continent européen. En planant au-dessus des villes et des campagnes, je voyais partout des soldats, des fonctionnaires, des mendiants, des prisons, des hôpitaux, des casernes, des arsenaux et des manufactures, et tout ce que la civilisation traîne derrière elle. La Turquie d'Asie me convenait assez. C'est le plus beau pays et le plus doux climat du globe. Je regardais avec envie les pentes du mont Taurus, et j'étais tenté de construire ma maison sur l'un de ses sommets qui ne sont accessibles qu'aux aigles. Mais là encore j'aurais eu des voisins, et qui pis est, des Turcs. L'Afrique me plaisait beaucoup. Là, dans ces solitudes délicieuses que dépeint le docteur Livingstone, gardés contre toute civilisation par les troupeaux de singes et d'éléphants qui parcourent la forêt immense et vont se baigner dans les eaux bleues du Zambèse, nous aurions pu, comme Adam et Ève, nous créer un paradis terrestre. Un matin, pendant que nous roulions ces pensées en dirigeant notre ballon vers le centre de l'Afrique, nous aperçûmes, à cinq cents pieds au-dessus de nous, la petite ville de Ségo, capitale d'un royaume aussi étendu que la France, et nous vîmes avec la longue-vue un spectacle étrange, épouvantable, que je n'oublierai jamais.

Six mille esclaves des deux sexes étaient rangés, les yeux bandés et les mains liées derrière le dos, au pied de l'enceinte de Ségo, qui est de forme circulaire. Derrière eux se tenait un pareil nombre de soldats, le sabre nu. Ils attendaient les ordres du sultan de Ségo, une sorte de nègre hideux, camard, lippu, lépreux, qui, du haut de son trône, s'apprêtait à donner le signal.

Enfin cet affreux nègre parla. Je n'entendis pas ses paroles, mais je vis le geste, je le vois encore. A cette parole, à ce geste, six mille sabres tombèrent à la fois sur le cou de six mille esclaves et tranchèrent six mille têtes2. J'en frémis d'horreur. Alice voulait partir, mais je la priai de rester, m'attendant que cette tragédie sanglante aurait un dénoûment conforme à la justice divine (au besoin j'aurais moi-même contribué à ce dénoûment), et je mis mon ballon en panne au moyen d'un mécanisme du mon invention qui est assez ingénieux, je m'en vante.

Je ne m'étais pas trompé. Après cet horrible carnage, il y eut dans la foule qui couvrait les remparts de Ségo un instant de stupeur; puis une rage furieuse s'empara de tous les spectateurs, on massacra les gardes du sultan, on le saisit lui-même, on égorgea devant lui ses femmes et ses enfants, on bâtit sur leurs cadavres une tour, au sommet de cette tour on fixa un plancher, et l'on cloua les membres du sultan sur ce plancher, de façon qu'il eût la tête tournée vers le ciel et qu'il fût, vivant, la pâture des oiseaux de proie. Je t'avoue, mon cher maharajah, qu'un tel spectacle m'ôta pour jamais l'envie de m'établir sur les bords du Niger, du Nil ou du Zambèse, et m'aurait rendu le goût de la solitude, si j'avais pu le perdre.

Nous revînmes donc à ma première pensée, qui était de chercher une île déserte. Mais où trouver cette île précieuse, à l'abri de tous les pirates, de tous les marins, de tous les explorateurs? Excepté dans l'océan Pacifique, il n'y a pas un pouce de terre où les Européens n'aient planté quelque drapeau unicolore, bicolore ou tricolore.

Nous cherchâmes longtemps. Notre ballon plana pendant huit ou dix jours au-dessus de la mer des Indes et de l'Asie méridionale; mais nous ne trouvions aucune île, aucun rocher assez sûr pour abriter notre bonheur. Le continent, vu de si haut, nous paraissait une plaine immense, marquée de quelques ondulations imperceptibles au fond desquelles coulaient quelques ruisseaux, l'Indus, le Gange, le Brahmapoutra, le Meinam. Vos monts Vindhya, dont vous êtes si fiers, vos Ghâtes, et l'Himalaya lui-même, nous faisaient l'effet de ces murs que le paysan élève pour marquer la limite de son champ et qu'il franchit d'une enjambée.

Enfin, redescendant vers le sud-est, nous contemplâmes ce merveilleux groupe d'îles immenses et innombrables, parmi lesquelles Java, Sumatra et Bornéo tiennent le premier rang. Là, tout nous attirait, la fertilité du sol, la beauté du climat, et même la solitude; car les hommes, animaux sociables et féroces, aiment à se réunir par milliers dans quelques coins de l'univers pour se dévorer plus commodément. J'enrage quand je vois des imbéciles qui s'appellent hommes d'État, entasser leurs peuples dans un étroit espace où tout manque, le pain, le vêtement, l'air et le soleil, et s'arracher à coups de canon des lambeaux de terre, pendant que des centaines de mille lieues carrées restent sans habitants.

– Mon ami, interrompit Corcoran, tu as raison, mais dis-nous vite où est ton île. Est-elle voisine de Barataria où Sancho Pança fut gouverneur?

– Mieux encore, continua Quaterquem. Mon île est unique dans l'univers. Cherche sur la carte de l'Océanie, à moitié chemin entre l'Australie et la Californie, à deux cents lieues environ au sud-est des îles Sandwich. C'est là.

Le 15 juillet de l'année dernière (cette date m'est restée dans la mémoire, parce que c'était le jour où j'avais coutume de ne pas payer mon terme), nous commencions à nous sentir découragés de tant de recherches inutiles, lorsqu'un spectacle singulier attira notre attention. Nous appuyant tous deux sur le parapet de la nacelle, nous vîmes, à mille pieds environ au-dessous de nous, un trois-mâts américain en détresse.

La surface de l'océan était calme; il n'y avait pas un nuage dans le ciel, le navire lui-même n'avait rien perdu de sa mâture, et cependant il tournait dans un cercle immense, avec une vitesse qui croissait à chaque minute; en même temps il se rapprochait toujours davantage d'une espèce de gouffre ou d'entonnoir où l'entraînait le tourbillon des flots. L'équipage et les passagers, se voyant perdus, s'étaient agenouillés sur le pont et adressaient à Dieu une dernière supplication.

En effet, Dieu seul pouvait les sauver, car toute la science des marins les plus expérimentés n'aurait pu lutter contre la force aveugle et irrésistible de la mer. Le gouffre où le navire était entraîné, et qui n'a pas encore été signalé sur les cartes géographiques, est plus redoutable encore que le fameux Maëlstrom, si redouté des Norvégiens. Son centre d'attraction était situé à quinze cents pas environ d'une petite île que nous distinguions admirablement et qui paraissait avoir sept ou huit lieues de tour.

Tout à coup un dernier cri retentit sur le pont. Le trois-mâts, qui tournait toujours avec une rapidité prodigieuse, arriva enfin au fond du gouffre et s'engloutit. Nous regardâmes longtemps avec une émotion profonde le lieu du désastre; aucun homme vivant ne reparut; mais, par une horrible ironie du destin, la mer se calma aussitôt que le navire eut fait naufrage. On eût dit qu'un monstre caché, satisfait de sa proie, rendait le calme aux flots. Peu à peu les vagues se mirent à tourner en sens inverse, et à ramener à la surface de l'océan tout ce qu'elles avaient englouti. Le trois-mâts lui-même, tout démantelé, à demi brisé, alla échouer contre les rochers.

C'est alors que, regardant avec attention l'île au-dessus de laquelle se trouvait notre ballon, nous vîmes qu'elle était faite à souhait, comme dit Fénelon, pour le plaisir des yeux. Des forêts de bananiers, d'orangers et de citronniers en couvraient la plus grande partie. Le reste était revêtu d'un gazon plus fin et plus serré que le plus beau gazon d'Angleterre. Au fond des vallées coulaient quatre ou cinq ruisseaux d'une eau limpide, dans laquelle s'ébattaient gaiement des milliers de truites. Enfin (avantage inappréciable!) aucun homme sauvage ou civilisé ne semblait avoir mis le pied dans notre île.

Je dis notre, car nous n'hésitâmes pas un instant. Dès le premier coup d'oeil, Alice jugea qu'elle ne pouvait appartenir qu'à nous. Le gouffre la défend contre toute attaque par mer. Quant à celles qui peuvent venir du ciel, personne, heureusement, ne possède encore l'art de diriger les ballons.

Quaterquem en était là de son récit, lorsqu'un coup de feu retentit dans l'arsenal; aussi un tumulte épouvantable s'éleva dans le palais d'Holkar et lui coupa la parole. Louison, qui était couchée sur le tapis et qui regardait le narrateur avec une curiosité mêlée de sympathie, se leva toute droite et dressa les oreilles. Le petit Rama prit un air belliqueux, comme s'il se fût préparé au combat. Moustache se hérissa et se plaça devant Rama, terrible rempart. Corcoran se leva sans rien dire, prit un revolver à crosse d'argent qui était suspendu à la muraille, et voyant que Quaterquem s'armait et allait le suivre, il lui dit d'un air calme:

«Mon cher ami, reste avec les femmes et veille à leur sûreté. Je te laisse Louison. Il n'y a rien à craindre: c'est une sentinelle qui aura fait feu par mégarde. Louison, reste ici, ma chérie, je le veux!…»

IX. Acajou, bon nègre.

De tous côtés les serviteurs de Corcoran couraient en désordre, les uns armés, les autres sans armes, mais tous remplis de terreur et croyant à une attaque imprévue. La vue de Corcoran leur rendit le courage et la confiance.

«Que personne ne sorte! dit-il. Sougriva, faites cerner le palais, le parc et l'arsenal.»

En même temps il s'avança d'un pas ferme vers la porte de l'arsenal. C'est là qu'il avait placé Scindiah.

Il aperçut alors, avec étonnement, un Européen que l'éléphant maintenait avec sa trompe contre le mur, et qui essayait inutilement de s'échapper. En regardant de plus près, il reconnut le docteur Scipio Ruskaert.

Corcoran fronça le sourcil. Les soupçons qu'il avait conçus lui revinrent à l'esprit sur-le-champ.

«Que faites-vous là, docteur Scipio?» demanda-t-il.

Ruskaert, encore serré contre le mur par la trompe de l'éléphant, fit signe qu'il avait perdu la respiration. En réalité, il se donnait le temps de chercher la réponse.

«Lâche-le, mon bon Scindiah,» dit Corcoran.

L'éléphant obéit à regret.

«Seigneur maharajah, dit Ruskaërt, j'avoue mon tort et ma déplorable curiosité, mais j'en suis cruellement puni.»

En même temps il essayait de sourire et d'échapper au danger d'une explication; mais Corcoran n'était pas d'humeur à plaisanter.

«Maître Scipio Ruskaërt, dit-il d'une voix impérieuse, qu'alliez-vous faire dans l'arsenal? pourquoi avez-vous violé la consigne? par quelle porte êtes-vous entré?

– Seigneur maharajah, dit l'espion, qui commençait à s'alarmer, il ne faut pas attacher trop d'importance à un accident malheureux. Je vous ai entendu parler souvent de ce merveilleux canon de bronze, d'or et d'argent, que les jésuites ont fondu en 1644 pour l'un des ancêtres d'Holkar, et qui représente la bataille de Rama contre Ravana et des singes contre les Rakshasas, telle que l'a décrite le poëte Valkimi. Je vous avoue que je n'ai pas pu résister au désir de pénétrer dans l'arsenal pour dessiner les bas-reliefs de ce canon. Je comptais faire une agréable surprise à toutes les sociétés savantes de l'Europe en publiant mon dessin à cent mille exemplaires. J'aurais dû penser que vous gardiez avec un soin jaloux un trésor si rare et si précieux.»

Cette excuse pouvait être vraie. Corcoran reprit d'un ton plus doux:

«Mais comment êtes-vous entré dans l'arsenal? Enfin, qui a tiré ce coup de feu?»

Tout à coup une figure nouvelle sortit de terre et répondit sans avoir été interrogée:

«C'est moi, massa, moi Acajou, bon nègre.»

Le nouveau venu était un nègre de la plus grande espèce. Six pieds de haut. Ses bras étaient gros comme des jambes, et ses jambes comme des colonnes. Du reste, une figure pleine de bonhomie, qui riait en montrant ses dents blanches.

«Et que fais-tu là, toi aussi, Acajou, bon nègre que je n'ai jamais vu? demanda Corcoran.

– Moi garder le ballon en l'absence de massa Quaterquem, massa. Lui curieux, ajouta-t-il en montrant Scipio, moi fidèle; lui bien attrapé. Coup de revolver dans le bras.»

Effectivement, le sang coulait du bras du docteur Scipio Ruskaërt, mais il ne paraissait pas y faire attention; il s'apprêtait à faire face à un danger bien autrement terrible.

«Voyons, maître Acajou, dit Corcoran, raconte-nous comment l'affaire s'est passée, puisqu'il n'y a pas d'autre témoin que toi et l'éléphant, et que mon pauvre Scindiah n'a pas reçu du ciel le don de l'éloquence.»

Acajou ne se fit pas prier. Il fit passer de sa joue droite à sa joue gauche une chique qui le gênait un peu, et:

«Massa Quaterquem, dit-il, avoir confié à moi la garde du ballon. Moi, voyant ça, dormir de l'oeil droit, ouvrir l'oeil gauche de toutes mes forces. Lui (désignant Ruskaërt) monter sur le mur de l'arsenal, faire des signes à quelqu'un de l'autre côté du mur, sauter à bas de l'enceinte, fureter partout, écrire notes avec crayon, compter bombes, boulets; moi, très-étonné, ouvrir l'oeil droit et regarder avec attention. Lui, continuer sa marche, voir le ballon, venir vers moi et vouloir entrer et examiner ressorts mécaniques. Moi trouver lui trop curieux, prendre pistolet à ceinture, amorcer, viser et tirer, pan! juste quand il entrait. Lui, effrayé, vouloir se sauver par la grande porte, mais arrêté par Scindiah. Animal, Scindiah! mais pas bête!

– C'est bien, maître Acajou! dit Corcoran. Voici vingt roupies. Massa Quaterquem sera très-content de vous.»

La figure du nègre rayonnait de joie. Il prit les roupies et se mit à genoux devant le maharajah pour le remercier.

«Pour vous, monsieur Scipio Ruskaërt, docteur de l'Université d'Iéna, suivez-moi en lieu sûr jusqu'à ce que je sache pourquoi vous escaladez les murs de mon arsenal au risque de recevoir les balles des sentinelles.

– Seigneur maharajah, dit l'espion avec une hauteur affectée, songez au droit des gens. Vous rendrez compte de cet abus de pouvoir à la Prusse et à l'Angleterre. Prenez garde!

– Ami Ruskaërt, répliqua Corcoran, j'en rendrai compte à Dieu, que je crains beaucoup plus que les Prussiens et les Anglais réunis. Si vous êtes honnête homme, vous ne devez pas craindre qu'on examine votre conduite; si vous ne l'êtes pas, vous ne méritez aucune pitié.»

Et comme Sougriva arrivait, suivi de quelques soldats, et conduisant un Indou prisonnier qui avait les mains liées derrière le dos, Corcoran lui dit:

«Assurez-vous du docteur Ruskaërt. Qu'on l'enferme dans une salle du palais. Que deux sentinelles en gardent la porte.... Pour plus de sûreté, Louison se mettra en faction avec les deux sentinelles.»

Sougriva éleva les mains en forme de coupe et répondit:

«Seigneur Maharajah, faudra-t-il séparer l'un de l'autre ces deux prisonniers?»

Ruskaërt, qui avait gardé tout son sang-froid jusqu'à l'arrivée de l'Indou, parut alors troublé pour la première fois. Il fit signe des yeux à l'Indou, sans doute pour lui recommander le silence; mais celui-ci demeura immobile et impassible comme s'il le voyait pour la première fois.

Corcoran surprit ce signe.

«Où as-tu saisi cet homme? demanda-t-il à Sougriva.

– Seigneur maharajah, ce n'est pas moi qui l'ai saisi; c'est Louison. Tout à l'heure, suivant vos ordres, j'avais fait cerner par les soldats le parc, le palais de l'arsenal, lorsque j'ai vu de loin un homme à cheval qui galopait sur la route de Bombay. Cette précipitation m'a donné l'éveil. Ce n'est pas l'usage de courir quand on a la conscience nette. J'ai crié à cet homme de s'arrêter. Il a galopé de plus belle, et comme j'étais à pied, nous aurions sûrement perdu sa trace, lorsque Louison a paru tout à coup.

– Comment donc! mademoiselle Louison! interrompit Corcoran avec une feinte sévérité. Je vous avais pourtant bien dit de rester au palais!»

La tigresse ne se trompa point sur le sens de cette mercuriale. Elle se dressa debout sur ses pattes de derrière, appuya celles de devant sur les épaules de son maître et frotta joyeusement sa belle tête fine et tachetée comme celle du maharajah.

«Seigneur, continua Sougriva, Louison n'a pas plus tôt vu de quoi il s'agissait, qu'en trente ou quarante bonds elle a dépassé le cavalier et s'est plantée au milieu du chemin pour l'empêcher de passer. Le cheval s'est cabré et a renversé l'homme sous lui. Alors Louison a mis sa griffe sur les épaules de l'homme et l'a maintenu jusqu'à notre arrivée.»

Le docteur Ruskaërt et le prisonnier indou, qui écoutaient ce récit avec beaucoup d'attention, parurent rassurés en voyant que Sougriva n'en savait pas davantage.

«Mais enfin, dit Corcoran, quelle raison as-tu de soupçonner cet homme? Il est à cheval et il galope; ce n'est pas un crime.

– Seigneur maharajah, image de Brahma sur la terre, céleste incarnation de Vichnou, dit le prisonnier d'une voix suppliante, grâces soient rendues à votre générosité. Ce n'est pas vous qui soupçonnez les malheureux et qui maltraitez les faibles! Par le divin Siva, seigneur, je suis innocent.

– Qui es-tu? demanda Corcoran.

– Seigneur, je m'appelle Vibishana et je suis un pauvre marchand parsi de Bombay. Un mauvais sort m'a poussé vers Bhagavapour, où je venais acheter du coton pour mes correspondants anglais. Maudit soit le jour où je suis venu dans vos États, puisque je devais être l'objet de cet odieux soupçon!»

La figure douce et résignée de ce pauvre homme inspirait la compassion.

«A-t-on trouvé quelque chose de suspect sur lui? demanda Corcoran.

– Non, seigneur. Rien que des habits et quelque argent.

– Eh bien, qu'on le délie et qu'on lui rende son cheval.»

Sougriva et les soldats se mirent en devoir d'obéir.

1.Les personnes qui ont lu les Amours de Quaterquem, reconnaîtront sans peine ce nouveau personnage. Les autres trouveront sans doute que l'analyse rapide que Quaterquem lui-même fait ici de ses aventures suffit à la clarté du récit.
2.Légende historique. Raffanel. Nouveau voyage au pays des nègres.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
190 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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