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Читать книгу: «La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1», страница 3

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Un mémoire imprimé en 1778, et attribué à un célèbre ministre d'État, détracteur et ennemi déclaré du Dauphin, présente sur ce prince une étrange critique, en lui reprochant d'avoir un caractère polonais. Quand il est question d'apprécier sérieusement les qualités et les vices des hommes et particulièrement des princes, on devrait, ce semble, au lieu de prendre pour règles les coutumes et les préjugés des cours, s'élever aux grands principes de morale et d'honneur qui sont les immortels flambeaux de la conscience humaine. Ce caractère polonais, que le Dauphin tenait de sa noble mère Marie Leckzinska, n'était au fond que l'amour de la vertu et l'horreur du vice. Il eût été à souhaiter pour la France et la monarchie que toute la Cour de Louis XV eût imité le prince qu'on insultait d'en bas, faute de pouvoir s'élever jusqu'à lui. Il n'est ni dans mon sujet ni dans mes intentions de chercher à diminuer le mérite de M. de Choiseul ou à surfaire le mérite du Dauphin; mais il me sera permis de dire que tous les hommes sensés n'hésiteront pas à préférer à cette légèreté d'un esprit sceptique avec laquelle le ministre se vantait d'être fort novice en examen de conscience, la gravité pleine de sagesse du prince qui, désireux de donner à ses fils une leçon d'humanité et d'égalité chrétienne, faisait apporter au palais de Versailles le registre de la paroisse où ils avaient été baptisés, et l'ouvrant en leur présence, leur disait: «Voyez, mes enfants, vos noms inscrits à la suite de celui du pauvre et de l'indigent. La religion et la nature ont fait les hommes égaux; la vertu seule établit une différence entre eux. Peut-être même que le malheureux qui vous précède dans cette liste sera plus grand aux yeux de Dieu que vous ne le serez jamais aux yeux des peuples.»

Parmi les enfants qui écoutaient ces paroles, il n'y avait guère que le duc de Berry qui fût en âge de les comprendre. Élisabeth, qui devait un jour pratiquer cette morale, n'en reçut pas l'initiation des lèvres paternelles. Venue, nous l'avons dit, la dernière de la lignée, elle ne devait point connaître celui qu'elle était appelée à imiter.

Peu de temps après sa naissance, le Dauphin et la Dauphine vinrent à Paris, en l'église de Notre-Dame, remercier Dieu de leur avoir accordé une seconde fille. Fort empressés, à cette époque, à se porter sur les pas de la famille royale, les Parisiens remarquèrent que le prince, qui était naguère d'un embonpoint plus qu'ordinaire, avait maigri d'une façon surprenante, et que le coloris de son teint s'était tout à fait effacé. Le mal dont ce changement était le symptôme ne tarda pas à se révéler. Cependant, malgré sa langueur, il voulut se rendre à un camp de plaisance établi à Compiègne, puis il suivit la cour à Fontainebleau. Là devait s'arrêter sa course. Étendu sur un lit de souffrance dont il ne se releva plus, il retrouva près de lui sa fidèle compagne, cette garde angélique qu'il tenait de Dieu. «Quelle digne femme! s'écria-t-il; après avoir fait le bonheur de ma vie, elle m'aide encore à mourir!» Lorsque son confesseur entra dans sa chambre et approcha de son lit, le Dauphin voyant son air triste, lui dit le premier: «Ne vous affligez pas; je n'ai, grâce à Dieu, aucune attache à la vie. Je n'ai jamais été ébloui de l'éclat du trône auquel j'étais appelé par ma naissance; je ne l'envisageais que par les redoutables devoirs qui l'accompagnent et les périls qui l'environnent.»

Le Dauphin demanda au cardinal de Luynes s'il y avait des caves de sépulture dans le chœur de sa cathédrale. «Monseigneur, lui répondit le cardinal, il n'y en a qu'une sous l'autel pour les archevêques. – Il faudra donc, reprit le prince, en faire une autre; car je dois faire un voyage à Sens.»

Ces mots se trouvèrent bientôt expliqués.

Au dehors du château et dans toute la France des vœux se faisaient pour la conservation de ce prince, tandis que de son côté le prince faisait cette suprême prière: «Mon Dieu, je vous en conjure, protégez à jamais ce royaume, comblez-le de vos grâces et de vos bénédictions les plus abondantes.» Dieu ne voulut exaucer ni les prières de la France ni les prières du prince: le Dauphin mourut le vendredi 20 novembre 1765, à huit heures du matin, âgé de trente-six ans et trois mois et demi.

Louis XV, qui n'avait point voulu quitter Fontainebleau pendant la maladie de ce fils tendrement aimé, fut vivement ému de sa mort, et surtout de la manière dont il l'apprit. Les jeunes princes, fils du Dauphin, avaient connu avant le Roi le malheur qui venait de les frapper. L'aîné d'entre eux, le jeune duc de Berry, s'en montrait inconsolable et refusait de quitter sa chambre. Son gouverneur, le duc de la Vauguyon, lui fit comprendre qu'il était de son devoir de le conduire auprès de son royal aïeul. Arrivé aux appartements du Roi, le duc de la Vauguyon donna l'ordre d'annoncer Monsieur le Dauphin. À ce nom qu'on lui donnait pour la première fois, l'enfant fondit en larmes et s'évanouit. «Pauvre France! s'écria Louis XV en sanglotant, un Roi âgé de cinquante-cinq ans et un Dauphin de onze!»

Dans cette dramatique scène, on dirait que Louis XV, en prenant le deuil de son fils, porte celui de la monarchie. Il semble qu'on voit apparaître les misères du présent, et que par une rapide échappée on aperçoit les nuages sombres et chargés de tempêtes qui montent à l'horizon de l'avenir.

Le présent, en effet, offrait tant de scandales et l'avenir tant de périls, que le prince qui venait de mourir dans la force de l'âge n'avait pu jusqu'à sa dernière heure en détourner ses tristes pensées. Il s'éteignait comme accablé sous le poids des terribles obligations qui le menaçaient. – «Ce qui rend, disait-il un jour en soupirant, la réforme de l'État si difficile, c'est qu'il faudrait deux bons règnes de suite, l'un pour extirper les abus, l'autre pour les empêcher de renaître.» Et remarquant que ce déclin du sens moral, qui avait déjà frappé Leibnitz, était dû surtout au déréglement effréné de la plume et de la parole: «Vous le voyez, s'écriait-il, il ne paraît presque point de livres où la religion ne soit traitée de superstition et de chimère, où les rois ne soient représentés comme des tyrans, et leur autorité comme un despotisme intolérable. Les uns le disent ouvertement et avec audace, les autres se contentent de l'insinuer adroitement.»

Le respect que le Dauphin professait pour son père ne lui permettait pas d'ajouter que les vices étalés dans une haute sphère autorisaient ces attaques contre le trône, et que pendant qu'au dehors on battait en brèche les remparts de la monarchie, ils étaient ébranlés au dedans par ceux qui avaient mission de les défendre. Les licences du règne fournissaient des armes aux licences de la presse. Le cri d'alarme prophétique que jetait le Dauphin sur l'avenir était donc doublement motivé. On a écrit que celui qui jugeait ainsi son époque succomba à une maladie dont il portait le germe depuis plusieurs années. Je n'ai vu nulle part que la science ait constaté ce fait. On a dit que l'abolition de la Compagnie de Jésus, dont il croyait l'existence nécessaire à l'éducation chrétienne de la jeunesse dans les provinces du royaume22, lui avait causé un chagrin qui avait altéré sa santé. La chose n'est pas impossible, car le Dauphin sentait profondément toute atteinte portée à la religion, qui était à ses yeux le premier fondement des empires.

On est allé plus loin. On a insinué que M. de Choiseul avait voulu se débarrasser par le poison d'un concurrent dangereux23, capable autant que digne de gagner la confiance du Roi son père. Je ne puis me résoudre à croire à une pareille infamie.

Ceux qui, sans amnistier complétement M. de Choiseul, assignent à la mort du Dauphin une cause naturelle, se bornent à soutenir que les amertumes dont l'avaient abreuvé madame de Pompadour et M. de Choiseul, aussi bien que le profond chagrin qu'il avait ressenti de la perte de son fils aîné, avaient précipité le terme de ses jours. Je suis disposé à le croire.

Enfin, ceux qui ne voient que le côté matériel des choses humaines ont prétendu que le prince était mort des fatigues qu'il s'était données au camp de Compiègne. Ceci ne me paraît point vraisemblable.

La véritable cause de sa mort, nous persistons à le croire, ce fut le spectacle qu'il avait sous les yeux, le sentiment réfléchi des périls de sa maison, de la catastrophe qui menaçait sa patrie, et de sa propre impuissance à la prévenir. Il y avait là une torture qui était autre chose que la fatigue occasionnée par des parades militaires et des manœuvres d'artillerie. C'était moins à l'aspect d'un simulacre de bataille que les forces lui manquaient qu'à l'aspect de ce royal édifice qui penchait déjà sur sa race, et dont, malgré son grand cœur, il ne se sentait pas capable d'empêcher la chute.

Ses funérailles eurent lieu avec tous les honneurs dus à son rang. La Gazette de France du vendredi 3 janvier 1766 en donne le récit officiel:

«Après la mort de Mgr le Dauphin, son corps est demeuré exposé dans le château de Fontainebleau. Le Roi a ordonné que le duc d'Orléans y resteroit pour commander les détachements de sa maison militaire et domestique qui devoient faire le service, et pour donner tous les ordres convenables relativement aux obsèques et au transport du corps de Fontainebleau à Sens, où feu Mgr le Dauphin a désiré d'être enterré. Le samedi 28 du mois dernier, tout étant prêt pour le départ du convoi, l'archevêque de Reims, grand aumônier, fit à onze heures du matin la cérémonie de lever le corps, qui fut placé dans le char destiné à le porter à l'église métropolitaine de Sens. Le convoi se mit en marche peu après dans l'ordre suivant: Deux gardes du corps, soixante pauvres portant des flambeaux, plusieurs carrosses des personnes qui composoient le deuil, cinquante mousquetaires de la seconde compagnie, cinquante de la première, cinquante chevau-légers, deux carrosses du Roi occupés par les menins, un autre carrosse du Roi dans lequel étoient le duc d'Orléans, le duc de Tresmes, le duc de Fronsac et le marquis de Chauvelin, un quatrième dans lequel étoient l'archevêque de Reims, un aumônier du Roi, le confesseur de feu Mgr le Dauphin et le curé de l'église paroissiale de Fontainebleau, les pages de Madame la Dauphine, les pages de la Reine, vingt-quatre pages du Roi et plusieurs écuyers de Leurs Majestés, quatre trompettes des écuries, les hérauts d'armes, le maître des cérémonies, le marquis de Dreux, grand maître des cérémonies, quatre chevau-légers, le char funèbre, aux deux côtés duquel marchoient les Cent-Suisses de la garde du Roi, et qui étoit entouré d'un grand nombre de valets de pied de Sa Majesté. Quatre aumôniers du Roi portoient les quatre coins du poêle; les commandants des gendarmes, des chevau-légers et des mousquetaires marchoient près des roues. Le sieur de Saint-Sauveur, lieutenant des gardes du corps, suivoit le char à la tête de son détachement, qui précédoit cinquante gendarmes. Toutes les troupes de Sa Majesté, ainsi que les pages et les valets de pied, portoient des flambeaux. La marche étoit fermée par des carrosses des personnes qui composoient le deuil.

»Vers les sept heures du soir, le convoi arriva à Sens. Le cardinal de Luynes, archevêque de cette ville, reçut le corps de Mgr le Dauphin à la porte de l'église; l'archevêque de Reims le présenta au cardinal; le cercueil fut porté dans le chœur; on chanta les prières ordinaires; après quoi le duc d'Orléans et toutes les personnes qui avoient accompagné le convoi se retirèrent. Le corps de Mgr le Dauphin a été exposé dans le chœur de l'église pendant la nuit, et le lendemain 29, on a fait un service solennel, qui a été célébré par le cardinal de Luynes, et auquel le duc d'Orléans et toutes les personnes nommées ci-dessus ont assisté. Après le service, le corps de Mgr le Dauphin a été inhumé dans le caveau qui avoit été construit pour l'y déposer.»

Telles furent les funérailles du Dauphin de France, père des rois Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, ces trois frères qui se succédèrent dans la lignée des Bourbons, comme celle des Valois avait été close par trois frères. Un mausolée lui fut élevé dans la métropole de Sens, des historiens écrivirent sa vie, des orateurs prononcèrent son éloge; la douleur du peuple fut sa plus belle oraison funèbre. Encore un quart de siècle, et ces cérémonies des royales obsèques ne se seraient pas déroulées à la mort du fils de Louis XV. C'est pour cela que j'ai cru devoir m'arrêter un instant devant le cercueil de ce prince, avant de toucher à l'histoire de Madame Élisabeth, sa fille. Son cercueil, en effet, est comme une borne milliaire entre les choses d'autrefois et les choses nouvelles, entre le repos et les orages, entre la monarchie et la révolution. Il nous servira à constater la marche que nous aurons faite sur le terrain brûlant des réformes sociales et des essais politiques. Ce fils de Louis XV avait assez vécu pour voir l'esprit orgueilleux des libres penseurs prévaloir sur l'esprit de l'Évangile. Il savait que Voltaire dominait le siècle, et que la raillerie ou la révolte ne laisserait debout aucune autorité consacrée par le temps. Aussi, avant de mourir, il demanda pour ses restes une sépulture moins royale que celle de ses aïeux. Il semble que ce n'était pas assez pour lui de fuir le Louvre, il voulut s'éloigner de Saint-Denis, que la révolution devait aussi visiter dans ses fureurs.

L'orphelin de onze ans que nous avons vu apparaître dans l'appartement de Louis XV au moment où la vie du Dauphin venait de s'éteindre, était sous quelques rapports digne d'un père si justement regretté. Sa jeune âme s'ouvrait à tous les sentiments vertueux, son esprit à toutes les sciences utiles. Il est permis de croire que si son père eût occupé le trône pendant quinze à vingt ans, et que ce jeune prince, avant d'y monter à son tour, eût été formé à l'école paternelle, la France aurait eu ces deux bons règnes que le Dauphin jugeait nécessaires pour sauver la monarchie.

Malheureusement son héritier ne fut point préparé par une intelligente et mâle éducation aux luttes qu'il devait rencontrer. Ses études subissaient l'influence de ce temps d'imprévoyance et d'erreur. Les instituteurs des princes leur enseignaient à modérer leur pouvoir beaucoup mieux qu'à le maintenir, et de leur côté les princes, désireux de complaire à l'opinion, dépouillaient le trône de son prestige et mettaient de l'orgueil à montrer qu'ils n'étaient plus à craindre.

Louis XV toutefois, malgré ses défauts, n'était pas un prince sans clairvoyance et sans fermeté. Apportant un grand esprit de modération dans son conseil, il laissait volontiers, dans les matières ordinaires, passer la décision à la majorité, alors même qu'elle était contraire à son avis; mais il savait, dans les affaires d'État, imposer son opinion. Aucun prince ne sut mieux écouter ni observer plus mûrement avant de prendre un parti. On sait combien il fut lent à se décider dans les deux actes les plus importants de son règne, l'expulsion des jésuites et le changement des parlements. Mais lorsqu'il n'était question que des prérogatives et affaires des princes de sa maison, il ne consultait même point son conseil, se regardant comme le seul législateur des droits de sa famille. Voici une loi qui fait également l'éloge de son esprit et de son cœur. Sollicité de régler le cérémonial entre Madame la Dauphine et l'aîné de ses fils (Louis XVI): «Il n'y a que la couronne, dit-il, qui puisse décider absolument du rang. Le droit naturel le donne aux mères: ainsi Madame la Dauphine l'aura sur son fils jusqu'à ce qu'il soit roi.»

Pénétrée des devoirs sacrés que lui imposait la perte qu'elle venait de faire, Madame la Dauphine essaya de surmonter sa douleur pour se dévouer à l'éducation de ses enfants. Élisabeth, qui n'avait que dix-huit mois, et dont le tempérament était toujours extrêmement délicat, occupait particulièrement sa vigilante sollicitude. Chaque jour la chétive existence de cette enfant était en péril, et ce ne fut qu'à force de soins et de tendresse qu'elle fut disputée à la mort: elle dut donc deux fois la vie à sa mère.

Un peu rassurée sur la santé de sa dernière-née, dont le pâle visage se colorait de jour en jour d'un rayon de vie, la Dauphine songea à se tracer pour l'instruction de ses enfants un plan de conduite et d'étude, et en chercha les éléments dans une liasse de papiers laissés par leur père avec cette suscription: «Écrits pour l'éducation de mon fils de Berry.» L'examen de ces documents, qu'avec un sentiment pieux elle appelait son trésor, ne se terminait jamais sans larmes. Avec le concours d'une personne éclairée et discrète, elle en tira des notes, des observations, des conseils qu'elle fondit dans un plan d'étude suivi, dont elle médita longuement chaque article. Ce labeur occupa sa première année de deuil, et elle s'y était appliquée avec tant d'attention qu'elle avait appris par cœur quelques préceptes touchants afin de les enseigner à ses fils. Ce plan d'étude achevé, elle le soumit à l'approbation du Roi24.

Qui dira l'influence qu'auraient pu exercer sur les destinées de la France les leçons de cette royale institutrice, inspirée par l'élévation de son esprit et l'énergie de son caractère, aussi bien que par l'amour maternel? Qui sait si, sous cette forte main, le jeune duc de Berry, qui fut plus tard Louis XVI, n'eût pas senti germer dans son cœur, à côté des instincts droits qui font l'honnête homme, la décision d'esprit et la fermeté de caractère qui font le roi? Mais tour à tour les guides éclairés, les tuteurs habiles devaient manquer à cette pléiade de princes éclose à une heure difficile. Dieu, qui avait décidé que la grande monarchie française serait anéantie, voulut que la veuve inconsolée allât rejoindre son époux dans le tombeau. Ce malheur arriva à Versailles le vendredi 13 mars 1767.

Les bruits qui avaient circulé sur la cause de la mort du Dauphin se renouvelèrent au sujet de la mort de la Dauphine. Plus d'un historien a voulu encore charger de ce crime la politique du duc de Choiseul25, mais ces assertions ont rencontré peu de crédit.

Le Dauphin, on l'a vu, avait demandé de reposer dans la cathédrale de Sens. Les restes de sa digne compagne y furent réunis aux siens. Guillaume Coustou fut chargé de l'exécution du mausolée, qui leur fut commun. On peut dire, sans être taxé d'exagération, que dans ce simple monument, qui représente deux urnes enlacées de guirlandes d'immortelles et les attributs symboliques des vertus chrétiennes, venaient de descendre l'espérance et le bonheur de la France26.

La mort de la Dauphine fut en effet le prélude des calamités qui devaient affliger le royaume. Élisabeth était à peine âgée de trois ans quand elle devint orpheline. Elle vit des larmes sur le visage de toutes les personnes qui l'entouraient; mais elle ne comprit pas, à un âge si tendre, l'étendue de la perte qu'elle venait de faire, et que rien ne pouvait réparer pour elle.

Vers la fin de l'année 1768, il fut question de la présentation de madame du Barry à la cour. Le duc de Choiseul s'opposa le plus qu'il put au nouvel amour du Roi. Dévoué à la cour d'Autriche, il travaillait à amener le mariage du Roi avec une archiduchesse, dans la pensée que cette combinaison assurerait le maintien de sa politique. Le parti du duc de Choiseul paria que madame du Barry ne serait point présentée. Le parti du duc d'Aiguillon tint la gageure; triste gageure, qui peint l'époque, et qui devait être gagnée contre la fortune de la France! Le duc de Richelieu, habile dans ce genre d'affaires, présenta madame du Barry. La favorite reçut les hommages des princes de Condé et de Conti; mesdames de Château-Renaud, de l'Hospital, d'Aiguillon, de Mirepoix, la fréquentèrent; elle ne manqua ni de courtisans ni d'adorateurs. Le duc de Choiseul, vaincu dans cette intrigue, ne renonça point pour cela à l'alliance autrichienne; seulement il négocia pour le Dauphin le mariage qu'il avait projeté pour Louis XV. La jeune archiduchesse arriva le 14 mai 1770 à Compiègne, où elle fut reçue par le Roi et le Dauphin; le 15 elle soupa à la Muette avec la famille royale, y coucha, ainsi que ses femmes, et alla le lendemain à Versailles se réunir à la cour et recevoir la bénédiction nuptiale. Les témoins des fêtes données à Versailles à ce sujet ont attesté qu'aucune description n'en saurait donner une idée, et qu'elles dépassaient en magnificence les fêtes les plus célèbres du règne de Louis XIV. On a prétendu que la somme énorme de vingt millions fut dépensée à cette cérémonie; mais il est probable que le chiffre en a été exagéré par l'opposition philosophique, qui, justement irritée des profusions de la cour, regardait les abus avec un verre grossissant, afin de s'en faire un argument pour décrier le pouvoir. L'élégance splendide des toilettes étalées à cette occasion, la beauté des parures ruisselantes de diamants, l'illumination du jardin, éclairé en une seconde et comme par enchantement de plusieurs millions de lampions, offraient un coup d'œil magique. Le bouquet du feu d'artifice fit éclore ensemble trente mille fusées, qui embrasèrent l'espace et remplacèrent la nuit par l'éclat du jour. Quatorze jours après, un effroyable accident consterna la France. La ville de Paris voulut aussi avoir son feu d'artifice. Les présages funestes qui avaient troublé les fêtes dans le palais de Louis XIV se renouvelèrent à Paris autour de la statue de Louis XV. Si le 16 mai, au moment même de la cérémonie nuptiale, un violent orage avait éclaté sur Versailles, si le tonnerre avait grondé, si les éclairs avaient brillé, si des torrents de pluie avaient inondé la ville, à Paris il y eut quelque chose de plus que des présages fâcheux: ce furent des désastres réels qui marquèrent d'un deuil ineffaçable la soirée du 30 mai. À qui peut-on attribuer la responsabilité de ce malheur public? L'incurie de l'autorité et les calculs coupables de la malveillance doivent partager cette responsabilité. La rue Royale-Saint-Honoré, que l'on rebâtissait à cette époque, présentait l'aspect d'un terrain entrecoupé de décombres, d'échafaudages, de monceaux de pierres, de gravois qui en rendaient le passage difficile. Des mesures mal prises, la négligence qu'on eut de ne pas débarrasser les issues de la place Louis XV, où se tirait le feu d'artifice, un rassemblement de filous faisant presse afin de voler plus facilement, l'absence de la police et de la force armée, toutes ces circonstances concoururent à amener une confusion inextricable et un engorgement dans lequel trois cents personnes restèrent étouffées sur place. Un grand nombre d'autres demeurèrent pendant des heures renversées, abattues, foulées aux pieds, écrasées, et moururent des suites de leurs blessures27. Quelques historiens portent à plus de douze cents le nombre des victimes de cette catastrophe, qui jeta le deuil dans tant de familles.

Après avoir dit les funestes événements qui vinrent assombrir ces fêtes, il faut ajouter, sans pouvoir préciser un chiffre, qu'elles furent très-dispendieuses. Il reste à ce sujet un mot historique de l'abbé Terray qui peint tout ensemble le cynisme de son esprit et la dureté de son âme. Louis XV lui ayant demandé comment il avait trouvé ces fêtes: «Ah! Sire, impayables,» répondit-il en déridant son front nébuleux. En effet, il ne se pressa pas de payer les fournisseurs.

Le Dauphin et la Dauphine furent inconsolables de ce malheur; ils essayèrent d'en effacer la trace, ou du moins d'en adoucir les souvenirs par des largesses et des témoignages de bonté.

Les fêtes de la cour aussi eurent leurs contre-temps: elles soulevèrent en effet des conflits d'amour-propre et des prétentions de préséance. L'Impératrice avait témoigné le désir que Mademoiselle de Lorraine et le prince de Lambesc, ses parents, y prissent rang immédiatement après les princes du sang. Cette demande avait provoqué une vive opposition de la part de la noblesse française, et comme la Dauphine, qui ne comprenait pas cette susceptibilité, en exprimait sa surprise aux duchesses de Noailles et de Bouillon, ces dames, tout en protestant de leur respectueuse déférence pour la princesse, répondirent que l'inexorable étiquette ne leur permettait pas de faire le sacrifice de droits et de priviléges consacrés par le temps. La jeune Dauphine, dit-on, se prit à sourire, et ce sourire causa un tel scandale que la noblesse du royaume se crut obligée d'intervenir en corps dans le débat. Un mémoire fut rédigé en son nom et remis au Roi par l'évêque de Noyon28. Marie-Antoinette se soumit de bonne grâce, mais elle conçut pour l'étiquette inexorable un dégoût qu'elle ne put surmonter et qui lui attira des ennemis plus inexorables encore que l'étiquette.

Ce mémoire, dont quelques considérants étaient parfaitement applicables à la vieille noblesse guerrière, et qui par cela même avait le tort de se tromper un peu de date à la fin du dix-huitième siècle, quand la noblesse comptait tant d'anoblis, éveilla une foule de susceptibilités qu'on n'avait pas prévues. Il occupa aussi les causeries railleuses de l'ancienne bourgeoisie, qui commençait à compter dans la société française, et qui déjà, dans son impatience envieuse, sentait que son règne était proche. N'apercevant pas dans ce rapport le côté national qui aurait dû trouver grâce à ses yeux, la ville fit comme Marie-Antoinette, elle se mit à rire de prétentions qui irritaient sa jalousie tout autant qu'elles avaient blessé la naïve fierté de la Dauphine. Quant au Roi, il se tira de cette méchante affaire par un moyen terme, qui semblait offrir une satisfaction à l'Impératrice sans porter atteinte aux priviléges de la noblesse du royaume29.

L'entrée publique du Dauphin et de la Dauphine dans la capitale fut saluée par les plus chaleureuses acclamations. Pour répondre à l'empressement du peuple parisien, le prince et la princesse se promenèrent longtemps dans le jardin des Tuileries, au milieu d'une foule compacte de spectateurs. Ce fut comme un témoignage incessant de sympathie et d'affection échangé entre ce jeune couple destiné au trône, et ce bon peuple, alors si dévoué encore à ses princes en ce temps-là.

De nombreux mariages, conclus presque à la même époque, avaient pour ainsi dire renouvelé l'aspect de la cour de France, devenue déjà si brillante par le mariage de l'héritier du trône avec une archiduchesse d'Autriche. Les deux frères du Dauphin avaient épousé30 deux princesses de Savoie, sœurs elles-mêmes. Le duc de Chartres s'était marié31 à la fille du duc de Penthièvre; le duc de Bourbon à une princesse d'Orléans32; et la princesse de Lamballe essayait de cacher sous son voile de veuve l'éclat d'une jeunesse en fleur. Le roi Louis XV se trouvait ainsi au milieu d'une cour toute printanière, comme disait madame du Deffand. Dans de pareilles circonstances, Louis XIV vieillissant s'était fait le centre de la société brillante formée par les générations nouvelles des princes de sa maison; entouré de ses petits-fils, de leurs femmes, de leurs cours, il s'informait d'eux, de leurs intérêts, de leurs habitudes; il s'occupait de leurs plaisirs; sa sollicitude inspirait une respectueuse affection. Aussi, aïeul, enfants, petits-enfants, se rencontraient-ils volontiers, certains de n'avoir point à subir un ennui ou à redouter un blâme. Mais Louis XV n'était ni père ni roi dans son palais: il n'aimait ni la gravité du cérémonial qui impose une gêne, ni la sévérité de l'étiquette qui se fait gardienne de la décence. Arraché aux sentiments de la famille par des passions devenues plus déplorables avec l'âge, il se renfermait pour s'épargner l'ennui d'un contrôle ou la honte d'un scandale.

D'après les bruits qui coururent à cette époque, mais qui n'ont que la valeur d'hypothèses accueillies par la malignité publique, il aurait eu un trésor particulier qu'il n'aurait pas dédaigné de grossir, comme aurait pu le faire un simple agioteur, par le jeu des actions et des effets royaux; spéculateur d'autant plus habile qu'instruit de l'état exact et du mouvement des fonds publics, il aurait pu diriger ses opérations selon le thermomètre de son intérêt. Il aurait étendu même ses trafics sur le commerce des blés. Ce qu'il y a de certain, c'est que les souffrances rancuneuses du peuple lui attribuèrent plusieurs fois la disette. Si le caractère d'un prince doux, patient et qu'on disait ami de son peuple, ne mérite pas une telle flétrissure, il faut dire toutefois que son insouciance et son incurie autorisaient de graves accusations. Louis XV ne croyait pas à la probité: cette triste incrédulité était-elle le reflet d'une mauvaise conscience ou le résultat de l'expérience qu'il avait faite des hommes? Je ne sais; mais il avait un grand dégoût pour les affaires comme un grand mépris pour l'humanité. Le bien qu'il ne se sentait pas la force de faire, il n'imaginait pas qu'un autre pût le tenter. Il regardait comme chose étrangère ce qui ne lui était point personnel, et les plaisirs mêmes qu'il recherchait cessaient de lui plaire dès que l'uniformité s'y mêlait.

Cependant, le gouvernement qui s'accommodait de la dépravation des mœurs commençait à s'inquiéter du déréglement effréné des écrits. Pendant son séjour à Fontainebleau, au mois d'octobre 1771, M. de Maupeou appela l'attention du Roi sur cette question. Ce n'était point sa sollicitude pour l'intérêt public qui le portait à agir ainsi, encore moins la pensée de rendre hommage à la mémoire du Dauphin; il obéissait exclusivement à un intérêt de préservation personnelle. Mais aucun moyen ne fut encore proposé pour arrêter ce fléau contagieux des libelles licencieux qui avait envahi les provinces33.

Une question aussi grave occupait moins la société française qu'un vers de Voltaire ou un bon mot de mademoiselle Arnould. Le billet d'enterrement du duc de la Vauguyon attira l'attention publique cent fois plus que n'avait fait l'annonce de sa mort.

Marie-Antoinette, qui imputait à cet ancien gouverneur du Dauphin et des princes ses frères tout ce qui lui paraissait défectueux dans leurs habitudes et dans leurs goûts, n'avait aucune sorte de sympathie pour lui, et ne témoigna aucun regret de sa mort. Comme une de ses femmes accourut tout émue lui raconter les actes de piété, de repentir et de charité qui avaient honoré ses derniers instants, disant qu'il avait fait venir ses gens près de son lit pour leur demander pardon… «Pardon de quoi? reprit la Dauphine avec vivacité: il a placé tous ses valets, il les a tous enrichis; c'était au Dauphin et à ses frères que le saint homme que vous pleurez avait à demander pardon pour avoir donné si peu de soins à l'éducation des princes dont dépendent les destinées et le bonheur de vingt-cinq millions d'hommes. Heureusement que leur bon naturel et leur aptitude personnelle n'ont point cessé de travailler à racheter la coupable incurie de leur gouverneur.»

22.Cerutti, qui avait eu la gloire de voir un de ses ouvrages attribué à J. J. Rousseau, et la satisfaction de voir son Apologie de l'Institut des Jésuites obtenir le suffrage particulier du Dauphin, raconte qu'à l'époque où il entreprit ce dernier ouvrage, il avait eu avec ce prince «une conversation où son auguste interlocuteur, mettant à l'écart les petits intérêts monastiques, lui développa des vues dignes de l'héritier d'un grand royaume.»
23.C'est ce qui résulterait d'un document publié par Soulavie dans ses Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, tome I, page 295:
  «Opinion et témoignage du maréchal de Richelieu consigné dans une note de lui, remise à Mirabeau, auteur de l'ouvrage intitulé Mémoires du duc d'Aiguillon, sur la mort de M. le Dauphin, père de Louis XVI.
  »M. le Dauphin, ce digne prince, si peu connu pendant trente-cinq ans de sa vie, et qui aurait tant mérité de l'être; cet excellent fils, si bon père, avait vécu fort retiré dans les temps des troubles causés par l'empire des maîtresses, empire qu'il blâmait en silence, mais que son respect pour son roi ne lui permettait pas d'examiner.
  »Depuis la mort de madame de Pompadour, voyant son père entièrement livré à ses enfants, et passant sa vie avec eux, il avait cru pouvoir développer davantage les sentiments dont son cœur était rempli.
  »Le camp de Compiègne parut lui donner une nouvelle existence. Ce prince, aussi affable que vertueux, visitait les soldats, les secourait, leur présentait sa femme, les appelait mes camarades et mes amis, et causait parmi eux une ivresse universelle qui allait jusqu'au délire.
  »Mais comme ce n'était ni l'intention ni l'intérêt du ministre prépondérant que le crédit de M. le Dauphin augmentât à un tel point que le Roi ne pût lui refuser le degré de confiance qu'il méritait, c'est-à-dire sa confiance tout entière, M. de Choiseul ne fut pas longtemps à se débarrasser d'un tel concurrent. On sait quelle fut la maladie et la mort du meilleur des princes. Vingt fois il m'a dit qu'il savait bien ce qui la lui causait, les profonds calculs de son ennemi M. le duc de Choiseul. Mais il est inutile de s'appesantir ici sur des détails qui ne doivent point entrer dans le sujet que je traite.»
  Soulavie dit ailleurs: «Plusieurs mémoires, des notes et des billets que Louis XVI avait réunis et cachetés de son petit sceau, accusent de ce forfait le duc de Choiseul. Le duc de la Vauguyon, ennemi particulier de ce ministre, placé par le Dauphin à la tête de l'éducation des Enfants de France et de celle de leur aîné le duc de Berry, ne cessa de l'attribuer au duc de Choiseul, etc.» (T. I, p. 42.)
24.Nous avons recherché ce document intéressant et peu connu, que le lecteur trouvera à la fin du volume, no II.
25.Soulavie prétend que «le gouverneur des Enfants de France (le duc de la Vauguyon) ne cessa d'entretenir dans la suite l'aîné des princes (Louis XVI) de cette opinion. «Il ne cessa, ajoute-t-il, de travailler son imagination tendre, timide et faible, et parvint à aliéner le duc de Choiseul de l'esprit de son élève, et à persuader au jeune prince que le même valet avait accéléré la mort de son père, et peu de temps après celle de sa mère. Le Roi ne put jamais dans la suite effacer cette impression.» (Mémoires historiques et politiques, t. I, p. 43.)
26.Le 15 prairial an II (3 juin 1794), une députation de la commune de Sens annonça à la Convention nationale que «les corps des père et mère de Louis XVI avaient été exhumes du temple où ils avaient été déposés, et rappelés, après leur mort, à une égalité qu'ils n'avaient pu connaître pendant leur vie.»
27.Nous avons connu un vieillard (M. Lherbette, ancien notaire à Paris et père du député de l'Aisne sous Louis-Philippe) qui, couché pendant des heures sous un tas de personnes estropiées, mutilées ou mortes, avait gardé de ce souvenir une telle impression, qu'il ne pouvait plus supporter une position horizontale; et depuis le 30 mai 1770 jusqu'au 8 octobre 1836, où il mourut à quatre-vingt-six ans, il ne s'est jamais reposé autrement que dans un fauteuil.
28.Voir aux pièces justificatives le discours du prélat et le Mémoire de la noblesse, no III.
29.Voir la réponse du Roi à la fin du volume, no IV.
30.Monsieur, comte de Provence, le 14 mai 1771, et le comte d'Artois, le 16 novembre 1773.
31.Le 5 avril 1769.
32.Le 24 avril 1770.
33
  M. de Maupeou écrivait le «5 mars 1772» à M. de Sivry, Pr de la C. S. de Nancy:
  «Monsieur, au mois d'octobre dernier vous me promîtes, à Fontainebleau, de m'envoyer des mémoires contenant les moyens d'empêcher l'impression et la distribution des mauvais livres dans la Lorraine et dans les Trois-Évêchés. Je ne vous laissai pas ignorer pour lors combien le Roi étoit occupé de cet objet; cependant je n'ai point encore reçu de vos nouvelles à ce sujet. Vous voudrez bien ne pas différer plus longtemps de me mettre à portée d'en rendre compte à Sa Majesté.
»Je suis, Monsieur, votre affectionné serviteur,»de Maupeou.»

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12+
Дата выхода на Литрес:
31 июля 2017
Объем:
723 стр. 6 иллюстраций
Правообладатель:
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