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Читать книгу: «La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1», страница 2

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INTRODUCTION

DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DE LOUIS XV
23 MAI 1764 – 10 MAI 1774
Le Dauphin et la Dauphine, père et mère de Madame Élisabeth. – Leurs nombreux enfants. – Maladie du Dauphin, soins que lui prodigue la Dauphine. – La reine Marie Leckzinska. – Lettre du roi Stanislas. – Mot de la Dauphine, réponse du Dauphin. – Celui-ci admis au Conseil d'État. – Intérieur du Dauphin et de la Dauphine au palais de Versailles. – Chasse dans la plaine de Villepreux; M. de Chambors blessé à mort; le Dauphin, inconsolable, comble de bienfaits sa veuve et ses enfants. – Il refait ses études, se livre à celle de l'histoire. – Paroles du Prince à ce sujet. – Son attachement pour le maréchal du Muy, pour M. de Lamotte, évêque d'Amiens. – Séjour de la cour à Compiègne; conversation entre la Reine, l'évêque d'Amiens et le Dauphin. – Les six sœurs du Dauphin encore vivantes. – Il est question d'en envoyer cinq à Fontevrault; supercherie de la jeune Adélaïde pour ne point y aller. – Retour des jeunes princesses après leur éducation. – Leur célibat. – Le Ciel semble bénir l'union du Dauphin et de la Dauphine. – Cinq fils et trois filles. – Mort du duc de Bourgogne, l'aîné d'entre eux. – Son Oraison funèbre. – Le Dauphin s'occupe de l'éducation de ses autres enfants. – M. de Choiseul, antagoniste du Dauphin. – Leçon de morale donnée par celui-ci à ses enfants. – Le Dauphin et la Dauphine viennent à Notre-Dame remercier Dieu de la naissance de Madame Élisabeth. – Changement opéré dans la physionomie du Dauphin. – Ce prince au camp de Compiègne, puis à Fontainebleau. – Sa mort. – Le duc de Berry, nouveau Dauphin. – Prétendues causes de la mort du Dauphin. – Funérailles de ce prince. – Effroi qu'il avait de régner. – Louis XV dans son conseil, dans les affaires d'État et dans sa famille. – La Dauphine s'occupe de ses enfants, et fait pour le jeune Dauphin un plan d'études qu'elle soumet au Roi. – Mort prématurée de la Dauphine; regrets que cause sa perte. – Elle est inhumée dans la cathédrale de Sens, à côté de son époux. – Bruits auxquels sa mort a donné lieu. – Présentation à la cour de madame du Barry. Les ducs de Choiseul et de Richelieu. – Mariage du jeune Dauphin et de Marie-Antoinette d'Autriche. – Fêtes de Versailles; malheur arrivé dans celles de Paris. – Le Dauphin et la Dauphine inconsolables. – Susceptibilité d'amour-propre; l'inexorable étiquette. Intervention de la noblesse. – Mariage de quatre princes de la famille royale. – Louis XV au milieu de cette cour printanière. – Aspect de la France. – Opinion publique. – Le clergé. – Remontrances faites au Roi du haut de la chaire. – Maladie de Louis XV; vœux pour sa guérison. – Billet du Dauphin à l'abbé Terray. – Mort du Roi. – Ses funérailles. – L'opinion publique

Avant d'entrer dans la vie de Madame Élisabeth, il convient de présenter le tableau de l'époque où Dieu la fit naître: sans cette étude préalable, on ne comprendrait pas le temps où elle était destinée à vivre et à mourir. Une appréciation de la situation de la société française en 1764, – des détails sur l'intérieur de la famille royale, et en particulier sur le père et la mère de Madame Élisabeth, tels sont les éléments nécessaires de cette étude préliminaire.

Louis, Dauphin de France, fils de Louis XV, né à Versailles en 1729, était doué des plus heureuses dispositions et d'une âme naturellement portée à la vertu. Il avait montré dès l'enfance tant d'ardeur et une assiduité si rare au travail, qu'il avait eu à cet égard autant besoin de frein que les autres ont besoin d'aiguillon. Sa douceur, son affabilité, l'élévation de ses sentiments, son asservissement au devoir, en avaient fait un prince accompli. La Reine, sa mère, disait: «Le Ciel ne m'a accordé qu'un fils, mais il me l'a donné tel que j'aurais pu le souhaiter.» En 1745, ce prince, qui n'avait pas atteint sa seizième année, accompagna à l'armée de Flandre le Roi son père et eut la gloire de prendre une part, sous ses yeux, à la bataille de Fontenoy. Des boulets avaient sillonné la terre à deux pas de lui. «Monsieur le Dauphin, lui cria le Roi, renvoyez-les à l'ennemi, je ne veux rien avoir à lui.» Le prince n'avait pas le temps de répondre, il se battait. Marié peu de mois avant cette campagne à l'infante Marie-Thérèse-Antoinette Raphaelle, fille de Philippe V, roi d'Espagne, il perdit, au milieu de l'année suivante, cet objet de ses plus tendres affections. Ce malheur le jeta dans un profond chagrin. Enfermé dans son appartement, il se déroba à toute consolation et s'isola de toute société. Mais la raison d'État, mais la prévoyance dynastique ne pouvaient permettre au fils unique du Roi de pleurer à loisir: elles avaient décidé que, malgré ses justes et douloureux regrets, M. le Dauphin passerait à de secondes noces; et sans plus le consulter on arrangea son mariage avec la fille de l'Électeur de Saxe, roi de Pologne9.

Cette jeune princesse avait de la religion, du savoir, un caractère très-distingué. Elle savait le latin et plusieurs langues vivantes. Elle donna dès son arrivée à la Cour des preuves de l'élévation de son esprit et de son cœur. Quand le Dauphin, la première nuit de ses noces, entra dans son appartement, toute sa douleur se réveilla à la vue de quelques meubles qui avaient été à l'usage de sa première femme. La Dauphine s'étant aperçue des efforts qu'il faisait pour se contenir, lui dit avec tendresse: «Laissez, monsieur, librement couler vos larmes et ne craignez pas que je m'en offense; elles présagent au contraire que je serai la femme la plus heureuse si j'ai le bonheur de vous plaire, et c'est là l'unique objet de mon ambition.»

Cette alliance avait uni par des liens étroits deux familles qui paraissaient irréconciliables. Sous le toit du même palais habitaient en effet deux princesses de Pologne, filles de deux rois rivaux, et la Reine pouvait dire à la Dauphine: Votre père a détrôné le mien. La religion avait surmonté ces motifs de rancune et d'amertume. La fille de Stanislas témoigna les meilleurs sentiments à la fille de Frédéric-Auguste, et le roi détrôné une affection toute paternelle à la fille de celui qui l'avait dépouillé de ses États. De son côté, la jeune Dauphine triompha sans effort des situations délicates que l'étrangeté de sa position pouvait faire naître. L'étiquette exigeait que le troisième jour après ses noces elle portât en bracelet le portrait du Roi son père. Le sentiment de la piété filiale, qui était très-vif chez la Reine, aurait pu s'émouvoir à la vue du portrait de Frédéric-Auguste, porté sous ses yeux comme une sorte de trophée. La religion fut encore en cette occasion une excellente conseillère. Une partie de la journée était déjà passée, et pas une personne de la Cour n'avait osé adresser à la Dauphine un compliment sur la beauté du bracelet. La Reine fut la première qui lui en parla. «Voilà donc, ma fille, lui dit-elle, le portrait du Roi votre père? – Oui, maman, répondit la princesse en lui présentant son bras, voyez comme il est ressemblant!» C'était celui de Stanislas. La Reine fut touchée de ce trait, elle en témoigna sa satisfaction à sa belle-fille, qu'elle aima chaque jour davantage.

Le temps réalisa aussi le souhait que, dès le premier jour de son mariage, la Dauphine avait formé dans la candeur de son âme: peu à peu s'étaient adoucis les regrets de son royal époux, et leur union devint aussi heureuse que féconde. Ils eurent d'abord, en 1750, une princesse (Marie-Zéphirine), puis en 1751, un prince qui reçut le nom de duc de Bourgogne.

La joie publique que causa cet événement fut suivie l'année d'après d'une inquiétude tout aussi vive.

Le mardi soir, 1er août, le Dauphin fut attaqué d'un mal de tête et d'une fièvre qui causèrent tout d'abord les plus vives alarmes. Bien que la petite vérole ne fût point déclarée, les médecins soupçonnèrent sa présence, et saignèrent le prince par deux fois. La petite vérole se montra, mais sortit mal. Le Roi, qui était à Compiègne, arriva en poste le 3. «Le Dauphin étoit comme en léthargie et à l'extrémité, dit l'annaliste du règne de Louis XV; il y eut grande consultation. Tout le monde sait qu'on ne saigne plus quand la petite vérole a paru. Cependant M. Dumoulin fut d'avis d'une seconde saignée au pied; il dit qu'il étoit vrai que M. le Dauphin pouvoit mourir dans la saignée et qu'il n'en répondoit pas; mais aussi, que si on ne le saignoit pas, il seroit mort dans une heure; que s'il supportoit la saignée il pourroit en revenir. Cela fut dit sur de bonnes raisons: il y avoit là une chance redoutable à courir. On demanda l'avis du Roi, qui dit: Si cela est ainsi, qu'on le saigne.» M. le Dauphin fut donc saigné au pied, à onze heures du soir, après quoi l'éruption se fit comme on le souhaitoit. La Reine n'arriva qu'après ce moment critique: M. le Dauphin alloit mieux, elle embrassa Dumoulin avant tout le monde. M. Dumoulin, qui étoit transporté de sa réussite, et qui est gai avec tout son esprit, quoique fort âgé, dit tout haut en riant: «Messieurs, je vous prends à témoin que la Reine me prend de force10

Au milieu des soins les plus empressés que l'on prodiguait au prince, la Dauphine s'oubliait elle-même, elle lui présentait tout ce qu'il prenait, ne laissait à nul autre les offices les plus rebutants: sa tendresse les estimait doux et faciles11. «Tout le monde, rapporte le Journal de M. Barbier, est charmé de Madame la Dauphine, qui n'a pas quitté un instant. M. le Dauphin ne prend ni bouillon ni autre chose que de sa main. Quand on lui représenta d'abord le danger où elle s'exposoit, elle répondit qu'on ne manqueroit pas de Dauphines, mais qu'il n'y avoit qu'un Dauphin. Elle a banni toute cérémonie à son égard, et elle dit aux médecins et autres qui sont là: «Ne prenez pas garde à moi; je ne suis plus Dauphine, je ne suis que garde-malade12

Souvent même, pour que rien ne la gênât dans les soins que son cœur lui dictait, elle était en robe de chambre et en tablier blanc. Les médecins de la Cour, craignant, en s'en rapportant à leurs seules lumières sur la maladie du Dauphin, d'être responsables envers la nation d'une tête si chère, avaient appelé en consultation quelques membres célèbres de la faculté de médecine de Paris, entre autres M. Pousse, homme d'un grand mérite, mais ignorant les formes du monde et n'ayant jamais mis le pied à la Cour. Frappé de la sollicitude touchante que montrait au malade la femme qui le servait, il dit en se retirant: «Cette garde est précieuse; ne vous défaites pas de ses services.» Dès qu'il fut sorti: «Savez-vous bien, dit la Dauphine, que je n'ai jamais été si fière: ce compliment du docteur m'honore, et je ne veux pas cesser de le mériter. Décidément la faculté me flatte depuis que vous êtes souffrant, car Sénac a dit l'autre jour qu'il m'avait prise pour une sœur de charité.»

La position du prince s'améliora insensiblement et le quatorzième jour il entra en convalescence. La famille royale retrouva le repos, et l'union du Dauphin et de la Dauphine fut désormais d'autant plus vive qu'elle avait été éprouvée. Leur appartement au château de Versailles était situé au bas du grand escalier de marbre. L'appartement de la Dauphine était de plain-pied avec celui du Dauphin, et venait en retour dans l'aile gauche du palais qui est au midi13. Pour aller de leur appartement dans le parc, ils passaient par la petite cour de marbre et le vestibule qui est au milieu. Ils dînaient habituellement ensemble et ils soupaient chez Madame Adélaïde, qui, se trouvant l'aînée de leurs sœurs par la mort de Madame Henriette14, était devenue leur confidente et leur plus intime amie. Ils aimaient la musique, et donnaient chez eux des concerts assez fréquents. Le Dauphin y chantait quelquefois un psaume ou une hymne sacrée. La solennelle gravité des chants religieux convenait à son esprit, et cette préférence lui avait attiré plus d'un quolibet. Il était évident que, sous le règne de Voltaire, le prince qui préférait un motet de Haendel à une ariette de Philidor ne pouvait être qu'un esprit faible et un imbécile.

La pieuse Reine de France, Marie Leckzinska, était souvent l'âme de ces petites réunions sans apparat. «Je suis persuadé, lui écrivait le roi Stanislas lors des fêtes bruyantes données à Fontainebleau, que la quantité de monde vous ennuie, et que vous voudriez estre dans votre sollitude de Versailles; mais songez donc que si le grand monde ne vous plaist pas, vous plaisez à tout l'univers.»

La Reine ne se trouvait nulle part aussi bien que dans la société de son fils. De son côté, ce fils si cher avait pour sa mère la plus vive affection et le plus touchant respect. Il était sa joie dans le commerce habituel de la vie, son conseil dans quelques affaires, sa consolation dans tous ses soucis: elle ne manquait aucune occasion de le dire elle-même. Elle avait l'habitude de se faire lire chaque matin l'histoire du saint du jour. Le 11 juin, comme elle écoutait la lecture de la vie de saint Barnabé, le Dauphin entra chez elle. – «Bon! dit la Reine, voilà mon Barnabé! – Et pourquoi donc, maman, me baptisez-vous de ce nom? – C'est que Barnabé, reprend la Reine, signifie enfant de consolation. – Alors, que Barnabé soit mon nom, continua le prince, il m'est doux de le prendre avec ses charges.»

À vingt et un ans, le Dauphin fut admis au conseil des dépêches, et à vingt-huit, dans les autres sections du conseil d'État.

Jeune encore, il y fit admirer une haute instruction. Quoique la position qui lui était faite dans une cour dépravée, et sous la dépendance directe de son père, fût extrêmement délicate et difficile, et ne lui permît guère de montrer ni les rares qualités dont il était doué, ni les talents réels qu'il avait acquis, néanmoins la fermeté de ses principes, son exactitude dans l'accomplissement de ses devoirs, l'étendue de ses connaissances théoriques dans l'art du gouvernement, et par-dessus tout la simplicité de ses mœurs antiques, formaient avec tout ce qui l'environnait un contraste accueilli comme une espérance par la masse des Français, qui sentaient le besoin d'un règne réparateur.

Mais quelque succès que pussent attirer au Dauphin l'élévation de ses vues dans une assemblée politique, ou les grâces de son esprit dans la société des gens du monde, il craignait de se produire; il aimait la simplicité dans l'habillement et dans les manières; il préférait à tout la vie de famille; il passait une partie de la journée dans le cabinet de la Dauphine, lisant et écrivant, tandis que de son côté elle s'occupait à sa musique ou à quelque ouvrage de broderie. Les sentiments de confiance et d'affection qui régnaient dans cet harmonieux intérieur du rez-de-chaussée de Versailles faisaient l'étonnement des personnes qui habitaient les autres appartements du château, en même temps qu'ils avaient la valeur d'une critique. Cette intimité conjugale ne craignait pas de se montrer au dehors, et il n'était pas rare de voir le Dauphin se promener avec la Dauphine en lui donnant le bras, sur la terrasse et dans les allées du jardin de Versailles. Tous deux se plaisaient dans cette résidence, berceau de tous leurs enfants, et c'était plus par devoir que par goût qu'ils accompagnaient le Roi et la Reine à Compiègne et à Fontainebleau, où grand nombre d'invités se rendaient aux fêtes de l'été et aux chasses de l'automne.

Ce seul mot de chasse d'ailleurs ravivait dans le cœur du prince le souvenir d'un malheur qui fut un des tourments de sa vie. Le 16 août 1755, pendant que la cour se trouvait à Compiègne, il chassait au tiré avec quelques officiers de sa maison dans la plaine de Villepreux, à deux lieues de Versailles. À la fin de cet exercice, il voulut décharger son fusil sur une compagnie de perdrix que les rabatteurs venaient de faire lever: le coup porta dans l'épaule de son écuyer, M. de Chambors, qu'une haie intermédiaire dérobait à son regard. Le cri de douleur qui répondit à ce coup annonçait qu'un homme était blessé. Le prince jette son arme et accourt vers l'endroit d'où part ce cri: il voit un homme se roulant dans la poussière, il reconnaît M. de Chambors, il le presse, il l'embrasse, il le conjure en pleurant de lui pardonner. «Ce ne sera rien, Monseigneur», murmura M. de Chambors pour rassurer le prince; mais celui-ci plein d'inquiétude avait déjà mandé sa voiture: il fit immédiatement conduire son écuyer à Versailles et appeler près de lui les chirurgiens les plus renommés. Le Dauphin, en veste de chasse, la tête nue, les cheveux en désordre, paraissait plus souffrant et plus défait que le blessé lui-même. Pour l'arracher à son accablement, quelques personnes de la cour essayèrent de dire à leur tour: «Monseigneur, ce ne sera rien; la blessure n'est pas mortelle.» Mais ces mots, inspirés d'abord par le dévouement, n'étaient répétés que par la complaisance: le prince le comprit. «Eh quoi! s'écria-t-il, faudra-t-il donc que j'aie tué un homme pour être dans la douleur!» Le Dauphin ne s'occupa que du blessé, et bien que sa vue seule, comme il le disait lui-même, lui perçât le cœur, il allait chaque jour voir son malheureux écuyer, s'assurer si tous les soins lui étaient prodigués. Sa mort le jeta dans le désespoir. «Ô mon Dieu! s'écria-t-il, il est donc vrai que j'ai tué un homme!» Et comme on lui représentait qu'il n'était que la cause innocente de ce malheur: «Vous direz ce que vous voudrez, répondait-il, mais ce pauvre Chambors est toujours mort, et mort d'un coup parti de ma main: non, je ne me le pardonnerai jamais.» Dès ce moment il renonça sans retour à la chasse, quoique ce genre d'exercice fût nécessaire à sa santé. Longtemps après, il disait encore: «J'ai toujours devant les yeux le corps sanglant de ce malheureux Chambors.» Il combla de bienfaits sa veuve et ses enfants, et les recommanda au Roi dans son testament15.

Plus que jamais recueilli en lui-même, il s'étonna de se trouver si insuffisant en présence du fardeau de la couronne; il s'effraya des lacunes qu'avaient laissées dans son instruction la faiblesse de l'enfance, la dissipation de la jeunesse; il résolut de refaire ses études, de les reprendre en sous-œuvre, selon les paroles qu'il adressa à l'évêque de Senlis. Il demanda particulièrement à l'histoire ces graves leçons qui lui apprenaient à connaître les hommes et le préparaient à les gouverner. «L'histoire, disait-il un jour à l'abbé de Marbeuf, est la ressource des peuples contre les erreurs des princes. Elle donne aux enfants les leçons qu'elle n'osait faire aux pères: elle craint moins un roi dans le tombeau qu'un paysan dans sa chaumière.» Aussi appliquait-il souvent à la position dans laquelle il devait se trouver un jour les enseignements qu'il puisait dans ses lectures. Au nombre de ses maximes, nous devons citer celle-ci: «Il faut qu'un Dauphin paraisse inutile et qu'un Roi s'efforce d'être un homme universel.»

Il apportait dans le choix de ses amis le même discernement que dans le choix de ses études: il avait un tendre attachement pour M. le comte du Muy, un des hommes les plus vertueux de cette époque. Un jour, ayant trouvé sous sa main le livre d'heures de ce brave homme, il y écrivit cette prière: «Mon Dieu, protégez votre serviteur du Muy, afin que si vous m'obligez jamais à porter le pesant fardeau de la couronne, il puisse me soutenir par sa vertu, ses leçons et ses exemples.»

Le même sentiment d'estime l'entraînait vers Mgr d'Orléans de la Motte, évêque d'Amiens, et lui rendait agréable le séjour de Compiègne, où il avait l'occasion de le rencontrer.

C'était un des rares évêques, dans ce temps, qui devaient leur élévation à la réputation de leurs vertus et à leurs travaux apostoliques. Témoin de la peste de Marseille, il avait pris de Mgr de Belzunce l'exemple qu'il eût lui-même dignement donné plus tard. Il n'était jamais venu à Paris et n'avait jamais paru à la cour, quand il fut nommé évêque d'Amiens en 1733. – Arrivé dans cette ville, il signala son début dans la carrière épiscopale par une visite générale de son diocèse, examinant avec attention les abus à réformer comme les améliorations à introduire dans chaque paroisse, causant avec les paysans et interrogeant aussi les enfants; il pourvut à l'instruction de ceux-ci, en favorisant l'établissement des missions. Il retrancha une grande partie de son bien-être personnel, afin de l'employer au soulagement des indigents. Ennemi du faste et de la représentation, il fit dans la sphère de l'Église ce que, quelques années plus tard, Turgot essaya dans la sphère de l'État. Son esprit était aussi aimable que sa raison était solide, et les jeunes philosophes étaient disposés à lui pardonner sa foi vive en écoutant sa conversation enjouée.

Tous les ans, dès que la famille royale était installée au château de Compiègne, la Reine y conviait l'évêque d'Amiens; mais le prélat essayait quelquefois de se dispenser d'obéir, tantôt prétextant qu'il n'avait pas d'habit court et que les tailleurs d'Amiens n'avaient point appris à en faire à l'usage des évêques; tantôt invoquant les rigueurs de l'âge, qui ne le rendaient propre qu'à figurer dans une collection d'antiques. «Je crois, mon vénérable, lui dit un jour la Reine, que vous devez voir dans notre cour une foule d'abus qui échappent à nos yeux profanes. – Il en est un qui me frappe, répondit l'évêque, c'est de m'y voir moi-même goûtant la consolation auprès de Votre Majesté, au lieu d'être à la répandre parmi mes pauvres diocésains. – Et l'habit court, reprit le Dauphin, croyez-vous que M. d'Amiens ne l'ait pas sur le cœur? – Il est vrai, Monseigneur, continua le prélat, que j'ai sur le cœur et que je trouve bien indigeste qu'on veuille nous faire déposer ici de par le Roi l'habit que nous portons de par Dieu.» Heureux de trouver dans l'évêque un complice et un défenseur de ses sentiments personnels, le Dauphin dirigea l'entretien sur la répartition souvent injuste et partant dangereuse des biens ecclésiastiques.

«Ce danger est plus grave qu'on ne pense, dit alors M. de la Motte; la déconsidération de l'État entraîne celle de l'Église, quand le favori du trône devient le scandale du sanctuaire. – En vérité, mon vénérable, reprit la Reine, quand vous vous trouvez avec mon fils vous ne savez plus que médire, et je commence à craindre qu'après avoir énuméré les erreurs des rois, les fautes des gens d'Église, vous n'en veniez à passer en revue les torts des reines. – Madame, répondit le prélat, le plus grand tort que les reines puissent avoir sera toujours de ne pas prendre en tout Votre Majesté pour modèle. – Oh! voyez donc, s'écria la Reine, ce que c'est que respirer l'air des cours! Ne voilà-t-il pas que l'évêque d'Amiens parle le langage des courtisans les plus corrompus!»

«Ne pensez-vous pas, lui dit une autre fois la Reine, que les évêques qui font des prières publiques pour écarter les fléaux qui affligent leurs diocèses, devraient bien en ordonner aussi pour obtenir la cessation du scandale occasionné par le déluge d'écrits licencieux qui inondent la France? – Madame, répondit le saint évêque, si nous ne nous adressons pas à Dieu pour lui demander cette grâce, c'est parce que Dieu a chargé le conseil de Versailles de nous en faire jouir. – Voilà parler en évêque, répondit le Dauphin: eh bien! demandez donc à Dieu notre conversion. – Je me garderai bien, Monseigneur, de lui demander la vôtre. – Il est vrai que sur ce chapitre, reprit le Dauphin, je sais assez à quoi m'en tenir; mais combien d'autres points sur lesquels j'aurais besoin de conversion! Aussi ne craignez pas de prier pour moi plus que pour personne, quoi que vous en dise la Reine, qui ne demande que pour elle, ajouta malicieusement le Dauphin.» Et la conversation durait longtemps avec ce même abandon16. – M. d'Orléans de la Motte avait cinquante et un ans lorsqu'il fut nommé évêque. Quelqu'un s'étonnant devant lui que cette dignité, conférée souvent dans ce temps-là à de jeunes ecclésiastiques, lui arrivât aussi tard: «C'est que, répondit-il, quand le Roi a une faute à faire, il la fait le plus tard qu'il peut17

Le Dauphin avait eu huit sœurs: six étaient encore vivantes. Deux jumelles nées avant lui, Louise-Élisabeth, qui avait épousé don Philippe, infant d'Espagne, duc de Parme; et Henriette, morte à Versailles le 10 février 1752; quatre venues au monde après lui, Adélaïde en 1732, Victoire en 1733, Sophie en 1734, et Louise en 1737.

Le cardinal de Fleury, effrayé des dépenses que devait causer au trésor royal l'éducation de tant de filles de France, conseilla au Roi, au mois d'avril 1738, d'en envoyer cinq à l'abbaye de Fontevrault et d'en donner la surintendance à madame de Mortemart, abbesse de cette maison. Louis XV, qui aimait tendrement ses filles, hésitait à prendre ce parti: cependant il s'y résigna. Il en coûtait aussi beaucoup à la Reine de voir ses filles s'éloigner d'elle. Adélaïde, qui n'avait guère que six ans, manifestait de son côté un grand regret de partir. On lui indiqua, dit-on, un moyen de rester à Versailles. Chaque jour ses deux sœurs aînées allaient voir le Roi au sortir de la messe. Elle se mit une fois à leur suite, se glissa devant son père, lui baisa la main et se jeta à ses pieds en pleurant. Le Roi, qui ne savait pas résister à un témoignage de tendresse, se mit à pleurer lui-même: Adélaïde ne partit pas.

Les princesses demeurèrent à Fontevrault jusqu'à l'âge de quatorze à quinze ans. Madame Victoire en revint au mois d'avril 174818; Mesdames Sophie et Louise ensemble, en octobre 175019. À cette dernière date la Cour se trouvait à Fontainebleau, qui sembla s'embellir et s'égayer de la présence de ces jeunes visages, dont Barbier nous donne l'esquisse dans son Journal:

«Madame Victoire est assez grande, formée, assez puissante, plus jolie qu'autrement, les yeux beaux, plus brune que blanche, et fort enjouée20;

Madame Sophie est grande, belle princesse, ressemble au Roi et est assez sérieuse; Madame Louise est plus petite, moins blanche, fort jolie néanmoins, gaie, de l'esprit; c'est elle qui porte toujours la parole21

Ces princesses, qui faisaient l'ornement du trône de France, semblaient prédestinées à lui créer au dehors de puissantes alliances. Il n'en fut rien: on s'était étonné de voir l'aînée d'entre elles s'allier modestement au troisième infant d'Espagne: on fut bien autrement surpris de voir ses nombreuses sœurs atteindre, dans le palais où elles étaient nées, l'âge au delà duquel on ne songe plus ordinairement à contracter les liens du mariage, sans paraître attristées de leur célibat, sans exprimer aucun regret en voyant s'évanouir une à une toutes les chances qu'elles semblaient avoir à être appelées à porter une couronne. Tenues à l'écart des affaires politiques, heureuses de ne quitter ni leur père ni leur patrie, elles voyaient s'écouler sans tristesse des jours uniformément remplis par des affections de famille, des actes de piété et des cérémonies de cour réglées par une étiquette invariable. N'y aurait-il pas quelque chose de plus dans ce renoncement au mariage, dans cette vie de recueillement presque claustral? N'est-on pas autorisé à y voir une protestation virginale contre les souillures de l'époque? Dans la conduite austère de ces princesses, filles d'un père dissolu, ne pourrait-on pas voir une intention de réparation envers la religion et la morale publique offensées, comme une satisfaction faite à la société et une expiation offerte à Dieu?

Le Ciel semblait bénir la si parfaite union du Dauphin et de la Dauphine. Après Marie-Zéphirine et le duc de Bourgogne, ils eurent quatre autres fils et deux filles:

En 1753, le duc d'Aquitaine, qui vécut à peine trois mois et demi;

En 1754, le duc de Berry, qui fut Louis XVI;

En 1755, le comte de Provence, qui fut Louis XVIII;

En 1757, le comte d'Artois, qui fut Charles X;

En 1759, Marie-Clotilde, qui fut reine de Sardaigne;

Et enfin, en 1764, notre Élisabeth.

La naissance successive de ces enfants avait resserré de plus en plus les liens du Dauphin et de la Dauphine. L'étude même que ces deux nobles cœurs avaient faite l'un de l'autre avait donné quelque chose de plus profond à leur affection: leurs sentiments, leurs goûts, étaient devenus les mêmes, et l'on peut dire qu'ils vivaient de la même vie. La perte qu'ils firent, au mois de mars 1761, du duc de Bourgogne, l'aîné de leurs quatre fils et l'héritier présomptif de la couronne après le Dauphin, avait sanctifié par les larmes une union déjà éprouvée par le temps. Ce jeune prince, d'un naturel violent et hautain, mais que l'éducation avait dompté, annonçait des qualités extraordinaires, un caractère et une instruction tels qu'on n'en avait jamais vu dans un enfant de cet âge: il succomba aux souffrances les plus douloureuses, supportées avec le courage le plus magnanime. La France s'associa aux regrets de sa famille, et Le Franc de Pompignan fit l'oraison funèbre du royal enfant, en disant que «dans un âge aussi tendre il avait rempli sa carrière en homme; que sans être parvenu au trône, il s'était montré digne de régner; que sans avoir fait de grandes choses, il avait été un grand prince; qu'il avait souffert en héros et qu'il était mort comme un saint.»

Plus que jamais retenu dans sa demeure par le chagrin, le Dauphin s'occupa de l'éducation de ses enfants. Les devoirs d'un père envers ses enfants avaient à ses yeux un caractère sacré, et il les remplissait avec un zèle infatigable. «Si l'obscur citoyen, disait-il, doit rendre compte à son pays de la conduite de ses enfants, combien davantage doit satisfaire à cette dette celui dont les fils gouverneront un jour l'État! Il faut que j'en fasse des hommes, pour que plus tard ils deviennent des princes; toute négligence de ma part à cet égard serait un crime, comme au contraire chaque vertu que je leur inspirerai sera un bienfait pour la patrie, puisque je suis responsable envers la postérité de tout le mal qu'ils pourront faire et de tout le bien qu'ils ne feront pas.» On comprend avec quelle ardeur scrupuleuse un prince guidé par de pareils principes s'occupait de l'éducation de ses enfants. Il tenait surtout à leur infiltrer dans le cœur cette bonté compatissante qui honore et distingue les princes généreux et cléments. Il recommandait à leur gouverneur et à leurs précepteurs de les conduire souvent dans la demeure du pauvre. «Montrez-leur, disait-il, ce qui peut les attendrir; qu'ils voient le pain noir dont se nourrit le malheureux; qu'ils touchent de leurs mains la paille sur laquelle il couche; qu'ils apprennent à pleurer. Un prince qui n'a jamais versé de larmes ne peut être bon.»

9.«Jeudi 9 février 1747, jour du mariage de M. le Dauphin, le corps de ville de Paris a donné pour fête au peuple de Paris cinq chars peints et dorés qui, depuis dix heures du matin jusqu'au soir, ont fait le tour des différents quartiers de Paris.
  «Le premier représentoit le dieu Mars avec des guerriers; le second étoit rempli de musiciens; le tr. (sic) représentoit un vaisseau, qui sont les armes de la ville; le quatrièm., Bacchus sur un tonneau; et le cinquième, la déesse Cérès. Ils étoient tous attelés de huit chevaux assez bien ornés, avec des gens à pied qui les conduisoient. Tous les habillements, dans chaque char, étoient de différentes couleurs, et en galons d'or ou d'argent. Le tout faisoit un coup d'œil assez réjouissant et assez magnifique, quoique tout en clinquant; mais les figures dans les chars étoient très-mal exécutées. Dans certaines places, ceux qui étoient dans les chars jetoient au peuple des morceaux de cervelas, du pain, des biscuits et des oranges. Il y avoit dans ces places des tonneaux de vin pour le peuple, et le soir toute la ville a été illuminée.» (E. J. F. Barbier, Journal hist. du règne de Louis XV, t. III, p. 5.)
10.E. J. F. Barbier, Journal hist. du règne de Louis XV, Paris, 1851, in-8o, t. III, p. 398.
11.Mandement de l'évêque de Valence (Alexandre Milon), 29 sept. 1752.
12.T. III, p. 399.
13.Piganiol de la Force, Description de Versailles.
14.Morte à Versailles le 10 février 1752, portée à Saint-Denis le 16 et inhumée le 24.
15.Voir à la fin du volume les lettres du Dauphin et de la Dauphine adressées à madame de Chambors, no I.
16.Vie du Dauphin, d'après l'abbé Proyart et le Père Griffet, par Henri de l'Épinois, p. 121.
17.Louis-François-Gabriel d'Orléans de la Motte, né à Carpentras en 1683, sacré évêque d'Amiens le 4 juillet 1734, mourut en son diocèse, dans sa quatre-vingt-douzième année.
18.«Madame la maréchale de Duras et autres dames ont été la chercher. Elles ont trouvé en chemin un détachement de la Maison, et le 24 du mois, le Roi et M. le Dauphin ont été au-devant d'elle la recevoir à l'étang du Plessis-Piquet; de là, ils l'ont conduite à Versailles.» (Barbier, Journal du règne de Louis XV, t. III, p. 32, in-8o, 1851.)
19.«Le Roi les a embrassées l'une et l'autre, pendant un quart d'heure même, en pleurant comme un bon père de famille, bourgeois de Paris.» (Id., ibid., t. III, p. 176.)
20.Idem, ibid., t. III, p. 32.
21.Journal de Barbier, t. III, p. 180.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
31 июля 2017
Объем:
723 стр. 6 иллюстраций
Правообладатель:
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