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Читать книгу: «Le Montonéro», страница 6

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VI
COMPLICATIONS

Le jour même où s'étaient passés les différents événements que nous avons rapportés dans nos précédents chapitres, vers neuf heures du soir environ, deux personnes étaient assises dans le salon du duc de Mantoue et causaient en français avec une certaine animation. Ces deux personnes étaient, la première, le duc de Mantoue lui-même ou M. Dubois, ainsi qu'il se faisait appeler, et l'autre, le général don Eusebio Moratín, gouverneur pour les patriotes buenos-airiens de la ville de San Miguel et de la province de Tucumán.

Le général Moratín était alors âgé de quarante-cinq ans; il était petit, mais trapu et fortement charpenté; ses traits auraient été beaux sans l'expression de froide méchanceté qui respirait dans ses yeux noirs et profondément enfoncés sous l'orbite.

Cet officier, dont la mémoire est justement exécrée dans les provinces argentines et qui, si Rosas n'était venu après lui, serait demeuré le type le plus complet des scélérats que l'écume révolutionnaire a fait, depuis le commencement de ce siècle, monter à la surface de de la société pour tyranniser les peuples et déshonorer la grande famille humaine, jouait en ce moment un rôle important dans son pays et jouissait d'une immense influence.

Nous ferons en quelques mots son histoire. Né, en 1760, d'une famille distinguée de Montevideo, cet homme avait de bonne heure manifesté les plus mauvais penchants; la vie nomade des gauchos, leur sauvage indépendance, tout en eux, jusqu'à leur férocité même, avaient séduit cet esprit fougueux; pendant plusieurs années, il partagea leur existence, puis il réunit une bande de contrebandiers et d'assassins, dont il devint bientôt le membre le plus actif, le plus cruel et le plus entreprenant.

L'ascendant, pris par cet homme sur ses compagnons de rapines, le fit choisir pour chef.

Dès lors; ses excès ne connurent plus de bornes, et lui acquirent une célébrité à la fois éclatante et exécrable.

Il ravagea sans pitié la Banda Oriental, l'Entre-Ríos et le Paraguay, détruisant les moissons, enlevant les femmes, égorgeant les hommes, pillant les églises, et portant le deuil dans plus de vingt mille familles.

Les choses en vinrent à un tel point, que le gouverneur de Buenos Aires fut obligé de créer un corps de volontaires spécialement chargés de poursuivre la bande de Moratín; mais ce moyen fut insuffisant, et il fallut que le gouvernement espagnol traitât de puissance à puissance avec ce brigand.

Son propre père servit de médiateur. Les bandits furent amnistiés, incorporés dans l'armée, et leur chef, en sus d'une grosse somme d'argent, reçut la commission de lieutenant, qui bientôt lui valut celle de capitaine.

Mais, au premier cri d'indépendance poussé dans les provinces argentines, Moratín déserta, passa aux insurgés, suivi de ses anciens compagnons, créa une redoutable montonera, attaqua résolument les Espagnols et les battit en plusieurs rencontres, et notamment, en 1814, à la journée de las Piedras.

Nous ne nous appesantirons pas davantage sur les hauts faits de ce féroce condottière que, malgré le soin que nous avons pris de changer son nom, ceux de ses compatriotes dans les mains desquels tombera ce livre reconnaîtront aussitôt; nous nous bornerons à ajouter qu'après des actes d'une férocité révoltante mêlés à des actions éclatantes, – car il était doué d'une haute intelligence, – au moment où nous le mettons en scène avait le grade de général, était gouverneur du Tucumán, et, probablement, ne comptait pas en demeurer là.

Le tableau que présentaient à cette époque les provinces insurgées était le plus triste et le plus affligeant qui se puisse imaginer.

Les hommes du pouvoir cherchaient à se détruire les uns les autres au détriment de la tranquillité publique.

Les soldats avaient rompu tous liens de subordination, c'était par caprice qu'ils acceptaient ou qu'ils refusaient d'obéir à leurs officiers, qui eux-mêmes, la plupart du temps, s'improvisaient leurs grades de leur autorité privée.

Le sanguinaire Moratín se préparait selon toute apparence à combattre pour son propre compte.

Les Portugais faisaient la guerre pour l'agrandissement du Brésil, les Montévidéens pour avoir la vie sauve et les Buenos Airiens pour le maintien de l'union proclamée dès le commencement des hostilités contre les Espagnols.

Dans cet étrange conflit de toutes les passions humaines, les derniers sentiments de patriotisme avaient été noyés dans le sang, et chacun ne prenait plus parti que suivant ses intérêts d'avarice ou d'ambition.

Bref, la démoralisation était partout, la foi nulle part.

Don Eusebio Moratín, bien que, en qualité de créole, il méprisât souverainement tout ce qui venait de l'étranger et surtout de l'Europe, parlait cependant très facilement l'anglais et le français, non pas par goût pour ces deux idiomes, mais par nécessité et afin de faciliter, par des apparences libérales et l'appui des grandes puissances européennes, les visées ambitieuses qu'il couvait sourdement dans son cœur.

Nous reprendrons maintenant notre récit au point ou nous l'avons laissé, c'est-à-dire que nous ferons assister le lecteur à la fin de l'entretien des deux hommes politiques que nous avons mis en présence en commençant ce chapitre.

Le général qui, depuis quelques instants, marchait à grands pas dans le salon, se retourna tout d'un coup et venant se placer bien en face du duc:

– Bah, bah! lui dit-il d'une voix saccadée, en rejetant la tête en arrière et faisant claquer ses doigts, geste qui lui était habituel, je vous répète, monsieur le duc, que votre Zéno Cabral, quelque bon soldat qu'il soit, n'est qu'un niais fieffé.

– Permettez, général, objecta le Français.

– Allons donc, reprit-il avec violence, un homme politique, lui! Il faudrait être fou pour le supposer. Un chef de montoneros qui s'avise d'être amoureux, de faire du sentiment, que sais-je moi? Est-ce ainsi qu'on se comporte? Eh! Mon Dieu! Si la petite lui plaît qu'il la prenne! C'est simple comme bonjour cela et ne demande pas grande diplomatie, que diable! J'ai l'expérience de ces choses-là, moi! Toute femme veut être un peu forcée, cela est élémentaire. Au lieu de cela, il prend des airs de beau ténébreux, roule les yeux, pousse des soupirs et va presque jusqu'à faire des madrigaux. Sur ma parole ce serait à pouffer de rire, si on ne haussait pas les épaules de pitié! La mère et la fille se moquent de lui; et elles font bien. On n'est pas plus niais! Vous verrez qu'elles finiront par lui glisser entre les doigts comme des couleuvres qu'elles sont, et ce sera bien fait, vive Dieu! J'applaudirai des deux mains à ce beau résultat d'un amour platonique saupoudré de vengeance héréditaire. Qu'on ne me parle plus de cet homme! Il n'y a rien à faire avec lui!

Le duc avait écouté cette foudroyante sortie avec cet implacable sang-froid perpétuellement stéréotypé sur son visage impassible et dont il ne se départait jamais.

Lorsque le général se tut, il le regarda un instant d'un air légèrement railleur, puis, prenant la parole à son tour:

– Tout cela est fort bien, général, dit-il, mais ce n'est en résumé que l'expression de votre opinion personnelle, n'est-ce pas?

– Certes! fit don Eusebio.

– Vous seriez, je l'imagine, reprit-il en souriant, fort peu flatté qu'on répétât à don Zéno Cabral les paroles que vous venez de prononcer.

Un éclair de férocité jaillit de l'œil du général, mais, se remettant aussitôt:

– J'avoue, dit-il, que j'en serais rien moins que satisfait.

– Alors, reprit le duc, à quoi bon dire des choses que, un jour ou l'autre, on pourrait regretter? Avec moi, cela ne tire pas autrement à conséquence; je sais trop bien à quels fils légers tiennent souvent les plus profondes combinaisons politiques pour abuser jamais d'une confidence, mais dans un moment d'emportement vous pourriez vous laisser aller à parler ainsi devant des tiers dont vous ne seriez pas aussi sûr que vous l'êtes de moi, et alors cela aurait d'incalculables conséquences.

– Vous avez raison, mon cher duc, fit en riant le général, je me rétracte; mettons que je n'ai rien dit.

– Voilà qui est mieux, général, d'autant plus que vous avez en ce moment le plus pressant besoin de don Zéno Cabral et de sa cuadrilla.

– C'est vrai, je ne puis malheureusement me passer de lui.

– Charmante façon de lui inspirer de la confiance, si vous le traitez de niais.

– Oubliez cela! Et arrivons s'il vous plaît au fait. Don Zéno ne tardera pas à venir ici, et je voudrais que tout fût convenu entre nous avant qu'il paraisse.

Le Français jeta un regard sur la pendule.

– Nous avons encore vingt minutes à nous, dit-il, c'est plus qu'il ne nous en faut pour convenir de tout. D'abord, quel est votre projet?

– De me faire nommer président de la république, pardieu! s'écria-t-il avec violence.

– Je le sais, mais ce n'est pas de cela dont je vous parle.

– De quoi me parlez-vous donc?

– Des moyens que vous comptez employer pour atteindre le but que vous ambitionnez.

– Ah! Voilà justement où le bât me blesse, je ne sais trop que faire, nous pataugeons en ce moment dans un tel gâchis…

– Raison de plus, interrompit en souriant le duc: les meilleurs pêches se font toujours en eau trouble.

– A qui le dites-vous? fit avec un éclat de rire le général, je n'ai jamais pêché autrement, moi.

– Eh bien, si cela vous a réussi jusqu'à présent, il faut continuer.

– Je le voudrais, mais de quelle façon?

Le duc sembla réfléchir profondément pendant quelques secondes, tandis que le général l'examinait avec anxiété.

– Voyez comme vous êtes injuste, mon cher général, reprit enfin le duc, c'est justement cet amour de don Zéno pour la fille de la marquise de Castelmelhor, amour que vous avez si vertement qualifié, qui vous fournira ces moyens que vous cherchez sans réussir à les trouver.

– Je ne vous comprends pas le moins du monde; quel rapport peut-il y avoir entre…

– Patience, interrompit le diplomate. Que désirez-vous d'abord? L'éloignement immédiat de don Zéno Cabral, qui, aimé et respecté de tous comme il l'est, pourrait par sa présence influencer les votes des députés qui se réunissent en ce moment en cette ville pour proclamer l'indépendance et peut-être élire un président; n'est-ce pas cela?

– En effet, mais don Zéno ne consentira sous aucun prétexte à s'éloigner.

Le diplomate ricana doucement en jetant un regard de pitié à son interlocuteur.

– Général, lui dit-il, avez-vous quelquefois été amoureux dans votre vie?

– Moi! s'écria don Eusebio avec un bond de surprise. Ah çà, vous vous moquez de moi, mon cher duc?

– Pas le moins du monde, répondit-il paisiblement.

– Au diable la question saugrenue! Quand nous traitons une affaire sérieuse.

– Pas aussi saugrenue que vous le supposez, général; je ne m'éloigne en aucune façon de notre affaire. Ainsi, je vous en prie, faites-moi le plaisir de me répondre clairement et catégoriquement. Avez-vous été oui ou non amoureux?

– Puisque vous l'exigez, soit. Jamais je n'ai été ce que vous appelez amoureux; est-ce clair?

– Parfaitement; eh bien! Voilà justement où est la différence entre vous et don Zéno Cabral, c'est qu'il est amoureux.

– Pardieu! La belle et grande nouvelle que vous m'annoncez là, mon cher duc; voilà une heure que je vous le répète.

– D'accord, mais attendez la conclusion.

– Voyons donc cette conclusion.

– La voici: cela a été dit, il y a quelque cent ans déjà, par un fabuliste de notre nation, d'une façon charmante, dans une fable que je vous lirai quelque jour.

– Mais la conclusion? s'écria le général avec un trépignement d'impatience.

– Hum! Que vous êtes vif, mon cher général, reprit imperturbablement le duc, qui s'amusait fort intérieurement de l'exaspération contenue de son interlocuteur. Écoutez bien; elle n'est pas longue, mais elle est en vers… rassurez-vous, il n'y en a que deux:

Amour! Amour! Quand tu nous tiens, On peut bien dire: Adieu prudence!

– Comprenez-vous?

– A peu près, répondit le général, qui, au fond, ne comprenait pas du tout, mais ne voulait pas le paraître; cependant, je ne vois pas…

– C'est pourtant fort simple, mon cher général; c'est justement par son amour que nous le tenons.

– C'est-à-dire…

– C'est-à-dire que s'est en sachant à propos exciter cet amour que nous parviendrons au résultat que nous voulons obtenir.

– Pour le coup, je ne vous comprends plus, monsieur le duc; cet amour n'a pas besoin d'être excité, j'imagine.

– L'amour, non peut-être, répondit en riant le Français; mais la jalousie tout au moins; quant à cela, laissez-moi faire, je me suis mis en tête que vous réussiriez, et cela sera.

– Je vous remercie, mon cher duc, de cet appui qu'il vous plaît de me donner; mais ne serait-il pas convenable que vous me missiez au courant de vos projets, de cette façon je pourrais, au besoin, vous venir en aide, au lieu que, si je demeure dans l'ignorance où je me trouve en ce moment, peut-être arrivera-t-il que, sans le savoir, je vous contrecarrerai.

– Vous avez raison, général; d'ailleurs, je n'ai aucun motif de vous faire mystère des moyens que je compte employer, puisque c'est de vous seul qu'il s'agit dans tout ceci.

– En effet, je vous serai donc fort obligé de vous expliquer, mon cher duc.

– Soit.

Au même instant la porte s'ouvrit toute grande, et un criado, revêtu d'une magnifique livrée, annonça:

– Son Excellence le señor général don Zéno Cabral.

Les deux hommes échangèrent un rapide regard d'intelligence et se levèrent pour saluer le général.

– Je vous dérange, messieurs? dit celui-ci en entrant.

– Nous? Pas le moins du monde, señor don Zéno, répondit le Français; nous vous attendions, au contraire, avec la plus vive impatience.

– Pardonnez-moi d'avoir avancé de quelques minutes l'heure que vous aviez daigné assigner à notre rendez-vous, monsieur le duc; mais comme je savais trouver ici Son Excellence le gouverneur, je me suis hâté de venir, ayant une importante communication à lui faire.

– Alors, soyez doublement le bienvenu, cher général, répondit don Eusebio.

Le criado avança des sièges et se retira.

La conversation, commencée en français à cause de la difficulté que le duc éprouvait à s'exprimer en espagnol, continua dans la même langue, que, soit dit entre parenthèses, don Zéno Cabral parlait avec une remarquable pureté.

– Vous disiez donc, cher don Zéno, reprit don Eusebio lorsque chacun se fut assis, que vous aviez à me faire une importante communication.

– Oui, monsieur le gouverneur.

– Alors, veuillez, je vous prie, vous expliquer sans ambage; le señor duc connaît tous nos secrets; d'ailleurs, il est trop de nos amis pour que nous lui fassions un mystère de ce qui nous intéresse.

– Voici le fait en deux mots, répondit en s'inclinant don Zéno Cabral: les deux prisonniers qui devaient demain être jugés comme espions par le conseil de guerre, don Luis Ortega et le comte de Mendoza, que moi-même avais arrêtés la nuit de la fête en plein Cabildo…

– Eh bien? interrompit le général Moratín.

– Eh bien, ils se sont évadés.

– Evadés! s'écria le gouverneur avec surprise.

– Aujourd'hui même, au lever du soleil, déguisés en moines franciscains; des affidés leur tenaient des chevaux tout préparés aux portes de la ville.

– Oh! Oh! Cela m'a tout à fait l'air d'une trahison! s'écria le général en fronçant le sourcil, je vais…

– Ne faites rien, interrompit don Zéno, toute démarche serait inutile maintenant; ils ont une avance de près de quatorze heures, et l'on va vite quand on veut sauver sa tête.

– Quand avez-vous appris cette évasion dont personne ne m'a instruit?

– Vous étiez à la chasse, général.

– C'est vrai, je suis coupable.

– Nullement, car en votre absence j'ai pris sur moi de donner des ordres.

– Je vous remercie, cher don Zéno.

– En sortant de la maison de la marquise de Castelmelhor, où ce matin je m'étais rendu, un de vos aides de camp, général, qui était à votre recherche et voulait monter à cheval pour vous rejoindre, m'a donné la nouvelle de cette fuite; j'ai aussitôt lancé des détachements dans toutes les directions, à la poursuite des fugitifs.

– Très bien.

– Ces détachements, sauf un seul, sont revenus sans avoir eu de nouvelles des prisonniers.

– Voilà une fâcheuse affaire, et qui ne peut que compliquer encore la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.

– Je ne m'en suis pas tenu là, monsieur le gouverneur, répondit don Zéno, je me suis rendu à la prison pour interroger le directeur sur les particularités de la fuite; de plus, j'ai disséminé par la ville des gens intelligents chargés de prendre langue et de me rapporter ce qu'ils entendraient dire.

– On n'est pas plus prudent et plus avisé, mon cher don Zéno, je vous félicite de tout cœur.

– Vous ajoutez trop d'importance à une chose aussi simple.

– Et qu'avez-vous appris?

– Ma foi, reprit don Zéno en se tournant à demi du côté du diplomate français, j'ai appris une chose qui vous étonnera fort, monsieur le duc, et que je n'ose croire encore.

– Quoi donc? dit en souriant le duc, aurais-je, sans le savoir, protégé la fuite de vos prisonniers.

– Dame! fit en riant don Zéno, il y a un peu de cela.

– Ah! Par exemple, s'écria le duc, vous allez vous expliquer, n'est-ce pas général?

– Je ne demande pas mieux, monsieur le duc, mais, rassurez-vous, il n'est nullement question de vous dans tout ceci, mais seulement d'un de vos amis.

– D'un de mes amis à moi, mais je suis étranger, je ne connais, excepté vous, personne que je sache dans cette ville, où je suis venu pour la première fois, il y a quelques jours à peine.

– Justement, fit en riant don Zéno; c'est d'un de vos compatriotes qu'il s'agit.

– D'un de mes compatriotes?

– Oui, un certain Émile Gagnepain, il aurait, paraît-il, remarquez que je ne suis que l'écho d'un on-dit général…

– Continuez, il aurait…

– Il aurait entretenu des relations avec les prisonniers, qu'il connaît de longue date, et, bref, il aurait fini par les faire évader.

Un léger et imperceptible sourire plissa les lèvres minces du diplomate à cette révélation, mais reprenant aussitôt son sang-froid:

– Quant à cela, messieurs, répondit-il, je puis à l'instant vous prouver la fausseté de cette accusation portée contre mon malheureux compatriote.

– Je ne demande pas mieux, pour ma part, dit don Zéno.

– Comment vous y prendrez-vous? demanda don Eusebio.

– Vous allez voir; mon compatriote, ou pour mieux dire mon ami, demeure dans cette maison même, je vais le faire appeler.

– En effet, observa le gouverneur, à ses réponses nous saurons bientôt ce qui en est.

– Remarquez, monsieur le duc, que je n'affirme rien, reprit don Zéno, et que je n'attaque en rien l'honneur de ce caballero.

– Il n'importe, messieurs, s'écria le duc avec un beau mouvement d'indignation; s'il était réellement coupable, ce que je déclare impossible, je serais le premier à l'abandonner à votre justice.

Les deux hommes s'inclinèrent sans répondre; le duc frappa sur un timbre.

Un domestique parut.

– Prévenez don Emilio, dit le duc, que je désire causer avec lui à l'instant.

– Le señor don Emilio n'est pas dans son appartement, Seigneurie, répondit le domestique en s'inclinant respectueusement.

– Ah! fit avec étonnement le diplomate, encore dehors à cette heure; fort bien. Dès qu'il rentrera, car il ne saurait tarder, vous le prierez de se rendre ici.

Le domestique s'inclina sans bouger.

– Ne m'avez-vous pas entendu, reprit le diplomate, pourquoi ne sortez-vous pas?

– Seigneurie, répondit respectueusement le domestique, don Emilio ne rentrera pas.

– Don Emilio ne rentrera pas? Qu'en savez-vous?

– Il a fait ce matin enlever tous ses bagages par un homme qui a dit qu'il quittait immédiatement la ville.

Le duc fit signe au domestique de sortir.

– C'est étrange, murmura-t-il, dès que la porte se fut refermée sur le valet; que signifie ce départ?

Les deux créoles se regardaient avec étonnement.

– Non, reprit le duc avec force, je ne puis encore le croire coupable; il y a évidemment dans cette affaire quelque chose que nous ignorons.

La porte se rouvrit en ce moment.

– Le señor capitaine don Sylvio Quiroga, annonça le domestique.

– Faites entrer, dit don Zéno.

Et se tournant vers le duc:

– Pardonnez-moi, monsieur; le capitaine Quiroga est le dernier officier dépêché par moi à la poursuite des fugitifs: c'est un vieux routier, je me trompe fort ou il nous apporte des nouvelles.

– Qu'il soit le bienvenu alors, dit don Eusebio.

– Oui, qu'il soit le bienvenu, appuya le duc, car j'espère que les renseignements qu'il nous donnera dissiperont les doutes qui se sont élevés sur la loyauté de mon malheureux compatriote.

– Dieu le veuille! fit don Zéno.

Le capitaine don Sylvio Quiroga parut. Après avoir respectueusement salué les personnes qui se trouvaient dans le salon il se redressa et attendit qu'on l'interrogeât.

– Eh bien? lui demanda don Zéno, avez-vous retrouvé la trace des fugitifs, capitaine?

– Je l'ai retrouvée, général, répondit-il.

– Vous les ramenez?

– Non pas.

– Est-ce que vous ne les avez pas rejoints?

– Si, mon général.

– Alors, comment se fait-il que vous reveniez sans ces deux hommes?

– D'abord, ils n'étaient plus deux, mon général; il paraît qu'ils avaient recruté un compagnon en route: j'en ai vu trois, moi.

Il y eut un instant de silence pendant lequel le Français et les deux créoles échangèrent un regard.

– Peu importe, deux ou trois! reprit don Zéno. Comment se fait-il, capitaine, que les ayant rejoints vous les ayez laissé échapper?

– Mon général, voici, en deux mots, l'affaire. Au moment où je me préparais à les prendre au collet, car je n'en étais plus qu'à portée de pistolet à peine, deux ou trois cents cavaliers sont à l'improviste sortis d'un petit bois et nous ont chargés avec fureur; comme je n'avais avec moi que huit hommes, j'ai jugé prudent de ne pas attendre le choc de ces ennemis que j'étais loin de soupçonner aussi près de moi, et je me suis mis aussitôt en retraite avec mes compagnons.

– Oh! Oh! Que dites-vous donc là? s'écria don Zéno, auriez-vous eu peur, par hasard, capitaine?

– Ma foi oui, général; j'ai eu peur, et grandement même, répondit franchement l'officier, surtout quand j'ai reconnu à quelle sorte de gens j'avais affaire.

– Qu'avaient-ils donc de si terrible?

– Je suis revenu exprès à franc étrier pour vous en instruire, général; car, tout en fuyant, j'ai eu parfaitement le temps de les dévisager.

– Et ce sont? demanda le gouverneur avec impatience.

– Ce sont des Pincheyras, Excellence, répondit froidement le vieux soldat.

Cette révélation produisit l'effet d'un coup de foudre sur les assistants. Don Zéno surtout et don Eusebio paraissaient en proie à une agitation extraordinaire.

– Des Pincheyras! répétèrent-ils.

– Oui; du reste, nous saurons bientôt ce qu'ils veulent. J'ai embusqué deux hommes sur leur route avec ordre de surveiller leurs mouvements.

– C'est égal, s'écria le gouverneur en se levant vivement, on ne saurait prendre trop de précautions avec de pareils démons. Excusez-moi, monsieur le duc, de vous quitter aussi brusquement; mais la nouvelle annoncée par ce brave officier est d'une importance extrême, et je dois sans retard veiller à la sûreté de la ville; demain, si vous me le permettez, nous reprendrons cet entretien.

– Quand il vous plaira, messieurs, répondit le diplomate, vous savez que je suis à vos ordres.

– Mille fois merci, à demain donc. Venez-vous avec moi, señor Cabral?

– Certes, je vous suis, répondit celui-ci, on ne saurait user de trop de prudence dans une circonstance aussi grave.

Les deux généraux prirent immédiatement congé du duc et sortirent suivis par le capitaine.

Lorsque la porte se fut refermée et que le vieux diplomate se trouva seul, il se frotta les mains l'une contre l'autre et lançant un regard ironique du côté ou s'étaient retirés ses visiteurs:

– Je crois, murmura-t-il avec un sourire railleur, que voilà un assez joli trébuchet de préparé. Eh, eh, eh! Mon cher ami Émile sera sur ma foi bien fin s'il en réchappe; je l'aime trop pour ne pas faire sa fortune malgré lui; je lui dois bien cela pour le service qu'il m'a rendu.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
330 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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