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Читать книгу: «Le Montonéro», страница 17

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XVII
L'ENTREVUE

Si Émile Gagnepain se fût trouvé dans une disposition plus calme, certes le spectacle étrange qu'il avait sous les yeux eût éveillé non seulement sa gaieté, mais encore sa verve caustique; cette parodie effrontée des entrevues accordées par les chefs d'une puissante nation aux représentants d'une autre, jouée sérieusement par ces bandits aux traits bas et cruels, aux mains rouges de sang, moitié renards et moitié loups; dont les manières affectées avaient quelque chose de vil et de repoussant, impressionnait désagréablement le jeune homme et lui faisait éprouver un indéfinissable, sentiment de dégoût et de pitié pour les officiers espagnols, qui ne craignaient pas de venir implorer humblement le secours de ces féroces partisans qu'il méprisait au fond du cœur et que si longtemps ils avaient implacablement poursuivi pour les punir de leurs innombrables méfaits.

Du reste, les officiers espagnols semblaient avoir parfaitement conscience de leur mauvaise situation et de la démarche répréhensible aux yeux de l'honneur et du droit des gens qu'ils ne craignaient pas de faire en ce moment.

Malgré l'assurance qu'ils affectaient et leur tenue hautaine, la rougeur de la honte couvrait leur front; malgré eux, leur tête se baissait et leurs regards ne s'arrêtaient qu'avec une certaine hésitation sur les personnes dont ils étaient entourés, et que, sans doute, ils eussent désiré moins nombreuses.

Cette pompe insolite déployée à leur intention dans le but évident de leur couper toute retraite et de les engager irrémissiblement, leur pesait, car ils comprenaient toute la portée d'une telle mesure et le retentissement qu'elle ne manquerait pas d'avoir au dehors des montagnes.

La tenue des Pincheyras formait, avec celle des Espagnols, un contraste frappant.

Tumultueusement groupés autour de leurs chefs, l'œil railleur et la lèvre sardonique, ils chuchotaient entre eux à voix basse, en jetant par-dessus leur épaule des regards dédaigneux à ceux que leur mauvaise fortune contraignait à implorer leur appui.

Don Pablo Pincheyra et ses frères conservaient seuls une contenance convenable; ils sentaient leur cœur se gonfler d'orgueil dans leur poitrine en songeant au rôle que la fortune, par un de ses incompréhensibles caprices, les appelait subitement à jouer; ils prenaient au sérieux ce rôle et se croyaient de bonne foi appelés à replacer par la force de leurs armes, sous la nomination espagnole, ces riches colonies qui lui échappaient si providentiellement par un juste retour de cette implacable loi du talion, qui veut que tôt ou tard les bourreaux deviennent à leur tour victimes de ceux qu'ils ont martyrisés.

Lorsque les étrangers eurent été introduits par le cabo faisant, en cette circonstance, fonctions d'huissier, et que les premières salutations eurent été échangées, don Pablo Pincheyra prit la parole:

– Soyez les bienvenus à Casa-Trama caballeros, dit-il en s'inclinant avec une politesse étudiée: je m'efforcerai, pendant le temps qu'il vous plaira de prolonger votre visite parmi nous, de rendre votre séjour agréable.

– Je vous remercie, caballero, au nom de mes compagnons et au mien, répondit un étrangers, de la gracieuse bienvenue qu'il vous plaît de nous souhaiter; permettez-moi seulement de rectifier, sur un point, vos paroles; ce n'est pas une visite que nous faisons, à vous et à vos braves compagnons, si dévoués et si loyaux champions de l'Espagne, nous venons, chargé d'une mission importante par notre souverain et le vôtre.

– Nous sommes prêts à écouter la communication de ce message, caballero; mais d'abord, veuillez nous faire connaître votre nom et ceux des honorables personnes qui vous accompagnent.

L'étranger s'inclina.

Je suis, dit-il, don Antonio Zinozain de Figueras, lieutenant-colonel au service de Sa Majesté le roi d'Espagne et des Indes.

– Bien souvent votre nom est venu jusqu'à moi, señor caballero, interrompit don Pablo.

– Deux autres, capitaines de Sa Majesté m'ont été adjoints, continua don Antonio en les désignant au partisan, don Lucio Ortega et don Estevan Mendoza.

Les deux officiers dont les noms venaient d'être prononcés saluèrent cérémonieusement.

Pincheyra leur lança un regard perçant, et, s'adressant à celui qui avait été désigné sous le nom de don Estevan Mendoza:

– La prudence, sans doute, vous a engagé, caballero, à vous cacher modestement sous le nom de don Estevan.

– Señor, balbutia l'Espagnol.

– Rassurez-vous, caballero, continua don Pablo; bien que ces précautions soient inutiles, je comprends vos scrupules; votre incognito sera respecté.

Don Estevan, ou du moins la personne qui s'était donné ce nom, rougit de honte et de confusion à ces paroles à double tranchant; mais il ne trouva rien à répondre et s'inclina silencieusement avec un geste de dépit mal dissimulé.

Don Pablo sourit d'un air narquois et, se tournant vers don Antonio:

– Continuez je vous prie, caballero, lui dit-il.

Celui-ci avait été aussi surpris que contrarié de l'observation railleuse du partisan, et ce n'avait été qu'avec une certaine difficulté qu'il était parvenu à cacher le désappointement qu'elle lui avait fait éprouver; cependant, ainsi interpellé par don Pablo, il s'inclina et répondit:

– Les deux autres personnes qui m'accompagnent sont: l'une un chef indien araucan renommé.

– Je le connais, fit Pincheyra, il y a longtemps que le capitán Marilaun et moi nous avons dormi côte à côte sous le même toldo comme deux frères qui s'aiment; je suis donc heureux de le voir.

– Et moi de même, répondit le chef en excellent espagnol, s'il n'avait dépendu que de ma volonté, depuis plusieurs mois déjà je me serais réuni à vous, chef parce que vous êtes brave comme le plus redoutable Ulmen de ma nation.

Don Pablo pressa la main du chef.

– Il ne me reste plus, caballero, reprit don Antonio, qu'à vous présenter cet officier.

– C'est inutile, caballero, interrompit vivement don Pablo; lorsqu'il en sera temps, lui-même se présentera en nous instruisant des motifs qui obligent sa présence parmi nous; veuillez maintenant s'il vous plaît, vous acquitter de la mission dont vous êtes chargés en nous faisant connaître le message dont vous êtes porteur pour nous.

– Señor caballero, reprit don Antonio Zinozain, le roi mon maître et le vôtre, satisfait des services que vous avez rendus à son gouvernement depuis le commencement de cette déplorable révolte, à daigné vous conférer le grade de colonel.

– Je remercie Sa Majesté de sa bien veillante sollicitude pour moi, répondit don Pablo avec un sourire sardonique, mais le grade qu'elle veut bien m'octroyer aujourd'hui, depuis longtemps déjà mon épée me l'a fait conquérir sur les champs de bataille, où j'ai versé comme de l'eau mon sang pour le soutien des droits de Sa Majesté sacrée.

– Je le sais, caballero; aussi n'est-ce pas à cette seule distinction que Sa Majesté borne ses faveurs.

– Je vous écoute, señor.

– Sa Majesté non seulement a résolu de placer sous vos ordres immédiats un corps de deux cents hommes de cavalerie régulière commandé par moi et d'autres officiers de l'armée, mais encore elle vous autorise, par un décret dûment signé par elle et enregistré à la chancellerie, de prendre pour le corps d'armée placé sous vos ordres le titre de Corps fidèle des chasseurs des montagnes, d'arborer le drapeau royal écartelé de Castille et de Léon, et de placer la cocarde espagnole sur les coiffures de vos soldats.

– Sa Majesté m'accorde ces faveurs insignes? interrompit don Pablo avec un frémissement joyeux dans la voix.

– En sus, continua impassiblement don Antonio Zinozain, Sa Majesté, considérant que, jusqu'à présent, guidé seulement par votre dévouement et votre inviolable fidélité, vous avez soutenu la guerre à vos risques et périls, dépensant et compromettant votre fortune pour son service, sans espoir de rentrer dans ces énormes déboursés, Sa Majesté, dis-je, à la sagesse de qui rien n'échappe, a jugé convenable de vous donner une preuve de sa haute satisfaction pour cette conduite loyale. En conséquence, elle a ordonné qu'une somme de cent mille piastres fût mise immédiatement à votre disposition, afin de vous couvrir d'une partie de vos dépenses, et, en plus, elle vous autorise à prélever, sur toutes les contributions de guerre que vous imposerez aux villes qui tomberont en votre pouvoir, un dixième, dont vous disposerez à votre gré comme étant votre propriété pleine et entière, et ce jusqu'à concurrence de la somme de cent autres mille piastres fortes. Sa Majesté me charge, en outre, par l'entremise de Son Excellence le vice-roi son délégué et porteur de pleins pouvoirs, de vous assurer de sa haute satisfaction et de son désir de ne pas borner à ce qu'elle fait aujourd'hui, la récompense qu'elle compte vous accorder dans l'avenir.

– Ainsi, fit don Pablo en se redressant avec un orgueilleux sourire, maintenant je suis bien réellement un chef de guerre?

– Sa Majesté en a décidé ainsi, répondit froidement don Antonio.

– ¡Vive Dios! s'écria le partisan avec un geste de menace, Sa Majesté a bien fait, car je jure Dieu que de tous ceux qui, aujourd'hui, combattent pour sa cause, je serai le dernier à mettre bas les armes, dussé-je y mourir, jamais je ne consentirai à traiter avec les rebelles et ce serment je le tiendrai, ¡rayo de Cristo! Quand même le ciel et la terre se ligueraient contre moi pour m'accabler, je veux que, dans un siècle; les petits enfants des hommes que nous combattons aujourd'hui tremblent encore au souvenir de mon nom.

Le féroce partisan s'était levé en prononçant cette terrible imprécation; il avait cambré à haute taille, rejeté sa tête en arrière et tenait la main posé sur la poignée de son sabre, tandis qu'il promenait sur les assistants un regard d'une indicible fierté et d'une énergie sauvage.

Les assistants furent émus malgré eux à ces males accents; un frisson électrique sembla parcourir l'assemblée, et, tout à coup, la salle entière éclata en cris et en exclamations; puis, les partisans s'échauffant peu à peu à leur propre excitation, l'enthousiasme atteignit bientôt le paroxysme de la joie et du délire.

Les natures primitives sont faciles à entraîner; ces hommes, à demi sauvage, se sentaient récompensés par les honneurs accordés à leur chef, ils étaient fiers de lui et témoignaient la joie qu'ils éprouvaient à leur manière, c'est-à-dire en criant à tue-tête et en gesticulant.

Les Espagnols eux-mêmes, partagèrent jusqu'à un certain point l'entraînement général; pendant un instant, l'espoir, presque éteint dans leur cœur, se réveilla aussi fort qu'au premier jour, et ils se surprirent à croire à un succès désormais impossible.

En effet, au point où en étaient arrivées les choses cette dernière tentative faite par les Espagnols n'était qu'un acte de folle témérité dont le résultat ne devait être que le prolongement, sans nécessité aucune, d'une guerre d'extermination entre hommes de même race et parlant la même langue, guerre impie et sacrilège qu'ils auraient dû, au contraire, terminer au plus vite, afin d'épargner l'effusion du sang et de ne pas quitter l'Amérique sous le poids de la réprobation générale, chassés bien plus par la haine des colons contre eux que par un sentiment de patriotisme et de nationalité que ceux-ci ne connaissaient pas encore et qui ne pouvait exister sur une terre qui jamais, depuis sa découverte, n'avait été libre.

Émile Gagnepain, seul spectateur, à part ses motifs de sûreté personnels, complètement désintéressé dans la question, ne put cependant conserver son indifférence et assister froidement à cette scène; il aurait même fini par se laisser aller à l'entraînement général si la présence des deux officiers espagnols, cause première de toutes ses traverses, ne l'avaient retenu, en lui inspirant une appréhension secrète que vainement il essayait de combattre, mais qui, malgré tous ses efforts, persévérait avec une opiniâtreté de plus en plus inquiétante pour lui.

Bien que le jeune Français fut placé fort en évidence près du secrétaire de don Pablo Pincheyra, cependant, depuis leur entrée dans la salle, les Espagnols n'avaient point semblé s'apercevoir de sa présence; pas une seule fois leurs regards ne s'étaient dirigés de son côté, bien qu'il fût certain qu'ils l'avaient aperçu. Cette obstination à feindre de ne pas le voir lui semblait d'autant plus extraordinaire de la part de ces deux hommes, qu'ils n'avaient aucun motif plausible pour l'éviter; du moins il le supposait.

Émile avait hâte que l'entrevue fût terminée, afin de s'approcher du capitaine Ortega et de lui demander l'explication d'un procédé qui lui paraissait non seulement blessant pour lui, mais qui semblait dénoter des intentions peu amicales à son égard.

Lorsque le tumulte commença à s'apaiser, que les partisans eurent enfin cessé ou à peu près leurs vociférations, don Pablo réclama le silence d'un geste et se prépara à prendre congé des envoyés espagnols, mais don Antonio Zinozain fit un pas en avant, et, se tournant vers le chef indien qui, jusque-là, était demeuré impassible et muet, écoutant et observant tout ce qui se passait devant lui, sans cependant y prendre part:

– Mon frère Marilaun, n'a-t-il donc rien à dire au grand-chef pâle? lui demanda-t-il.

– Sí, répondit nettement l'Araucan, j'ai à lui dire ceci: Marilaun est un Apo-Ulmen puissant parmi les Aucas, mille guerriers suivent, quand il l'exige, son cheval partout où il lui plaît de les conduire, son quipu est obéi sur tout le territoire des Puelches et des Huiliches; Marilaun aime le grand-père des visages pâles, il combattra avec ses guerriers pour faire rentrer dans le devoir les fils égarés du Toqui des blancs, cinq cents cavaliers huiliches et puelches se rangeront auprès de Pincheyra quand il l'ordonnera, car Pincheyra a toujours été un ami des Aucas et ils le considèrent comme un enfant de leur nation. J'ai dit. Ai-je bien parlé, hommes puissants?

– Je vous remercie de votre offre généreuse, chef, répondit don Pablo, et je l'accepte avec empressement. Vos guerriers sont braves; vous, votre réputation de courage et de sagesse a depuis longtemps franchi les limites de votre territoire; le secours que vous m'offrez sera fort utile au service de Sa Majesté. Maintenant, caballeros, permettez-moi de vous offrir l'hospitalité; vous êtes fatigués d'une longue route et devez avoir besoin de prendre quelques rafraîchissements avant de nous quitter. Puisque rien ne nous retient plus ici, veuillez me suivre.

– Pardon, señor coronel, dit alors l'officier portugais, qui s'était jusque-là tenu modestement à l'écart; avant que vous quittiez cette salle, j'aurais, moi aussi, si vous me le permettez, à m'acquitter d'une mission dont je suis chargé près de vous.

Malgré sa puissance sur lui-même, don Pablo laissa échapper un mouvement de contrariété, presque aussitôt réprimé.

– Peut-être vaudrait-il mieux, señor capitaine, répondit-il d'un ton conciliant remettre à un autre moment plus convenable la communication que, dites-vous, vous avez à me faire.

– Pourquoi donc cela señor coronel? répliqua vivement le Portugais; le moment me parait, à moi, fort convenable, et l'endroit où nous nous trouvons des mieux appropriés. D'ailleurs, ne venez-vous pas d'y traiter des sujets de la plus haute importance?

– Cela peut être, señor; mais il me semble que cette audience n'a que trop duré déjà; elle s'est prolongée au delà des limites ordinaires. Vous, comme nous, devez avoir besoin de quelques heures de repos?

– Ainsi, señor coronel, vous refusez de m'entendre? reprit sèchement l'officier.

– Je ne dis pas cela, répondit vivement don Pablo; ne vous méprenez pas je vous prie, señor capitaine, sur le sens que j'attache à mes paroles. Je vous adresse une simple observation dans votre intérêt seul; voilà tout, señor.

– S'il en est ainsi, caballero, permettez-moi, tout en vous remerciant de votre courtoisie de ne pas accepter, quant à présent du moins, l'offre gracieuse que vous me faites, et, si vous me le permettez, je m'acquitterai de ma mission.

Don Pablo jeta à la dérobée un regard sur le peintre français, puis il répondit avec une répugnance visible:

– Parlez donc, señor, puisque vous l'exigez; caballeros, ajouta-t-il en s'adressant aux autres étrangers, excusez-moi pendant quelques minutes, je vous prie; vous voyez que je suis contraint d'écouter ce que ce caballero désire si ardemment me dire; mais je me plais à croire qu'il ne nous retiendra pas longtemps?

– Quelques minutes seulement, señor.

– Soit, nous vous écoutons.

Et le partisan reprit d'un air ennuyé le siège qu'il avait quitté; bien qu'il fit bonne contenance, un observateur aurait cependant remarqué qu'il éprouvait une vive contrariété intérieure. Le Français, mis sur ses gardes par Tyro, et qui jusque-là n'avait, dans ce qui s'était passé, rien vu qui lui fût personnel, ne laissa pas échapper cet indice, si léger qu'il fût; et, tout en feignant la plus entière indifférence, il redoubla d'attention et imposa sèchement silence au secrétaire de don Pablo qui, sans doute, averti par son maître, s'était tout à coup senti le besoin de causer avec le jeune homme auquel, jusqu'à ce moment, il n'avait pas daigné accorder la moindre marque de politesse.

Ainsi rebuté, le señor Vallejos se vit contraint de se renfermer de nouveau dans le mutisme sournois qui l'avait distingué pendant tout le cours de l'entrevue.

Le capitaine portugais, profitant de la permission qui lui était enfin donnée, s'approcha de quelques pas, et après avoir cérémonieusement salué don Pablo, il prit la parole d'une voix ferme.

– Señor coronel, dit-il, je me nomme don Sebastiao Vianna, et j'ai l'honneur de servir en qualité de capitaine dans l'armée de Sa Majesté le roi de Portugal et des Algarves.

– Je le sais, caballero, répondit sèchement don Pablo, venez donc au fait, s'il vous plaît, sans plus tarder.

– M'y voici, señor; cependant, avant de m'acquitter du message dont je suis chargé, il devait d'abord me faire connaître officiellement de vous.

– Fort bien, continuez.

– Le général don Roque, marquis de Castelmelhor, commandant en chef la deuxième division du corps d'occupation de la Banda Oriental, dont j'ai l'honneur d'être aide de camp, m'envoie vers vous don Pablo Pincheyra; colonel commandant une cuadrilla au service de Sa Majesté le roi d'Espagne, pour vous prier de vous expliquer clairement et catégoriquement au sujet de la marquise de Castelmelhor, son épouse, et de doña Eva de Castelmelhor, sa fille, que, d'après certains bruits parvenus jusqu'à lui, vous retiendriez, contre le droit des gens, prisonnières dans votre camp de Casa-Trama.

– Oh! fit don Pablo avec un geste de dénégation, une telle supposition attaque mon honneur, señor capitaine, prenez-y garde.

– Je ne fais pas de supposition, caballero, reprit don Sebastiao avec fermeté, veuillez me répondre clairement; ces dames sont-elles oui ou non en votre pouvoir?

– Ces dames ont réclamé mon assistance pour échapper aux rebelles qui les avaient faites prisonnières.

– Vous les retenez dans votre camp, ici, à Casa-Trama?

Don Pablo se tourna d'un air dépité vers le Français dont il sentait instinctivement que le regard pesait sur lui.

– Il est vrai, répondit-il enfin, que ces dames se trouvent dans mon camp, mais elles y jouissent de la liberté la plus entière.

– Cependant, lorsqu'à plusieurs reprises elles vous ont prié de les laisser rejoindre le général de Castelmelhor, toujours vous vous êtes opposé sous de vagues prétextes.

La situation se tendait de plus en plus, le partisan sentait la colère bouillonner dans son sein, il comprenait qu'il avait été trahi, que sa conduite était connue, que toute dénégation était impossible; le brevet d'honnêteté que si récemment lui avaient octroyé les officiers espagnols, l'obligeait à se contraindre; cependant il ne fut pas maître de réprimer toute marque de mécontentement, il y avait encore en lui trop du partisan et du bandit.

– ¡Vive Dios! s'écria-t-il avec violence, on croirait, sur mon âme, que vous me faites en ce moment señor un interrogatoire, señor capitaine.

– C'en est un, en effet, caballero, répondit fièrement l'officier.

– Vous oubliez, il me semble où vous vous trouvez et à qui vous parlez, señor.

– Je n'oublie rien, j'accomplis mon devoir sans me soucier des conséquences probables que cette conduite aura pour moi.

– Vous plaisantez, señor, reprit le partisan avec un sourire cauteleux, vous n'avez rien à redouter de moi ni des miens, nous sommes des soldats et non des bandits; parlez donc sans crainte.

Don Sebastiao sourit avec amertume.

– Je n'éprouve aucune autre crainte, señor, dit-il, que celle de ne pas réussir dans l'accomplissement de ma mission: mais je remarque que je vous retiens plus de temps que je ne l'aurais désiré: je terminerai donc en deux mots: à don Pablo Pincheyra, l'officier espagnol, mon général me charge de rappeler que son honneur de soldat exige qu'il ne manque pas à sa parole loyalement donnée, en retenant contre leur gré, deux dames qui, de leur propre volonté, se sont placées sous sa sauvegarde; il le prie en conséquence de me les remettre pour qu'elles retournent sous mon escorte au quartier général de l'armée portugaise; au chef de partisans Pincheyra, homme pour lequel les mots honneur et loyauté sont vides de sens et qui ne recherche que le lucre, le marquis de Castelmelhor offre une rançon de quatre mille piastres que je suis chargé de compter contre la remise immédiate des deux dames. Maintenant j'ai terminé, caballero, c'est à vous de me dire à qui je m'adresse en ce moment, si c'est à l'officier espagnol ou au montonero.

Après ces paroles prononcées d'une voix brève et sèche, le capitaine s'appuya sur son sabre et attendit.

Cependant une vive agitation régnait dans la salle, les partisans chuchotaient entre eux en lançant des regards courroucés au téméraire officier qui osait les braver ainsi jusque dans leur camp; quelques-uns portaient déjà la main à leurs armes: un conflit était imminent.

Don Pablo se leva, d'un geste impérieux il calma le tumulte, et lorsque le silence se fut rétabli, il répondit avec la plus exquise courtoisie à l'envoyé du général.

– Señor capitaine, j'excuse en qu'il y a d'acerbe et d'exagéré dans ce que vous venez de me dire, vous ignorez ce qui s'est passé et ne faites que vous acquitter de la mission dont on vous a chargé; le ton que vous avez cru devoir prendre, avec un autre homme que moi, aurait pu avoir pour vous des conséquences fort graves, mais je vous le répète, je vous excuse parce que vous me supposez à tort des intentions qui toujours ont été bien éloignées de ma pensée; ces dames m'ont demandé ma protection, je la leur ai accordée pleine et entière; elles jugent aujourd'hui pouvoir s'en passer, soit; elles sont libres, rien ne les empêche de partir avec vous; elles ne sont pas mes prisonnières, je n'ai donc pas de rançon à exiger d'elles; ma seule récompense sera d'avoir été assez heureux pour leur être utile dans une circonstance très périlleuse; voilà, señor capitaine, la réponse que je puis vous faire. Veuillez informer son Excellence le marquis de Castelmelhor de la façon dont j'agis avec vous et assurez-le que j'ai été heureux de rendre à ces dames le service qu'elles ont réclamé de mon honneur de soldat.

– Cette réponse me comble de joie, caballero, reprit l'officier; croyez que je considérerai comme un devoir de faire disparaître de l'esprit de mon général les préventions qui s'y sont élevées contre vous, avec une espèce de raison, permettez-moi de vous le dire; il ne vous connaît pas, et vos ennemis vous ont noirci auprès de lui.

– Donc, voilà qui est entendu, señor; je suis heureux que cette grave affaire soit enfin terminée à notre satisfaction commune. Quand désirez-vous partir?

– Le plus tôt que cela me sera possible, señor.

– Je le comprends, le marquis de Castelmelhor doit être impatient de revoir deux personnes qui lui sont si chères et dont il est depuis longtemps séparé; cependant ces dames ont besoin de quelques heures pour faire leurs préparatifs de voyage; elles ne sont pas prévenues encore. J'ose donc espérer que vous accepterez l'invitation que j'ai faite à ces caballeros, et que vous consentirez à partager l'hospitalité que je puis leur offrir.

– De grand cœur, caballero, cependant je voudrais qu'il me fût permis de voir ces dames sans retard.

– Je vous conduirai moi-même près d'elles, señor capitaine, aussitôt que vous aurez pris quelques rafraîchissements.

Le capitaine s'inclina; une plus longue insistance aurait été de mauvais goût.

Don Pablo sortit alors de la salle avec ses hôtes et ses plus intimes officiers; en passant près du peintre français, il ne lui dit pas un mot, mais il lui lança un regard sardonique accompagné d'un sourire qui donna fort à réfléchir au jeune homme.

– Hum, murmura-t-il à part lui, tout cela n'est pas clair, je crois qu'il me faut plus que jamais veiller sur ces deux pauvres dames; don Pablo a trop facilement consenti à les laisser partir.

Et il quitta la salle en hochant la tête à plusieurs reprises.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
330 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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