Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Le Montonéro», страница 15

Шрифт:

XV
LES PINCHEYRAS

Nous abandonnerons pendant quelques instants les chefs guaycurús, pour nous transporter à une vingtaine de lieues plus loin, dans le cœur même de la cordillière, où se trouvent certains personnages fort intéressants de ce récit et où, deux ou trois jours avant celui où nous sommes arrivés, se passaient des événements que nous devons relater.

La guerre civile, en détruisant l'ancienne hiérarchie établie par les Castillans dans leurs colonies, et en bouleversant les rangs et les fastes, avait fait monter à la surface de la société hispano-américaine certaines personnalités fort curieuses à étudier et parmi lesquelles les Pincheyras tenaient, sans contredit, une des positions les plus accusées.

Disons ce que c'était que ces Pincheyras, dont le nom s'est à plusieurs reprises déjà trouvé sous notre plume et d'où provient la sombre et mystérieuse célébrité qui, même aujourd'hui, après tant d'années, entoure leur nom d'une sanglante et redoutable auréole.

Pincheyra commença comme la plupart des partisans de cette époque, c'est-à-dire que, d'abord, il fut bandit; né à San Carlos au centre de cette province de Maule dont les habitants ne se courbèrent jamais sous le joug des Incas et ne subirent qu'en frémissant celui des Espagnols, don Pablo Pincheyra était un Indien de pied en cap, le sang des Araucans coulait presque sans mélange dans ses veines, aussi dès qu'il fut mis hors la loi et contraint de chercher un refuge parmi les Indiens, ceux-ci répondirent-ils avec empressement à son premier appel et vinrent-ils joyeusement se grouper autour de lui et former le noyau de cette redoutable cuadrilla, qui devait plus tard se nommer l'armée royale.

Pincheyra avait trois frères: ceux-ci, qui gagnaient à grand-peine leur vie en maniant tour à tour le lasso et la hache, c'est-à-dire en travaillant comme garçons de ferme et bûcherons, saisirent l'occasion que leur ainé leur offrait, et allèrent se joindre à lui en compagnie de tous les mauvais sujets qu'il leur fut possible de recruter.

Aussi les Pincheyras, comme on les nommait, ne tardèrent-ils pas à devenir la terreur du pays qu'il leur avait plu de choisir comme théâtre de leurs sinistres exploits.

Lorsqu'ils avaient pillé les grandes chacras, mis à rançon les hameaux, ils se réfugiaient au désert, et là, ils bravaient impunément l'impuissante colère de leurs ennemis.

En effet, dans ces régions reculées, la justice, trop faible, ne pouvait se faire respecter, et ses agents, malgré leur bon vouloir, étaient contraints de demeurer spectateurs des déprédations commises journellement par les bandits.

Don Pablo Pincheyra était loin d'être un homme ordinaire; la nature avait, été prodigue envers lui; à un courage de lion il joignait une rare sagacité, une justesse de coup d'œil peu commune et une pénétration inouïe, réunie à des dehors pleins de noblesse et même d'affabilité.

Aussi, les événements aidants, le hardi chef de bandits, loin d'être inquiété pour ses incessants brigandages, sut-il non seulement se faire accepter comme partisan, mais encore il se vit rechercher et solliciter par ceux dont l'intérêt avait été si longtemps de l'anéantir, mais qui maintenant se trouvaient contraints de réclamer son appui.

Don Pablo ne se laissa pas éblouir par ce nouveau caprice de la fortune, il se trouva tout à coup au niveau du rôle que le hasard l'appelait à jouer, et se déclara nettement pour l'Espagne contre la révolution.

Sa troupe, augmentée considérablement par les déserteurs et les volontaires qui venaient se ranger sous sa bannière, se disciplina peu à peu, grâce à quelques officiers européens que don Pablo sut attirer à lui, et l'ancienne cuadrilla de bandits se métamorphosa presque instantanément en une troupe régulière, presque une armée, puisqu'elle comptait, en infanterie et cavalerie, plus de quinze cents combattants, nombre considérable à cette époque dans ces contrées si peu peuplées.

Dès qu'il jugea que l'armée royale, ainsi qu'il la nommait emphatiquement, était en état de tenir la campagne, don Pablo Pincheyra prit résolument l'offensive, et commença les hostilités contre les révolutionnaires en tombant sur eux à l'improviste et en les battant dans plusieurs rencontres.

Les Pincheyras connaissaient les repaires les plus cachés et les plus ignorés des cordillières; leurs expéditions terminées, ils se retiraient dans des retraites d'autant plus inaccessibles qu'elles étaient défendues non seulement par tout l'intervalle d'une solitude désolée, mais encore par la terreur qu'inspiraient ces redoutables partisans, pour lesquels tout était bon, et qui ne faisaient même pas grâce aux enfants aux femmes et aux vieillards, et les entraînaient à leur suite attachés par les poignets à la queue de leurs chevaux.

Un autre chef de partisan, mais celui-là brave et honnête officier castillan, combattait, lui aussi, de son côté, pour la défense de la cause perdue de l'Espagne, on le nommait Zinozain.

Ainsi, au moment où l'Amérique du Sud tout entière, depuis le Mexique, jusqu'aux frontières de Patagonie, se soulevait à la fois contre le joug odieux de l'Espagne et proclamait hautement son indépendance, deux hommes isolés, sans autre prestige que leur indomptable énergie, soutenus seulement par des Indiens bravos et des aventuriers de toutes nations, luttaient héroïquement contre le courant qui, malgré eux, les entraînait, et prétendaient remettre les colonies sous la domination castillane.

Malgré les méfaits de ces hommes, des Pincheyras surtout, dont la sauvage cruauté les entraînait souvent à commettre des actes inqualifiables de barbarie, il y avait cependant quelque chose de réellement grand dans cette détermination de ne pas abandonner la fortune de leurs anciens maîtres et de périr plutôt que de trahir leur cause: aussi, aujourd'hui encore, après tant d'années, leur nom est-il dans ces contrées entouré d'une espèce d'auréole grandiose, et sont-ils devenus pour la masse du peuple des êtres légendaires dont, avec une crainte respectueuse, on raconte les incroyables exploits, le soir à la veillée, lorsqu'après les durs travaux de la journée, on cause paisiblement en buvant le maté et en fumant la cigarette, autour du feu de veille dans la pampa.

A vingt lieues environ de l'endroit où s'étaient arrêtés les Guaycurús pour laisser passer la grande chaleur du jour, au centre d'une vaste vallée dominée de tous les côtés par les pics neigeux et inaccessibles de la cordillière, don Pablo Pincheyra avait établi son camp.

Ce camp, placé à la source même de deux rivières, n'était pas provisoire, mais permanent; aussi ressemblait-il bien plutôt à une ville qu'à un bivouac de soldats. Les huttes, faites à l'indienne, en forme de toldos, avec des pieux croisés au sommet et recouvertes de cuirs de vache et de peaux de jument, affectaient une certaine symétrie dans leur alignement, formant des rues, des places et des carrefours, ayant des corales remplis de bœufs et de chevaux; quelques-unes même possédaient de petits jardins, où poussaient, tant bien que mal, vu la rigueur du climat, quelques plantes potagères.

Au centre juste du camp se trouvaient les toldos des officiers et des quatre frères Pincheyras, toldos mieux construits, mieux aménagés, et surtout beaucoup plus propres que ceux des soldats.

On ne pouvait parvenir dans la vallée où le camp était établi que par deux étroits cañones situés, l'un à l'est et l'autre au sud-ouest du camp; mais ces deux cañones avaient été fortifiés de telle sorte, au moyen d'abatis de bois énormes entassés pêle-mêle sans ordre apparent, mais parfaitement ordonnés, que toute tentative pour forcer la double entrée de ces cañones eût été vaine. Cependant des sentinelles immobiles et l'œil fixé, sur les détours des défilés, veillaient attentivement à la sûreté commune, pendant que leurs compagnons, retirés sous leurs toldos, vaquaient à leurs occupations avec ce laisser-aller insouciant qui prouve combien on est certain de n'avoir aucun danger sérieux à redouter.

Le toldo de don Pablo Pincheyra était facile à reconnaître du premier coup d'œil. Deux sentinelles se promenaient devant, et plusieurs chevaux, tout sellés et prêts à être montés, étaient attachés à des piquets, à quelques pas de la porte, au-dessus de laquelle, planté sur une longue lance fichée en terre, le drapeau espagnol flottait majestueusement au souffle inconstant de la brise folle du matin. Des femmes, parmi lesquelles plusieurs étaient jeunes et jolies, bien que leurs traits fussent pour la plupart flétris par la douleur et l'excès de travail, sillonnaient les rues du camp portant de l'eau, du bois ou d'autres provision; quelques unes à l'entrée des toldos se livraient aux soins du ménage; des peones; montés sur de forts chevaux et armés de longues lances, faisaient sortir les bestiaux des corales et les conduisaient au pâturage hors du camp. Enfin tout était vie et animation dans cet étrange repaire de bandits qui se donnaient le nom d'armée royale, et pourtant, à travers ce tohu-bohu et ce désordre apparent, il était facile de reconnaître une pensée régulatrice et une volonté puissante qui dirigeait tout, sans jamais rencontrer d'objection ou même d'hésitation de la part des subordonnés.

Au moment où nous pénétrons dans le camp, un homme portant le costume des Gauchos des pampas de Buenos Aires souleva la frazada ou couverture servant de porte à un toldo construit avec une certaine régularité, et, après avoir jeté à droite et à gauche un regard curieux et inquiet, il quitta le toldo et mit, bien qu'avec une certaine hésitation, le pied dans la rue.

De même que tous les habitants de ce singulier centre de population, cet homme était armé jusqu'aux dents, d'un sabre droit qui battait son flanc gauche, d'une paire de long pistolets passés à sa ceinture, et d'un couteau à lame étroite, enfoncé dans sa polena droite et dont le manche de corne remontait sur sa cuisse; un fusil double était jeté sur son épaule.

Cependant, malgré ce formidable arsenal qu'il portait avec lui, l'homme dont nous parlons ne paraissait nullement rassuré; sa démarche hésitante, les regards, furtifs qu'il lançait incessamment autour de lui, tout dénotait chez cet homme une vive appréhension qu'il essayait vainement de cacher, mais qu'il ne parvenait pas à vaincre.

– Parbleu, murmura-t-il à demi-voix au bout d'un instant, je suis idiot sur mon honneur! Un homme en vaut un autre, que diable! Et s'il faut en venir aux voies de faits, on y viendra; s'il me tue, eh bien! Tant mieux, de cette façon, tout sera fini! J'aimerais autant cela, cette absurde existence commence à me peser considérablement! C'est égal, je ne sais si Salvator Rosa, lorsqu'il se trouva parmi les brigands, vit jamais une aussi complète collection de bandits que ceux avec lesquels j'ai le bonheur de vivre depuis deux mois; quels magnifiques chenapans! Il serait, je crois, impossible de rencontrer leurs pareils, tant ils sont heureusement réussis! Ah! ajouta-t-il avec un soupir de regret, s'il m'était seulement possible d'en croquer quelques-uns! Mais non, ces drôles-là n'ont aucun sentiment de l'art; il est impossible de les faire poser une seconde! Au diable l'idée biscornue qui m'a fait bêtement abandonner la France pour venir ici!

Et Émile Gagnepain, que le lecteur a sans doute reconnu déjà, poussa un second soupir, plus profond que le premier, et envoya vers le ciel un regard désespéré.

Cependant il continua à avancer à grands pas vers une des sorties du camp. Sa démarche était devenue peu à peu plus assurée; il avait relevé fièrement la tête et était parvenu, à grand-peine sans doute, à affecter la plus complète insouciance.

Le peintre avait presque traversé le camp dans toute sa longueur; il était parvenu à un toldo assez grand servant de corps de garde aux soldats chargés de veiller aux retranchements, et il hâtait le pas dans le but sans doute d'échapper aux questions indiscrètes de quelque partisan désœuvré, lorsqu'il se sentit soudain frapper sur l'épaule. Bien que cet attouchement n'eût en soi rien d'agressif et fût au contraire tout amical, le jeune homme tressaillit intérieurement; mais, faisant bonne contenance, il se retourna aussitôt, et donnant à son visage l'expression la plus aimable qu'il lui fut possible, il tendit vivement la main à celui qui l'avait ainsi arrêté à l'improviste et le salua en souriant du buenos días, caballero, qui est de rigueur sur toute terre espagnole.

– Et vous, señor Francés, répondit gaiement son interlocuteur en lui rendant son salut et lui pressant délicatement la main, vous vous portez bien, j'imagine, vive Dios! Il faut un hasard comme celui-ci pour que j'aie le plaisir d'entrevoir votre visage ami.

Le peintre fut un instant interloqué à cette parole dont l'intonation malicieuse ne lui échappa pas, mais, dominant son émotion et feignant la plus complète bonhomie:

– Que voulez-vous, don Pablo, répondit-il, il n'y a nullement de ma faute dans cette apparente négligence dont vous vous plaignez; les soucis et les soins du commandement vous dominent et vous absorbent de telle sorte, que vous devenez inabordable, quelque désir qu'on ait de vous faire visite.

Don Pablo Pincheyra, car c'était lui, sourit avec finesse.

– Est-ce bien là le motif qui vous fait m'éviter? lui dit-il.

– Vous éviter?

– Dame, trouvez une autre expression, si vous le pouvez, je ne demande pas mieux, moi; je dirai vous abstenir de me chercher, si vous le préférez.

– Vous vous trompez, don Pablo, répondit avec fermeté le jeune homme qui brûlait ses vaisseaux, je ne vous évite pas plus que je n'ai de motifs de m'abstenir de vous chercher et la preuve…

– La preuve? interrompit don Pablo avec un regard fin et interrogateur.

– C'est qu'aujourd'hui, en cet instant même, je me dirigeais vers les retranchements dans l'espoir de vous y rencontrer.

– Ah! Ah! fit-il; alors, puisqu'il en est ainsi, je suis heureux, caballero, que le hasard vous ait si bien servi en nous mettant ainsi face à face.

– Le hasard n'est pour rien dans l'affaire, je vous prie de le croire, don Pablo.

– Mieux eût valu, cependant, venir tout simplement à mon toldo.

– Ce n'est pas mon avis, puisque je vous rencontre ici.

– C'est juste, dit en riant le partisan, vous avez réponse à tout, cher seigneur; admettons donc que vous ayez réellement l'intention de me visiter, et veuillez, je vous prie, me faire connaître les motifs auxquels je dois l'honneur de cette tardive visite.

– Croyez-vous cher don Pablo, que le lieu ou nous nous trouvons soit bien convenable pour une conversation sérieuse, comme doit être celle que je désire avoir avec vous?

– Ah! fit Don Pablo, c'est donc d'affaires graves que vous comptez me parler?

– On ne saurait plus graves.

– Puisqu'il en est ainsi, je suis, à mon grand regret, contraint de vous prier de différer cette conférence de quelques heures.

– Me serait-il permis, sans courir le risque de passer à vos yeux pour indiscret, de vous demander le motif de ce retard qui, je vous l'avoue, me contrarie fort?

– Oh! Mon Dieu, je n'ai pas de secrets pour vous, cher seigneur, vous le savez; le fait est que j'attends d'un moment à l'autre l'arrivée de certaines personnes avec lesquelles je dois, aussitôt qu'elles seront ici, avoir un entretien de la plus haute importance.

– Pardon, seigneur don Pablo, mais ces personnes auxquelles vous faites allusion, je crois les connaître, de réputation du moins, de plus, si je suis bien informé, je sais sur quel sujet roulera l'entretien que vous devez avoir avec elles.

L'œil noir de don Pablo Pincheyra lança un éclaire qui s'éteignit aussitôt, et il répondit d'un ton doux et mielleux:

– Et vous concluez de cela, cher seigneur?

– Je conçois seigneur don Pablo, que peut-être il serait bon dans l'intérêt général, que vous consentissiez à m'entendre, d'abord.

Le peintre, dont le parti était pris et qui sentait la colère gronder sourdement dans son cœur, était devenu rude et cassant, résolu à pousser les choses jusqu'aux dernières extrémités, quelles que dussent être les conséquences de sa conduite.

De son côté, don Pablo, sous sa feinte aménité, cachait évidemment une résolution arrêtée d'avance et dont rien ne le ferait se départir; c'était donc entre ces deux hommes qui se parlaient ainsi, le sourire sur les lèvres, mais la haine ou tout au moins la colère au cœur, une partie étrange qui se jouait en ce moment.

Ce fut le partisan qui renoua l'entretien un instant interrompu.

– Ainsi, seigneur Français, dit-il, vous étiez sorti de votre toldo dans le but de me faire visite?

– Oui, señor.

– A moi spécialement?

– A vous, oui.

– Eh! fit-il avec un ricanement expressif, en désignant du doigt la ceinture garnis d'armes du jeune homme, vous conviendrez que vous prenez singulièrement vos précautions lorsque vous allez voir vos amis.

– Nous sommes dans un pays, señor, répondit froidement le peintre, où il est bon d'être toujours sur ses gardes.

– Même avec ses amis?

– Surtout avec ses amis, dit-il nettement.

– Bien, reprit froidement le partisan, suivez-moi à l'écart, afin que nous puissions causer sans craindre d'être interrompus.

– Je vous suis.

– Vous remarquerez, señor, que j'ai en vous plus de confiance que vous ne daignez m'en témoigner.

– Parce que, señor?

– Parce que, moi, je suis sans armes.

Le jeune homme haussa les épaules.

– Vous agissez comme bon vous semble, dit-il froidement; peut-être avez-vous tort, peut-être avez-vous raison… Qui saurait le dire?

– Je ne crains pas d'être assassiné.

– Si cette insulte s'adresse à moi, elle frappe à faux; de ce que je prends des précautions contre vous, il ne s'ensuit pas nécessairement que je sois capable de vous assassiner, ainsi que vous le dites.

Le partisan hocha la tête d'un air de doute.

– On se munit d'armes, continua le jeune homme avec un accent incisif pour se garantir des attaquas des bêtes fauves, sans avoir pour cela le désir de les combattre.

– Bien, bien, seigneur français, dit don Pablo d'une voix sombre, venez sans plus de paroles, je n'ai que quelques instants à vous donner, profitez-en.

Tout en échangeant ces mots aigres-doux, les deux hommes s'étaient mis à marcher côte à côte et étaient sortis du camp, salués à leur passage par les sentinelles placées aux retranchements.

Ils continuèrent ainsi à s'avancer dans la campagne jusqu'à ce qu'enfin ils eussent atteint un endroit assez retiré, espèce de coude formé par un retour du cañon dans lequel ils s'étaient engagés et d'où on ne pouvait ni les voir, ni les entendre, tandis qu'eux, au contraire, découvraient une assez longue distance à droite et a gauche, en avant comme en arrière du chemin qui conduisait au camp, et sur lequel nul n'aurait pu paraître sans qu'ils l'eussent aussitôt découvert.

– Je crois, seigneur français, dit don Pablo en s'arrêtant, que ce lieu vous doit convenir; veuillez donc parler sans plus de retard.

– Ainsi ferai-je, répondit le Français en posant à terre la crosse de son fusil et en appuyant les deux mains sur l'extrémité du canon, tout en jetant un regard soupçonneux autour de lui.

– Oh! Nous sommes bien seuls, allez, reprit don Pablo avec un sourire ironique, vous pouvez parler sans crainte.

– Ce n'est pas la crainte qui me retient en ce moment; j'ai tant de choses à vous dire que je ne sais réellement par laquelle commencer.

– A votre aise; seulement; hâtez-vous si vous voulez que je vous entende jusqu'au bout: dans quelques minutes peut-être je serai obligé de vous fausser compagnie.

– L'officier espagnol que vous attendez ne sera pas ici avant une heure au moins, nous avons donc le temps.

– Comment savez-vous que j'attends un officier espagnol?

– Que vous importe si cela est?

– Señor Français, reprit-il en fronçant le sourcil et avec un léger accent de menace, prenez garde de pénétrer dans mes secrets plus avant que je ne le désirerais. Depuis deux mois que nous vivons côte à côte, vous avez été, je le suppose, à même de me connaître; il n'est pas bon, croyez-moi, d'essayer de s'immiscer contre ma volonté dans mes affaires.

– Vous auriez raison de parler ainsi, si ces affaires vous regardaient seul, mais comme malheureusement je m'y trouve mêlé, elles sont autant miennes que vôtres.

– Je ne vous comprends pas.

– En êtes-vous bien sûr, répondit le jeune homme, avec un sourire ironique.

– Voyons, expliquez-vous franchement et loyalement comme un homme au lieu de bavarder comme une vieille femme, reprit le partisan avec un commencement de colère.

– Voici deux mois, reprit le jeune homme, que nous vivons côte à côte, ainsi que vous-même l'avez dit, qu'avez-vous fait pendant ces deux mois? Comment avez vous tenu la parole que vous m'aviez donnée?

– N'ai-je pas sauvé les deux dames, ainsi que je m'y étais engagé, du péril qui les menaçait.

– Oui, mais pour les faire tomber dans un plus grand encore.

– Je ne vous comprends pas, señor.

– Il n'y a de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, vous me comprenez fort bien au contraire; malheureusement pour vous, vous n'en êtes pas encore où vous le croyez, j'ai juré de défendre ces pauvres dames et je les défendrai, fut-ce au péril de ma vie.

– Vous êtes fou, señor, nul que je sache, moi moins encore que personne, n'a l'intention de nuire, en quoi que ce soit, à ces dames; depuis leur arrivée ici, à Casa-Trama, elles ont, vous ne sauriez le nier, été traitées avec les plus grands égards et le plus profond respect; de quoi se plaignent-elles?

– Elles se plaignent d'être en butte à des attentions déplacées et presque déshonorantes de votre part; de plus, elles disent avec raison que, loin de leur donner cette liberté que vous vous étiez engagé à leur rendre, vous les séquestrez, et les traitez comme si elles étaient vos captives.

Don Pablo haussa les épaules avec dédain.

– Les femmes sont toutes les mêmes, dit-il avec ironie, rien ne saurait les satisfaire. Mieux que ces dames, je suis à même de juger de ce qui leur convient; d'ailleurs, qu'elles se tranquillisent, elles n'ont pas longtemps à demeurer ici, et si la vue de mes compagnons les choque, elles en seront bientôt délivrées.

– Ce n'est pas la vue de vos compagnons qui choque ces dames, mais la vôtre et celle de vos frères; les hommages ridicules dont vous les fatiguez à chaque heure du jour et les prétentions que vous ne craignez pas d'afficher devant tout le monde.

Les traits du partisan se contractèrent, une pâleur terreuse couvrit son visage, ses sourcils se froncèrent à se joindre.

– Prenez garde, señor, s'écria-t-il d'une voix sourde et saccadée, réprimant à grand-peine la colère qui l'animait. Prenez garde, vous êtes en mon pouvoir; ne l'oubliez pas, et je suis l'homme que ses ennemis ont surnommé l'ours de Casa-Trama.

– Que m'importe les noms qu'on vous donne, s'écria Émile, oubliant toute mesure; un seul vous convient, si vous persistez dans la voie funeste où vous êtes engagé, c'est celui de bandit.

– Vive Dieu! s'écria-t-il avec violence, cette insulte veut du sang! Un lâche seul ose braver ainsi un homme sans armes.

– Allons donc, reprit le jeune homme avec mépris, sans armes? Et d'un geste plein de noblesse il jeta un pistolet aux pieds du partisan, en même temps qu'il abandonnait son fusil et saisissant son second pistolet à sa ceinture. Par Dieu! La défaite est bonne; si vous êtes aussi brave que vous le prétendez, voici une arme, faites-moi raison. Vous imaginez-vous donc que j'aie jamais craint de me mesurer avec vous?

– Rayo de Dios! s'écria le partisan avec rage, vous en aurez la joie!

Et se précipitant sur le pistolet, il l'arma et le déchargea presque à bout portant sur le jeune homme.

C'en était fait de celui-ci; vu le peu de distance qui le séparait de son adversaire, rien n'aurait pu le sauver. Heureusement le partisan, aveuglé par la rage, n'avait pas calculé son coup: la balle, mal dirigée, au lieu de frapper le Français en plein corps, ne lui fit qu'une légère éraflure dans le bras et se perdit inoffensive.

– Votre vie m'appartient, dit froidement le jeune homme en armant à son tour son pistolet.

– Cassez-moi donc la tête, ¡caray! s'écria don Pablo; tirez, au nom du diable! Et que tout soit fini.

– Non pas, repartit le jeune peintre sans s'émouvoir, il est bon que vous puissiez juger de la différence qui existe entre un homme de votre sorte et un de la mienne.

– Ce qui veut dire? balbutia le partisan, que la rage étranglait.

– Que je vous fais grâce! dit Émile.

– Grâce, avez-vous dit, grâce! s'écria-t-il avec un rugissement de tigre, à moi!

– A vous, pardieu! A qui donc?

Et écartant froidement de son bras blessé le partisan qui s'était élancé vers lui, il leva le pistolet et le déchargea par dessus sa tête. Don Pablo demeura un instant comme atterré, les yeux injectés de sang, les traits livides, les poings crispés, incapable de comprendre la grandeur de cette action, mais dominé et vaincu, malgré lui, par l'ascendant que en un instant, le jeune homme avait su prendre sur sa nature abrupte et sauvage.

– Donc, reprit paisiblement le jeune homme, votre vie m'appartenait; je vous l'ai rendue; je n'exige en retour qu'une seule chose.

– Vous exigez quelque chose de moi? fit-il avec un ricanement railleur.

– Oui.

– Oh! Oh! Et si je ne voulais rien vous accorder, moi?

– Oh! Alors; reprit-il avec le plus grand sang-froid, comme tout doit avoir un terme et qu'il est toujours permis de se débarrasser d'une bête féroce, je vous casserai la tête comme à un chien enragé.

Tout en parlant ainsi, Émile avait repris son fusil.

Le partisan se trouvait de nouveau à la merci de son adversaire.

Il lui jeta un regard de haine, mais il comprit à la contenance de son ennemi que celui-ci n'hésiterait pas à mettre sa menace à exécution; alors, grâce à cette puissance qu'il possédait sur lui-même, il rendit le calme à ses traits contournés par la rage, et, s'inclinant avec un sourire gracieux:

– Soit, je ferai ce que vous désirez, señor; votre noble générosité a vaincu mon entêtement. Parlez.

– Jurez sur votre salut, par Nuestra Señora de la Soledad, d'être fidèle à ce que vous vous engagerez à faire.

– Je vous le jure, sur mon salut, par Nuestra Señora de la Soledad.

Cette, Vierge, fort respectée par les Gauchos, les coureurs des bois et autres gens de même sorte, était, du moins il le croyait ainsi, la protectrice de don Pablo Pincheyra; il lui était très dévot, et aucune raison, si grave quelle fût, n'aurait pu lui faire violer un serment fait en son nom, Émile connaissait cette particularité.

– Pendant trois jours à compter de ce moment, vous ne tenterez rien contre les deux dames confiées à ma garde.

– Je le jure.

En ce moment, un galop éloigné se fit entendre et bientôt une troupe de cavaliers apparut à une assez grande distance.

– Voici les personnes que vous attendez, reprit Émile, je veux assister à votre entretien avec elles.

– Soit! Vous y assisterez; que voulez-vous encore?

– Rien.

– Comment, c'est tout?

– Oui.

– Vous ne stipulez rien pour votre sûreté personnelle.

– Allons donc, répondit le jeune homme avec dédain, vous plaisantez, señor, qu'ai-je à redouter de vous, moi? Vous n'oseriez attenter à la vie de celui qui, maître de la vôtre, a refusé de la prendre.

Le partisan frappa du pied avec colère, mais il ne répondit pas.

Les cavaliers approchaient rapidement, encore quelques minutes, et ils auraient rejoint les deux hommes qui les regardaient venir sans faire un mouvement vers eux.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
330 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают