Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Le Guaranis», страница 19

Шрифт:

V
LA MONTONERA

Montonero dont le féminin est montonera, est un mot essentiellement américain, bien que sa racine soit incontestablement espagnole. Il signifie littéralement, monceau, amas, ramassis; pris dans la mauvaise acception du mot, une montonera veut dire une réunion de gens de sac et de corde, de bandits sans foi ni loi, de voleurs de grand chemin.

Mais telle n'était pas la signification qu'on lui donnait dans le principe.

On entendait par montonera une cuadrilla, une guérilla composée de bannis politiques, d'insurgés qui faisaient la guerre en partisans à leurs risques et périls, mais braves et honnêtes.

Les Espagnols leur imposèrent au commencement du soulèvement des colonies contre la métropole, afin de les flétrir dans l'opinion publique, ce nom dont ils se glorifièrent et qu'ils tinrent à honneur de porter.

Mais lorsque la guerre civile dégénéra en lutte fratricide des citoyens entre eux; que les Espagnols furent vaincus et contraints d'abandonner le Nouveau Monde, les montoneras dégénérèrent, les hommes véreux de tous les partis vinrent s'abriter sous leurs bannières et y chercher l'impunité de leurs crimes. Elles ne furent plus alors qu'un ramassis de bandits sinistres, ressemblant à s'y méprendre à ces bandes d'écorcheurs et de routiers du moyen âge qui désolèrent l'Europe pendant si longtemps, et que les gouvernements furent, pendant plus de deux siècles, impuissants à détruire ou seulement à réprimer.

Semblant avoir recueilli les traditions de leurs devanciers du vieux monde, les montoneros commencèrent à désoler les campagnes, à piller les haciendas, à mettre à rançon les villes trop faibles pour leur opposer une résistance énergique; et, servant toutes les causes moyennant finance, ils adoptèrent tour à tour tous les partis, les trahissant sans remords les uns après les autres, et ne voyant dans la guerre civile qu'un but: le pillage.

A l'époque où se passe notre histoire, bien que les montoneros fussent déjà dégénérés de leur première loyauté, et que nombre de gens sans aveu fussent parvenus à se glisser dans leurs rangs, cependant ils conservaient encore, du moins en apparence, les principes de patriotisme chevaleresque qui avaient présidé à leur création, et leur nom n'inspirait pas, ainsi que cela arriva plus tard, la terreur aux honnêtes gens et aux citoyens paisibles qu'ils s'étaient donné la mission de protéger et de défendre.

Dans une verte vallée, au pied d'une colline boisée d'une médiocre hauteur, sur le bord même du río Tucumán, à environ une quinzaine de lieues de la ville de San Miguel, une troupe de cavaliers dont le nombre pouvait monter à trois cents environ était arrêtée, ou, pour mieux dire, campée dans une position délicieuse.

Les soldats, tous revêtus du costume des gauchos de la pampa, les traits énergiques et le visage hâlé par le soleil, mais d'une apparence sauvage et farouche, étaient pour la plupart armés non seulement de sabres et de fusils, mais encore d'une longue et forte lance dont le fer était garni d'une banderole d'un rouge vif.

Couchés ou assis au pied des figuiers et des orangers, ils avaient planté leurs lances en terre et jouaient, causaient ou dormaient, tandis que leurs chevaux erraient à l'aventure, paissant l'herbe verte de la plaine.

Quelques sentinelles, disséminées sur des hauteurs assez éloignées, immobiles comme des statues de bronze florentin dont elles avaient les tons chauds et cuivrés, veillaient à la sûreté commune.

Ces hommes, dont la réputation de bravoure était célèbre dans toute la Banda Oriental, composaient la montonera du célèbre Zèno Cabral, celui-là même qui avait, disait-on, eu quelques jours auparavant maille à partir avec les troupes royales, et dont la ville de San Miguel célébrait la victoire à grand renfort de cris et de pétards.

Ce campement sauvage et primitif, qui ressemblait plutôt à une halte de bandits qu'à toute autre chose, avait une apparence des plus pittoresques, et qui aurait fait l'admiration d'un peintre à la manière dé Salvator Rosa.

Presque au centre du campement, au sommet d'un monticule d'une pente presque insensible, plusieurs hommes dont les vêtements et les armes étaient en meilleur état et les traits moins farouches que ceux de leurs compagnons, étaient assis sur l'herbe et causaient tout en fumant leur cigarette.

Ces hommes étaient les officiers de la montonera.

Au milieu d'eux se trouvait leur chef, ou le général, ainsi qu'ils le nommaient.

Ce chef était un tout jeune homme paraissant au plus vingt-deux ans, aux traits fins et délicats, aux manières douces et gracieuses qui, aux yeux d'un indifférent, aurait paru peu en état de commander à des hommes comme ceux qui s'étaient volontairement rangés sous sa bannière; mais un observateur ne se serait pas trompé à l'expression énergique répandue sur son beau et calme visage, à l'ampleur peu commune de son front pur et bien dessiné, et au regard d'aigle qui s'échappait de ses yeux noirs et bien ouverts. Une sombre mélancolie semblait répandue sur ses traits, et ce n'était qu'avec des difficultés extrêmes que ses compagnons, jeunes gens de son âge pour la plupart et appartenant aux premières familles du pays, réussissaient à de longs intervalles à amener un sourire triste sur ses lèvres.

La tête appuyée sur la main droite, frisant sans y songer de la main gauche ses longues et soyeuses moustaches noires, il laissait errer, sans but apparent, ses regards sur l'immense et magnifique panorama qui se déroulait devant lui, ne répondant que par des monosyllabes aux questions qu'on lui adressait et semblant s'absorber dans une pensée intime.

Ses officiers, voyant toutes leurs avances repoussées par leur chef, avaient pris le parti de l'abandonner à ses réflexions quelles qu'elles fussent, puisqu'il paraissait s'y complaire, et s'étaient mis à causer et à rire entre eux, lorsque tout à coup une quarantaine de cavaliers apparurent à l'horizon se dirigeant à toute bride vers l'endroit où la montonera était campée.

«Eh! dit un des officiers en plaçant sa main en abat-jour sur ses yeux, qui peuvent être ces cavaliers?

– Ce sont des nôtres, sans doute, puisque les sentinelles les ont laissé passer sans donner l'alarme, répondit un autre officier.

– Avons-nous donc des batteurs d'estrade aux environs?

– Je ne l'assurerais pas, mais comme le général avait parlé de détacher le capitaine Quiroga avec une vingtaine de soldats pour surveiller les défilés de la Sierra, et que je ne le vois pas parmi nous, c'est que probablement le général a donné suite à son projet.

– Ce serait alors sa troupe qui nous rejoindrait?

– Je le crois; du reste, nous ne tarderons pas à savoir à quoi nous en tenir.»

Les cavaliers arrivaient toujours grand train: ils se trouvèrent bientôt assez rapprochés pour qu'il fût possible de les reconnaître.

«Vous ne vous étiez pas trompé, don Juan Armero, reprit le premier officier, c'est effectivement le capitaine Quiroga; je distingue d'ici son long corps maigre qui semble jouer dans ses habits, et sa face anguleuse et bourrue qui le fait ressembler à un oiseau de nuit.

– Le fait est, répondit don Juan, que le digne capitaine est facile à reconnaître; mais vous devriez plus le ménager, don Estevan; vous savez que le général l'aime beaucoup et peut-être lui déplairait-il d'en entendre parler ainsi.

– Au diable! Si j'en dis du mal; le capitaine Quiroga est un brave et digne soldat que j'aime et que j'apprécie fort moi-même; mais cela ne va pas jusqu'à lui trouver la tournure d'un Adonis.

– Ce dont il se soucie fort peu sans doute, señores, dit Zèno Cabral en se mêlant tout à coup à la conversation; il se contente d'être un de nos officiers les plus braves et les plus expérimentés, et cela suffit.

– ¡Caramba! Général, et nous aussi nous l'aimons tous, ce vieux brave, qui pourrait être notre père, et qui nous conte, pendant les nuits de bivouac, de si bonnes histoires de l'ancien temps.»

Le chef des partisans sourit sans répondre.

«Mais que nous amène-t-il ici? s'écria tout à coup don Estevan Albino, l'officier qui le premier avait parlé, Dieu me pardonne si je n'aperçois pas les plis d'une robe et si je ne vois pas flotter une mantille.

– Deux robes et deux mantilles, s'il vous plaît, don Estevan, et même davantage, si je ne me trompe, répondit plus posément don Juan Armero.

– ¡Válgame Dios! dit en riant le jeune officier, le vieux reître nous amène toute une volée de cotillons.»

Les officiers se levèrent; quelques-uns ouvrirent des lorgnettes et se mirent à examiner attentivement la troupe qui arrivait, se perdant en commentaires sur la prise faite par le vieil officier, et qu'il amenait avec lui.

Zèno Cabral était retombé dans son mutisme, indifférent en apparence à ce qui se passait autour de lui, mais la rougeur fébrile qui colorait son visage et le froncement de ses sourcils démentaient ce calme affecté et dénotaient qu'il était en proie à une vive émotion intérieure.

Cependant, les cavaliers traversaient rapidement la plaine et s'approchaient de plus en plus, se dirigeant vers le groupe d'officiers, reconnaissable au drapeau buenos-airien, dont la hampe était fichée en terre auprès du général et qui flottait en longs plis au caprice de la brise.

Sur le passage des cavaliers, les montoneros se relevaient, les regardaient curieusement; puis ils les suivaient en riant et en ricanant entre eux, si bien que lorsqu'ils atteignirent le pied du monticule où les attendaient les officiers, ils se trouvèrent littéralement enveloppés d'une foule compacte que le capitaine Quiroga se vit contraint d'écarter à coups de bois de lance, ce dont, du reste, il s'acquitta avec un flegme et un sang-froid imperturbables.

Les officiers n'avaient point calomnié le digne capitaine. A part la différence du costume, il ressemblait trait pour trait à don Quichotte, lors de sa deuxième sortie.

C'était le même corps long et efflanqué, le même visage maigre et anguleux, au front déprimé, aux yeux caves, au nez recourbé en bec d'oiseau, aux mâchoires larges, à peine garnies de quelques dents gâtées, aux longues moustaches grises et aux pommettes saillantes et violacées.

Et, pourtant, cet ensemble excentrique, ainsi qu'on dirait aujourd'hui, n'avait rien de ridicule; cette singulière physionomie était éclairée par une telle expression de bravoure, de franchise et de bonté, qu'à première vue on se sentait malgré soi entraîné vers ce vieil officier, car il avait au moins cinquante ans, et tout disposé à l'aimer.

Les soldats riaient à se tordre en recevant les coups de bois de lance que leur distribuait généreusement le capitaine, et ce fut à grand-peine qu'il parvint à s'en débarrasser.

«Diable soit des curieux! dit le bon capitaine, en mettant lestement pied à terre, ils ne me laisseront pas approcher du général.»

Et, suivi d'une partie de ses soldats, qui ainsi que lui avaient quitté la selle, il gravit le monticule où les officiers étaient réunis.

Les soldats conduisaient plusieurs prisonniers au milieu d'eux; parmi ces prisonniers se trouvaient des femmes, dont deux paraissaient, par leur costume, leurs manières, appartenir à la haute société.

Les montoneros, malgré l'indiscrète curiosité qui les animait, n'avaient pas osé, par respect pour leur chef, dépasser la limite naturelle tracée par le pied du monticule. Groupés en désordre autour des soldats demeurés à la garde des chevaux, ils fixaient des regards ardents sur les officiers.

Ceux-ci s'étaient rangés à droite et à gauche de Zèno Cabral et avaient livré un libre passage au capitaine Quiroga et à ceux qu'il amenait avec lui. Zèno Cabral s'était levé lentement, et la main appuyée sur la poignée de son sabre, le visage froid et impassible, les sourcils froncés, il attendait que son subordonné prît la parole.

Le capitaine, après avoir d'un geste ordonné de s'arrêter à ceux qui le suivaient, fit quelques pas en avant et, après avoir salué militairement, il demeura immobile sans prononcer un mot. Parmi toutes ces qualités, le digne capitaine comptait celle de ne pas être orateur; son mutisme était passé en proverbe dans la cuadrilla.

Don Zèno comprit que, s'il n'interrogeait pas le capitaine, celui-ci ne se résoudrait jamais à parler le premier; il fit un effort sur lui-même et affectant une indifférence fort loin sans doute de sa pensée:

«Vous voici donc de retour, capitaine Quiroga? dit-il.

– Oui, général, répondit laconiquement l'officier.

– Et avez-vous complètement rempli la mission délicate que je vous avais confiée?

– Je le crois, général.

– Vous avez surpris les ennemis de la patrie?

– Ceux-là ou d'autres, général, je me suis emparé des gens que vous m'aviez désignés lorsqu'ils ont débouché du ravin; maintenant, s'ils sont ennemis de la patrie ou non, je l'ignore, cela ne me regarde pas.

– C'est juste,» fit don Zèno Cabral, qui traînait évidemment la conversation en longueur et hésitait à en attaquer le point réellement intéressant pour lui.

Le capitaine ne répondit pas.

Don Zèno reprit au bout d'un instant, en tourmentant, avec une colère contenue, la dragonne de son sabre:

«Mais enfin qu'avez-vous fait?»

En ce moment, une des prisonnières écarta par un geste brusque le capitaine, et faisant un pas en avant:

«Ne le savez-vous pas, don Zèno Cabral,» dit-elle d'une voix ironique et hautaine en rejetant, d'un geste plein de noblesse, sur ses épaules le rebozo de dentelles noires qui voilait son visage.

Les officiers étouffèrent un cri d'admiration à la vue de la beauté souveraine de cette femme.

Don Zèno Cabral fit un pas en arrière en se mordant les lèvres avec dépit, tandis que son visage se couvrait d'une pâleur mortelle.

«Madame, dit-il, les dents serrées, vous êtes prisonnière, et ne devez parler, ne l'oubliez pas, que si on vous interroge.»

Un sourire de mépris crispa les lèvres de la dame: elle haussa légèrement les épaules et fixa sur le partisan un regard d'une expression telle que, malgré lui, il détourna les yeux.

Cette femme, dans toute la force et la plénitude de sa beauté, paraissait âgée de vingt-sept à vingt-huit ans, bien qu'en réalité elle en eût environ trente-trois. Ses traits, d'une régularité de lignes extrême, réalisaient l'idéal de la beauté romaine; ses yeux noirs, pleins de feu et de passion, son front pur, sa bouche mignonne, sa peau fine et veloutée, son teint légèrement doré par le soleil, et, plus que tout, l'expression hautaine et railleusement cruelle de sa physionomie saisissait et inspirait pour elle une répulsion dont il était impossible de se rendre compte au premier abord; sa taille majestueuse, ses gestes pleins de noblesse, tout en cette femme, par un contraste inexplicable, effrayait au lieu d'attirer. On devinait les rugissements de la bête fauve dans les modulations harmonieuses de sa voix, et les griffes du tigre apparaissaient sous ses ongles roses.

«Prenez garde à ce que vous faites, caballero, reprit-elle; je suis étrangère, moi; je voyage paisiblement; nul n'aie droit de m'arrêter, ou seulement d'entraver ma course.

– Peut-être, madame, répondit froidement le partisan; mais, je vous le répète, lorsque je vous interrogerai, alors, mais alors seulement, je vous permettrai de me répondre.

– Suis-je donc tombée entre les mains de bandits sans foi ni loi? reprit-elle avec mépris. Suis-je au pouvoir d'écumeurs du désert? Du reste, la façon dont jusqu'à présent j'ai été traitée, et la vue de l'homme devant lequel on m'a conduite, me le feraient supposer.»

Un murmure de colère, réprimé aussitôt par un geste de Zèno Cabral, s'éleva parmi les officiers à cette imprudente provocation.

«Où est le guide que nous soupçonnions de trahison! dit le partisan en se retournant vers le capitaine.

– Je m'en suis emparé, répondit celui-ci.

– Fort bien. Avez-vous acquis des preuves de sa trahison?

– D'irrécusables, mon général.

– Qu'on l'amène.»

Il se fit un mouvement parmi les soldats; quelques-uns se détachèrent du groupe qui entourait les prisonniers et amenèrent, en le rudoyant, devant leur chef un métis à la mine chafouine, aux yeux louches et aux membres trapus, que, pour plus de sûreté sans doute, ils avaient solidement garrotté avec un lasso.

Don Zèno Cabral considéra un instant cet homme, qui se tenait humble et tremblant devant lui, avec un singulier mélange de pitié et de dégoût.

«Vous êtes convaincu de trahison, lui dit-il enfin. J'ai le droit de vous faire pendre; je vous accorde cinq minutes pour recommander votre âme à Dieu.

– Je suis innocent, noble général, murmura le misérable en tombant à genoux et en courbant craintivement la tête.»

Le partisan haussa les épaules et se retourna vers les officiers avec lesquels il commença à causer à voix basse, d'un air indifférent, sans paraître écouter les prières que le prisonnier continuait à lui adresser d'un ton pleurard.

Trois ou quatre minutes s'écoulèrent. Un silence funèbre planait sur la foule attentive des montoneros.

C'est toujours une chose grave qu'une condamnation à mort, prononcée froidement, résolument et sans appel, même pour des hommes habitués à jouer leur vie sur un coup de dé, comme ceux qui assistaient à cette scène; aussi, malgré eux, se sentaient-ils saisis d'un secret effroi, augmenté encore par les notes dolentes de la voix du misérable qui se tordait de peur au milieu d'eux et implorait en sanglotant la pitié de leur chef.

Celui-ci se retourna et, faisant un signe au capitaine Quiroga:

«Il est temps, dit-il.

– Caray, dit le capitaine, il y a assez longtemps que le pícaro cherche la potence, il ne l'aura pas volée; ce sera au moins une satisfaction pour lui à son dernier moment.»

Cette singulière boutade de la part d'un homme qui parlait si peu d'habitude, étonna tout le monde et, changeant subitement le cours des idées des partisans, les fit éclater en rires moqueurs et en quolibets à l'adresse du condamné, qui dès lors perdit tout espoir.

Un soldat était monté sur un arbre situé à quelques pas seulement, et avait attaché son lasso à la maîtresse branche. Le capitaine ordonna que l'espion fût amené sous l'arbre, et un nœud coulant fut immédiatement jeté autour de son cou.

«Arrêtez! s'écria la prisonnière en s'interposant vivement, cet homme est à moi; prenez garde à ce que vous allez faire.»

Il y eut un instant d'hésitation; le misérable respira, il se crut sauvé.

«Prenez garde vous-même, señora, répondit durement Zèno Cabral, moi seul commande ici.

– Je suis la marquise de Castelmelhor, reprit-elle, l'épouse du général de Castelmelhor; chaque goutte du sang de cet homme coûtera la vie à des milliers de vos compatriotes.

– Vous êtes étrangère, madame, femme, vous l'avez dit vous-même, d'un général Portugais qui est entré il y a quelques jours à peine sur notre territoire pour le ravager; songez à vous, et n'intercédez pas davantage pour ce misérable.

– Mais, fit-elle avec une ironie cruelle, n'êtes-vous pas Portugais vous-même, señor, Portugais d'origine, du moins?

– Assez, madame; par respect pour vous-même, n'insistez pas; cet homme est coupable, il est condamné, il doit mourir, il mourra.»

En ce moment, une seconde femme qui jusqu'à ce moment était demeurée confondue au milieu des prisonniers, s'élança vivement en avant, et saisissant par un geste fébrile le bras du partisan, tandis que des larmes inondaient son visage pâli par l'émotion:

«Et à moi, don Zèno, s'écria-t-elle avec une expression navrante, et à moi! Si je vous demandais la grâce de cet homme, me la refuseriez-vous?

– Oh! s'écria le partisan avec désespoir, vous ici, vous doña Eva!

– Oui, moi, moi, don Zèno, qui vous supplie par ce que vous avez de plus cher, de pardonner.»

Le partisan la considéra pendant quelques secondes avec une expression d'amour, de colère et de douleur impossible à rendre, tandis que, haletante, désolée, les yeux pleins de larmes et les mains jointes, presque agenouillée devant lui, elle lui adressait une prière muette; puis, tout à coup, faisant un effort suprême sur lui-même et reprenant son masque froid et impassible, il se redressa et, croisant les bras sur la poitrine:

«C'est impossible, dit-il; obéissez, capitaine.»

Celui-ci ne se fit pas répéter l'ordre. Le misérable espion, saisi par des mains de fer, fut enlevé dans l'espace et lancé dans l'éternité avant d'avoir eu même une parfaite perception de ce dénoûment imprévu.

La jeune fille, car la personne qui avait essayé vainement de s'interposer entre la justice et la clémence du partisan, était une jeune fille, presque une enfant, âgée de quinze ans à peine, saisie d'effroi à la vue de ce hideux spectacle, terrifiée par les cris d'une joie brutale proférés par les soldats, s'était affaissée sur elle-même, les bras pendants, la tête penchée sur la poitrine, à demi évanouie, son beau et doux visage était couvert d'une pâleur mortelle; les longues tresses de ses cheveux tombaient en désordre sur ses épaules, et ses yeux si doux et si tendres, dont l'azur semblait refléter le bleu du ciel, étaient voilés et éteints par la douleur, tandis qu'un mouvement nerveux agitait tout son corps.

La marquise s'approcha d'elle, la releva froidement et lui montrant le partisan d'un geste de souverain mépris.

«Debout! Ma fille, lui dit-elle, cette posture ne convient qu'aux suppliants ou aux coupables, et vous n'êtes, grâce à Dieu, ni l'un ni l'autre! Ne vous avais-je pas prévenue que cet homme avait un cœur de tigre?

– Oh! Ma mère! Ma mère! s'écria-t-elle en cachant son visage dans son sein, que je souffre!»

A ces paroles prononcées avec une expression déchirante, le partisan fit un brusque mouvement comme pour s'élancer Vers la jeune fille.

Mais la marquise, se redressant avec une fierté léonine, le cloua en place d'un regard méprisant.

«Arrière, señor! lui dit-elle; ni ma fille, ni moi, nous ne vous connaissons. Nous sommes vos prisonnières; si vous l'osez, faites-nous tuer aussi, comme vous nous en avez presque menacées.»

A cette voix dont l'accent cruel le rappela subitement à lui-même, le partisan reprit son sang-froid et répondit d'un ton incisif:

«Non pas vous, madame; nous ne tuons pas les femmes, nous autres; c'est bon pour les soldats du roi, cela; mais vos complices seront fusillés avant une heure.

– Que m'importe!» répondit-elle en lui tournant le dos.

Et, soutenant sa fille dans ses bras, elle alla d'un pas ferme se mêler de nouveau aux prisonniers.

Cette scène étrange, incompréhensible pour tous les assistants, avait plongé les officiers et les soldats dans la stupéfaction la plus profonde.

Jusqu'alors ils avaient connu leur chef brave, téméraire même, dur aux autres comme à lui-même, d'une extrême sévérité en fait de discipline, mais juste, humain, et ne commandant jamais de sang-froid la mort des malheureux prisonniers que les hasards de la guerre faisaient tomber en son pouvoir. Aussi ce changement subit dans l'humeur de leur chef, cette cruauté dont il faisait preuve, les étonnait et les remplissait à leur insu d'une terreur secrète; ils comprenaient instinctivement qu'il fallait que cet homme, si froid et si impassible d'ordinaire, eût de bien puissants motifs pour agir comme il le faisait et donner ainsi tout à coup un complet démenti à la clémence dont jusqu'alors il avait fait preuve en toute occasion; aussi, bien qu'en apparence, cette cruauté parût révoltante, nul cependant n'osait le blâmer, et ceux de ses officiers qui, intérieurement, se sentaient disposés à l'accuser, ne pouvaient se décider à le faire.

Cependant, don Zèno Cabral, sans paraître remarquer l'émotion produite par cette scène, se promenait à grands pas sur l'emplacement même où elle avait eu lieu, les bras derrière le dos et la tête penchée sur la poitrine, semblant en proie à une vive agitation.

Les officiers se tenaient à l'écart, l'examinant à la dérobée, attendant avec une visible anxiété la détermination que, sans doute, il ne tarderait pas à prendre, détermination dont dépendait la vie ou la mort des malheureux prisonniers.

Le capitaine Quiroga s'approcha enfin de lui et lui barra respectueusement le passage au moment où, après avoir terminé sa promenade dans un sens, il se retournait pour la continuer dans un autre.

Don Zèno releva la tête.

«Que voulez-vous? dit-il.

– L'ordre, mon général.

– Quel ordre?

– La confirmation de celui que vous m'avez donné.

– Moi! fit-il avec étonnement.

– Oui, mon général, je désire savoir s'il faut immédiatement fusiller les douze prisonniers brésiliens qui sont là.»

Le partisan tressaillit comme si un serpent l'avait piqué, il lança à la dérobée un regard à la jeune fille; elle pleurait, le visage caché dans le sein de sa mère.

«Quels sont ces hommes? dit-il.

– Pas grand-chose, de pauvres diables de peones, je crois.

– Ah! Pas de soldats?

– Aucun.

– Cependant, ils se sont défendus.

– Dame, général! C'était leur droit.»

Le partisan fixa son clair regard sur le visage impassible du vieux soldat.

«Ah! dit-il, combien vous ont-ils tué d'hommes.

– Deux et blessé cinq, mais loyalement.

– Je vous trouve bien tendre aujourd'hui, capitaine Quiroga, dit-il d'un ton de sarcasme.

– Je suis juste comme toujours, général,» répondit-il en le regardant bien en face.

Le partisan pâlit à cette dure apostrophe, mais se remettant aussitôt:

«Merci, mon vieil ami, reprit-il en lui tendant la main, merci de m'avoir rappelé ce que je me dois à moi-même. Qu'on sonne le boute-selle, nous partons pour San Miguel, señores. Capitaine, je laisse les prisonniers sous votre garde, qu'ils soient traités avec douceur.

– Bien, Zèno, je vous reconnais, répondit le vieux soldat d'une voix basse et concentrée en se penchant sur la main que lui tendait son chef et la baisant; bien, mon ami.

– Allons, señores, à cheval!» cria le partisan en se retournant pour cacher son émotion.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
310 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают