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Читать книгу: «Nouvelles lettres d'un voyageur», страница 9

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MÉLANGES

I
UNE VISITE AUX CATACOMBES

… Terra parens…

Ce qui nous frappa le plus en visitant les Catacombes, ce fut une source qu'on appelle le «puits de la Samaritaine».

Nous avions erré entre deux longues murailles d'ossements, nous nous étions arrêtés devant des autels d'ossements, nous avions foulé aux pieds de la poussière d'ossements. L'ordre, le silence et le repos de ces lieux solennels ne nous avaient inspiré que des pensées de résignation philosophique. Rien d'affreux, selon moi, dans la face décharnée de l'homme. Ce grand front impassible, ces grands yeux vides, cette couleur sombre aux reflets de marbre, ont quelque chose d'austère et de majestueux qui commande même à la destruction. Il semble que ces têtes inanimées aient retenu quelque chose de la pensée et qu'elles défient la mort d'effacer le sceau divin imprimé sur elles. Une observation qui nous frappa et nous réconcilia beaucoup avec l'humanité, fut de trouver un infiniment petit nombre de crânes disgraciés. La monstruosité des organes de l'instinct ou l'atrophie des protubérances de l'intelligence et de la moralité ne se présentent que chez quelques individus, et des masses imposantes de crânes bien conformés attestent, par des signes sacrés, l'harmonie intellectuelle et morale qui réunit et anima des millions d'hommes.

Quand nous eûmes quitté la ville des Morts, nous descendîmes encore plus bas et nous suivîmes la raie noire tracée sur le banc de roc calcaire qui forme le plafond des galeries. Cette raie sert à diriger les pas de l'homme dans les détours inextricables qui occupent huit ou neuf lieues d'étendue souterraine. Au bas d'un bel escalier, taillé régulièrement dans le roc, nous trouvâmes une source limpide incrustée comme un diamant sans facettes dans un cercle de pierre froide et blanche; cette eau, dont le souffle de l'air extérieur n'a jamais ridé la surface, est tellement transparente et immobile, qu'on la prendrait pour un bloc de cristal de roche. Qu'elle est belle, et comme elle semble rêveuse dans son impassible repos! Triste et douce nymphe assise aux portes de l'Érèbe, vous avez pleuré sur des dépouilles amies; mais, dans le silence de ces lieux glacés, vos larmes se sont répandues dans votre urne de pierre, et maintenant on dirait une large goutte de l'onde du Léthé.

Aucun être vivant ne se meut sur cette onde ni dans son sein; le jour ne s'y est jamais reflété, jamais le soleil ne l'a réchauffée d'un regard d'amour, aucun brin d'herbe ne s'est penché sur elle, bercé par une brise voluptueuse; nulle fleur ne l'a couronnée, nulle étoile n'y a réfléchi son image frémissante. Ainsi, votre voix s'est éteinte, et les larves plaintives qui cherchent votre coupe pour s'y désaltérer, ne sont point averties par l'appel d'un murmure tendre et mélancolique. Elles s'embrassent dans les ténèbres, mais sans se reconnaître, car votre miroir ne renvoie aucune parcelle de lumière; et vous aussi, immortelle, vous êtes morte, et votre onde est un spectre.

Larmes de la terre, vous semblez n'être point l'expression de la douleur, mais celle d'une joie terrible, silencieuse, implacable. Cavernes éplorées, retenez-vous donc votre proie avec délices, pour ne la rendre jamais à la chaleur du soleil? Mais non! on est frappé d'un autre sentiment en parcourant à la lueur des torches les funèbres galeries des carrières qui ont fourni à la capitale ses matériaux de construction. La ville souterraine a livré ses entrailles au monde des vivants, et, en retour, la cité vivante a donné ses ossements à la terre dont elle est sortie. Les bras qui creusèrent le roc reposent maintenant sous les cryptes profondes qu'ils baignèrent de leurs sueurs. L'éternel suintement des parois glacées retombe en larmes intarissables sur les débris humains. Cybèle en pleurs presse ses enfants morts sur son sein glacé, tandis que ses fortes épaules supportent avec patience le fardeau des tours, le vol des chars et le trépignement des armées, les iniquités et les grandeurs de l'homme, le brigand qui se glisse dans l'ombre et le juste qui marche à la lumière du jour. Mère infatigable, inépuisable nourrice, elle donne la vie à ceux-ci, le repos à ceux-là; elle alimente et protège, elle livre ses mamelles fécondes à ceux qui s'éveillent, elle ouvre ses flancs pleins d'amour et de pitié à ceux qui s'endorment.

Homme d'un jour, pourquoi tant d'effroi à l'approche du soir? Enfant poltron, pourquoi tressaillir en pénétrant sous les voûtes du tombeau? Ne dormiras-tu pas en paix sous l'aisselle de ta mère? Et ces montagnes d'ossements ne te feront-elles pas une place assez large pour t'asseoir dans l'oubli, suprême asile de la douleur? Si tu n'es que poussière, vois comme la poussière est paisible, vois comme la cendre humaine aspire à se mêler à la cendre régénératrice du monde! Pleures-tu sur le vieux chêne abattu dans l'orage, sur le feuillage desséché du jeune palmier que le vent embrasé du sud a touché de son aile? Non, car tu vois la souche antique reverdir au premier souffle du printemps, et le pollen du jeune palmier, porté par le même vent de mort qui frappa la tige, donner la semence de vie au calice de l'arbre voisin. Soulève sans horreur ce vieux crâne dont la pesanteur accuse la fatigue d'une longue vie. A quelques pieds au-dessus du sépulcre où ce cadavre d'aïeul est enfoui, de beaux enfants grandissent et folâtrent dans quelque jardin paré des plus belles fleurs de la saison. Encore quelques années, et cette génération nouvelle viendra se coucher sur les membres affaissés de ses pères. Et pour tous, la paix du tombeau sera profonde, et toujours la caverne humide travaillera à la dissolution de ses squelettes.

Bouche immense, avide, incessamment occupée à broyer la poussière humaine, à communier pour ainsi dire avec sa propre substance, afin de reconstituer la vie, de la retremper dans ses sources inconnues et de la reproduire à sa surface, faisant sortir ainsi le mouvement du repos, l'harmonie du silence, l'espérance de la désolation. Vie et mort, indissoluble fraternité, union sublime, pourquoi représenteriez-vous pour l'homme le désir et l'effroi, la jouissance et l'horreur? Loi divine, mystère ineffable, quand même tu ne te révélerais que par l'auguste et merveilleux spectacle de la matière assoupie et de la matière renaissante, tu serais encore Dieu, esprit, lumière et bienfait.

II
DE LA LANGUE D'OC
ET
DE LA LANGUE D'OIL

A M. LE RÉDACTEUR EN CHEF DE l'Éclaireur de l'Indre.

Monsieur,

J'ai entendu dire par certains savants que la diversité des langues venait de la différence des climats. Ils soutiennent que, si le norvégien est rude et guttural, et le toscan musical et doux, cela provient de, ce que, en Norvège, les eaux et les vents grondent et mugissent, tandis qu'en Italie, ils font entendre un murmure mélodieux.

Cette théorie sur la diversité des langues, basée sur l'onomatopée, ne me va pas. Je m'en tiens à la tour de Babel. La confusion des langues doit être de droit divin. Cette explication me plaît parce qu'elle est beaucoup moins savante et beaucoup moins embrouillée. Ne voit-on pas, d'ailleurs, le miracle se continuer de nos jours? Plus les sociétés vieillissent, moins les hommes s'entendent, moins ils se comprennent. Et n'a-t-on pas remarqué qu'une foule de dialectes naissaient d'une même langue, au sein d'une même nation?

La langue de notre pays de France, la langue romane, presque aussi harmonieuse que celle des Grecs, au dire des connaisseurs, avait comme elle différents dialectes. Les deux principaux étaient le provençal et le français proprement dit, autrement la langue d'oc et la langue d'oil.

Vous ne voyez peut-être pas encore où je veux en venir, monsieur le rédacteur. Un peu de patience, s'il vous plaît, nous arriverons.

Le premier de ces dialectes était répandu dans le Midi; le second dans le Nord. Mais où commençait le pays de la langue d'oc, où finissait celui de la langue d'oil? Les uns disent que c'était la Loire qui formait la ligne de démarcation. Cela est vrai à partir de sa source jusqu'aux montagnes de l'Auvergne. De là, la frontière qui divisait les deux pays, se dirigeant à travers les montagnes de la Marche, aboutissait, en suivant une ligne droite, au pertuis d'Antioche.

Nous y voilà, monsieur le rédacteur. Les poëtes du pays de la langue d'oc s'appelaient troubadours; on nommait trouvères ceux de la langue d'oil. Ainsi, à partir de la province de la Marche jusqu'à la frontière du nord, français, proprement dit, et trouvères c'est le pays de Rabelais, de Paul-Louis Courier et de Blaise Bonnin; à partir, au contraire, de la même province jusqu'aux rives de la Durance, dialecte provençal et troubadours, troubadours purs; nos braves voisins de la Marche peuvent seuls revendiquer les deux qualités; car, pour le dire en passant, c'est au milieu de leur pays qu'était assise la noble forteresse de Croizan. C'était là, au confluent de la Creuse et de la Sedelle, que passait la ligne séparative des deux dialectes.

Vous savez mieux que moi, monsieur le rédacteur, qu'on a beaucoup et savamment écrit sur les troubadours et les trouvères. Mais il nous importe, à nous qui habitons le pays de la langue d'oil, de prouver que les seconds l'emportaient sur les premiers.

Je m'en réfère au jugement d'un homme compétent sur la matière, à celui de M. de Marchangy, écrivain monarchique et religieux s'il en fut. Il dit que les troubadours ont excité une admiration que le faible mérite de leurs compositions ne peut suffisamment justifier. Il ajoute que les trouvères, «moins connus et plus dignes de l'être, ont fait briller une imagination riche et variée dans ses jeux, et ont laissé des ouvrages où n'ont pas dédaigné de puiser Boccace, l'Arioste, la Fontaine et Molière».

Admettons cependant qu'un troubadour puisse lutter contre un trouvère avec quelque espoir de succès; du moins faudra-t-il qu'ils écrivent chacun dans leur langue; mais qu'un habitant du pays des trouvères s'avise de composer en dialecte provençal, ou qu'un troubadour pur sang, un indigène des régions Lémoricques se permette d'écrire dans le langage de Rabelais, nous verrons, ma foi, de belle besogne!

Si vous rencontrez jamais un infortuné troubadour qui veuille entrer en lutte avec notre ami Blaise Bonnin, et s'évertuer à parler notre patois berrichon, citez-lui, je vous prie, le chapitre VI du livre II de Pantagruel.

C'est une petite leçon que Rabelais donnait aux écoliers de son temps, et dont ceux du nôtre feront bien de profiter.

Si ce passage ne dégrise pas le malencontreux orateur, il faudra désespérer de sa raison.

VI
Comment Pantagruel rencontra ung Limosin qui contrefaisoit le languaige françoys

«Quelque jour, je ne sçay quand, Pantagruel se pourmenoit après souper avecques ses compaignons, par la porte d'ond l'on va à Paris: là rencontra ung escholier tout joliet, qui venoit par icelluy chemin; et, après qu'ils se feurent saluez, luy demanda:

» – Mon amy, d'ond viens-tu à ceste heure?

»L'escholier lui respondist:

» – De l'alme, inclyte et celebre academie que l'on vocite Lutece8.

» – Qu'est-ce à dire? dist Pantagruel à ung de ses gens.

» – C'est, respondist-il, de Paris.

» – Tu viens doncques de Paris? dit-il. Et à quoi passez-vous le temps, vous aultres messieurs estudians audict Paris?

»Respondist l'escholier:

» – Nous transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule: nous deambulons par les compites et quadeivies de l'urbe, nous despumons la verbocination latiale; et, comme versimiles amorabonds, captons la benevolence de l'omnijuge, omniforme et omnigene sexe feminin9

»A quoi Pantagruel dist:

» – Que diable de languaige est cecy? par Dieu tu es quelque hereticque.

» – Seignor, non, dist l'escholier, car libentissimement des ce qu'il illuccese quelque minutule lesche du jour, je demigre en quelqu'ung de ces tant bien architectez moustiers: et là, me irrorant de belle eau lustrale, grignotte d'un transon de quelque missique precation de nos sacrificules, et submirmillant mes precules horaires, eslue et absterge mon anime des es inquinamens nocturnes. Je revere les olympicoles. Je venere latrialement le supernel astripotent. Je dilige et redame mes proximes. Je serre les prescripz decalogicques; et, selon la facultatule de mes vires, n'en discede la late unguicule. Bien est veriforme qu'à cause que Mammone ne supergurgite goutte en mes locules. Je suis quelque peu rare et lent à supereroger les elecmosynes à ces egenes queritans leur stipe hostiatement10.

» – Eh bren, bren, dist Pantagruel, qu'est-ce que veult dire ce fol? Je croi qu'il nous forge ici quelque languaige diabolique, et qu'il nous charme comme enchanteur!

»A quoi dist ung de ses gens:

» – Seigneur, sans doubte, ce galant veult contrefaire la langue des Parisians; mais il ne faict qu'escorcher le latin et cuide ainsi pindariser; et luy semble bien qu'il est quelque grand orateur en françoys, parce qu'il dédaigne l'usance commune de parler.

»A quoy dist Pantagruel:

» – Est-il vrai?

»L'escholier respondist:

» – Signor messire, mon genie n'est point apte nate à ce que dist ce flagitiose nebulon, pour escorier la cuticule de votre vernacule gallicque; mais viceversement je gnave opere, et par veles et par rames je me entite de le locupleter par la redundance latinicome11.

» – Par Dieu! dist Pantagruel, je vous apprendray à parler. Mais devant, respond moi, d'ond es-tu?

»A quoy dist l'escholier:

» – L'origine primere de mes aves et ataves feut indigene des régions Limoricques, où requiesce le corpore de l'agiotate sainct Martial12.

» – J'entends bien, dist Pantagruel: Tu es Limosin pour tout potaige; et tu veulx ici contrefaire le Parisian. Or viens ça que je te donne un tour de pigne.

»Lors le print à la gorge, lui disant:

» – Tu escorches le latin; par sainct Jean, je te ferai escorcher le regnard, car je t'escorcheray tout vif.

»Lors commença le paoure Limosin à dire:

» – Vee dicon gentilastre! hau! sainct Marsault, adjouda mu! Hau! hau! laissas a quo au nom de Dious, et ne me touquas gron13.

»A quoy, dist Pantagruel:

» – A ceste heure, parles-tu naturellement.

»Et ainsi le laissa; car le paoure Limosin conchioit toutes ses chausses, qui estoyent faictes à queue de merluz, et non à plain fonds, dont dit Pantagruel:

» – Au diable soit le mascherabe14!

»Et le laissa. Mais ce luy fut un tel remordz toute sa vie, et tant feut altéré, qu'il disoit souvent que Pantagruel le tenoit à la gorge. Et, après quelques années, mourut de la mort Roland, ce faisant la vengeance divine, et nous demonstrant ce que dict le philosophe, et Aule-Gelle, qu'il nous convient parler selon le languaige usité. Et, comme disait Octavia Auguste, qu'il fault eviter les mots espaves15 en pareille diligence que les patrons de navire evitent lers rochiers de mer.»

Je vous demande mille pardons, monsieur le rédacteur, d'avoir interrompu vos travaux; mais vous m'excuserez. J'aime la jeunesse et je ne désire rien tant que de la voir suivre la bonne voie en littérature comme en toute chose. Je crois qu'il est inutile d'en dire davantage.

A bon entendeur, salut.

Agréez mes salutations cordiales.

III
LA PRINCESSE
ANNA CZARTORYSKA

Il y a en France environ cinq mille cinq cents émigrés polonais. De ce nombre, cinq cents vivent sans subsides, des débris de leur fortune. Trois mille travaillent, et, sans distinction de rang, comme, hélas! sans distinction de forces physiques, se livrent aux professions les plus pénibles. Les proscrits ne se plaignent pas et ne demandent rien. Loin de se croire humiliés, ils portent noblement la misère qui est le partage des durs travaux. Ils remuent la terre sur les grandes routes, ils font mouvoir des machines dans les manufactures. Les fils des compagnons de Jean Sobieski ne sont plus soldats, ils sont ouvriers pour ne pas être mendiants sur une terre étrangère. Quatre cent cinquante autres émigrés suivent l'enseignement de nos savants dans différentes écoles.

Mais il reste environ onze cents personnes, vieillards, femmes et enfants, accablées par les infirmités, la misère et le désespoir. Le temps, loin d'adoucir cet amer regret de la patrie, semble avoir rendu plus profond encore le découragement des victimes. Le chiffre des exilés morts en 1832 est de onze seulement, et cette année il s'élève à soixante-quatorze. A mesure que les rangs s'éclaircissent, la misère augmente, car l'abattement moral, l'épuisement des forces sont le partage des chefs de famille, des mères chargées d'enfants. Des orphelins restent sans ressources, des vieillards sans consolation, des jeunes filles sans conseil et sans appui.

Au milieu de ses désastres et de sa détresse, l'émigration a reçu du ciel le secours et la protection d'un ange. La princesse Czartoryska, femme du noble prince Czartoryski, qui fut à la tête de la révolution polonaise, a consacré sa vie au soulagement de tant d'infortunes. Cette femme, qui eut une existence royale, vit aujourd'hui à Paris avec sa famille, dans une médiocrité voisine de la pauvreté. C'est quelque chose de solennel et de vénérable que cet intérieur modeste et résigné. Cette famille n'a qu'un regret, celui de n'avoir pas assez de pain pour nourrir tous les pauvres proscrits, et nous savons qu'elle se refuse les plus modiques jouissances du bien-être domestique, pour subvenir aux frais incessants d'une patriotique charité.

Qu'on me permette donc d'entrer dans quelques détails sur cette femme, dont le nom se placera un jour, dans l'histoire de l'émigration polonaise, à côté de Claudine Potoçka et de Szczanieçka.

Ceci est bien aussi intéressant qu'un feuilleton de théâtre ou qu'une nouvelle de revue; ce sera une scène d'analyse de moeurs si l'on veut, aussi poétique à narrer simplement que le serait une création de l'art. Si quelque grand talent d'écrivain s'y consacrait, la postérité donnerait peut-être tous nos romans prétendus intimes pour ce tableau historique de la vie d'une princesse au XIXe siècle.

Compagne dévouée d'un digne époux, mère de trois beaux enfants, frêle et délicate comme une Parisienne, quel moyen pouvait-elle trouver de se consacrer à la révolution polonaise sans manquer aux devoirs de la famille? Pouvait-elle armer et commander un régiment comme la belle Plater et tant d'autres héroïnes du vieux sang sarmatique? Pouvait-elle, comme Claudine Potoçka, se faire cénobite et partager son dernier morceau de pain avec un soldat? Non; mais elle trouva un moyen tout féminin de se rendre utile et de donner plus que son pain, plus que son sang. Elle donna son temps, sa pensée et son intelligence, le travail de ses mains; mais quel travail! C'est à elle qu'il appartenait de réhabiliter à nos yeux les ouvrages de l'aiguille trop méprisés en ces temps-ci par quelques femmes philosophes, trop appréciés par la coquetterie égoïste de quelques autres.

Jamais, avant d'avoir vu ces merveilleux ouvrages, nous n'eussions pensé qu'une broderie pût être une oeuvre d'art, une création poétique; et pourtant, si on y songe bien, ne faudrait-il pas dans le rêve d'une vie complète faire intervenir la pensée poétique, le sentiment de l'art, ce quelque chose qui échappe à l'analyse, mais dont l'absence fait souffrir toutes les organisations choisies, et qu'on appelle goût; mot vague encore, parce qu'il est jusqu'ici le résultat d'un sens individuel, et souvent très-excentrique, partant très-opposé à la mode, qui est la création vulgaire des masses.

Dans le perfectionnement que doivent subir toutes choses, et les arts particulièrement, il y aura certes un encouragement à donner aux oeuvres de pur goût; elles n'auront pas, si vous voulez, une utilité positive, immédiate; mais, comme l'avenir nous rendra certainement moins positifs, nous arriverons à comprendre que l'élégance et l'harmonie sont nécessaires aux objets qui nous entourent, et que le sentiment d'harmonie sociale, religieux, politique même, doit entrer en nous par les yeux, comme la bonne musique nous arrive à l'esprit par les oreilles, comme la conviction de la vérité nous est transmise par le charme de l'éloquence, comme la beauté de l'ordre universel nous est révélée à chaque pas par le moindre détail des beautés ou des grâces d'un paysage. Le grand artiste de la création nous a donné un assez vaste atelier pour nous porter à l'étude du beau.

D'où vient donc que des générations entières passent au milieu du temple universel sans apprendre à construire un seul édifice qui ne soit grossier et disproportionné, tandis que d'autres générations se sont tellement préoccupées du beau extérieur, qu'elles nous ont transmis les objets les plus futiles, empreints d'une invention exquise ou d'une correction méticuleuse? C'est que l'humanité n'a pu se développer par tous les côtés à la fois. Incomplète encore et ne suffisant pas à l'énorme gestation de son travail interne, elle a dû négliger l'art lorsqu'elle existait par la guerre, de même qu'elle a dû négliger la politique lorsqu'elle s'est laissée absorber par le luxe et le goût. On a conclu jusqu'ici, comme Jean-Jacques-Rousseau, que l'esprit humain était à jamais condamné à perdre d'un côté ce qu'il acquérait de l'autre. Mais c'est une erreur que repoussent les esprits sérieux. Ne sentent-ils pas déjà en eux la perfectibilité se manifester par les besoins du coeur et de l'intelligence, qui ne peuvent se réaliser tout d'un coup, mais dont la présence dans le cerveau humain est une souffrance, un appel, une protestation contre le fini des choses passées, un garant de l'infini des choses futures?

Sans aller trop loin, nous pouvons jeter les yeux autour de nous et remarquer combien, depuis quelques années seulement, le goût a gagné sous plusieurs rapports. L'inconstance effrénée de la mode est une preuve évidente du besoin que le goût des masses éprouve de se former et de s'éclairer avant de se fixer. Il ne se fixera sans doute jamais d'une manière absolue, mais il se posera du moins des bases plus durables, et, à mesure que le génie des artistes innovera, le goût du public est prêt à le contenir dans sa bizarrerie ou à le protéger dans son élan. Déjà ce que nous appelions il y a quelques années l'épicier commence à perdre de ses principes absolus de stagnation, déjà il cherche à se meubler moyen âge, renaissance, et, quand il a de l'argent, son tapissier lui insuffle un peu de goût. Ces essais de retour vers le passé ne sont point une marche rétrograde; c'est en étudiant, en comprenant les produits antérieurs de l'art, qu'on pourra apprendre à les juger, à les corriger, à les perfectionner. Qu'on ne s'inquiète pas de nous voir encore copier dans les arts l'architecture ou l'ameublement de nos pères; chaque instant de la vie sociale donnera bien assez de caractère à ce qui ressortira de ces essais de reproduction.

Il faut donc encourager le goût même dans les plus petites choses, et compter pour l'avenir sur une nouvelle renaissance; elle sortira de nos erreurs mêmes, et il n'y aura pas une bévue de nos architectes ou de nos décorateurs qui ne serve de base à de meilleures notions. Il faut ne point mépriser comme futiles le sentiment de la grâce et le mouvement de l'esprit, manifestés dans un tapis, dans une tenture, dans l'étoffe d'une robe, dans la peinture d'un éventail. Nos meubles sont déjà devenus plus moelleux et plus confortables; on en viendra à leur donner l'élégance qui leur manque. Une éducation plus exquise apportera dans les ornements de toute espèce l'harmonie et le charme, qui sont encore étouffés sous la transition bien nécessaire de l'économie et de l'utilité. Dans ces choses de détail, les femmes seront nos maîtres, n'en doutons pas, et, loin de les en détourner, cultivons en elles ce tact et cette finesse de perception qui ne leur ont pas été donnés pour rien par la nature.

Reconnaissons-le donc, il y a du génie dans le goût, et jusqu'ici le goût est peut-être encore tout le génie de la femme. Autant nous avons souffert quelquefois de voir de jeunes personnes pâlir et s'atrophier sur la minutieuse exécution d'une fleur de broderie dessinée lourdement par un ouvrier sans intelligence, autant nous avons admiré ce qu'il y a de poésie dans le travail d'une femme qui crée elle-même ses dessins, qui raisonne les proportions de l'ornement et qui sent l'harmonie des couleurs. Celle qui nous a le plus frappé dans ce talent, où l'âme met sa poésie et le caractère sa persévérance, c'est la princesse Anna Czartoryska. Cette jeune femme aux mains patientes, à l'âme forte, à l'esprit exquis, passe sa vie auprès de sa mère, charitable et laborieuse comme elle, penchée sur un métier ou debout sur un marchepied, créant avec la rapidité d'une fée des enroulements hiéroglyphiques d'or, d'argent ou de soie, sur des étoffes pesantes ou des trames déliées, semant des fleurs riches et solides sur des toiles d'araignée, peignant des arabesques d'azur et de pourpre sur le bois, sur le satin, sur le velours et nuançant avec la patience de la femme, et jetant avec l'inspiration de l'artiste, des dessins toujours nouveaux, des richesses toujours inattendues du bout de ses jolis doigts, du fond de son ingénieuse pensée, du fond de son coeur surtout. Oui, c'est son coeur qui travaille, car c'est lui qui la soutient dans cette desséchante fatigue d'une vie sédentaire, où le cerveau brille, où le sang glace. Il n'y a pas une de ces fleurs qui ne soit éclose sous l'influence d'un sentiment généreux et qu'une larme de ferveur patriotique n'ait arrosée.

Qui nous dira le mystère sacré de ces pensées, tandis que, courbée sur son ouvrage, tremblante de fièvre, attentive pourtant au moindre cri, au moindre geste de ses enfants, elle poursuivait d'un air calme et dans une apparente immobilité le poëme intérieur de sa vie? Chacun de ces fantastiques ornements qu'elle a tracés sur l'or et la soie renferme le secret d'une longue rêverie; l'immolation de sa vie entière est là.

C'est ainsi que, chaque année, elle rassemble tous les travaux qu'elle a terminés pour les vendre elle-même aux belles dames oisives du grand monde. Elle ne leur fait payer ni son travail, ni sa peine, ni sa pensée créatrice: elle compte tout cela presque pour rien, et, pourvu qu'on achète autour d'elle mille petits objets que la sympathie d'autres femmes généreuses apporte à son atelier, elle est heureuse d'achalander la vente des objets de pur caprice par la valeur réelle de ses belles productions. Aussi les acheteurs ne lui manqueront pas cette année plus que les autres, et le monde élégant de Paris viendra en foule, nous l'espérons, se disputer ces charmants ouvrages, création d'une artiste, reliques d'une sainte.

8.«De la belle, remarquable et célèbre académie que l'on appelle Paris.»
9.«Nous passons la Seine soir et matin. Nous nous promenons sur les places et dans les carrefours de la ville. Nous parlons la langue latine; et, comme vrais amoureux, nous captons la bienveillance du sexe féminin, le juge suprême, possesseur de toutes les formes et le générateur Universel.»
10.«Non, seigneur, dit l'écolier; car, dès que brille le moindre rayon de jour, je me rends de grand coeur dans quelqu'une de nos belles cathédrales, et, là, m'arrosant de belle eau lustrale, je chante un morceau des prières de nos offices. Et, parcourant mon livre d'heures, je lave et purifie mon âme de ses souillures nocturnes. Je révère les anges, je révère avec un culte particulier l'Éternel qui régit les astres. J'aime et je chéris mon prochain. J'observe les préceptes du Décalogue; et, selon la puissance de mes forces, je ne m'en écarte de la longueur de l'ongle; il est bien vrai que le dieu des richesses ne verse une goutte dans mes coffres, et c'est à cause de cela que je suis quelque peu rare et lent à faire l'aumône à ces pauvres qui vont demander aux portes.»
11.«Seigneur messire, mon génie n'est pas apte à faire ce que dit ce mauvais fripon, je ne suis pas né pour écorcher la pellicule de votre français vulgaire, au contraire je mets tout mon soin, et, à l'aide de la voile et de la rame, je m'efforce de l'enrichir par l'imitation latine.»
12.«L'origine première de mes aïeux et quadris aïeux fut indigène des régions Lémoriques, où repose le corps du très-saint Martial.»
13.«Eh! dites donc, mon gentilhomme… O saint Martial secourez-moi! oh! oh! laissez-moi, au nom de Dieu, ne me touchez pas.»
14.«Mangeur de raves.»
15.«Inusités.»
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
230 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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